Chapitre 47 - Combat d'Amazones
Les sculpturales gardes du corps n’avaient pas bougé. Claire redressa la tête, tentant de masquer ses yeux rougis, et passa devant elles sans leur accorder un regard. Elle pouvait sentir leur mépris peser sur ses épaules. De toute évidence, elles la considéraient juste comme un jouet, la petite jayn apprivoisée du Seigé Leftarm !
Et avaient-elles tort ?
En d’autres circonstances, tout cela ne l’aurait probablement pas touchée. Le Seigé lui avait dit et répété que c’était justement son apparence anodine, inoffensive, qui était son principal atout. Ces femmes hautaines étaient peut-être surentraînées, mais elle aussi, et grâce aux rigoureuses leçons du Lieutenant Saulnier, à celles du Centre, et à son poeïr, elle était sans doute capable de les mettre au tapis si besoin.
Mais avec ce qui venait de se passer dans le bureau du Directeur, son assurance avait été sérieusement mise à mal. Devant leur attitude, son orgueil en prit un coup. Elle se sentit mortifiée devant leur air goguenard, et ressentit soudain une brûlante envie de leur faire rentrer leurs airs supérieurs dans la gorge.
De leur montrer, à tous !
Car ces femmes dégageaient aussi autre chose, qui n’avait rien à voir avec leur compétence supposée au combat. Elles irradiaient quelque chose dont Claire sentait bien qu’elle était complètement dépourvue, une sensualité lascive et dangereuse que la jeune fille aurait été bien incapable de feindre, même en essayant. Complètement inexpérimentée, elle n’avait jamais encore été attirée par le sexe opposé. Les histoires de cœur de ses amies l’avaient toujours laissée vaguement sceptique, même si elle affichait un intérêt de façade, et ce n’était pas à Bhénak que ce domaine-là aurait eu une chance de se développer.
Elle trouvait donc ces femmes vaguement vulgaires, et pourtant, quelque chose la fascinait dans leur attitude décontractée, quelque chose qu’elle n’arrivait pas à comprendre, qui la révulsait et l’attirait tout à la fois. Elle se sentit donc prise d’une colère inattendue devant la morgue qu’affichaient les guerrières, qui la dévisageaient sans vergogne alors qu’elle traversait l’atrium.
— Ça n’a pas été long, commenta la rousse d’un ton nonchalant, de manière parfaitement audible.
— Je vous demande pardon ?
Le cœur battant plus vite, elle s’arrêta et se retourna lentement. Les deux femmes l’observaient toujours d’un air goguenard. La blonde répondit à la rousse, sans quitter Claire des yeux :
— Il n’en a fait qu’une bouchée. Je crois que tu as gagné ton pari.
— C’est de moi que vous parlez ? s’enquit-elle calmement, sentant la colère former une boule au fond de son estomac.
— Oh, regarde-moi ça. Laisse tomber, petite jayn, jeta la blonde avec commisération. Tu n’es pas à la hauteur, c’est tout.
Dans sa bouche, le terme honni prenait une tonalité méprisante, plus que condescendante. Il acheva de brûler au rouge la jeune fille.
— Je ne vous permets pas… commença-t-elle d’un ton menaçant.
La boule montait, s’échauffait, prête à éclore, mais Claire avait encore assez de présence d’esprit pour la contenir.
— Ça essaie de mordre, en plus ! sourit la rousse. Amusant !
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les deux femmes s’étaient redressées. Vives comme l’éclair, elles s’étaient approchées. La blonde lui caressa la joue d’un air faussement apitoyé.
— Alors, jayn, on essaie de jouer dans la cour des grandes ? Mais, ma puce, il faudrait être équipée pour ça !
En d’autres circonstances, Claire n’aurait sans doute pas cédé à la provocation. Mais après ce qui venait de se passer, l’air supérieur des deux femmes lui fut insupportable. La colère explosa.
Elle saisit la main de la blonde et, d’un geste vif, lui retourna le bras dans le dos. La rousse tenta une attaque, que Claire para aisément, puis l’attrapa par derrière, par la taille, pour lui faire lâcher prise, tandis que la blonde se pliait en deux pour la faire basculer. Claire lâcha le bras de son adversaire, se dégagea en un mouvement souple et faucha du même coup les jambes de la femme derrière elle.
À partir de là, les choses dégénérèrent.
