« Je prends le temps de lui répondre et j’entends les deux autres ricaner, je vais les défoncer. — Vos gueules ! Putain ! pesté-je contre eux. » -15

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Jules

Quatre heures du matin, et me voilà toujours en plein monologue avec ce maudit tas de terre. On dit de moi que je suis tenace, et pourtant, j'ai une impatience légendaire. Mais j’ai une certitude, Kira m’aurait pas menti, j’ai aucun doute sur sa sincérité. Alors, je persiste, prêt à tout pour la faire céder.

Objet inutile !

Je la secoue dans tous les sens, rien avoir en retour me brûle les nerfs. L’envie de la fracasser contre le mur me titille.

Ma respiration s’accélère, elle est lourde et hachurée. Mes doigts se crispent tellement fort sur l’effigie qu’ils en blanchissent sous la pression. Rien. Aucune réaction.

La rage monte, brute, incontrôlable. Si elle veut pas parler, alors soit.

Cinq heures du matin, perché sur mon lit, l’objet pète-couilles que je tiens menace sérieusement de me faire éclater en furie. D’un geste sec, je la relève jusqu’à mes yeux, ces derniers noircis d’exaspération. Je lui donne un dernier avertissement. Mais elle dit toujours rien.

— Antiquité pourrie ! La guerre est déclarée !

Et tout ça ! Parce qu’elle refuse de coopérer.

Très bien !

Sans réfléchir d’avantage, je balance la statuette de toutes mes forces contre le mur. Le choc résonne dans ma chambre.

Je suis stupéfait, si la cloison a un impact avec des fissures, la statuette roule sur le sol, intact.

C’est quoi ce putain de bordel !

Je prends le temps de dépoussiérer la breloque, dernière bonne action que je tente, pensant qu’une action sympathique la ferait s’activer.

Négatif.

Il est sept heures, mâchoires, poings serrés et muscles tendue je me rends chez Kira.

De nerf, je tambourine à sa porte.

Elle ouvre la porte affolée et moi je fulmine encore sur place. Ce gadget m’a mis hors de moi. Plongé dans mes esprits, je vois pas le mal aise de Kira dans l’immédiat. Merde, elle est en robe de chambre. Je me sens con.

« Logique lorsqu'on débarque chez les gens avant huit heures du matin et sans prévenir, non ? »

Je lui rends sa statuette, je peux plus me la voir.

— Jules, vous allez bien ?

— Non ! J’vais pas bien du tout même ! J'y ai passé la nuit et elle se joue de moi !

Sa tête recule de quelques centimètres et ses yeux s’agrandissent, j’ai dû lui faire peur. Je souffle un grand coup en passant ma main sur mes yeux et mon visage.

— Désolée.

Elle sourit, je me sens mieux. Elle prend la statuette de ma main.

Je plisse les yeux, c’est pas drôle.

— Hm.

Au moment même que mes doigts desserrent l’emprise de l’objet, elle se met à vibrer. Alors là, je réponds plus de rien, je l’arrache de la main de Kira et je la porte devant mon nez.

— J'vais te briser en miette ! te faire bruler jusqu’à la dernière particules ! je hurle sans me soucier de Kira où même des autres voisins.

— Jules, entrez s'il vous plaît.

Et cette femme, cette femme qui me fait bander au moins sept fois par jour rien qu'à l'idée de penser à elle qui me demande d'une voix innocente d'entrer chez elle alors qu'elle ne porte qu'un vêtement que j'aurai juste à faire glisser sur ses épaules pour la découvrir nue.

Je vais craquer.

Non, je le refuse ! Je balance la tête en arrière pour prendre une grande bouffée d'air et je passe le seuil de la porte. Derrière moi, elle l’a ferme. J'ôte mes godasses.

Je vois son clic-clac défait, je l'ai vraiment tiré du lit, je tire une chaise et m'assieds dessus, je suis claqué...

— Attendez, mon canapé sera plus confortable, elle m'informe en commençant à plier drap, couette et remettre les coussins en ordre.

Je l'interromps, son lit est pas destiné à se faire aplatir par tous les culs qui viennent ici.

Elle se retourne et me fixe.

— C'est pas une question de confort Kira, mais de respect. C'est votre lit, pas un canapé de réception.

Elle ressert un oreiller contre sa poitrine, comme si elle se sentait offensée, puis, elle devient de plus en plus rouge, sa lèvre inférieure en tombe. Elle est figée, statique.

