Leroy
Melinda frissonna, glacée, et baissa les yeux pour contempler les menottes de cuivre qui lui enserraient les poignets. Le cliquetis métallique de la chaîne résonnait dans le silence du petit habitacle, sombre soliste du théâtre de ses pensées.
Loup, un meurtrier...
Elle n'arrivait toujours pas à s'y habituer. « L'Artiste des morts », comme le surnommaient déjà certains papiers, était son maître.
Et on la croyait coupable de ses crimes.
La jeune fille referma les yeux pour réprimer de nouvelles larmes, la peur lui dévorant la gorge. Elle se mordit la lèvre.
Leroy, face à elle, fixait les rues de la capitale à travers la fenêtre voilée du fiacre, sa réflexion bercée par le cahot régulier des roues sur les pavés. Il n'était que vingt-deux heures, mais il n'apercevait aucun passant ; les lampadaires au halo gazé n'éclairaient que des ombres qui s'étiraient paresseusement sur les trottoirs de pierre abandonnés.
Tous se terraient loin du tueur en série... qui s'avérait être une tueuse.
Mais l'était-elle vraiment ?
Il n'aurait guère pu en être plus certain une demi-heure auparavant, quand il procédait à l'arrestation de Melinda M'baku. Désormais, seul avec la compagnie muette de l'apprentie mercière, il se surprenait à remettre sa décision en question.
Pourquoi ce cri auparavant ? Ces yeux rougis, ce tremblement effrayé qui agitait son corps ?
L'inspecteur était jeune - âgé de vingt-cinq années à peine, il n'avait qu'un an d'expérience sur le terrain. Pourtant, il pressentait déjà que quelque chose posait problème, et cette affaire, c'était le coup qui pourrait lui assurer sa carrière.
Avait-il commis une erreur de jugement quelque part ?
Il s'éclaircit la gorge.
- Mademoiselle... ?
La jeune fille sursauta, crispa nerveusement les doigts. Elle hocha la tête, la voix toujours coupée.
- Votre lèvre saigne, souligna-t-il. Tenez.
Il lui tendit un mouchoir de soie à ses initiales, avant d'assouplir de deux crans la chaîne entravant les poignets de Melinda afin qu'elle parvienne à l'utiliser ; de gros hématomes noircissaient déjà le doré de sa peau.
- Me... Merci, balbutia-t-elle faiblement en s'en saisissant avec délicatesse, visiblement troublée par son geste.
Il répondit à son tour d'un mouvement vague avant de plisser les yeux, la scrutant avec attention.
Comme il s'y attendait, elle s'essuya prestement avant de le rendre avec prudence, l'air presque gêné d'avoir sali le tissu de son sang.
Il le déposa à côté du sac contenant les preuves, et retint un soupir.
Fausse piste ?
Une criminelle aurait dû saisir l'occasion sur-le-champ, en disposant de suffisamment de souplesse pour attraper une quelconque arme. Elle aurait pu utiliser son parapluie qui reposait sur le sol, ou peut-être même un éclat de vitre pour peu qu'elle agisse vite. Cela aurait suffi à l'attaquer aisément. Les rapports qui lui avaient été rendus deux nuits auparavant soulignaient une rapidité exceptionnelle du coupable, certains des corps ayant été retrouvés seulement quelques minutes après les meurtres. Personne, en revanche, n'avait pu se vanter d'avoir vu ne serait-ce que la silhouette de « l'Artiste ».
Or, Melinda n'avait même pas semblé penser une seconde à la possibilité de s'échapper. Innocence bien caractéristique des jeunes filles...
Devrait-il renoncer à l'hypothèse de son implication dans ces meurtres pour autant ?
- Cocher ! Nous nous arrêterons ici, merci.
- Bien, monsieur.
Il empoigna discrètement la main de l'apprentie afin de camoufler ses liens au petit homme en livrée sombre.
- Combien je vous dois ?
- Cinquante centimes, monsieur.
Leroy acheva de le régler et attrapa le sac de papier sous son bras avant de se retourner vers la suspecte.
- Il nous reste encore un kilomètre à parcourir avant d'atteindre le commissariat, j'ai pensé qu'il serait préférable de les mettre à profit en parlant avant d'arriver.
- Vous... parler ?
Melinda le fixait désormais, les yeux arrondis par la surprise. Il hocha la tête et tira sur son poignet pour l'attirer sur le trottoir, tout en continuant de cacher les menottes cuivrées de la jeune fille.
Simple précaution.
- Racontez-moi honnêtement votre version des évènements.
- Ce... v-vous ne devriez pas m'emmener au commissariat d'abord, normalement ? risqua-t-elle timidement.
Il fronça des sourcils.
- Je ne vous ai pas demandé votre avis. Simplement, maintenant que j'ai entendu la version des faits de votre maître, il me faudrait la vôtre.
- Vous auriez pas pu me la demander avant de m'arrêter, aussi ?!
La colère qui enflait dans la voix tremblante de l'apprentie les prit de court simultanément, et il toucha par prudence l'arme à sa hanche avant de répondre.
- Contentez-vous de me raconter ce que vous savez, et je verrai bien.
Pourtant, pour la première fois depuis la prise de ses fonctions, c'était lui qui se sentait coupable.
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