Un frère déloyal
Les sentiments humains peuvent facilement s'emmêler dans le labyrinthe de l'esprit, l'ambition d'une personne peut l'amener à commettre l'un des crimes les plus abjectes, la trahison d'un frère.
Notre héros sera confronté à une révélation troublante qui le conduira à la croisée des chemins, où il devra choisir entre une confiance aveugle ou une méfiance avisée.
Sommes-nous voués à oeuvrer perpétuellement pour nos intérêts dans un parfait égoïsme ou pouvons-nous nous transcender dans une cause qui nous dépasse ?
De vagues souvenirs d'enfance me submergèrent dans un flot continu d'émotions mitigées, ils étaient morcelés entre l'insouciance d'un jeune prodige du football amateur et la peur dans les yeux de mes parents à chaque rafle de la milice. Je me souviendrais toujours de "Kiki" – mon ancien voisin – ses cris apeurés de déporté hantent toujours mes nuits d'insomnie. J'aurais aimé le serrer une dernière fois dans mes bras douillets.
A cette époque, je n'avais que d'yeux pour Maradona et mon équipe fétiche, le barça . J'enviais leur vie, elle semblait si facile, bien loin du fléau qui s'abattait sur moi. Nos gouvernements se succédaient, au son trident des coups d’états et des massacres d’ennemis proclamés sur l’autel d’une folie passagère.
En grandissant, j'ai compris le mal profond qui rongeait ce pays, une avidité démesurée aux airs d’une profonde soumission envers nos despotes étrangers. Le peuple s'amassait en périphérie des grandes villes pour ne pas mourir de faim, quelques manifestations pimentaient la vie politique de la cité, comme une éruption cutanée éphémère !
Une sublime ironie se présentait à nous, l'abondance de nos ressources naturelles, aurait dû être une bénédiction, au lieu de ça, elle était une malédiction, attirant vers nous des hyènes assoiffées de chair fraîche. Plus tard, mon professeur d'économie évoquera ce problème comme étant "le syndrome hollandais".
Le visage pâle de la révolte légèrement assoupie par la peur d'une guerre civile, se revigorait de jour en jour, chez ceux qui n'avaient plus les moyens de se nourrir convenablement et qui étaient excédés par le spectacle obscène que les riches offraient aux regards curieux. Beaucoup quémandaient dans le silence le plus absolu des passants, une seule chose subsister, la honte palpable des mendiants.
L'armée recherchait de nouveaux bras à offrir à Maman Brigitte, avare d'hommes vigoureux, pensant naïvement que j'y trouverais les réponses à mes questions, je n'ai pas hésité une seule seconde à sauter le pas.
Mes premières années à l'académie signèrent l'agonie d'un corps boursouflé, qui allait bientôt rendre l'âme devant le mutisme de mon esprit aguerrit. Après des débuts remarqués on me proposa rapidement de rejoindre l’école des sous-officiers, où j'allais apprendre les rudiments de la guerre et des sciences politiques, mais avant tout, j'y ai acquis des amis pour la vie
Je connaissais dorénavant les rouages de ce monde sans coeur, grâce à un maître émérite et fin limier. Lors d'un coucher de soleil, il me fit un discours enflammé :
- " Des chefs de guerre, y en a de toutes sortes. Des bons, des mauvais, des pleines cagettes, il y en a. Mais une fois de temps en temps, il en sort un. Exceptionnel. Un héro. Une légende. Des chefs comme ça, il y en a presque jamais. Mais tu sais ce qu’ils ont tous en commun, tu sais ce que c’est, leur pouvoir secret ? "
- "Un pouvoir secret ?" répondais-je, impatient de connaître sa réponse !
- " Ils ne se battent que pour la dignité des faibles. ", puis, il s'en alla comme un ninja
Je suspecte qu'il ait tiré cette réplique d'une série populaire, évoquant les aventures d'un roi et de son équipe de bras cassés. L'anxiété me guettait du coin de l'oeil à l'approche de la date fatidique de la fin de mes études, serais-je capable d'être un bon chef et de prendre les bonnes décisions ? Autant de questions restées sans réponse.
Une journée épouvantable restera dans mes mémoires. On devait surveiller la ville de « Thiou », les troupes adverses nous avaient encerclées, nous étions faits comme des rats !
Quand un taré, la clope au bec, fonça sur eux à toute berzingue avec sa Jeep et sa mitrailleuse, tout en criant : « Je vais vous chicoter ! bande de sagouins ! ». Comme si, un démon avait prit possession de sa carcasse et que rien ne pouvait l'arrêter, pas même une centaine d'hommes. L'ennemi s'enfuit à toute vitesse pour éviter de finir en hachis parmentier au tofu fumé !
Ce drôle de zigoto s’approcha vers moi :
- « Toi le gars Jo ! Tu en veux une petite ? » avec son accent sudiste incompréhensible
- « Une petite ? » un peu sonné par ce que je venais de voir !
