Scène de jalousie sur le pont des Arts

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Pour ce défi, j'ai choisi un extrait du chapitre 15 du roman "Les amants de l'éternité" .

J’avais essayé de décourager ses ambitions, bien qu’elle fût loin de m’être indifférente, la belle Astrid. Elle m’avait embrassé sur la bouche, et en quête d’une échappatoire, je lui avais proposé de nous balader au parc Monceau, dans l’espoir de lui refroidir les esprits.

Modifiant mon plan, je l’avais entraînée vers la station Malesherbes, puis l’avais invitée à prendre le métro, direction place du Châtelet. Là, la providence nous avait fait dériver vers les berges de la Seine. À ses côtés, je me sentais vraiment dépité, tandis que je fouillais dans mon imagination, recherchant une issue pour contrarier son obsession du moment, mais comment lui faire changer d’idée ? Que lui confesser ? Visiblement heureuse par notre promenade sur les quais, pouvais-je lui avouer que je partageais la couche d’une femme un peu plus âgée qu’elle ? Comment aurais-je pu me douter qu’Astrid s’était entichée de moi, alors que je lui avais déjà refusé un baiser le jour même où elle était devenue bachelière ? Depuis la seconde, je l’avais toujours considéré comme la petite sœur qui me manquait. Mon sentiment s’apparentait-il à de l’amour platonique ? Seule Anne-Liesse pourrait répondre, m’aurait affirmé Isabelle.

Maintenant, si j’en étais arrivé à cette situation ambiguë, c’était à cause d’Astrid qui, outre son désir de rester vierge jusqu’à son mariage, n’avait jamais envisagé de vivre une romance avec moi pendant notre scolarité. Au début des vacances d’été, j’avais pu faire la connaissance de Vanessa avec qui j’avais commencé à flirter, mais après qu’elle eût disparu de la circulation, sans laisser d’adresse, j’avais recherché un sens à mon existence en me réfugiant dans la plus profonde des solitudes. C’est de nouveau Astrid qui m’avait tiré de ma léthargie, ce qui nous avait permis de nous rapprocher davantage en devenant les meilleurs amis du monde jusqu’au jour où j’ai compris qu’elle entamait une démarche affective qui nécessiterait le temps qu’il lui faudrait.

À proximité du pont des Arts, Astrid m’avait suggéré de traverser la Seine pour rejoindre l’École supérieure des Beaux-Arts par la rue Bonaparte. Sur les quais, riant aux éclats, sautillant à cloche-pied sur les pavés disjoints, marchant à reculons, sans doute devait-elle pressentir de futurs moments heureux en ma compagnie ? Comment s’expliquer franchement lorsque s’installent des pépites de désir dans les yeux de votre meilleure amie qui, dans sa douce folie, prenait des risques inconsidérés en longeant la margelle bordant la Seine ? Cela m’avait obligé à lui saisir le poignet de peur qu’elle ne glisse et tombe dans l’eau trop froide à cette époque de l’année. Sa main fusionnée dans la mienne, nous étions remontés sur le quai des Tuileries pour franchir le fleuve. Cette idée n’avait pas été la meilleure qui soit, car le résultat n’avait pas été à la hauteur de mon espérance, ayant vécu ce jour-là un véritable vaudeville.

Je garde encore en mémoire les jambes d’Aurore tricotant à toute allure sur la passerelle pour venir à ma rencontre. Erreur de ma part, car elle s’était ruée comme une furie sur la pauvre Astrid qui ne comprit pas la raison de cette gifle magistrale qui l’avait envoyée valdinguer contre un réverbère. Bouche bée devant la tournure qu’avait prise cette balade improvisée, ce fut à mon tour de recevoir une raclée. Il me fut impossible de contrer Aurore qui avait enchaîné les soufflets sans que je puisse les empêcher. Les promeneurs s’étaient alors arrêtés instantanément, braquant leurs yeux sur nous. En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, j’avais pu découvrir une jeune comtesse au caractère docile, transformée en véritable tigresse, faisant tournoyer son sac à main dans les airs pour me le lancer à la figure. Si j’avais réussi à esquiver la première attaque, je m’étais demandé comment parer la seconde. C’est bien grâce à la réaction heureuse d’Astrid, qui avait récupéré ses esprits, que j’avais pu éviter le choc. J’avais vu ma vaillante camarade se précipiter sur Aurore, stylée et bon chic bon genre, pour lui administrer des coups de poing et de pieds en rafale. N’en restant pas sur cet avantage, Astrid avait agrippé l’agresseuse par le cou, la faisant trébucher sur le tablier du pont. Aurore, qui ne s’était pas laissée impressionner par la jouvencelle, s’était vite rattrapée, s’accrochant au chemisier d’Astrid qu’elle déchira sauvagement.

Considérant le quiproquo qui se tenait devant moi, j’avais dû jouer les arbitres, recherchant désespérément à isoler deux demoiselles de bonne famille qui voulaient en découdre comme si leur propre survie en dépendait. Tandis que les gifles et les coups de pied pleuvaient dans toutes les directions, j’avais ressenti une vive douleur dans les parties génitales, n’ayant pu éviter à temps l’escarpin de la comtesse. C’est après avoir repris mon souffle contre le lampadaire que j’étais parvenu à séparer les deux belligérantes qui se traitaient de noms d’oiseaux. Après la mêlée, je les avais dévisagées séparément : l’une, Aurore qui, affichant un œil au beurre noir, récupérait le contenu de son sac à main qui s’était éparpillé autour d’elle ; l’autre, Astrid qui pleurait contre le réverbère, son chemisier lacéré et entrouvert, la manche arrachée. Pendant que les badauds comptaient les points, je tentais de réajuster la tenue de ma camarade pour cacher le téton qui transparaissait à travers son soutien-gorge, Aurore continuait de vociférer, vomissant tout son fiel à mon encontre. Sans que je puisse donner un seul éclaircissement ou exprimer un mot, la comtesse repartit dans la direction opposée afin de rejoindre son appartement de la rue du Bac. J’étais resté auprès d’Astrid pour la réconforter. Vexée et meurtrie d’apprendre que son assaillante était ma maîtresse depuis presque deux ans, Astrid s’était enfuie vers l’École des Beaux-Arts. Je présume que c’est peut-être grâce à cet épisode qu’elle s’orienta vers les arts plastiques. J’obtins de ses nouvelles lorsque Paul m’envoya un faire-part quelques années plus tard, découvrant avec grand étonnement le mariage d’Astrid avec mon meilleur ami.

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