Chat-pitre 17
Bordé par les forces de sécurité, il était dix heures moins le quart quand le cortège s'arrêta sur le parvis du bâtiment communal où un comité d'accueil les attendait. Bras croisés et yeux froncés, un groupe d'hommes et de femmes avaient été informés à la va-vite par la Police et par téléphone en ces termes " déplacement d'un grand nombre d'enfants soutenant un animal infirme, prétendant vouloir participer au biathlon ". Au bout du fil, les personnes concernées avaient d'abord cru à une blague. Mais non, ce n'était pas encore le 1er avril. La chose était vraie. Et après confirmation par le commissaire de Police, Monsieur le Maire avait réuni au pied levé ses adjoints et les responsables du Service des sports en conseil exceptionnel.
Dans le bureau du Maire, la surprise avait été générale sauf pour les employés qui avaient vu Chaussette-rayée et son maître le jour d'avant. Soutenir ce chat leur avait semblé totalement ubuesque et difficilement croyable. Provoquer un mouvement de masse pour un simple animal et utiliser des enfants pour appuyer une demande aussi déraisonnable, décrédibilisait le Pasteur respecté jusque là, et le faisait passer pour un homme ayant perdu la tête.
L'histoire était abracadabrante et les fonctionnaires présents s'en seraient amusés si l'estimation — selon la Police — de la quantité d'enfants enrôlés n'était pas si conséquente. Laissant leurs impressions de côté, tous avaient pris l'affaire au sérieux puis annulé leurs rendez-vous. Ils avaient attaché leurs vestons et étaient sortis dehors. Rattrapés par le journaliste local, ils s'étaient tenus debout au bas des marches et avaient attendu de réceptionner le Pasteur de la Communauté du Bon Samaritain, ainsi que la petite bête curieuse en siège électrique et ses nombreux adeptes, des utopistes boutonneux en baskets et sac-à-dos.
Monsieur le Maire et le Pasteur allèrent à la rencontre l'un de l'autre. Tous les deux voulaient avoir l'air calme et détaché, mais en réalité, ils étaient très nerveux. Ils se saluèrent d'une poignée de main crispée et s'isolèrent un moment pour discuter. Bras croisés, Monsieur le Maire écoutait le ministre du Culte qui s'exprimait avec les mains et le sourire. Le regard tourné vers eux, personne ne bougeait ni ne parlait, et seuls s'entendaient de-ci de-là les conversations des talkies-walkies de la Police. L’aparté entre les deux hommes dura un long moment. Chaussette-rayée était lui aussi très nerveux, mais d'où il était placé, il voyait le dos statique du Maire et la figure sereine de son maître. À vue de museau, il lui semblait voir un dialogue équilibré. Tous les deux paraissaient s'exprimer chacun à leur tour, sans s'irriter ni vouloir imposer leurs idées.
Cela tranquillisa le petit animal, dépassé et chat-viré par l'ampleur et la tournure des événements. De tempérament discret, habitué à une vie de reclus et gêné de créer autant d'émules autour de lui, Chaussette-rayée tremblotait sous sa cape. Après un quart d'heure d'échanges intelligents, le Maire rejoignit ses collaborateurs pendant que le Pasteur montait sur les premières marches pour aviser la foule impatiente.
— Tout va bien ! rassura-t-il. Monsieur le Maire a proposé que mon épouse, moi-même et notre chat-thlète nous entretenions avec ces messieurs-dames de la municipalité afin de trouver une solution acceptable pour tous. L'affaire étant épineuse et compliquée, cela risque de durer un certain temps. C'est pourquoi je vous demanderai de retourner chez vous calmement et sans provoquer d'incident sur la route. De plus, je vous demande de ne pas entrer en conflit avec vos parents et ce, quelque soit leur position quant à la participation de Chaussette-rayée au biathlon. Je souhaite que vous soyez à l'image de votre chère mascotte au comportement sage et discipliné. Pour ce qui est de la suite, nous vous tiendrons au courant dès que possible en souhaitant avoir trouvé un arrangement et un accord satisfaisant. Mes amis, nous ne lâchons rien, mais l'heure est aux arrangements. Mon épouse et moi, Chaussette-rayée et sa famille vous remercions de vous êtes mobilisés en aussi grand nombre et vous disons à très bientôt pour, nous l'espérons, une belle compétition !
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