Chapitre 43 - Station G-DAI (1/2)
Quelques minutes plus tard, la navette se posa dans une baie de la sphère centrale. Appliquant avec ferveur toutes les techniques de méditation qu'elle avait apprises, Claire réussit à réprimer son mal de cœur.
Purée, c'est pas passé loin ! J'espère ne pas avoir d'autres surprises de ce genre !
Pour se changer les idées, elle résolut de se concentrer sur son environnement. Comme elle l’avait appris durant ses cours avec Inause, et également remarqué dans les holovids, le système de fermeture de la baie ressemblait de façon étonnamment familière à certains films de science-fiction de la Terre. Il s’agissait en effet d’un champ magnétique, quasiment transparent, qui fermait l’accès à la bouche d’amarrage et permettait de conserver l’atmosphère à l’intérieur, tout en laissant passer les vaisseaux. Invisible à l’œil nu hormis une distorsion rougeâtre sur ses bords, le bouclier assurait la sécurité des êtres vivants tout en permettant aux engins correctement équipés de franchir le barrage comme s’il n’existait pas.
Cette sensation de familiarité persista quand elle descendit de la navette, suivant le Lieutenant qui n’avait levé la tête de son bayni qu’au moment où la coupée s’était abaissée. Contrairement à Bhénak, dont la plupart des installations et constructions étaient en pierre, ici le métal et le plastacier prédominaient, dans les teintes de gris et de blanc, avec toujours cependant ces mêmes moulures et torsades le long des murs. Une seule autre navette se trouvait dans la baie, sas refermé, alors que des robots d’entretien tournoyaient sur sa coque.
— Première fois sur une Station, hein ? s’enquit le Lieutenant, à qui n’avaient manifestement pas échappé les regards fascinés de la jeune fille, qui essayait de ne pas perdre une miette de ce nouvel environnement.
Elle hocha la tête. Elle devait constamment se rappeler qu’elle était censée être originaire de la planète Déhecité, et donc, avoir déjà connu au moins un vol spatial, afin de venir sur Kivilis. Cela n’impliquait pas forcément d’avoir déjà mis le pied sur une station orbitale, mais il fallait malgré tout qu’elle s’applique à ne pas paraître trop dépaysée ! Le Lieutenant hocha la tête en retour, l’air satisfait, et la guida alors à travers un dédale de rampes, de couloirs et de translifts gigantesques et fourmillants de monde.
Soldats se déplaçant en cohortes, officiers à l’air pressé, techniciens de maintenance et autres militaires de rangs divers et variés, tous se pressaient dans les corridors, se ruaient dans des turbolifts ou patientaient dans des aires de repos aménagées çà et là. Cependant, plus ils avançaient, plus la foule se raréfiait, jusqu’à ce qu’ils finissent par arriver dans un long couloir qui semblait se terminer en cul-de-sac.
Alors qu’ils approchaient, Claire se rendit compte que les derniers mètres du couloir étaient occupés par un puits, sur toute sa largeur. Le Lieutenant lui jeta un regard ironique. Sans attendre et sans la moindre explication, il s’approcha vivement du bord et l’enjamba. Ou sauta. Ou sembla sauter. Et il disparut à sa vue.
C’est seulement lorsqu’elle ne fut plus qu’à un pas du puits qu’elle l’aperçut, qui l’attendait tranquillement quelques mètres en dessous. Enfin, pas totalement en dessous, plutôt, debout à quatre-vingt-dix degrés, sur la paroi la plus proche d’elle. Elle comprit qu’il s’agissait d’un point de basculement de gravité – elle en avait souvent entendu parler, mais ne l’avait jusqu’à présent jamais physiquement expérimenté.
Parce que son instructeur l’attendait d’un air narquois, attentif à la façon dont elle allait négocier ce passage délicat, elle s’interdit de réfléchir plus avant. Pourtant, elle devait bien reconnaître que tout son être lui criait de ne pas faire ce simple pas en avant, au-dessus du « vide ».
Sans l’assurance et la confiance en soi conférés par son entraînement ces derniers mois, elle n’aurait probablement pas réussi. Mais elle s’arma de courage, et sauta.
Sérieux, c’est trop malaiiiiisant !!!
Durant le bref instant d’antigravité, elle sentit son cœur remonter dans sa poitrine, alors qu’elle avait l’impression d’être brusquement en train de basculer vers le sol. Par réflexe, elle mit les bras devant elle pour amortir sa chute.
Elle tituba et se retrouva debout à côté du Lieutenant. Elle rabaissa vivement ses bras. Jetant un regard en arrière, elle vit le couloir par lequel ils étaient arrivés, qui s’enfonçait verticalement derrière eux. Son instructeur eut un hochement de tête approbateur, peut-être un peu déçu, mais il ne dit rien, et lui fit signe de le suivre en reprenant sa route.
