Chat-pitre 19
Après avoir disserté une bonne partie de l'après-midi, avoir appelé le Président du siège de la SPA et celui de l'Association Nationale du Handicap (A.N.H.), avoir joint le sous-préfet qui à son tour, avait contacté le préfet et, après avoir collecté un certain nombre d'avis différents ou similaires, puis noté les opinions de chacun, le Maire et son équipe arrêtèrent leur décision. Séance levée et éreintante, c'est chemises mouillées et fronts transpirants que tous se félicitèrent d'avoir choisi l'option la meilleure. Bien que satisfaits, ils rejoignirent leurs bureaux en cogitant sur les jours à venir. L'inquiétude était dans toutes les têtes, car tous savaient que de leur choix découlerait des dissensions et des oppositions. Leur discrète petite commune allait à coup sûr, faire la Une des journaux. Irrémédiablement, cela aurait un impact important au niveau national et peut-être... international.
En revanche, ils ignoraient si le retentissement serait bénéfique ou bien... catastrophique. C'était quitte ou double. Aucun ne pouvait présager de la suite ni de la portée des retombées, mais conjointement responsables, tous risquaient de perdre leur poste.
Il était environ 18 heures 30 quand le téléphone vibra dans la maison de Chaussette-rayée. Alors que fébriles, maîtres et félins patientaient à proximité de l'appareil, c'est madame qui décrocha.
— Allô ? C'est le Maire !
— Oui, Monsieur le Maire, nous attendions votre appel, dit-elle d'une petite voix.
— J'imagine... Ruumm... Ruumm...
À l'autre bout du fil, l'homme se raclait la gorge. Il tardait à donner la réponse.
— Le choix n'a pas été simple, précisa-t-il avant d'annoncer le résultat du délibéré.
— Oui, j'imagine... dit-elle à son tour en mettant le haut-parleur.
— Eh bien, on pourra dire que cette affaire m'aura donné du fil à retordre et quelques cheveux blancs supplémentaires, mais...
— Mais ?
— Mais vous avez su nous convaincre. En vertu de quoi, nous avons décidé de vous faire confiance et d'accéder à votre demande ! Qu'en dites-vous ?
Dans le salon, jaillirent des cris de joie et des miaulements d'allégresse. Chaussette rayée avait le cœur qui battait la chat-made, des ailes dans le dos et les prunelles brillantes.
— Bien sûr, tout n'est pas joué. Il va encore falloir que notre vedette passe les sélections avant de concourir. Mais bon, je ne m'en fais pas pour ça. Tel que vous me l'avez vendu, notre Chaussette-rayée va faire des exploits ! N'est-ce pas ?
— Oui, bien entendu ! s'esclaffait le Pasteur qui avait repris le combiné. Nous vous sommes reconnaissants pour ce pas de Foi !
— Comment ? De quel pas de Foi, parlez-vous ? Il ne s'agit là que de stratégie politique et de communication positive. Restons terre-à-terre voulez-vous. Ceci n'a absolument rien à voir avec votre Dieu.
Le Maire termina sa phrase d'un grand éclat de rire.
— Monsieur le maire, loin de moi l'idée de vous manquer de respect ou de faire du prosélytisme, répliqua le Pasteur en riant lui aussi. Ce n'est pas non plus une manière détournée de prêcher pour ma paroisse, mais ma famille et moi savons pertinemment que votre " oui " tient du miracle.
— Ah je vous l'accorde ! Ce " oui " était tellement improbable qu'on pourrait effectivement le nommer " miracle " !
— Vous voyez bien !
— Allons, allons... Ne me faites pas regretter ma décision et tenons-nous en là. Pour information, le Service des Sports attendra notre vedette dans deux jours, à 7 h 45 précisément devant la piscine Grand-soleil. Ne soyez pas en retard. Bonne soirée à votre épouse et à vous-même.
— Merci encore et bonne soirée à vous aussi.
Il était tard. La nuit était tombée lorsqu'ils raccrochèrent le téléphone. Accompagnés de quelques pas de danse, quelques " Hourras " fusèrent encore. Puis, la maison reprit son calme et le couple de Pasteurs inscrivit au programme du lendemain de partager la bonne nouvelle aux enfants qui soutenaient leur mascotte. Pour se faciliter la tâche, ils l'annonceraient aux chefs de bandes qui diffuseraient l'information en deux temps trois mouvements. Les époux pressentaient que les enfants se réjouiraient et ils se réjouiraient avec eux. Cela leur mit du baume au cœur, mais en attendant ils préconisèrent sagesse et prudence. Ils se promirent de garder raison — même si rien dans cette aventure n'avait été raisonnable et que la main divine agissait puissamment — jusqu'à la fin des épreuves, de ne pas relâcher leurs efforts et leurs prières, et de bannir de leurs pensées les probables cris d'haros de ceux qui voudront s'opposer à Chaussette-rayée, et les possibles bâtons dans les roues des indignés qu'ils espéraient peu nombreux...
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