Chapitre 52 - L’Inexorable (1/2)

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Je vais mourir…

 Allongée sur une étroite couchette d’une encore plus étroite cabine, Claire se sentait plus misérable que jamais. Toute la fierté qu’elle avait pu éprouver, l’arrivée de la navette étincelante dans la gigantesque soute de l’Inexorable, le fier vaisseau-amiral de Leftarm, les soldats au garde-à-vous pour accueillir le Chef des Armées, la vaste Passerelle, avec ses immenses baies qui donnaient sur l’espace – fort encombré, à vrai dire – de Kivilis, tout cela avait disparu dès que les nausées avaient commencé.

 Le Seigé était resté sur la Passerelle jusqu’à ce que le vaisseau passe en ultralux, communément appelée vitesse-lumière. Même si c’était une appellation incorrecte, car ils voyageait en réalité des milliers de fois plus vite ! Une année-lumière se faisait en trois heures, à peu près. Les réacteurs ultralux creusaient un trou dans la trame même de l’univers, permettant de se libérer de ses lois physiques. Une sorte de « raccourci » entre deux points, qui s’effectuait dans une dimension parallèle, ou quelque chose comme cela. Claire n’avait jamais vraiment compris la théorie, malgré les explications d’Inause, mais cela fonctionnait depuis des millénaires, alors elle se contentait d’accepter cela comme un fait. Un de plus.

 L’ultralux n’avait rien à voir avec la technologie totalement innovante du Vortex, qui avait permis à la jeune fille permis d’effectuer un déplacement instantané entre deux points de la Galaxie distants de près de soixante mille années-lumière, un an plus tôt. Une distance qui aurait mis, sous ultralux, près de dix-huit ans – au minimum – pour être parcourue. Comme elle était bien placée pour le savoir, cette technologie avait été irrémédiablement perdue lors de l’attentat. Ne restait donc "que" l’ultralux qui, s’il comprimait effectivement l’espace de manière inimaginable pour un Terrien, imposait quand même de passer des jours et des jours à bord d’un vaisseau spatial pour se déplacer entre deux planètes.

 Génial, quand on a le mal de l’espace !

 L’Inexorable était l’un des plus gros vaisseau de la Flotte. Comme tous les bâtiments de Kivilis, sa coque était peinte en damier, avec le vert de l’armée et le bleu marine du spatial. Cela avait beaucoup choqué Claire au début, habituée au blanc et au gris sobre des films de science-fiction terriens, avant qu’elle ne finisse par s’y accoutumer.

Quand même, sur ce coup-là, ils ont des goûts bizarres. L’Enterprise aurait beaucoup moins la classe en vert et bleu…!

 Un gong avait retenti, la tirant de ses pensées alors qu’elle observait les autres vaisseaux visibles par la baie. Il signalait que le vaisseau allait passer la Limite, ce qui voulait dire qu’il allait pénétrer dans la dimension de l’ultralux. Loin devant elle, sur la Passerelle surélevée, le Seigé était assis sur son fauteuil de commandement, entouré d’hologrammes tactiques. Elle-même se tenait debout à l’entrée du vaste dôme d’observation, près du centre de communication, attendant son éventuelle convocation, et ne perdant rien du spectacle ahurissant qui l’entourait.

 L’immense coupole de transparacier offrait un panorama à couper le souffle sur l’espace environnant. En contrebas, dans la fosse circulaire, les techniciens et officiers s’affairaient autour des consoles et des écrans holo. Au signal, chacun avait saisi la main courante la plus proche, ou son pupitre, ou n’importe quel autre point d’ancrage, afin de se préparer au Passage.

 Elle avait agrippé la poignée située à côté d’elle, essayant d’ignorer le mal de cœur qui commençait à monter – qu'elle imaginait encore, à ce moment, simplement dû à l’excitation de ce premier voyage spatial. La sonnerie avait changé de tonalité, et soudain, sa vision s’était dédoublée. Elle avait alors eu la très désagréable impression qu’on la retournait comme un gant. Ses instructeurs de simulateur lui avaient décrit la sensation – qu’elle était censée avoir déjà vécue, au moins une fois, pour arriver sur Kivilis - mais la vivre était une expérience totalement différente, et terrifiante ! Si elle n’avait pas crié de saisissement, cela avait été seulement grâce à son vigoureux entraînement.