J'ai peut-être marqué un point, mais ça va pas arranger mon mal de cœur, ça ! Juste quand ça allait mieux... !
Ils débouchèrent dans un nouveau cul-de-sac. Deux petites galeries vitrées s’ouvraient sur la droite et sur la gauche, alors qu’une large porte parfaitement carrée fermait l’extrémité du sas en face d’eux. Le Lieutenant lui demanda de patienter quelques minutes, et disparut dans une pièce à droite. De retour quelques minutes plus tard, il lui fit signe de s’approcher.
— La salle Kanaskith est là. Nous en avons l’entière jouissance pour quatre heures.
Il lui désigna une porte de l’autre côté du sas :
— Allez dans le vestiaire, enfilez une surcombinaison et un casque de protection, prenez l’un des pistolasers d’entraînement sur les râteliers, puis rejoignez-moi ici.
Elle salua et s’exécuta. Dans le vestiaire désert, une série de surcombinaisons électroniques attendaient dans leurs casiers. Elle revêtit rapidement la plus proche, avant de saisir une arme sur un râtelier. Ces combinaisons permettaient de simuler les tirs, ou plutôt, de ressentir l’impact des pistolasers d’entraînement si l’on était touché. Elle les avait utilisées à Bhénak dans les premiers temps de son entraînement, quand elle avait appris à esquiver, mais cela faisait un certain temps que le Lieutenant était passé à l’étape supérieure – tirer avec de vraies armes réglées sur paralysant. Elle coiffa le casque le plus proche - ce n’était pas un casque intégral prévu pour aller dans l’espace, juste une protection contre les chocs avec une large demi-visière - et se hâta de ressortir du vestiaire.
Le Lieutenant l’attendait devant la porte carrée qui menait à la salle Kanaskith. D’un geste un peu théâtral, il appuya sur la commande d’ouverture. Les panneaux s'écartèrent, révélant un spectacle à couper le souffle.
Le couloir se terminait abruptement. Des mains courantes en acier ceinturaient tout les quatre côtés de la porte. Derrière, le vide.
Ils se trouvaient à l’extrémité de la station, juste sous l’un des dômes. Droit devant eux, la planète toute entière se révélait à travers la coupole en plaques de plastacier. Au-dessus, en dessous, tout autour, c’était l’espace, noir et infini. Les autres stations orbitales, les ports stellaires, le trafic incessant, paraissaient insignifiants à côté de la boule argent, marron et bleue qui emplissait la plus grande partie de leur champ de vision.
Le dôme n’était pas vide. Agencés à intervalles réguliers, selon un schéma que Claire ne percevait pas, des blocs d’acier et de plastique, de tailles et de formes différentes mais tous réguliers, tels que des octaèdres, des décaèdres ou encore des dodécaèdres, emplissaient tout l’espace, flottant à tous les niveaux, jusqu’au sommet du dôme. La lumière du soleil se reflétait sur les surfaces polies des containers, munis de poignées et parcourus de bandes luminescentes, ce qui rendait les zones d’ombre encore plus noires.
D’un pas, le Lieutenant Saulnier se propulsa hors de la plateforme. Sans se laisser le temps d’hésiter, elle le suivit. Elle se retrouva instantanément en apesanteur. Hélas, elle avait mal calculé son élan, et dépassa le Lieutenant, incapable de s’arrêter. Agitant vainement les bras, elle commença alors à tournoyer sur elle-même. Il n’y avait plus ni haut, ni bas, ni aucune possibilité d’orientation.
La nausée revint d’un coup, implacable. Incapable de stabiliser sa rotation, elle lança le poeïr par pur réflexe. Mais pour une fois, ses pouvoirs ne lui étaient d’aucune utilité : il aurait fallu qu’elle arrive à se concentrer pour savoir quoi en faire, et elle fut bientôt trop malade et désorientée pour cela.
Elle dériva en tourbillonnant lentement de longues secondes, saisie de haut-le-cœur, avant de réussir enfin à attraper une poignée sur l’un des blocs métalliques. Elle s’y agrippa comme à une bouée de sauvetage.
Son instructeur s’était propulsé jusqu’à la structure la plus proche, et avait observé ses gesticulations d’un air narquois. Alors qu’elle s’essuyait la bouche d’un air dépité, cramponnée à son polyèdre de métal, il commenta :
— Règle numéro un du déplacement en apesanteur : pas de mouvement brusque. On gère son élan quand on s’élance d’un endroit fixe, et on fixe des yeux le point qu’on veut atteindre sans effectuer de mouvements désordonnés.
Lui lançant un petit aspirateur portatif, muni d’un long entonnoir, il ajouta :
— Règle numéro deux : on nettoie son bazar.
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