Ex nihilo nihil
A vous qui lirez ce message :
Je suis un être humain. Peut-être le dernier. Sûrement un des derniers. J’habitais sur la Terre. C’est notre planète. Je suppose que si avez trouvé ce texte, c’est qu’elle existe encore. Je vais à présent vous raconter notre histoire, à nous les humains.
Nous étions la race dominante dans notre monde : nous avions le contrôle de l’environnement, nous possédions toutes les ressources naturelles, nous avions bâti des immenses cités… Nous étions les maitres. Les maitres absolus ! Nous étions fiers, croyez-moi. Nous nous croyions tout permis... C’est un peu dérisoire, cette ultime prise de conscience au crépuscule de notre espèce… Bref. Je ne sais pas si je pourrais vous parler de notre civilisation puisque je ne connais pas la vôtre, ni vos technologies. Je suppose que vous n’avez même pas la même composition organique, ou même chimique que nous. Et je m’imaginais que vous pourriez lire ce message… Je suis stupide. De toute façon, il est trop tard pour reculer. Je crois que je me sentirai mieux une fois cette « confessions » rédigée.
Nous étions au fait de notre puissance. Nous avions dominé la Mort, et ce de plusieurs manières. Nous avions éradiqué les maladies, il n’y avait plus de faim dans le monde… Donc plus de soucis ? Nous nous trompions. Pourtant, nous étions certains de faire pour le mieux. Depuis la précédente catastrophe écologique, nous avions banni les dangers, tels que le nucléaire, le pétrole qui arrivait à son terme… Il n’y avait plus de guerre. Plus de religion. C’était sidérant. En quelques dizaines d’années, l’Homme avait changé son destin. Puis, sans que l’on sache pourquoi, il a commencé à mourir. En ce moment même, s’il y en a d’autres que moi encore en vie, ils sont en train d’agoniser. Une pandémie épouvantable nous décime, mais ce n’est pas un virus, pas une bactérie, pas des radiations. Ce n’est rien ! Il n’y a rien qui nous décime. Nous mourrons sans raison. C’est aberrant. Ainsi, me voilà, survivant en sursis, à raconter comment l’humanité est tombée dans le néant.
« Ad angusta per augusta ». Vers les pertuis par le sommet. La véritable citation disait l’inverse et aurait pu correspondre à notre situation d’avant le déclin, mais aujourd’hui, c’est celle que j’ai écrite qui s’applique. Qui aurait pu croire que nous chuterions ainsi ? Qui aurais pu deviner que, alors que nous nous portions le mieux possible, nous nous éteindrions à cause de rien. Quelque chose nous a aveuglés : L’orgueil. L’orgueil, l’insidieux orgueil, le vicieux orgueil, l’universel orgueil. Personne au monde ne saurait voir au-delà de sa propre vanité. Plus j’y pense, et plus je trouve ça bête.
Ce que je regrette le plus, c’est la disparition de tout ce que l’homme a conçu, tant ancien que récent. Les constructions, les œuvres d’art, les livres, les films, les machines. Tout ce qui était beau. Je ne sais ce qui va advenir de ce qui n’est pas humain, mais je crains que tout ne finisse pas disparaitre. Sauf ce message. C’est dérisoire. Un message que personne ne pourra lire. Et il faudrait qu’il soit trouvé. Je ne connais pas assez de mots pour exprimer toute ma déception. Je ne sais même pas s’il y a quelqu’un contre lequel je pourrais déverser des insultes ou sur le dos duquel je parviendrai à mettre toutes les fautes de l’humanité. Le rien n’est venu de nulle part. « Ex nihilo nihil », pour citer à nouveau les latins. Personne n’est responsable. Du moins, je le suppose. Je l’espère.
Bientôt, tout sera fini. Ma mort est inévitable. Je ne sais par quel moyen elle va m’atteindre : l’air, l’eau, la nourriture ? Ou tout simplement, va-t-elle survenir spontanément ? Sortir comme ça, de nulle part ? J’ai peur. Je ne crains pas la mort, ou la Mort, c’est selon, mais je n’ai pas envie de souffrir. Personne ne sait si l’on agonise longtemps ou si l’on meurt directement et sans douleur. Peut-être que l’on reste conscient et enfermé dans son corps. L’ignorance me tue. J’ai peur de ce que je ne connais pas. J’ai constamment l’impression d’avoir quelque chose de bizarre qui me ronge le ventre ou qui me fait mal à la tête, même si je pense qu’en réalité, il n’y a rien. Je ne vois plus ce que j’ai écrit tellement je suis en train de pleurer. J’ai essayé de ne pas y penser, mais tout mon passé me revient d’un coup. Mes parents, mes frères et sœurs, ma familles, mes amis, tous les gens que je connaissais et qui aujourd’hui sont morts. Je ne sais pas si l’on peut s’imaginer ce qu’on ressent dans ce genre de situation. On a tout perdu, on est sûr de mourir, et tout ce que l’on peut faire, c’est regarder le passé et essayer de trouver ce qui a cloché. Tout ce que j’avais appartient au passé, et je n’ai pas de futur. Je suis en train pleurnicher devant un ordinateur qui affiche des mots écrits pour des personnes qui n’arriveront sans doute jamais et qui, quand bien même elles arriveraient, ne parviendront sans doute pas à trouver, ou même à lire ce putain de message qui ne sert à rien !
Tout ce qu’ai fait n’a servi à rien. Tout ce qui a été construit va partir en poussière. Tout ce que j’ai été va disparaitre. Personne ne peut le comprendre. Personne ! Je n’ai pas envie d’espérer. Je n’ai pas envie de croire que je pourrai survivre. L’espoir n’a plus sa place. Tout ce que je souhaite, c’est mourir rapidement et sans douleur. Je ne veux plus être seul. Je veux retourner avec tous ceux qui m’ont quitté. Je veux revivre ce passé qui a disparu. J’en ai marre. Pourquoi ? Pourquoi cette torture ?
Vous savez quoi ? J’ai pris une décision. Une décision importante. J’en ai plus qu’assez de chouiner bêtement. Maintenant, je vais effacer cette connerie de message.
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