5 - Daniel (3/3)

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— Nouilles sautées ! annonça fièrement le cuisinier dressant l’assiette. Régalez-vous !

— M-m-merci, répondit Daniel.

Il la posa sur son plateau et poursuivit devant les desserts. Du flan, voilà qui faisait plaisir. Daniel déambula dans la salle pour se trouver un endroit tranquille, loin de tout le monde. Un coin près du mur, en dessous de l’angle mort d’une caméra de surveillance. Cela ne la gênerait pas, elle était épaulée par quatre autres, ainsi que trois détecteurs de mouvement.

Mais pourquoi j’inventorie toujours les équipements de sécurité ?

Ma faute. Désolé. Vieille habitude.

— …

Il s’installa en bout de table et entama son dîner en fuyant le regard de qui que ce soit. Il restait à l’affût, comme s’il craignait quelque chose.

T’as peur de tomber sur la doc ?

Laisse-moi manger en paix.

Bah tiens. Tu l’évites depuis deux jours. T’as envie de te faire renvoyer, c’est ça ?

Non…

Remarque, avec tout le fric que tu leur as filé... Tu veux vraiment qu’elle te soigne ? Ou alors tu t’es simplement payé un hôtel de luxe ?

— Non ! cria-t-il.

Ses voisins de table se tournèrent vers Daniel. Il sentit son visage chauffer et plongea son regard sur son plateau. Les nouilles dégageaient une palette d’arômes complexe. L’ail haché se mariait au gingembre et épiçait l’air sous son nez. La sauce soja apportait une touche salée et l’huile de sésame rappelait une douce odeur de noisette. La fraîcheur des légumes accompagnait le tout avec des carottes, des oignons verts, des brocolis, des pousses de bambou, et des poivrons. Ce plaisir culinaire l’aida à faire passer ce moment d’embarras. Le bruyant rot d’un patient, qui résonna dans tout le réfectoire, détourna rapidement l’attention de son public.

Daniel avait déjà entamé son dessert.

Tu manges trop vite.

Je sais.

De quoi as-tu peur ?

Je ne sais pas.

Le flan fondit dans sa bouche. Une touche de douceur sucrée qui venait clore la palette gustative des nouilles du Chef. Daniel se dit qu’il devrait le féliciter et le remercier, elles étaient savoureuses. Il s’abstint, car trop de monde était présent, peut-être plus tard. La pâte feuilletée autour du dessert le surprit par sa légèreté sur le palais. Il avala cul sec son café. Fruité, subtil, corsé, rien à voir avec ceux des machines des couloirs.

Pourquoi tu n’en profites pas ? Prends ton temps, merde !

Je ne sais pas.

Tu me désespères.

Désolé…

Hé, regarde un peu à neuf heures.

Daniel remarqua quelques tables plus loin la docteure Kirdjanen. Elle se tenait de dos, mais son épaisse chevelure frisée se reconnaissait entre mille. En face d’elle se trouvait un type qui paraissait vieux, à moitié chauve et portant des petites lunettes fines. Ce devait être le docteur Revans, Daniel l’avait déjà côtoyé pour ses examens ou quand il l’observait suite à ses absences. Il avait l’air gentil. Le duo riait de bon cœur, il avait deviné une certaine complicité entre eux. Le patient replongea son regard sur son plateau. Celui-ci ne contenait plus que deux assiettes sales empilées, les couverts, un verre et une tasse à café vide.

Il termina ce qui lui restait d’eau puis se leva doucement. Une fois débarrassé, Daniel se hâta d’un pas précipité, la tête penchée, espérant fuir rapidement le réfectoire bien rempli. Quelqu’un appela son nom, il continua sans se retourner. Le brouhaha ambiant constituait une bonne excuse. À peine arrivé dans le couloir, traversant le cadre de l’entrée qui semblait retenir à lui tout seul le mélange de parfums du restaurant, la sollicitation se répéta.

— Daniel ! cria une voix féminine pour tenter de se démarquer des autres.

Il sursauta.

Eh merde…

T’as bien cru que t’allais la fuir, hein ? T’es vraiment pitoyable.

Je sais.

Il se retourna et s’éclaircit la gorge, les yeux toujours rivés sur ses chaussons. Cette fascination pour ces pantoufles bleues décorées d’une tête d’ourson mignon, trop souriant pour être honnête, l’impressionna.

— Ah, docteure… je…

— Daniel, je m’inquiétais, l’interrompit-elle. Vous n’êtes pas venu avant-hier ni aujourd’hui.

— Ben…

— Écoutez, je suis sincèrement désolée de vous avoir disputé la dernière fois.

Daniel leva la main, ses lèvres bougeaient toutes seules, aucun son ne sortait.

— Je n’aurais pas dû m’énerver ainsi, continua la thérapeute. C’était déplacé, je m’en veux et j’ai peur que ça vous ait fait du mal.

Il resta coi, le regard fuyant celui de son interlocutrice.

Alors ? T’attends quoi ? Qu’on reconstruise les ascenseurs orbitaux ?

Un toussotement s’échappa de la gorge de Daniel.

— Docteure… je suis désolé de vous avoir agacée. Je sais que vous souhaitez m’aider, mais je suis trop nul.

— Allons, ne soyez pas si dur avec vous-même, Daniel. Promettez-moi que vous viendrez à la prochaine. Quant à moi, je vous garantis de ne plus perdre patience. Reposez-vous ce week-end, et nous reprendrons lundi.

Les lèvres de Daniel remuèrent de nouveau sans bruit. Il finit par briser son mutisme.

— D’accord. Je m’excuse d’avoir séché les séances.

Daniel avait déambulé dans les couloirs d’Estenia sans réel but. Il avait traversé la moitié du bâtiment avant de se retrouver bloqué par une porte mentionnant « Réservé au personnel ».

Une fois arrivé à son étage, il ouvrit celle de sa chambre et se glissa à l’intérieur. La voix grave et profonde d’un homme le fit sursauter lorsqu’il alluma le plafonnier.

— J’ai failli attendre !

— Q-q-qu’est-ce que tu fais ici ? paniqua Daniel.

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