- « Bah une clope pardi ! Tu ne pensais tout de même pas que j’allais faire le pompier !», les yeux rivés sur mon imposante ceinture
- « Le pompier ? », je n'arrivais toujours pas à comprendre cet hurluberlu
- « La sucette du pauvre ! Bon le devoir m'appelle, je dois mettre la tête à l'étau de ma grosse berthe ! »
Incapable de donner la moindre réponse à son charabia abscons, je le laissais vaquer à ses occupations, j’étais bien loin d’imaginer qu'il allait devenir mon frère d'arme.
Un général du nord – dénommé "Oréo" – était à la recherche du gars ayant mis la raclée à la centaine d'envahisseurs, pensant que c'était moi, il fit de moi l'invité d'honneur de son prochain rassemblement. Mon omission maladroite me propulsa au sommet, bientôt, j'allais devenir l'étoile montante du pays.
Un soir de pleine lune, Oréo se posa devant moi, avec ses mains imprégnées du sang de la veuve éplorée de son prédécesseur et son sourire d'ange moqueur. Le poste de "premier ministre" venait de se libérer, une petite voix me susurrer à l'oreille d'accepter, mon insatiable soif de pouvoir voulait manger à tous les râteliers. En dépit de toute raison, qui m'aurait conseillé de ne pas suivre le même chemin qu'un psychopathe, je suivis le conseil malavisé de la petite voie avare.
La folie s'immisça de plus en plus comme son unique maîtresse, multipliant les cadavres putréfiés aux bords des routes abandonnées. Comment faire comprendre à un fou sa maladie mentale, sans en subir ses foudres ? Alors que je m'engouffrais dans l'abîme, une tête familière s'avança vers :
- "Alors, comment ça va ma couille ?", me questionna le vrai héros de Thiou avec son ton plein d'entrain, il n'avait pas l'air d'être rancunier !
- "Pas fort ... je suis le prochain sur la liste !", en fixant le corps d'un vieillard en décomposition
- "Hum... Rejoins moi au p'tit bigniou à 19h", puis, il disparut devant le bruit assourdissant des cloches
Je le rejoignais dans un café miteux, aux vitres teintées, loin des regards délateurs et des oreilles indiscrètes. Nous avions concocté à notre bon général une petite surprise, une colique putride jouant les solistes dans un orchestre philharmonique, baptisant ainsi les toilettes du nouvel hôpital. Après cette rude représentation, nous n'avions plus qu'à cueillir les clés du palais présidentiel !
Notre rêve de liberté se retrouvera très vite parsemé d'embûches, l'hégémonie des grands de ce monde ne serait s'éteindre à la première sédition des adorateurs de l'intégrité, mais l'espoir fait vivre. Une citation que j'aime bien dire :
- "L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère . "
Je me laissais emporter par les acclamations d'un peuple résigné à s'émanciper des chaînes de son oppresseur, mais vient un jour nuageux où l'assiette n'est plus pleine, son envie inéluctable de ce dédouaner de ses responsabilités à la première occasion venue, le replonge dans la servitude d'une enfance outragée.
Ma relation particulière avec mon drôle d'acolyte avait rendu les mots inutiles, un regard suffisait pour qu'il me comprenne. Un souvenir mémorable restera gravé dans ma petite caboche, nous venions d'annoncer la fin des mariages arrangés devant une assemblée de patriarches. Quand les flots de coups incessants s'abattaient sur nos frêles hanches, il était là, avec moi, sans dire un mot ni même s'enfuir. Nous avions payés la rançon de notre insolence envers les traditions.
Nous voguions ensemble dans le même bateau, contre vents et marées, malgré l'incertitude des jours à venir, c'était le prix de notre liberté ! Malheureusement, une douce fleur nommée "Madame la marquise", cachait derrière son pelage douillet, un poison perfide envoûtant le coeur entiché de mon ami. Une profonde impuissance m'accablait de reproches en tout genre.
Il changea au fil du temps, préférant ainsi boire un bon de vin avec sa dulcinée, plutôt que de dégoupiller une bière bon marché avec son ami ! Son ambition deviendra celle des marchands ambulants, fortunés sur le dos des infortunés. Notre idylle pris fin, victime d'une attaque sournoise.
Lors d'une journée pluvieuse, un camarade m'avertit qu'il convoitait mon trône, je ne voulais pas y croire... pas lui ! Je préférais rester dans l'illusion du déni mielleux, qui me semblait plus agréable sur le moment.
Une explosion gronda au niveau de la porte d'entrée, une pluie de coups de feux s'abattaient en trombe sur ma garde, qui sera décimée en quelques secondes. Il débarqua muni de son fusil et de son cigare cubain dans la salle des ministres.
- "C'est fini pour toi !", fut ses mots derniers mots pour moi.
Un son trident sorti de son canon, annonçant la fin de notre rêve d'un monde libre, sans domination. L'ange de la mort m'apparut, sous l'égide d'une trahison fraternelle, pour me libérer d'un poids devenu trop lourd à porter, pour un seul homme. Ma vie allait se résumer à celle d'un héros hébété au costume disgracieux ! Et si l'humanité n'était rien d'autre qu'une course effrénée pour exister, dissimulant sa malhonnêté et ses vices, tout en glorifiant sa toute-bonté ?
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