4 - Ingrid (3/3)

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Le surlendemain, Ingrid préparait sa séance avec Daniel d’une manière plus consciencieuse qu’à l’accoutumée. Son dossier était sorti et ouvert sur le bureau. Elle avait prévu quelques questions, en particulier sur cet étrange concept d’« ascenseur orbital » qu’il avait déjà évoqué. Le bouquin sur les soi-disant anciennes technologies l’avait mentionné dans un paragraphe, et elle désirait les mettre en concurrence. L’idée qu’elle avait derrière la tête se révélait sans doute violente, mais un mal nécessaire. Si Daniel racontait la même chose que ce livre, cela voulait dire qu’il tenait ses fabulations de celui-ci. Peut-être l’avait-il lu et extrapolé son histoire avec. S’il relatait quelque chose de différent, dans ce cas, il devait probablement halluciner, et elle devait donc lui apprendre à distinguer l’imaginaire du réel.

La docteure avait adopté une apparence plus décontractée, avec un chemisier d’un vert pastel et un pantalon de jeans bleu. Elle savait que ses vêtements habituels renvoyaient une attitude sévère, c’était son choix. Ingrid pensait ainsi témoigner de son sérieux devant ses patients. Avec sa crainte d’avoir blessé Daniel, elle tenta cette approche plus amicale. En plus de ses questions, elle avait répété des dizaines de fois dans sa tête des excuses pour s’être énervée. Elles sonnaient à peu près toutes faux.

Dix heures quinze, il était en retard, comme d’habitude. Elle avait même fini par adapter son agenda en conséquence sans le lui dire. Ses séances devaient durer d’une heure à une heure et demie, mais elle planifiait en réalité jusqu’à midi.

Un quart d’heure plus tard, Daniel ne s’était toujours pas manifesté. Quelque chose n’allait pas. Il manquait souvent de ponctualité, mais il ne ratait jamais une session.

— Ai-je vraiment dépassé les bornes l'autre jour ?

La thérapeute commença à tourner en rond dans ce grand bureau vide. Elle rangea quelques affaires qui perturbaient le côté maniaque de sa personnalité et réaligna une statuette décorative inspirée d’une culture tribale. Le tableau s’était encore incliné vers la droite, elle nota de passer aux services généraux pour demander à ce que quelqu’un vienne vérifier si l’attache ne faiblirait pas. Des bruits de pas proches de sa porte attirèrent son attention.

Ah ?

Ils s’arrêtèrent, quelques chocs le long des plaintes les remplacèrent, puis ils s’éloignèrent. Le personnel de ménage, bien entendu. Elle ressentit de la déception. Dix heures quarante, ce n’était vraiment pas normal, même pour Daniel. Ingrid hésitait à quitter son bureau, peut-être était-il en chemin. Qu’aurait-il fait s’il l’avait manquée ? La carafe d’eau sur la table basse se trouvait à moitié vide, elle saisit cette excuse pour s’absenter une minute. La fontaine, située dans le couloir, lui permettrait de le voir arriver.

Dehors, un aide-soignant accompagnait une patiente à la démarche lente et tremblante. Cette dame âgée ne faisait pas partie des pensionnaires traités par Ingrid, elle était atteinte d’une maladie dégénérative et avait perdu son autonomie.

La docteure scruta le corridor à gauche, puis à droite, pendant que le robinet coulait. L’endroit était désespérément calme.

— Eh merde ! marmonna-t-elle au moment où l’eau mouilla sa main.

Ingrid renversa l’excédent dans le bac et secoua son poignet. Des gouttes giclèrent contre le mur. Elle attendit quelques instants et se décida à retourner dans son bureau. La thérapeute soupira en refermant la porte.

— Bon, que faire maintenant ?

Elle hésitait. Aller chercher Daniel risquerait de le braquer, peut-être même de lui faire ressentir de l’humiliation, il ne s’en remettrait certainement pas. À l’inverse, ne pas se manifester pourrait lui donner l’impression qu’elle ne s’intéresse pas à lui. La docteure réfléchissait à la question tout en feuillant le dossier du patient. Encore, et encore. Elle le connaissait plus que par cœur.

Onze heures sonna.

Ingrid allait devoir s’occuper de ses autres rendez-vous. Elle rangea le classeur en espérant le croiser dans la journée et s’excuser.

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