Ode...
Prologue - Ode...
“...Bonne chance, bonne route,
Que Dieu te garde.”
Le ciel stellé d’étoiles était somptueux.
La lueur de la planète, même à cette distance, scintillait.
La sphère bleue aux lueurs vertes se rapprochait dans l’indifférence totale, ses couleurs brillant plus fort que les autres astres.
Malgré ce panorama, les yeux du jeune homme tombaient toujours sur elle. Il la regardait, elle avant tout. La jeune femme faisait de même, l’air timide sur le visage.
Ses yeux. Ses lèvres.
Les lumières de la scène troublaient sa vision.
Il leva les yeux, fermés, comme pour penser à autre chose et mieux ressentir les vibrations de la musique qui traversait la foule. Les basses faisaient vibrer le sol ; le dernier set de la nuit, le dernier artiste de ces trois jours de festival attirait les yeux de tous. Il rouvrit les yeux, le regard vers le ciel, et par-delà la lumière des projecteurs qui brouillait légèrement la vue, il plongeait ses yeux vers la lueur scintillante de la planète, comme depuis une année : ils l’appelaient Ode, la planète Ode bleue. Un astre découvert l’an dernier, qui suivait une trajectoire précise et qui, d’ici quelques années, frôlerait la Terre. Ainsi d’ici quelques années, en levant la tête vers le ciel, on verrait la surface de la mystérieuse planète, parallèle à notre sol. Et que verraient-ils en levant les yeux ? la surface d’un autre monde. Les prémices d’une nouvelle civilisation peut-être. Ode n’était qu’une sphère dans le ciel, pour le moment pas plus grosse qu’un petit pois, mais déjà très visible au milieu du bain de minuit d’astres scintillants. Elle tremblait de cette lueur bleue et verte. Les milliards d’étoiles autour, semblaient répondre à son avancée lente mais certaine. Mais de sa perspective à lui, au milieu de la foule du festival, l’appel des lumières de la scène principale était plus fort. Cette planète n’était qu’un point insignifiant. Pour le moment…
Ils étaient si futiles, là, cette foule applaudissant et s’enjaillant devant l’artiste phare de la soirée, l’infinité d’un univers inconnu, là, juste au-dessus de leur tête.
Mais il n’avait d’yeux que pour elle.
Elle s’était déjà retournée trois fois, un sourire aux lèvres. Seule, sans amis apparents autour, des cheveux courts, bouclés, brunes, parfois blondes face aux projecteurs qui éclairaient de cette lumière épilleptique la plaine du festival de quelques centaine de milliers de spectateurs.
Le ciel étoilé, ses cheveux, son corps : tout était réuni pour que le jeune homme tombe amoureux de cette jeune fille.
Les projecteurs de la scène l’illuminaient à chaque regard qu’elle portait derrière elle, vers lui.
Il lui sourit la seconde fois et au premier regard elle avait su.
Elle s’était retournée trois fois déjà, souriant bêtement, comme s’ils se connaissaient déjà. La substance d’herbe y était sûrement pour quelque chose : elle ressentait la sensation de vol intense, les pieds toujours à terre, dansant et chantant au milieu de l’euphorie du concert. Lui avait l’air seul, aucun ami ou parasite autour.. Des cheveux mi-longs, bouclés, bruns, une peau mate parfois claire face aux projecteurs qui éclairaient de cette lumière épilletptique la plaine du festival.
Leur regard se séparait parfois pour regarder autour.
Tout le monde avait les mains levées, des sourires aux lèvres et tout autour, du bonheur palpable de par l’énergie collective qui ne s’expliquait que dans ce cadre de musique live. Sous les couleurs des projecteurs qui dansaient et valsaient, et les basses faisant vibrer ses tympans, la foule ne pouvait que s’extasier. Le jeune homme ne pensait qu’à cet instant et rien d’autre. La foule n’attendait que la chanson suivante et lui aussi.
