Chapitre 49 – Le Concile (2/2)

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 Plusieurs heures plus tard, lorsque la séance se termina, Claire ne savait trop que penser. Ainsi, c’était ça, une réunion du Concile ? Des discussions stériles sur le point de détail d’un obscur article de loi qui ne serait sans doute jamais appliqué ? Des éclats de voix et des fausses colères ? Elle s’était ennuyée à mourir, bien qu’elle ait essayé de suivre le fil des discussions. Heureusement qu'elle avait pu en profiter pour observer tout à loisir la multitude de races représentées, la plupart qu’elle n’avait jamais vues qu’en holo !

 Ces gens savaient-ils qu’ils n’avaient aucun pouvoir ? Était-ce pour cela que leurs discussions semblaient si vaines ? Elle avait remarqué que certains se contentaient d’afficher avec suffisance leurs attributs de Dynaste, sans chercher à faire autre chose que de parler à voix basse, d’un air important, avec d’autres personnes tout aussi bien vêtues, sans même suivre les débats. D’autres faisaient beaucoup de bruit, s’interpellaient d’une alvéole à l’autre, tandis que d’autres encore restaient stoïques, le visage fermé, pendant que leurs assistants prenaient frénétiquement des notes sur leurs baynis.

 Elle avait essayé de percevoir leurs émotions, mais ils étaient bien trop nombreux. Le maelstrom qui avait déferlé dans sa tête quand elle avait tenté de déployer son poeïr lui avait donné un violent mal de crâne. Elle avait vivement fermé son esprit, mais même après plusieurs heures, la migraine n'avait toujours pas disparu.

 Cet endroit sentait la corruption à plein nez. Ce n’était pas un mal, finalement, que ces gens n’aient pas de pouvoir effectif ! Tout ce à quoi ils semblaient songer, c’était à modifier les lois dans leur propre intérêt – ou l’intérêt de celui qui les payait !

 Cela, plus que tout, la déprima, balayant ses dernières illusions.

C’est peut-être pour ça que le Seigé m’a envoyée ici… pour que je m’en rende compte par moi-même ?

 Mais quelles que soient les intentions de son employeur, il lui fallait songer désormais à rentrer. Après avoir consulté le plan du palais, elle quitta la loge en direction du Grand Hall.

 Les occupants des cabines adjacentes avaient envahi le couloir, certains bavardant avec animation, d’autres plongés dans un silence hautain. Pas un ne lui jeta un regard alors qu’elle remontait le corridor en direction de la rampe la plus proche. Elle descendit de quelques niveaux – elle aurait pu prendre un turbolift, évidemment, mais elle n’aurait alors pas vu grand-chose de l’architecture élégante, toute en courbes, du palais gouvernemental. L’occasion était trop belle pour la gâcher !

 Le contraste avec les lignes sévères de Bhénak était frappant. Telle une bulle, la salle du Concile, située juste sous le sommet de la pyramide, était ceinturée de couloirs, eux-mêmes entrecoupés de niches, d'atriums, et de rampes en pente douce. Le blanc, le rose et l'or prédominaient, les parois richement moulurées scintillaient de mille feux, comme incrustées de minuscules diamants. Le sol était recouvert d'une épaisse moquette, rouge et moelleuse.

 Alors qu'elle atteignait les étages des bureaux des Dynastes, l’animation et la foule augmentèrent sensiblement. Des groupes de diplomates conversaient doctement sur le pas des portes, d’autres répondaient aux questions des médiarobots, alors que d’autres encore donnaient des instructions à leurs assistants, sous l’œil impassible de la Sécurité.