 Ce désagréable sentiment avait disparu tout aussi vite, et chacun avait recommencé à vaquer à ses occupations. Dehors, le ciel était devenu blanc. Blanc, avec de curieuses moirures colorées, qui disparaissaient lorsqu’on les regardait directement. C’était magnifique, mais Claire, à sa grande honte, s’était sentie de plus en plus malade. Avec soulagement, elle avait vu Leftarm quitter son siège et redescendre vers elle pour se diriger vers ses quartiers. Elle l’avait suivi, espérant avec ferveur qu’il la congédierait bientôt. Elle ignorait si elle allait réussir à contenir sa nausée beaucoup plus longtemps.

Fort heureusement, le Seigé – peut-être conscient de son inconfort, qu’il ne pouvait manquer de ressentir - lui avait bientôt fait signe qu’elle pouvait se retirer, et elle s’était aussitôt précipitée dans les toilettes les plus proches, prise de violents haut-le-cœur.

  Elle reconnaissait parfaitement la sensation. Elle avait éprouvé la même chose, en bien moins fort, sur la Station G-DAI, lors de son premier entraînement en 0-g. Elle avait cru que c’était l’apesanteur qui lui faisait cet effet, mais ici, il y avait de la gravité. Alors quoi ? Était-elle malade ?

 Elle avait consulté son chronomètre. Comme Leftarm le lui avait dit, il y a si longtemps de cela – une éternité ! - donner l’heure n’était pas sa seule fonction. Elle avait lancé une analyse médicale rapide et attendu le résultat, pitoyablement assise par terre dans l’étroit cabinet. Quand il s’était affiché, elle l’avait fixé, incrédule.

 Sérieux ? Le mal de l’espace ?

Alors ça, ce n’était vraiment pas juste !

 Tu parles d’un Jedi !

 Alors que jamais, de tous ses exercices en simulateur elle n’avait été malade ! Et pourtant, les programmes étaient tellement réalistes qu’il était souvent difficile de s'y retrouver, sans compter que les condensateurs de gravité permettaient de simuler tous les loopings et chandelles possibles ! Alors pourquoi ? Et surtout, qu’allait dire Leftarm ? Allait-il lui en tenir rigueur ? Cela allait-il changer ses plans à son égard ?

 Misérable, dépitée, elle était sortie des toilettes et avait rejoint ses quartiers. Son mince bagage avait été déposé dans une cabine exiguë conçue pour six personnes, probablement des OLS, dans la coursive qui menait aux quartiers du Seigé. Allongée sur sa couchette, elle avait rapidement consulté son bayni, qui lui avait confirmé, et le diagnostic, et le fait qu’il n’y avait rien à faire d’autre qu’attendre que cela passe.

 Incroyable. Des millénaires d’évolution, et aucun médoc contre le mal de l’espace !

 Elle essayait de se plonger en méditation, sans grand résultat, quand deux OLS entrèrent, ôtant leur casque qu’ils rangèrent dans le compartiment adéquat. Ils venaient sans doute de finir leur quart car l’un d’eux, après un bref salut, retira ses bottes et s’allongea immédiatement sur son lit, la couchette la plus basse sur le mur opposé. Le deuxième la regarda un instant et sourit :

— Mal de l’espace, hein !

 Elle acquiesça piteusement.

— C’est votre premier vol ?

 Elle faillit hocher la tête, puis se ravisa à temps. Elle était censée avoir déjà voyagé au moins une fois dans l’espace, pour venir sur Kivilis ! L’autre lui tendit la main, un sourire amical sur son visage rond et ouvert.

— Moi, c’est Siril. Lui, c’est Jans.

— Claire.

— Vous êtes venue avec le Seigé, c’est ça ?

Elle hocha la tête et regretta immédiatement son mouvement, le cœur au bord des lèvres. L’autre remarqua son malaise et, compatissant, ne lui posa pas d’autres questions. Il grimpa sur sa couchette, celle qui était située juste au-dessus de celle de Claire, et suggéra :

— Vous devriez essayer de dormir. Y’a que ça qui y fait passer, au bout d’un moment. Ça vous dérange que j’éteigne la lumière ?

— Non, ça va.

 Elle se trouvait donc désormais dans une pénombre seulement trouée par les voyants au-dessus de la porte. Elle essaya de suivre les conseils de son compagnon de chambrée et tenta de dormir, mais difficile de faire abstraction du ronronnement discret du vaisseau et de la respiration des deux soldats. Elle se sentait beaucoup trop mal pour ça !

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