Chat-pitre 5
Cette journée où Chaussette-rayée avait pour la première fois " mis ses roues dehors ", sa famille et ses propriétaires furent stupéfaits. Faisant fi des lézardes, des nids-de-poules et des cailloux, il s'était élancé sans perdre l'équilibre. Ce fut un grand moment ! Et même si ses proches s'interrogeaient sur la provenance de cette planche taillée sur-mesure, tous s'étaient enthousiasmés de le voir aussi fougueux et miaulant d'allégresse sur le petit bolide.
Grâce à ce moyen de locomotion, Chaussette-rayée était enfin lui-même. Il se sentait libre et presque comme les autres. Au milieu de sa fratrie, de Chausson-blanc et de Miss-socquette, il s'en donna à cœur joie. Chaque jour, il sortait au jardin en même temps qu'eux, tourbillonnant dans l'allée bétonnée puis filant comme le vent dans la descente du garage.
Impétueux et agile, Chaussette-rayée faisait l'admiration des siens. Malheureusement, dans le quartier, ses figures sportives et ses slaloms en offusquaient plus d'un. Certains adultes jugeaient ce binôme " infirme-planche à roulettes " fort inconvenant et ne s'en cachaient pas. Dès qu'ils apercevaient le matou, ils jetaient un regard mauvais par-dessus le muret quand la plupart des enfants avaient l’œil admiratif. Après l'école ou le week-end, les gamins venaient le voir se propulser sur son engin. Ils s'extasiaient devant ses figures inédites et lui proposèrent des matchs. Ses propriétaires s'y opposèrent.
Parmi le voisinage, quelques collets-montés, quelques étroits d'esprit, quelques racistes et autres méprisants se liguèrent pour obliger Chaussette-rayée à se soustraire aux yeux du monde et rester confiné dans sa maison. Une pétition circula dans ce sens et fit grand bruit aux alentours.
Voisins, voisines.
Pour la protection du quartier, merci de signer cette pétition pour interdire aux propriétaires du chat sans pattes de l'exposer à la vue de tous et l'empêcher de se mouvoir impunément sans restriction ni contrôle. En effet, le spectacle de cet animal contre-nature et extrêmement choquant pour certaines âmes sensibles. De plus, cela dégrade l'image tranquille et respectable de notre beau quartier. Comme au spectacle, des personnes (jeunes ou moins jeunes) s'attroupent tous les jours devant la maison dudit félin regardé comme une bête de foire. Notre quartier n'est pas un cirque et ces regroupements sont source d'inquiétude, non seulement à cause du bruit qu'ils engendrent, mais aussi à cause de la population délinquante qui pourrait être attirée et s'adjoindre aux autres curieux.
Le nombre de signatures facilitera l'arrêté d'interdiction à la mairie.
Les propriétaires eurent vite connaissance de la pétition. Homme et femme de paix, tous les deux s'affligèrent de devoir une fois de plus, l'enfermer entre quatre murs à cause de détracteurs à la langue bien pendue. Dès lors, Chaussette-rayée fut à nouveau contraint de regarder sa famille batifoler dans le jardin en arrière de la fenêtre. C'était injuste et frustrant. Pour autant, tel qu'il se l'était promis, il chassa les pensées de défaite, lutta de toutes ses forces pour garder bon moral et pria Dieu de lui venir en aide.
Compatissante et peinée, sa maîtresse s'employa à lui donner un peu de bien-être et agrémenter ses journées. Habituée aux chats, elle savait que le toilettage quotidien était bon et important pour l'équilibre des matous. Elle entreprit donc de s'occuper de Chaussette-rayée au moins une heure par jour. Ainsi, à temps réguliers, elle brossa délicatement sa belle fourrure tigrée en l'installant sur ses genoux, elle frotta délicatement ses yeux avec une compresse en l'embrassant sur le bout du museau, elle nettoya ses oreilles avec un coton en lui grattouillant la tête, puis elle lima les deux petites griffes de son moignon en lui fredonnant des comptines enfantines. Enfin, bonheur des bonheurs, cadeau des cadeaux, elle tenta d'adoucir sa peine par des caresses et des massages.
Ah les massages !
Chaussette-rayée ronronnait de plaisir sous les habiles mains de sa maîtresse qui faisait rouler ses paumes sur sa colonne vertébrale, puis s'attardait sur son crâne et ses flancs.
C'était l'extase !
Chaussette-rayée appréciait ces moments particuliers, mais n'était ni un chat de salon ni un chat à sa mémère se prélassant sur les coussins du canapé tout au long de la Sainte journée. Non, Chaussette-rayée était un chat dynamique, fonceur et téméraire. Un chat bourré d'énergie qui rêvait de mordre la vie à pleines canines et voulait profiter du dehors comme tout un chat-cun.
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