 La diversité des races était impressionnante. Sans doute était-ce l’endroit du Quadrant où se concentraient au même endroit le plus d’espèces différentes sur un espace aussi restreint. Des Humains, bien sûr, des Sullites et des Treuzes, évidemment, mais aussi des Margnerals en grand nombre, avec leurs grandes oreilles et leurs longs cheveux blancs, des Draafs, des Quartets, et tant d’autres, certains sur deux jambes, d’autres à quatre pattes, d’autres rampant ou encore voletant…

 À Bhénak, Claire avait fini par s’habituer à croiser des non-hums, mais la variété ici était tellement importante qu’elle devait se concentrer pour rester l’air impassible, même quand un Vivlyo et sa suite, dans leurs bulles de méthane antigrav, la dépassèrent en caquetant.

 Alors qu’elle abordait la dernière rampe, elle vit arriver un nouveau groupe de diplomates. Parmi eux, se trouvait le Secrétaire Thranca.

 Il était trop tard pour faire marche arrière. Claire inspira un grand coup et continua à avancer vers le groupe, espérant que la foule qui les entourait lui permettrait de se fondre dans la masse. Mais alors qu’elle les avait presque dépassés, le Secrétaire plissa les yeux et leva la main pour interrompre le Sullite qui lui parlait.

— Mais c’est la jayn Claire ! s’exclama Thranca. Quel étonnement que de vous croiser ici !

 Les yeux entraînés du Skamanite la détaillèrent alors qu’elle s’arrêtait et se retournait, et s’écarquillèrent brièvement devant la cape qui lui battait les cuisses et l’insigne doré sur son épaule.

 Pour sa part, sa propre cape descendait au niveau des genoux – même si, sur le squelette trapu d’un Skamanite, la différence de sa c-media avec la d-media de Claire était minime. Les personnes qui l’accompagnaient portaient pour la plupart des d-media, hormis le Dynaste Vithon, dont la d-maxima arrivait à mi mollets.

 Ce dernier, qui les précédait de quelques mètres, s’était arrêté en entendant l’exclamation de Thranca. Il se retourna et l'observa avec curiosité – s’il était possible de reconnaître cette expression chez un ressortissant de Skamaïn. Mais avant qu’il n’ait pu les rejoindre, une nuée de médiarobots se ruèrent sur lui, crépitant de questions, et détournant son attention.

— Bonjour, Secrétaire, s’inclina Claire.

— Vous êtes décidément pleine de surprises, nota le Secrétaire sur un ton approbateur. Quel Dynaste assistez-vous donc ici ?

— Aucun, Secrétaire, répondit la jeune fille, se demandant comment elle allait se sortir de ce mauvais pas. Je suis ici simplement en observation.

 Inutile de mentir au Skamanite : il avait certainement les moyens de savoir rapidement si elle faisait partie d’une quelconque équipe de diplomates du Concile. Mais elle n’allait pas ici, devant tous ces témoins dont elle ignorait tout, en dire davantage.

 Le Secrétaire plissa les yeux.

— En observation ? Tiens donc…

 Sans doute devait-il se demander si le Centre de Formation – dont la plupart des résidents de Bhénak savait qu’il formait les espions de Kivilis – l’avait envoyée là pour une raison particulière. Et si sa cape d-media n’était qu’un déguisement, ou une véritable marque de rang.

 Dans le premier cas, il était peu probable qu’il signale l’usurpation à l’un des OSD. Thranca faisait partie des diplomates qui avaient leurs quartiers à Bhénak – une pratique tout à fait légale, mais sur laquelle on évitait en général d’attirer l’attention. Le Skamanite n’avait aucun intérêt à briser sa couverture, s’il ne voulait pas s’attirer l’ire des instructeurs de Claire, voire de personnes plus élevées.

 Mais il était aussi un indécrottable curieux, comme elle aurait dû s’en souvenir. Et elle aurait dû également se douter que le Secrétaire avait gardé un œil sur elle, surtout depuis leur dernière rencontre.

— Ce qu’on raconte est donc vrai, poursuivit-il. Et votre… employeur, est-il ici aujourd’hui ?

 Elle le fixa, impassible, bien qu’elle sentît son cœur s’emballer brusquement. Le non-hum soutint son regard, alors que les personnes autour d’eux échangeaient des regards perplexes.