Ces projecteurs dansaient dans les airs et sur la foule. Elle ne savait combien de temps était passé depuis le premier regard du jeune homme, mais il s’était rapproché très près.
“Comment tu t’appelles ?”
L’avait-elle entendu ? Ou faisait-il mine de ne rien entendre ? Avait-il une conquête qui rôdait dans les parages ? Elle ne pensait même pas à cela, la drogue infusant son esprit d’euphorie. Elle se contenta de danser et se rapprocha également de lui.
Elle sentait la fraise, un parfum printanier doux mêlé de la sueur qui n’était pas désagréable au milieu de la foule enivrante. Magnifique. Le premier mot qui lui vint à l’esprit pour la définir. Il vit une paillette s’envoler alors qu’il reconnaissait la chanson suivante. Au son de la batterie, dès les premiers coups, la foule entière se mit à hurler.
“Tu la connais celle-là ?
- C’est ça ton nom ? TuLaConnaisCelleLà ?
- T’es bête !”
La foule en délire se mit à danser, sauter, attendant le premier couplet. L’ambiance incroyable du set apporta une chaleur dans la poitrine du jeune homme. Elle aussi. Plongé dans ses yeux, il se serait noyé, alors il détournait souvent le regard. Il n’avait pas de quoi assumer une telle beauté.
Les deux souriaient, elle plus que lui. Elle semblait davantage sous substance qu’autre chose. Son regard, ses pupilles dilatées le faisait rire.
“Pourquoi tu ris ?
- C’est toi qui me fait rire.
- Ravi de te faire rire mais tu m’as toujours pas dit ton…”
Le garçon la prit par le bras dans un élan euphorique. Il voulait être au cœur de l’ambiance, de la foule, de la musique mais avec elle. Au plus près du son, les deux ne pouvaient que vivre une merveilleuse histoire. Ils ignoraient tout de l’avenir à part qu’il se ferait ensemble. En se laissant accompagner, les molécules de THC en elle, l’alcool, le rythme de la musique, la batterie, la voix douce et enivrante qui se portait en écho dans toute la plaine du festival, elle savait que ce moment serait à retenir. La mélodie se poursuivait et elle plongea avec lui dans la foule. Il prenait déjà quelqu’un d’autre sous le bras en sautant, en dansant, la moitié de son verre d’alcool renversé, ambiance bonne enfant. Elle rit et lui aussi. Elle le regarda et lui aussi. Elle se joint à eux, bras dessus bras dessous, même si personne ne connaissait personne : la musique les unissaient tous.
Au ralenti, elle regardait autour, l’effet de la drogue ralentissait sa perspective et tout n’était que bonheur. La vague d’émotion unique et multicolore de l’état de la foule amenait une excitation certaine dans les cœurs des deux futurs amoureux. Au loin, l’artiste devant son micro, presque invisible à ses yeux à elle car trop petite, elle bu une nouvelle gorgée mais dans le verre du jeune homme qui rit instantanément. Là où le garçon l’avait emmenée, elle avait beaucoup moins de place. Le plaisir des concerts et des festivals : être contenue dans moins d’un mètre carré tout en s’amusant. Elle le regarda à nouveau et il la regarda. Elle se rapprocha, toujours bras dessus bras dessous. Elle lui sourit et il sourit à nouveau.
Ivre de bonheur, elle leva la tête l’air. Elle sentit ses lèvres à lui s’approcher de son oreille. Elle frémit, l’euphorie et l’excitation se joignant à l’envie qui grouillait dans son bas ventre. Et d’une voix douce, graveleuse presque, elle entendit :
“Je m’appelle Miko...t’es magnifique…”
Sa voix. Sa peau ébène, sous sa chemise hippie à moitié ouverte, elle aurait voulu lui répondre, mais elle se trouva alors projetée en l’air, le Miko en question s’était glissé sous ses fesses pour la porter sur ses épaules. Tout se déroulait en un ralenti d’extase, de bonheur, les émotions glissant contre sa peau, ses sens, la musique l’emportant plus haut que jamais. Elle se dit à elle-même :
Je m’appelle Elise...enchantée Miko…
Elle leva la tête.