Je me penche et je prends sa main pour la ramener vers moi, ses pieds se laissent aller.

— Vous en faites pas pour moi, par contre je serai pas contre un p'tit café, si vous avez ça.

Afin de pas m'endormir sur cette chaise inconfortable.

— D…d'accord,

Je l'a lâche, d'un pas vif elle se rend dans sa cuisine, je regarde son lit, et l'envie de le refaire me démange. J’en fais rien, j’aimerai pas qu’on s’occupe de mes affaires sans autorisation. Juste il doit vraiment pas être confortable. Kira revient un mug à la main et le sourire aux lèvres. Je prends la tasse en la remerciant.

Ma bouche se déforme par l’amertume après la première gorgée. La dernière fois que j’en ai bu un aussi dégueulasse, c’était dans les distributeurs à la fac.

Je note, elle sait pas faire le café, aucune importance de toute façon, l’envie de me faire plaisir est là, c’est tout ce que je retiens.

Sa tête est baissée, elle reluque ses pieds, elle a dû se rendre compte que son café était imbuvable, mais je déteste quand elle fait ça.

Sois doux…

Ta gueule !

Je l’interpelle,

— C’est rien, j’m’en remettrai.

— Je trouve que vous en avez fait énormément, comme à ne pas en dormir de la nuit pour avancer et comprendre, et moi, je rate un café…

Comment elle sait ça ?

Je penche la tête tout en passant sous la sienne pour croiser son regard, ma mine enjouée l'invite à son tour à en faire de même.

Je la regarde dubitatif.

Un léger rictus tique sur son visage, près de ses lèvres précisément. Je sais pas ce que ça veut dire. Kira est bien plus captivante à apprendre que cet objet de malheur. Je vais me concentrer sur elle et uniquement sur elle.

— Ne me regardez pas comme ça, vous avez simplement les yeux rouges, je n'ai juste fait qu'une supposition, dit-elle d'une voix encore plus apaisante qu'un chocolat chaud.

Fascinante, elle est fascinante.

La tension qui était liée à l'objet maudit s'est dissipée. Normal, Kira est assise à quelques centimètres de moi. Ma jauge se remplit depuis que j'ai frappé à sa porte. J'ai aucune idée si elle ressent quelque chose du même style, même si je la trouve bien plus éveillée que lorsque je suis arrivé. Peut-être lors d'une discussion j'arriverai à lui soutirer l'information, mais je refuse de lui demander d'emblée, je veux pas la mettre au pied du mur, c'est quand même très personnel, ça évoque les émotions voire même les sentiments.

Alors que quelques heures viennent de passer en sa compagnie, ou nous avons échangé sur différents sujets tels que : nos poussières étoilées qui sont venus nous rendre une petite visite au détour d'un regard entre elle et moi, un regard profond, qui en disait beaucoup. Nous avons aussi hypothétisé sur l'activation de la statuette, mais rien de concluant.

Et maintenant, je me demande où j'ai merdé pour me retrouver le cul assis dans son canapé, elle à mes côtés. Sa robe de chambre s'écarte d'un pan et laisse entrevoir sa cuisse, putain, elle est sublime. Sait-elle à quel point elle m'attire ? J'en doute.

— Je reviens Jules, je vais prendre une douche et m'habiller, elle me confie en étant dans l'embarras car ses joues se sont mises à rosir en même temps qu'elle prononçait sa phrase.

— Aucun problème, je bouge pas.

Elle se lève et se retire, je la regarde quitter la pièce, ses petits pieds nus font des dizaines de pas avant qu'elle ne disparaisse.

Mes yeux changent de direction, je peste contre la statuette, deux ou trois paillettes dorées s'en extraient.

— Salope.

Je détourne le regard avec haine, certain qu'elle me nargue.

Kira prend le temps qu'il lui faut, après tout, j'ai jamais précisé être pressé. Sauf que le sommeil m'attrape sans que je puisse le retenir.

— Je…

Je me réveille en sursaut.

— Excusez-moi, je ne voulais pas vous réveiller !

Je souris, c'est la première fois de ma vie que je m'endors chez une autre personne que chez moi, et, si facilement. Si Kira m'implore de son regard, moi je suis heureux de me sentir si bien.

— Tout va bien, j’ajoute pour la rassurer. Soyez pas désolée

— Je n'ai pas été assez attentive, je m'excuse, vous êtes épuisé, si vous voulez, je peux faire mes devoirs et vous, vous pouvez dormir, elle débite sans pause.

