Insomnie
Samuel se tourna une nouvelle fois sur le côté. Il était anxieux. Dès qu'il fermait les yeux, il voyait nettement le visage de Théodore et le monologue reprenait. Il tapa nerveusement son oreiller pour le rendre plus confortable.
- Je ne veux pas mourir. S'il te plaît. Ma vie ne peut être aussi triste, ni aussi courte. J'ai besoin de connaître le monde. D'être là lorsque tout ira mieux pour mes amis. Pitié, ne me fait pas ça.
Il était mal à l'aise avec cette idée. Un personnage qui supplie le rendait toujours mal à l'aise. Et avec Théodore, c'était spécial. La situation s'était déjà produite. Mais, cette fois, il ne céderait pas. Il le tuerait.
Le condamné hurla sa rage. Il avait peur, et était en colère. Une table apparut à côté de lui. Elle était chargée d'un tas de papiers et de bibelots. Il envoyait le tout valdinguer.
- Monstre !
- Allons, Théodore. Ne te mets pas dans un cet état, murmura Guillaume.
L'homme était resté dans l'ombre, jusque là. Il s'avança vers le jeune garçon et posa une main qui se voulait réconfortante sur son épaule.
- Nous n'avons pas le choix. Samuel pense, et nous obéissons.
- C'est facile pour toi. Tu ne dois pas mourir demain.
- Facile ? Tu plaisantes j'espère ? Je suis déjà mort.
- Mort ?
- Oh, je vois. Tu penses que je suis le Premier Guillaume. Celui qui affronte des Dieux ?
- Ce n'est pas le cas ?
- Pas vraiment. Je suis la multitude de Guillaume. Tu vois, Théodore, tu vas peut-être mourir demain, mais tu es unique pour Samuel. Je suis presque certain qu'il va te pleurer. Alors que moi... Enfin, nous... Nous n'avons aucune importance à ses yeux. Il crée des Guillaume presque aussi souvent qu'il imagine une histoire.
Samuel se leva en pestant. Un verre d'eau lui permettrait probablement de calmer son esprit. Il fit un rapide aller-retour entre son lit et la cuisine puis secoua la couette sous laquelle il s'enfouit à nouveau. Il tenta de trouver une nouvelle position. C'était au moins la centième qu'il essayait cette nuit là.
- Où en étais-je déjà ? Ah ! Oui ! Figure toi que le Premier Guillaume, né d'ailleurs à la même période que toi, est toujours coincé dans une cave. Le pauvre. Il a raté son suicide pour se retrouver suspendu dans le temps. Ensuite, il y a eu le deuxième Guillaume. Celui-là n'a eu qu'une brève existence et a réussi à se donner la mort. Tiens, quand on y pense, il ne fait pas bon de s'appeler Guillaume quand on a Samuel pour père.
- Vous êtes son côté dépressif, j'imagine, susurra Salomé.
La jeune femme aux cheveux de feu s'était matérialisée à côté de Guillaume. Dans sa longue robe blanche, elle était majestueuse. Ses longs doigts se promenèrent un instant sur le cou du candidat perpétuel au suicide.
- Il n'y a pas de hasard s'il vous oublie continuellement, vous créées à nouveau, puis vous pousse à vous donner la mort. Il fait l'impasse sur ce trait de sa personnalité, il est dans le déni, et vous ne servez qu'à lui rappeler ce qu'il cache au plus profond de lui-même.
- Assez ! Cria Théodore.
- Tu mens ! Hurla de plus belle Guillaume. Tu ne fais que de bêtes suppositions ! Ça suffit avec ta psychologie de comptoir !
- Ils sont drôles ces jeunes s'esclaffa une vieille femme, un peu plus loin, assise dans un rocking-chair.
Elle caressait la main d'un homme, aussi âgé qu'elle. Il s'agissait d'Arline et de Firmin.
- Ils pensent avoir une vie propre.
- Arline, laisse ces gamins tranquilles. Ils ne savent pas.
- Bien sûr qu'on sait, tempêta Théodore.
Salomé, un peu décontenancée, hocha la tête.
- J'existe depuis plus longtemps que vous vieillards. Je n'ignore pas que nous ne sommes que des créations de Samuel.
- Mais nous pouvons agir sur notre Destin ! rajouta Théodore. J'ai déjà échappé à la mort l'an dernier. Samuel a bien voulu m'écouter. Salomé, tu es dans ses bonnes grâces. Interagis en ma faveur, s'il te plaît !
- Destin ? Mort ? Interagir ? s'étrangle Arline. Vous n'avez rien compris, c'est bien ce que je disais. Il se sert de nous, mais nous n'existons pas. Il canalise ses pulsions, ses désirs, et nous le servons.
Guillaume opina du chef.
- Samuel pense, et nous obéissons.
- C'est plus qu'une pensée. C'est la vie. Samuel vie, et nous obéissons. Il ne fait pas toujours les choses volontairement. Parfois, il nous arrive des choses contre son gré.
- C'est bien la preuve que nous avons aussi notre libre-arbitre.
- Idiot ! lâcha le nouvel arrivant.
Morgan entra dans la pièce, observant d'un œil mauvais toutes les personnes réunies. Il alluma une cigarette et inspira profondément.
Samuel se leva, découragé. Il traversa l'appartement, dans le noir, à la recherche de son paquet de cigarettes. Non seulement il ne pouvait s'endormir, mais en plus il était hanté par des conversations imaginaires qui lui emplissaient la tête. Même sa brusque envie de fumer lui venait de ses fantômes.
Une fois sa cigarette entièrement consumée, il repartit se mettre au lit. Fermer les yeux commençait à lui faire peur.
- Un couple de vieillards, un morveux implorant, une sorcière surpuissante, un schizophrène suicidaire... Que crois-tu Théodore ? Qu'avec de la volonté tu réussiras à t'en sortir ? Ne rêve pas. La vieille a raison. Tu es utile à Samuel, mais tu es remplaçable.
- Non, Morgan. Attends. Pas nous, explosa Salomé. Nous sommes bien trop importants !
Le dénommé Morgan se figea un instant. Ses yeux étranges scrutèrent la femme rousse. Il était effrayant, avec sa cicatrice qui lui barrait le visage.
- C'est ce que tu crois, pour le moment. Mais crois-moi, j'en ai fait le tour. Le gamin a raison. Tu es dans ses bonnes grâces, pour le moment. Mais ça ne durera pas. Samuel te trouvera bien une ou deux choses horribles avant de te mettre au placard.
- Il a raison. Il te fera même faire des choses innommables, se servant de toi pour accomplir des actes qu'il réprouve de tout son cœur.
Celui qui venait de parler s'avança, sûr de lui.
- T'es qui, toi ? questionna Morgan.
- Noah.
- Alors ferme la, Noah. Tu n'as même pas encore été créé. Tu ne sais pas de quoi tu parles.
Impulsif, Noah se jeta sur Morgan et lui colla son poing dans la figure. Les deux hommes roulèrent au sol en s'insultant. Salomé leur cria de s'arrêter, mais ils ne l'entendaient pas. Guillaume était monté sur la table et encourageait Morgan.
Au milieu du brouhaha, Arline et Firmin se tordaient de rire, rajoutant du chaos au chaos.
Théodore leva les yeux au ciel et chercha à distinguer Samuel. Tentant de couvrir le vacarme, il hurla :
- Pitié ! Je veux vivre ! Pitié !
Mais Samuel ne l'entendait plus. Il dormait enfin.
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