Le ciel étoilé, la planète Ode admirait la soirée. Mais elle, n’avait d’yeux et de pensée que pour lui...
Ses cheveux. Son corps.
Il riait, la jeune fille sur ses épaules.
Le ciel étoilé, la planète lointaine surplombant le spectacle.
Ses yeux. Ses lèvres.
*
“...Mon Dieu...”
Il ouvrit la porte, en sueur, en nage.
Le trafic avait été si dense qu’il n’avait pu arriver avant.
Et pourtant, elle était là. L’infirmière lui fit laver ses mains, lui parlait aussi mais il était déjà loin. Très loin. Il flottait même, son cœur s’emballait, une chaleur dans sa poitrine. Ce qu’il avait voulu avec sa femme était enfin là. La chambre de la maternité était blanche, des draps blancs, des blouses blanches et sa femme, là, sur le lit ; épuisée, fatiguée. Une fois les mains nettoyées et l’infirmière terminée, il marcha vers elle. Tout semblait se dérouler au ralenti, sous le choc, un sourire à ses lèvres et il était là.
“Mon Amour excuse-moi...j’ai fait ce que j’ai pu pour...”
Elise lui fit signe de la main en touchant la sienne avec douceur. Ce n’était pas grave, il n’y aurait rien de grave aujourd’hui, car déjà, la sage femme lui déposait délicatement dans les bras... sa fille.
“La voici monsieur Harry. Elle ne vous a pas attendu, elle était si pressée !”
Miko n’entendait plus rien. La sage femme lui glissa son enfant, nouveau-né, dans les bras, avec soin. Autant de soin que s’il s’agissait d’une petite statue de porcelaine. D’ailleurs, Miko la tint comme telle : elle était si petite, si...infime pour ne pas vouloir s’y prendre délicatement.
“Vous pouvez la mettre contre votre torse monsieur. Ça ira pour vous ?”
Aucun mot ne pouvait sortir de sa bouche : il était impressionné, déjà marqué par ce petit être qui portait son nom. Elise répondit pour lui et fit signe aux infirmières et la sage-femme que tout allait aller. Tout ne pouvait qu’aller bien désormais.
“Je vous laisse, reposez-vous surtout.”
Elise les remercia. Miko, hypnotisé par l’enfant, le sien, le leur, n’avait plus de mots.
Le vide en lui.
Enfin dans ses bras, la petite dormait.
Jamais il n’aurait pu imaginer une telle émotion. La vague s’était abattue sur lui lorsqu’il était entré dans la chambre. Son regard, toujours flou des larmes qui s’écoulait de ses paupières, n’y croyait toujours pas. Certainement fallait-il toute une vie pour s’y habituer ? pour réaliser qu’il était devenu père ?
Elle était si belle, si parfaite. De si petits doigts, les lignes de ses mains si minuscules, et ces pieds si délicats. Les traits de son visage si parfait, un petit bonnet rose lui tenait chaud. Son regard flou à mesure que des larmes creusaient leur sillon sous les paupières, se porta vers sa femme : Elise.
Elle aussi avait les larmes aux yeux, mais demeurait bien trop fatiguée pour les relâcher. Elle souriait, admirait sa famille naissante devant ses yeux gonflés d’épuisement.
Ils étaient si beaux ensemble.
“Tu te rends compte de ce que nous avons accompli..?”
Miko ne savait quoi répondre. Sans voix, il lui répondit après un temps à admirer sa fille.
"Ça y est ma princesse...ça y est…
- Oui mon bébé.
- Tu te rends compte ? ce… ce qu’on a...créé ?
- Oui, elle est magnifique.
- Repose-toi mon Amour, tu l’as bien mérité.
- Oui...oui...nous...on….”