Putain, qu'est-ce qu'elle est gentille, même si ça se lit sur son visage, ses pensées le sont d'autant plus. C'est pas une façade, c'est pas un rôle qu'elle se donne, elle l'est vraiment, c'est gravé en elle, comme c'est gravé en moi d'être un tueur.

Je laisse cette pensée traverser mon esprit et je la laisse filer.

— Ça ira, merci, j'me sens déjà mieux.

Elle opine du chef, même si pas très satisfaite.

Pour ne pas la laisser dans l'embarras plus longtemps, je tente de lui poser une question tout en étant attentif à ses moindres réactions.

— Est-ce que ça vous dit que... que j'vous laisse mon numéro… ?

— Oh oui ! Je serais tellement heureuse ! exulte-t-elle en me coupant la parole avec un sourire démesuré qu’elle peine à cacher.

Mon cœur tressaute, je m’attendais à tout sauf à ça. En fait, elle en crève d’envie autant que moi. On procède à l’échange et l’image qui s’en dégage me fait rire : on dirait deux ados en plein complot qui préparent un plan foireux pour fuguer.

Deux jours se sont écoulés depuis mais aucun de nous a cédé pour envoyer le premier message. De ma vie j’ai jamais eu les yeux autant rivés sur mon smartphone, impatient de recevoir un message. J’ai l’impression de me voiler la face, Kira est bien trop timide pour faire le premier pas.

Mon téléphone vibre, je l’attrape violemment et mon cœur cogne dans ma poitrine. Je le balance dans le canapé en pestiférant tout bas. C’est Loïs. Je tourne en rond dans mon salon tel un lion en cage, impossible de trouver de la motivation pour quoi que ce soit d’autre.

J’ai toujours préféré rester en retrait, mais en cet instant, j’avoue que je me suis jamais senti aussi seul. Depuis que Kira est entrée dans ma vie, tout est chamboulé, même diriger ma société est devenu une corvée.

Je me décide à lui envoyer un message, après avoir écrit une suite de mots que j’efface six ou sept fois avant de valider mon choix.

Au moment où je clique sur la touche envoyer de mon téléphone, il se met à vibrer et j’en reçois un de sa part. Qu’elle coïncidence.

Kira : Bonjour Jules, j’ai fait quelques recherches concernant la statuette, il se dit qu’elle aurait appartenu à un groupe japonais deux mille ans avant notre ère. Auriez-vous quelques informations à nous apporter ? Je vous embrasse, à bientôt. Kira.

Moi :Bonjour ma belle dorée, on stagne lorsque nous faisons pas équipe, non ? Pour ma part, j’en suis convaincu. Au plaisir de vous revoir. J. Montana.

Son message lu, je perds pas une seconde de plus pour l’appeler. Elle décroche à la première sonnerie.

Elle l’attendait ?

« Non, elle avait tout simplement son téléphone dans les mains vu qu'elle venait de t'envoyer un message. »

Alors que je lui propose que l’on se voie, pour la première fois elle répond oui dans l’immédiat. Je suis heureux, j’ai l’impression que peu à peu, elle retire les barrières qu’elles s’imposent. Ça évolue.

Je l’informe que je me rends à la bibliothèque sans prendre la peine de lui demander.

Fougueux de la revoir dans moins de quarante-cinq minutes, je cours à travers ma baraque, bousculant Loïs, Rita et deux gardes que je viens de balancer contre le mur car il me gênait sur mon passage.

Quand j’arrive, elle est déjà sur place, je me gare en face. Frein à main tiré, je m’empresse de sortir pour la rejoindre au pas de course devant l’entrée. Elle sourit, que j’aime voir cette bouille joyeuse.

Discrètement, elle me montre la statuette dans son sac à main, je doute que ce soit une bonne idée. Déjà on sait toujours pas ce qui l’active/désactive, et surtout ce qu’elle peut faire d’autre.

Elle sourit, puis, fière d'elle, elle me montre la statuette dans son sac à main.

— Non, passez-là moi.

— Ah oui ? Pourquoi ? elle demande intriguée.

— Si elle devait ENFIN se décider à coopérer au milieu de la foule… on attirerait tous les regards sur nous, je préfère rester discret, je lui explique.

« Alors là, tu m’as tué, toi discret, depuis quand tu connais ce mot ? »

Elle me la tend, je pense qu’elle a compris car ses lèvres sont crispées, même si en soit, l’idée était bonne, avoir le vrai modèle sous les yeux, est plus simple.

