IV - L'ultime révérence [9/9]
Et ce fut seulement là, à cet unique moment, que le trentenaire aux cheveux d'ambre autorisa sa bête à ressurgir violemment, celle-ci lui donnant l'impression qu'elle venait de pousser un hurlement douloureux au coeur de sa chair. Plusieurs secondes, Alban se recroquevilla, réveillant en lui le souvenir d'un enfant perdu dans la terreur et la détresse. Ses yeux, qu'il avait fermés, se rouvrirent d'un coup et, en se redressant, il balança son pied dans la table basse, les pieds de celle-ci grinçant sur le sol, la faisant voyager sur quelques mètres pour finalement finir sa course contre le vase trônant face au mur opposé qui se brisa sous l'impact.
Grimaçant, le trentenaire sortit son paquet de cigarette et sortit sur le balcon, le temps d'une cigarette. Un temps qui se mua en fait en plusieurs cigarettes, puis une observation vague de l'extérieur alors qu'il dérivait dans ses pensées, le temps, cette fois, d'une éternité.. Clignant des yeux, il sortit finalement son téléphone, se renseignant sur l'heure alors qu'il reprenait pied avec la réalité. Très bien, Florence devait déjà y être. Son palpitant fut pris d'une brusque embardée à cette pensée et Alban inspira douloureusement en fermant la baie derrière lui pour retourner à l'intérieur.
Malgré sa gorge serrée, son estomac noué, son ventre lui rappela sa nécessité d'avaler un bout et le blond sorti de la chambre qu'il n'avait au final pas quitté depuis la veille au soir, et se dirigea vers la petite cuisine de l'appartement qu'il leur avait loué pour le séjour. Et son regard trouva le morceau de papier.
Sa faim momentanément oubliée, son esprit ne visualisait plus que la note. Elle brillait comme auréolée d'or dans son crâne, mais lui filait une impression si noire qu'elle avait fait s'emballer à nouveau son palpitant. Et plus se rejouait dans sa tête l'aurevoir de Florence, et plus la mauvaise impression qui remuait son estomac enflait en lui.
Au début, il resta là, observant le foutu bout de papier comme s'il allait lui bouffer la main. Grand, Dieu, il n'était pas face à un fichu molosse aux dents acérés ! Pourtant, à cet instant, dans sa tête, c'était tout comme.
Et la suite lui donna raison. Au final, ce n'était pas même un simple molosse. Non, c'était, pire, tellement pire que ça. Un monstre, un loup, un dragon. Il ne savait même pas avec précision, mais il en avait retenu une : cette chose l'avait terrassé en un instant, sans même qu'il n'ait eu le temps de relâcher le moindre souffe alors que les mots s'imprégnaient à l'encre de feu dans sa tête et ses rétines.
Alban, pardonne-moi, je t'ai menti,
C'était les sept premiers mots qu'avait épanché le malade sur un papier beaucoup plus long. Des mots qui l'avaient brulé et gelé simultanément. Il n'était pas assez stupide pour ne pas voir son drame existentiel arriver. Il n'y avait pas quarante sujets importants sur lequel sa muse avait bien pu lui mentir. C'était presque comme si les lignes suivantes, il les avaient déjà lu, alors même qu'elles lui étaient toujours inconnues. Finalement, il était abruti, il ne valait pas mieux qu'eux tous, les larves si stupides qu'il avait mille fois maudit. Et là, actuellement, c'était lui-même qu'il maudissait ; et sa bête ne manquait pas de rire aux éclats, faisant ricocher des échos brisés en lui.
Il revoyait les yeux humides de Florence avant de quitter la chambre, ses prunelles verdoyantes brillant d'un éclat désespéré comme s'il était persuadé de se jeter au bras de la Mort, certain qu'il avait déjà perdu le duel, et mettait d'ors et déjà un terme à cette danse macabre alors que la musique au rythme de leurs pas prenait fin.
Il revoyait ses états d'âmes, ses émotions changeant brutalement tout au long de leur séjour, passant des rires aux larmes, suivant le rythme effréné d'un tango.
Il revoyait les yeux gonflés et le visage décomposé de la matrône qu'il avait critiqué.
Il revoyait la honte de Florence de, si palpable, quand il parlait de sa maladie et ses sourcils qui se fronçaient avec dégoût.
Il revoyait sa colère, sa peur, son refus à l'idée de perdre ses capacités, ce qui faisait de lui celui qu'il était.
Il revoyait sa faiblesse, sa maigreur, qu'il haïssait.
Il revoyait aussi son changement soudain, inattendu, son revirement, son acceptation de l'opération, à l'hôpital quand il était revenu le lendemain. Il avait changé d'avis trop vite. Le blond aurait dû se poser plus de questions, être plus méfiant ! Florence était un lion fier. Un lion fier et effroyablement buté. Il avait admis sa défaite tellement.. facilement...
Il revoyait sa mine sombre et fermée quand il avait accepté qu'Alban paye la dite opération qu'il n'avait pas les moyens de financer..
Et surtout, Alban revoyait son abattement et ses traits défaits à l'idée d'accepter celle-ci. Un abattement qu'il avait bien bêtement et fièrement mis sur le compte d'une victoire qu'il lui accordait..
L'imbécile..!