Et Elise ferma les yeux. Miko laissa couler ses larmes contre le drap épais qui entourait sa fille. Charly. Elle s’appelait Charly. Ils en avaient décidé ainsi, comme une évidence. Miko traversa la chambre en berçant l’enfant qui semblait si serein et si apaisé. Là, devant la vitre, il tourna sa fille pour lui montrer le monde. Tout en bas, la route et les voitures garées. L’une d’elle, un range rover mal garé en double file :
“Tu vois ma fille, ça c’est le monde.”
Il glissa le regard vers sa propre voiture, le rover.
“Et ça...ça c’est ton papa qui a fait de son mieux…”
Il sourit et la regarda.
“Ton papa fera toujours de son mieux.”
Paisible et apaisée. Sa peau métissée, mat, cette petite dormait à poings fermés. Une main fermée sur le doigt de son papa. Il l’aimait déjà tellement fort qu’il se demanda comment était-ce possible ? Comment le pouvait-il ? Déjà être aussi gaga d’un être dont il n’avait pas senti la présence de lui-même, de manière réelle et confirmée. Et pourtant, tout l'amour était déjà là, comme une évidence.
“Tu verras, on sera toujours là pour toi. Tu peux compter sur nous, ta maman, ton papa. On saura te donner tout l’amour que tu mérites. Tu vas voir ta maison, ta chambre qu’on a préparé ensemble, y a toute une vie qu’on s’est donné la peine de construire qui t’attend.”
Il reporta son regard sur la ville dehors, Paris s’étendait en un amas de bâtiments, de véhicules le long de la rue et au-delà. Il leva le regard et la vit.
“Et là, tu vois ? Là c’est le truc qui intéresse le plus ton papa après toi, ta maman et...encore toi.”
Il sourit mais maintenait son regard soutenu sur la planète là-haut.
“Elle avance doucement tu sais ? Neuf mois qu’elle n’a pas beaucoup évolué contrairement à toi. Mais c’est une chance car tu pourras l’observer avec moi. Ta maman s’y intéresse peu, après tout, ça fait des années qu’elle avance. Tu sais, ta maman est plutôt l’artiste de la famille tu vois ? Elle est plutôt du genre à la peindre plutôt qu'à l’observer et l’étudier comme moi. Je t’emmènerai au travail avec moi tu verras, pour te faire écouter le son qu’elle fait. Je te ferai voir au Centre d’observation, le travail acharné de papa pour pouvoir la décrypter. Oui, on fera tout ça ensemble, ma fille. Tu sais, quand j’ai rencontré ta maman ce n’était qu’un petit pois dans le ciel. Je parle de la planète hein pas ta mère évidemment...Oh ma fille on fera tout ensemble...On fera des pique nique, on jouera dans le parc, on…”
La vague d’émotion revint à la charge et il détourna le regard de la planète bleue verte qui, désormais, était visible en plein jour. Aussi visible qu’une balle de tennis de table à cette distance. Une balle en suspension dans l’air, dans l’univers, dans le ciel bleu et froid de ce mois de février. Il se souvenait lorsque la balle n’était qu’un petit pois, le festival, la rencontre. Et maintenant Charly.
Après deux années.
“Tu verras, ta vie sera merveilleuse.”
Elise avait tout entendu. Les yeux fermés jusque-là par la fatigue, le sourire aux lèvres, elle les avait rouverts, luttant contre le sommeil. Éreintée par l’effort qu’elle avait accompli. Enfin. Cette étape terminée, elle pouvait enfin admirer son homme, les amours de sa vie, ensemble, devant la fenêtre. Sera-t-elle scientifique comme son père ? Artiste comme moi ? Aura-t-elle les cheveux longs bouclés de son père ? Ou lui coupera-t-on comme moi ? Peu importait. Leur enfant : leur perfection, leur création. Un lien qui les liait à tout jamais.
Le vide en elle.
Elise se laissa porter par la fatigue et ses yeux se fermèrent au son de son Amour échangeant avec leur fille…
“...ta mère et moi on te donnera ce bonheur qu’on a préparé pour toi, pendant neuf mois. Tout est près ma belle. Ma fille…”
*
“Où tu vas ?”