« Tu parles d’un modèle, moi je ne veux pas ressembler à ça… »

Oui, mais toi on t’a rien demandé.

Une fois la statuette déposée dans ma voiture, en sûreté, je peux enfin prendre le temps de saluer Kira comme il se doit.

La hauteur qui nous sépare m'oblige à me pencher vers elle, en douceur, je pose mes lèvres sur sa joue. Sa respiration se coupe alors que moi je m'en enivre, sa peau est si douce, chaude et fine sous mes lèvres.

Nous parcourons quelques rangées de livres, je livre bataille contre moi-même, impossible de regarder un manuscrit, mes yeux sont rivés sur elle. J’ai beau savoir que je suis pas venu ici pour ça, c’est plus fort que moi.

Elle s’en aperçoit car elle me fixe à son tour, le regard interrogateur : c’est la première fois qu’elle ne baisse pas les yeux dès la première seconde. Un véritable soulagement même si elle a fini par le faire.

— Kira, même si j’ai grandi au Japon, j’ai jamais entendu parler qu’une statuette a été fabriqué il y a deux-mille ans avec des techniques modernes

Je dois être honnête.

— Alors, vous pensez que nous sommes en train de perdre notre temps ici…

— Non, enfin, si…

La voir n’est jamais une perte de temps et peu importe le lieu, tout me convient, je suis pas difficile. Et si j’ai demandé ce lieu, c’était dans l’unique but de pas retourner chez elle, me retenir devient de plus en plus difficile.

— Mon cousin vit encore au Japon, j'vais l'contacter pour qu’il m'rende service.

— Oh ! Ce serait super !

— Je doute qu’il ait autant d’entrain qu’vous, mais c'sera plus facile d’accéder à des infos par lui.

— Oui, c’est certain, nous aurons ensuite plus de chance pour avancer.

Je lui offre un sourire en guise de réponse et dans la foulée, je l’invite à diner. Elle reste silencieuse quelques instants, l’attente me rend nerveux et les questions fusent dans mon esprit : est-ce qu’elle en a envie ? Elle ose pas le me dire ? La seule chose que je remarque c’est qu’elle refuse pas d’emblée.

— Ça me ferait vraiment plaisir… rajouté-je dans le but de la convaincre.

— C’est le dernier dans ce cas…

Je rie de bon cœur, c’est pas encore cette fois qu’elle me dira non et qu’elle reviendra pas sur sa décision.

Je lui laisse le choix du restaurant et sans hésitation elle me dit :

— La gastronomie italienne !

Tant qu’elle me refait pas le coup de la pizza base crème fraiche, ça ira.

Sur place, j’ai pris les devants et j’ai commandé des lasagnes accompagnées d’une salade, c’est plus prudent…

Elle se confie, me rapportant qu’elle a jamais autant mangé à l’extérieur de toute sa vie.

Une fois sur place, j’ai commandé un plat de lasagne pour deux accompagné d’une salade, c'est plus prudent. En souriant, elle me dit qu’elle a jamais autant mangé à l’extérieur de toute sa vie Je dis rien, je veux pas paraitre pédant alors que c’est uniquement mes emplois qui veulent ça.

En baissant la tête elle murmure mon prénom tout bas, sous forme de confidence ou d’interpellation, je ne sais pas. Je fais glisser ma main sur la table pour qu’elle s’en saisisse, ce qu’elle fait des deux siennes. Mon pouce caresse la paume de sa main et elle relève la tête, et ses paupières clignent lentement.

— Jules… j’ai perdu mon emploi… à l’oBrienbar, et j’ai du chercher autre chose très rapidement. Donc, ce n’est pas votre faute, juste un problème financier, rien d’autre.

Je le savais déjà. Impossible de passer à côté. Déjà, les dernières fois où l’on s’est vus, c’était pendant ses heures de service, et si, au début, j’ai cru qu’elle avait simplement poser quelques jours de congés, j’ai vite compris qu’elle avait été renvoyée. Kira me parle de ses cours, de ses passes temps, qui sont la lecture, faire des crêpes et dessiner, mais jamais elle m’a parlé de son emploi de serveuse.

Lors de sa confidence, j’ai écouté tous ses mots qu’elle a choisi avec précaution, j’ai observé chacun de ses silences. Certain qu’elle se taisait par fierté ou par peur. Maintenant que c’est sorti, que les mots ont franchi la barrière de ses lèvres, peut-être qu’elle se sentira mieux.