L'opération, il n'avait jamais eu l'intention de la faire, n'est-ce pas ? Il n'avait jamais changé d'avis, ne l'avait jamais ne serait-ce qu'imaginé. Il lui avait seulement fait croire que c'était le cas, et comme un parfait abruti, lui, était tombé dans le panneau..
Tout d'abord, c'est une rage sans nom qui prit possession de son corps. Son corps se mit à trembler et il serra violemment sa machoire avec une force qu'il ne savait même pas posséder jusqu'à présent. Il s'était fait manipuler, il était humilié. Il avait lui-même financé l'opération fantôme de l'androgyne, une opération, qui, de toute évidence, n'avait pas prévu de se dérouler. Alors, qu'avait-il fait, quel utilisation avait fait sa Némésis de ce qu'il lui avait offert ?! Mais ce n'était pas la disparition de son argent, Florence s'était foutu de lui. Quel sale petit..! Alban ne savait même pas comment le qualifier !
La lecture de la note, qui était plus une lettre d'adieu, finalement, lui confirma ses douloureuses constatations. Toutefois, sa fureur, aussi colossale elle pouvait être, s'amenuisa au fur et à mesure que la vérité lui explosait en plein visage et que le monstre hurlant en lui se mouvait en une toute autre chose : La douleur, une douleur deséspérée et sans précédent lui perça le corps, s'entremêlant à la rage lancinante qui le transcendait déjà. Le mélange le laissa foudroyé sur place, le corps figé et la vision colorée d'une myriade de couleurs à lui en faire tourner la tête.
Quel con il était ! Il aurait dû s'en douter, le deviner, se rendre compte de ce que Florence avait prévu ! C'était pourtant tellement évident maintenant, même un abruti fini de la mélasse s'en serait rendu compte, pourquoi il ne l'avait-il pas vu venir, ça aurait dû lui sauter aux yeux ! La Suisse ! Nom de Dieu, la Suisse, la Suisse ! La Suisse aurait pourtant dû lui mettre la puce à l'oreille. Florence n'avait, au vue de l'état avancé de son cancer, que très peu de chances de survivres à l'opération.
"Choisir la façon dont je vais mourir était le dernier choix que j'allais pouvoir faire", qu'il avait osé écrire sur la maudite lettre ! Une part de lui le comprenait, l'autre restait butée sur la même évidence : Florence l'avait trahi, Florence avait rompu leur pacte, mais encore pire, Florence était parti.
Cette dernière évidence le fit chanceler. Elle était bien trop douloureuse pour qu'il ne l'encaisse sans flancher, alors, comme un raz-de-marée, la détresse et la douleur envahirent chaque fibre de son être. Sa raison flancha au fur et à mesure qu'il se sentait perdre pied, happé par le chaos de son esprit alors que la bête prenait le dessus sur lui. Le monde était cruauté, le monde était douleur. Cette vérité, il l'avait apprise de la main même de son mille fois maudit paternel dès son plus jeune âge. Avec un passé et un esprit en miette forcé de s'écarteler sous la douleur, à quel futur avait-il bien pu songer ?
Son monstre, qui s'agitait depuis si longtemps, à quoi bon le retenir ? Maintenir les chaînes était déjà si douloureux, lui accorder sa demande chaotique de liberté serait une douceureuse délivrance. Ainsi, alors que sa vue remplie d'une infinité de points lumineux devenait floue, puis, il finit par s'en apercevoir, humide, il songea une seconde qu'il ne se souvenait même plus de la dernière fois où il s'était mis à sangloter. Pourtant, à cet instant, c'était bel et bien le cas, et il sentait les larmes traîtresser s'ammonceler sur ses jours.
Florence ne reviendrait pas.
Florence, ne reviendrait pas !
Plus jamais !
Et cette seule évidence lui donnait l'impression que son corps tombait en miettes, brisé de toute part dans une douleur que rien ne pouvait soigner. Une émotion brutale de haine remonta en lui et, mue d'une brusque impulsion, il jeta son poing dans le mur à côté de lui. Il ne su même pas dire lequel eu le plus mal sous l'impact : le mur dont le platre s'émiettait doucement alors qu'un trou de la taille de son poing y était maintenant creusé, ou bien sa main dont les phalanges avaient éclaté sous le choc et ruisselaient à présent. Mais quelque put êtrela douleur physique qu'il ressentit, elle n'arrivait pas à la cheville de celle qui vrillait son crâne etle rendait fou. Cette fois, ce fut son pied qui percuta les différens meubles et décorations de la pièce, et finalement, tout y passa. Mais même après avoir fait de leur chambre entière d'hôtel une apocalypse, rien ne le faisait se sentir mieux.
Florence était parti.
Ses larmes ne s'étaient pas taries et sa haine, sa douleur, ne s'étaient pas amenuisés.
Mais qu'importe, il avait fait une promesse. Il avait pourtant juré ! Si son lion si fier et si fougueux venait à se transformer en une pauvre étoile filante destinée à s'éteindre au coeur de son atmosphère , ce monde, il le mettrait à feu et à sang.
Cette promesse, il comptait bien la tenir. Sans espoir ni lueur, comme un mort-vivant s'avançant au au plus profond des ténèbres, errant, il n'avait plus rien ni personne à attendre.
Ce monde cruel et plein de douleur brûlerait, il s'en assurerait.
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