Les couleurs froides de la pièce, les peintures à moitié détachées des murs, les cartons un peu partout ; une maison d’architecte. La pièce aurait pu illuminer et respirer la réussite, leur réussite. Mais quelque chose empêchait tout de se développer ici, une atmosphère terrible.
“Miko je m’en vais.”
Elise ne le regardait pas. Déjà face à la porte, elle traînait une valise.
“Ne dis rien comme d’habitude. Tout ça ne sert plus à rien. Tes mensonges, tes insultes…”
Plus de couleurs vives ici, plus de musique, plus de rires.
La poussière s’amoncelait sur les meubles. Une armoire dans le coin du séjour, une table immense, des chaises en bois noble, des cartons posés un peu partout dessus., représentait le bazar. Un bar autrefois accueillant désormais des bouteilles vides éparses. Whiskey, vin. Une table basse devant un canapé aussi immense que la table, un canapé blanc et une table basse en verre. Une télévision de deux mètres devant ce même mobilier et un plafond creusé en une voûte pyramidale, blanche et noire, et au bout, en verre. On percevait l’orage dehors. La pluie battante, frappait contre le verre et les vitres dissimulées derrière des rideaux tirés.
Le genre d’ambiance qui favorisait une rupture.
“Où tu vas ?”
Miko ne s’était pas retourné. Là, sur le canapé, assis les coudes sur les genoux, le regard vide.
Une barbe éparse qu’il ne rasait plus depuis longtemps le grattait. Des cernes formaient des orbites grises, il était amaigri, les lèvres sèches. Ses boucles si longues autrefois, désormais rasés. Son crâne luisait des flash de l’orage là-haut, filtrant à travers le plafond de verre. Il portait une chemise hippie dans laquelle il flottait désormais, une chemise familière pour Elise. Le festival. Chemise qu’elle avait tant aimée sur lui des années auparavant. Combien de temps déjà ?
“Chez mes parents. Pendant un temps.
- Ah oui ?
- A mon retour je...j’aimerai qu’on discute de ce qu’on fera après…
- Après quoi ?
- Après la séparation.”
Tout était tendu. Elise avait ce ton calme dans sa voix, mais un filtre apeuré le recouvrait. Miko avait tourné la tête, comme un réflexe, et Elise regrettait déjà d'avoir parlé.
“Tu veux savoir qui s’occupera de Charly c’est ça ?
- Tu as encore bu…
- Tu veux me prendre ma fille ?
- Tu l'as revue c'est ça ? Tu l’as encore revu cette femme, dis-moi…
- Tu veux me la prendre c’est ça !
- NE T’APPROCHE PAS DE MOI !
- PERSONNE ME PRENDRA MA FILLE !”
Miko avait bondi son regard violent et se dressa devant elle. Elle recula et tituba.
“Tu ne sais rien Elle. Tu crois savoir mais...”
Elle se releva seule, en peine. La honte se lisait sur son visage. Mais honte de quoi ? Une fois debout elle essuya les larmes qui brouillaient son regard. Il était bien trop proche. Elle ouvrit la porte et sur le seuil dit :
“Quand je reviens tu n’es plus là…
- Tu ne me prendras pas ma fille ! Ni toi ni personne !”
Il franchit la porte alors qu’Elise avait déjà glissé sous la pluie battante. Une voiture l’attendait, au bout du quartier résidentiel aisé.
“Tu crois que je l’ai revu ? Et bien oui, justement. Pour ça que tu ne sais rien. Tout le monde ignore la vérité.”
A ces mots, sur le seuil de la porte que sa femme avait déjà traversé, sous la pluie, il tenta de ne pas lever les yeux. Il ne voulait plus voir.