Elle me fixe, nerveuse, entre attente et appréhension. Est-ce qu’elle veut une réponse ? une parole compatissante ? Mais je dirai rien. Il y a rien à dire, pas sur ce sujet en tout cas. Je lui laisse le temps de respirer, de ressaisir, parce que souvent, juste le silence suffit pour digérer ce qu’on vient d’oser avouer, tellement que c’est difficile.

— Kira, j’ai pas grandit dans le luxe…

Elle marque une pause, patiente que je me confie à mon tour.

— Tout c’que j’ai aujourd’hui, j’le dois à Charles et Rita.

— Ce sont vos parents ?

— Pas vraiment, non, mais disons que c’est ma famille.

Elle sourit, confidence pour confidence.

— Vous voulez dire que vous n’avez pas vécu dans le luxe durant votre enfance ?

— Encore plus renfermé qu’elle lorsqu’il s’agit de parler de mon passé, je hoche la tête d’un coup vif sans en dire plus.

— Merci Jules. Merci de votre confiance.

Kira est certainement la personne la plus respectueuse dans mon entourage, elle ne force jamais rien, comprenant sans explication mon malaise. Elle prend ce que je lui donne en me remerciant. Je fais preuve de reconnaissance et je la rassure quant au fait que jamais je lui demanderai de payer une addition. Certains peuvent penser que c’est sexiste, mais je m’en tape, car sinon je devrai accepter de passer moins de temps avec elle, et elle, se nourrir que de quelques bouchées non rassasiantes.

En revanche, quand elle me dit qu’elle est dans l’obligation de faire une pause dans ses études, ça me fait encore plus mal, elle qui semble si dévouée. Je comprends qu’elle se sente dans l’obligation de le faire pour trouver un autre emploi, mais même si elle devait trouver quelque chose le mois prochain, son salaire tomberait à la fin de ce dernier.

Je dois l’aider, je sors mon portefeuille et je lui donne tout mon liquide.

— Non Jules, c’est impossible que j’accepte.

— Et, pourquoi ?

— Parce que je ne me suis pas confiée à vous pour obtenir quelque chose.

— Ouais, j’sais, et donc ?

— Non, c’est trop, vous en faites trop pour moi.

— Cette réponse me convient pas.

— Jules, s’il-vous-plaît.

— Quoi ?

— C’est trop je vous dis.

Je la fixe, ce sera mon combat contre elle, lui faire accepter ce peu de liquidité.

— J’suis désolé, mais quand j’veux quelque chose, je l’obtiens, je lui confie pour la faire céder.

Je connais Kira sur cet aspect-là. Timide, hypersensible et hyperémotive, elle est aussi lisible qu’un livre ouvert. Et si je me déteste de retourner ce que d’autres qualifieraient de faiblesses. J’hésiterai pas une seconde à en jouer pour arriver à mes fins. Il en va de la meilleure solution, c’est pour son bien. Elle a besoin d’argent pour manger, boire ou payer ses factures. Trois raisons suffisantes qui forment un mur entre moi et toute concession. Alors, mes yeux se plissent, perçant son regard, comme un prédateur qui sait déjà qu’il l’emportera

— Jules, a…arrêtez…

— Non, Kira.

Sa tête se penche d’un coup, elle a abandonné. Mais très vite, des larmes éclatent sur le bois brut de la table. Je me lève et vais me mettre à côté d’elle, accroupi.

— C’est pour votre bien, pleurez pas, dis-je en laissant ma main glisser dans son dos.

— Mais c’est trop ! cri-t-elle en relevant la tête brusquement, les larmes envahissant son visage.

— C’est qu’un peu d’thune.

— Jules, je vous rembourserai tout ça ! Promis !

Je dis rien, je veux pas en rajouter, car elle vient de retrouver un peu d’aplomb, la seule chose qu’elle sait pas, c’est que je suis pas banquier, c’est donc pas un prêt.

Les trois jours qui ont suivis, chaque matin j’ai reçu un message de sa part, et chaque soir elle en recevait un de la mienne. Actuellement, je suis comblé, notre relation grandit. Or, je regrette quand même d’être resté si longtemps en retrait, le temps m’aidera surement à apaiser ce reproche. Et surtout, je me garderai bien de le dire à Loïs, il serait bien trop heureux de me le renvoyer en pleine gueule.

