Consumptus

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Certains racontent que consumptus vient des glaces de l’antarctique, d’autres de l’espace, d’autres encore des manipulations génétiques pratiquées par les industries pharmaceutiques. Néanmoins, la théorie la plus répandue est le fléau divin, sensé nous punir de notre orgueil, de notre aveuglement et de notre folie. Je m’en fiche. Consumptus nous décimera jusqu’au dernier. Point. D’où il vient ne changera rien, sinon rassurer ceux qui ont peur de la mort. Il ne faut pas avoir peur de la mort. Je n’ai pas peur de la mort. Ce dont j’ai peur, c’est la souffrance. C’est la douleur. C’est la solitude.

C’était il y déjà plusieurs décennies, alors que la mer Méditerranée avait fini de se transformer en désert. A ce moment-là, les glaciers avaient tous disparus. La faune et la flore avaient dégénéré. L’Asie de l’Est avait été transformée en paysage lunaire. Tout ça, c’était à cause de l’explosion de Prométhée.

Prométhée était le nom stupide donné au projet de réacteur à fusion nucléaire construit en Chine. Ils nous disaient que c’était la source d’énergie la plus sûre et la moins polluante. Au début, elle tournait bien, leur centrale. Puis, ils se sont rendu compte que quelque chose n’allait pas. Le réacteur ne s’arrêtait plus. Ils ont réussi à le cacher pendant quelques semaines, mais il était déjà trop tard. La zone avait été chargée en électricité. Alors, les nuages se sont accumulés au-dessus de la centrale. Des photos ont circulés à cette époque : on aurait cru que la fin du monde été arrivée. On avait tort. Terriblement tort…

Finalement, après cinq jours d’attente et de vaines tentatives pour faire se disperser l’amas nuageux, la catastrophe s’est déclenchée : toute la foudre emmagasinée est tombée en un seul éclair sur le réacteur qui était encore allumé. Et il a explosé.

Les conséquences ont été catastrophiques. L’ensemble du globe a été touché. A côté de Prométhée, Tchernobyl n’était qu’un pétard mouillé. En fin de compte, ce nom lui allait comme un gant. Après nous avoir donné le feu, il nous en a fait payer le prix. Et très rapidement, on a vu apparaitre consumptus.

Au début, c’étaient quelques personnes en Russie, en Indonésie et en Inde. Le nouvel Ebola, on disait. Et comme avec Ebola, on pensait pouvoir stopper cette maladie. Sauf qu’on ne pouvait pas. CSPTS qu’on l’appelait. Son petit nom savant. Dans les premiers jours, ce ne sont que des taches noires sous la peau. Un peu comme des bleus. Ensuite, c’est la mise au ban par tout le monde. Consumptus est pervers. Ce n’est pas une maladie que l’on peut cacher. Et comme tout le monde en a peur, les personnes atteintes sont condamnées à l’exil ou à la mort. Mais consumptus est plus qu’un simple microbe qu’on peut isoler. Il n’a besoin de rien pour survivre. Il se transmet par l’air, par l’eau, la nourriture, le sang… Petit à petit, le monde s’est retrouvé le couteau sous la gorge.

Les scientifiques ont bien essayé de trouver un remède, un vaccin, un moyen de le tuer… Mais rien. Consumptus est invincible. Il prend plaisir à choisir soigneusement ses victimes. Il les choisit au hasard. Et une fois les contaminés exclus des camps de réfugiés, sans eau, sans vivres, sans rien, seuls, allongés à l’ombre de débris divers, consumptus se déchaine. Parce que oui, ce que cette saloperie touche, c’est le cerveau.

Hallucinations, délires, illusions, cauchemar, visions… Les sentiments contradictoires se déversent sans retenue, les pensées s’embrouillent, la mémoire part en cacahuète, les sens se mettent à raconter n’importe quoi. A côté de tout ça, le corps s’anime de spasmes à cause des influx nerveux chaotiques. Une folie lente et douloureuse… Toutefois, il y a une chose que tous les malades reconnaissent. Lors de leurs quelques périodes de lucidité, ils entendent tous la même chose. Un rire. Un rire grinçant et sarcastique. Au début, il est discret. Puis, il s’insinue partout. Dans les cauchemars, dans les mirages, dans tout… Le même rire dément, encore en encore. Le rire de consumptus.

Enfin, au bout de cinq jours, on sent une main se poser sur son épaule. A ce moment-là, on sait que c’est la fin. Quelques heures de hurlements plus tard, le corps est froid. Et consumptus part vers un autre jouet.

Personne ne survit à consumptus. On a souvent cru que l’humanité allait mourir, mais elle est déjà morte. Et moi aussi. C’est ma première nuit en dehors du camp. J’ai une grande tache noire sur le bras, et cinq traits sombres sur la joue. Comme si consumptus avait passé sa main osseuse sur son visage. Je suis assise devant mon petit feu de brindilles. Devant moi, la lune au-dessus du désert. Et puis, résonnant entre les dunes, ricochant sur les blocs de bétons, effleurant au passage les voitures renversées, le même son encore et encore. Le rire de consumptus…

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