Sous la pluie, sa femme partait, et pour de bon. Malgré sa peur, il releva la tête. Sa femme, trempée, glissa sa valise et elle-même dans la voiture. Qui conduisait ? Qui était venu ? Il serra les poings. Comme il l’avait souvent fait jusque là... Ils voulaient prendre sa fille ? Lui avait-elle dit au revoir avant de partir ? La petite Charly comprendrait-elle ? Mais il agit alors sous la colère et, après un vif regard derrière, dans la maison pensant à Charly, il fonça à vive allure à l’extérieur afin de rattraper celle qu’il avait trahie. Il courut pieds nu sur l’herbe trempée, spongieuse, et traversa leur terrain luxueux pour finir sur la route. La voiture était déjà loin.
“Reviens ! Elise non !”
Sous la pluie et l’orage, il s’essoufla et trébucha.
L’alcool l’affaiblissait. Trempé jusqu’aux os, à genoux sur la route, l’orage grondant en cet après-midi maussade de juillet. Elle part sans avoir vu sa fille. Comment le pouvait-elle ? Il resta là un moment. Il avait peur de lever le regard. Mais après une éternité il accepta sa condition, et leva la tête vers le ciel. Un ciel gris et nuageux. Pourtant elle était là. Il se rappelait la naissance de sa fille et la taille de la planète, pas plus grosse qu’une vulgaire balle flottant dans les airs. Combien de temps déjà ? Quel âge avait Charly depuis ? Les lueurs bleues et vertes qui traversaient l’épaisseur des nuages gris lui prouvaient qu’elle était proche. Bien trop proche. La moitié du ciel, en face de lui, dévoilait les contours de la planète. Le reste du ciel demeurait gris, le soleil ne représentant qu’un point blanchâtre à travers les nuages. Un point blanchâtre pas plus épais qu’un petit pois, contrairement à Ode, qui dissimulait la moitié du ciel de son gigantisme.
Ils ne comprennent pas...Ils ne savent pas.
Miko sursauta : un 4x4 klaxonnait juste derrière lui. Il se leva péniblement et tituba hors de la route.
"Ça va, ça va...ouais…”
Il avait une nouvelle fois abusé de la boisson. Il ne pouvait s’en empêcher depuis que c’était arrivé…
Une fois sur le seuil de sa porte, il ne se retourna pas, referma la porte avec force et frappa le mur de son poing. La douleur, il ne la senti pas immédiatement. Alors il frappa encore, deux, trois, cinq fois, puis se retourna pour s’en prendre au mobilier. Il saisit une chaise autour de la table à manger et la jeta contre le canapé, un vase contre le mur et un des tableaux de sa femme encore accroché au mur. Il se précipita sur la platine à vinyle pour la jeter au sol, le couvercle de verre se brisa en mille morceaux. Il saisit un autre tableau et l’éclata au sol.
Miko finit à genoux, à terre.
Elise lui manquait déjà, mais c’était trop tard. Il l’avait fait, le mal était fait. Charly n’était peut-être pas au courant du départ... Elle seule pouvait le consoler. Passer du temps avec était la seule solution, la seule consolation possible. Traîner au centre commercial, prendre une glace, chanter à tue-tête sa chanson, leur playlist, regarder les étoiles, filer sur l'autoroute des vacances et...La pièce tournait tout autour.
Son poing en sang, il commença à sentir la douleur. Lui qui avait tant fait souffrir sa propre famille, souffrait à son tour. Il se leva après un long moment, la mâchoire serrée, les larmes aux yeux, tituba et s’appuya contre le mur. Il secoua sa tête, les souvenirs lui revenant. Il devait oublier ce qu’il s’était passé. Alors il déambula dans le couloir. Là, il s’arrêta devant la porte de la chambre de sa fille. En lettre de bois qu’elle avait sculpté avec Elise, “CHARLY” était inscrit sur sa porte. Une sorte de fresque qu’elle avait peint tout autour avec sa mère. Quelle vie...Quelle famille...Quel bonheur. Il tendit la main pour ouvrir la poignée. Mais s’arrêta.
Non…
Elle n’est pas prête.
Pas prête à voir la famille se briser…
Miko resta ainsi, longtemps, debout face à la porte de la chambre de sa fille.
Les regrets comblant son vide.
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