Mises en furie, semble-t-il, par sa résistance inattendue, les deux Amazones se jetèrent sur elle. Elles étaient fortes et bien entraînées, mais Claire subissait depuis tant de mois les attaques du Lieutenant qu’elle se sentait parfaitement de taille à les affronter.
Pire, elle avait envie de les affronter. D’effacer leurs sourires méprisants, de leur montrer qu’elle n’était pas qu’une pitoyable petite jayn qui se cachait derrière la cape du Seigé !
La rousse passa sous sa garde, lui assénant un violent coup dans le sternum. Le souffle coupé, Claire riposta par une flambée de poeïr. La femme recula de plusieurs mètres, comme repoussée par une main invisible, ce qui sembla redoubler sa colère. La blonde arriva alors par derrière et entreprit de l’étrangler d’une clé de bras, alors que la rousse revenait à la charge.
Claire se plia en deux, passa sa jambe derrière celle de son adversaire, pivota les épaules pour libérer son bras et tira en arrière la tête de son adversaire, avant de tordre le bras qui la maintenait prisonnière et d’envoyer son autre jambe dans le ventre de la blonde, qui tomba à terre.
Elle pivota pour contrer la rousse, qui tentait de la frapper aux genoux, alors que la blonde se relevait et essayait de lui asséner un coup en direction du visage. Claire para, et un nouveau déluge de coups et parades s’abattit alors que la rousse cherchait une nouvelle ouverture, tournant autour des deux combattantes.
Claire ne s’était jamais battue avec une cape, et même si la sienne n’était pas très longue, elle l’entravait dans ses mouvements, ralentissant ses gestes. La rousse en profita et attrapa le lourd vêtement, la tirant en arrière. Claire bascula, mais réussit à décrocher le fermoir d’une main fébrile, roula, et se dégagea, laissant la cape dans les mains de son adversaire.
Soudain, la blonde lança un coude en avant, en une attaque que Claire avait subi maintes fois de la part du Lieutenant Saulnier avant de réussir à comprendre comment la contrer. Claire saisit le coude, le retourna, et, utilisant l’élan de son adversaire, lui faucha les jambes, l’étendant pour le compte.
La blonde se retrouva au tapis, sonnée, momentanément hors d’état de nuire. Son deuxième adversaire se rua alors sur elle, mais Claire para son attaque sans peine. L’autre ne se laissa cependant pas avoir de la même façon que sa compagne, et les deux luttaient pied à pied quand soudain une voix désincarnée se fit entendre :
— Cela suffira, Mesdames !
Aussitôt, la rousse cessa le combat. Se dégageant habilement, elle recula d’un pas. Haletante, Claire la fixa avec méfiance, craignant une feinte, prête à se défendre si l’autre revenait à l’attaque. Mais la femme, sans la quitter des yeux, lui fit un léger signe de tête. La jeune fille ne sentit plus trace de moquerie : l’autre semblait simplement l’avertir de ne pas relancer le combat.
La rousse se détourna et entreprit d’aller aider l’autre femme à se relever, sans plus se préoccuper d’elle.
Indécise, Claire mit encore quelques instants à baisser sa garde. Mais les deux femmes ne lui accordaient plus aucune attention. La blonde grimaçait, et Claire sentait sa douleur au bras, comme si elle avait été la sienne. Vite, pour ne pas se laisser submerger, elle bloqua ses perceptions, se concentrant sur ses propres ecchymoses – et elles étaient nombreuses ! Elle se sentit soudain prise de remords : la femme souffrait vraiment.
Mince, je l’ai pas ratée on dirait !
Toute sa colère l’avait quittée, aussi brusquement qu’elle était apparue. Elle esquissait un mouvement en direction de ses deux ex-adversaires quand soudain, une voix froide retentit dans son esprit :
Vous en avez assez fait pour aujourd’hui ! Retirez-vous !
Elle cilla. Leftarm paraissait particulièrement agacé. Manifestement, il avait suivi le combat. Était-ce lui qui avait demandé aux femmes d’arrêter ? Non, la première voix ressemblait davantage à la voix du Directeur.
Depuis quand nous observent-ils ? Ont-ils tout vu ? Depuis le début ?
Sa main retomba. De toute manière, que pourrait-elle dire aux deux femmes ? S’excuser ? Après tout, c’était elles qui l’avaient cherchée !
Elle récupéra sa cape par terre et, après un dernier regard sur l’atrium, tourna les talons, abattue. Nul ne la retint.
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