 Évidemment. Bien que Leftarm lui ait défendu de parler à quiconque du véritable poste qu’elle occupait - allait occuper – à ses côtés, il était prévisible que les gens se posent des questions. Surtout après qu’on ait remarqué qu’elle avait accès à quasiment tous les Secteurs de Bhénak, et ce, que le garde du Hangar Trois ait parlé ou non.

 Si nul ne pouvait deviner pour le poeïr, sa présence dans le Grand Bureau et dans les meetings du Secteur A, pour ces satanées Séances d’Observation, avait forcément fini par faire jaser.

 Et si les Assistants en d-media étaient légion à Bhénak, surtout dans le Secteur B, peu d’entre eux mettaient les pieds dans le Grand Bureau.

 Claire se doutait bien que sa présence dans la navette du Seigé ce matin-là, et dans cette tenue, avait officialisé un certain nombre de choses – et elle en avait été ravie, même si elle se rappelait les mises en garde du Seigé.

 Mais elle n’aurait pas pensé que ce serait aussi rapide, ni que, pour des esprits pénétrants comme celui du Secrétaire, il suffirait de la voir vêtue ainsi pour comprendre - même sans la présence de son employeur.

— Il est ici, oui, finit-elle par répondre.

— Mais il n’a pas assisté au Concile, si je ne me trompe, poursuivit Thranca, toujours sans la quitter des yeux.

— C’est exact.

 Elle ignorait ce que connaissait le Secrétaire du gouvernement réel de Kivilis, et n’allait certainement pas lui donner d’indications supplémentaires. Mais le Skamanite hocha la tête, satisfait.

— Cela ne m’étonne pas qu’il soit venu en personne, commenta-t-il. Bien qu’il n’ait jamais fait mystère de la piètre opinion en laquelle il tenait cette organisation.

 Comme Claire ne répondait pas, il sourit encore plus largement.

— Bien, bien ! Qui l’eut cru ? À peine sortie de l’œuf, et vous voici au Mont Miroir ! Vous êtes décidément une jeune personne avec qui il va falloir compter, Assistante !

 Il lui fit un clin d’œil et s’inclina alors devant elle – imperceptiblement plus bas que ne l’exigeait le protocole – puis, sans plus rien ajouter, rejoignit le Dynaste, libéré des médiarobots, qui commençait à s’impatienter. Ses compagnons jetèrent un dernier regard curieux à Claire avant d’emboîter le pas au Secrétaire, et elle perçut nettement leur perplexité.

 Elle les observa disparaître dans la foule, à la fois flattée, soulagée, et pleine d’appréhension. Leftarm serait-il satisfait de la façon dont elle avait contourné – ou pas - la conversation ?

 Repenser au Seigé lui rappela brusquement les évènements du matin, et son cœur se serra.

 Il fallait qu’elle rentre. Si impressionnant, si éblouissant que fut le palais gouvernemental, elle ne pouvait pas délayer plus longtemps la confrontation qui s’annonçait.

 Elle atteignit le Grand Hall, toujours aussi bondé, puis se dirigea vers les hangars d’atterrissage Nord. Il ne lui fallut que quelques minutes pour repérer l’endroit où étaient alignés les taxis aériens, de l’autre côté de la large rampe où patientaient les limojets privées.

 Le pilote était une femme d’une cinquantaine d’années, sanglée dans son uniforme des Transports de Passagers Intraplanétaires de Kivilis. Il émanait d’elle un grand professionnalisme, mais Claire la vit ciller quand elle annonça sa destination.

— Bhénak… ? Vous savez que c’est à l’autre bout du continent ?

 Pour toute réponse, Claire agita son poignet. Le pilote lui fit signe de le placer contre la plaque sensitive, puis observa les données qui s’affichaient sur son écran.

— C’est parti… fit l’employée de la TPIC pour toute réponse.

 Et le taxi fusa hors du hangar, lui laissant amplement le temps de ressasser sa visite au Mont Miroir.

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