Hier, Ruy m’a contacté, suite à la demande que je lui avais faite. Il attaque les recherches. Mais j’ai déjà la fâcheuse intuition que je vais devoir m’y rendre moi-même.

Mon cousin me rendra service, c’est pas lui le problème mais c’est celui qu’il m’est impossible de révéler notre réalité. Si Rita a su m’écouter quant aux filaments dorés, c’est pas le cas de tout le monde, et surtout, Rita est pas une mafieuse. Nous savons pas ou nous mettons les pieds et mon rôle est de protégé Kira, et ce, même de ma famille.

En patientant d’en savoir plus et ayant retrouvé de l’intérêt pour mon rôle directeur au sein de Don’t forgot to breath, en présence de Loïs, nous sommes devant le lac Daumesnil là où est installée une sonde multiparamétrique. Les bottes enfoncées dans la boue, je tapote sur ma tablette, analysant les dernières relèves du capteur.

L’eau est complètement trouble dans les tons verdâtres et marrons, envahie d’algues sur plusieurs centimètres d’épaisseur. Ce lac fait parti des derniers survivants de la région parisienne, nous devons le protéger et empêcher l’évaporation pour qu’il reste de la flotte. Il en va de la sauvegarde animale et florale.

Derrière moi, Loïs mâchouille son chewing-gum en regardant la masse verte qui flotte à la surface du lac.

— Bon, on est d’accord, qu’il faut un truc rapide et efficace, intervient Loïs.

Je le regarde de travers, vraiment pas confiant pour la suite de ses propositions.

L’organisation mondiale de la santé recommande vingt litres d’eau potable par jour et par habitant. A ce jour, plus de soixante-dix pourcents de la population locale en ont même pas douze. Si, et je dis bien si, l’évaporation reste maintenue par les couvertures flottantes de protections, et que nous arrivons à le décontaminer dans un futur proche, les habitants pourront bénéficier de trois litres supplémentaires par jour. C’est mon objectif.

— Franchement, c’est hyper simple, déclare-t-il en haussant les épaules. On y balance du sulfate de cuivre et dans deux jours, l’eau est limpide.

J’hésite entre lui arracher la tête et le virer définitivement de la société.

Sa proposition est du même niveau que ceux qui rasent une forêt pour y faire un parking.

— Tu plaisantes, là ? l’interrogé-je, sceptique.

— Bah quoi ? C’est radical.

Je lâche un rire nerveux.

— Ouais, aussi radical que balancer de l’acide sur une plante pour qu’elle arrête de pousser.

Loïs soupire.

— Écoute, on a un problème maintenant. Les habitants gueulent, la mairie nous presse, alors faut une solution, et vite

Je pivote brusquement vers lui, des éclairs dans les yeux.

— Tu transformeras pas c’lac en mare toxique ! J’te l’assure !

— Tu dramatises.

— Je dramatise ?! Tu sais c’qui va s’passer ? Les algues vont crever d’un coup, leur décomposition va bouffer tout l’oxygène et provoquer une putain d’anoxie. Résultat ? Un cimetière aquatique. Oh, et devine quoi ? Les algues vont revenir, encore plus fortes, parce que les nutriments relâchés vont leur servir d’engrais.

Loïs croise les bras, provoquant.

— Alors t’as quoi comme solution miracle ? Parce que tes méthodes naturelles, ça prend des plombes.

Je le fusille du regard, les poings crispés, soit ce type est inconscient, soit complètement con.

— On bosse avec la nature, pas contre elle. On introduit des plantes filtrantes, on installe des barrières végétales, on rééquilibre les nutriments avec des bactéries. Ça prend plus de temps, mais au moins c’est durable, j’explique calmement, car après tout, les connaissances sur les écosystèmes sont pas son domaine.

Un silence tendu s’installe. Loïs soupire à nouveau.

— Fais chier. Bon, OK, c’était une idée à la con, concède-t-il alors que j’imagine déjà sa tête détachée de son cou.

Mon portable vibre dans ma poche, c’est Kira. Je lis son message : Êtes-vous libre ce soir ? Un sourire incontrôlable étire mes lèvres, impossible à cacher par le fait de recevoir une invitation de sa part.

Je prends le temps de lui répondre et j’entends les deux autres ricaner, je vais les défoncer.

— Vos gueules ! Putain ! pesté-je contre eux.

Mais ma demande est pas prise au sérieux, ils continuent.

Je les laisse se tordre de rire et je me concentre sur ma conversation avec Kira. Ce soir, elle souhaite que nous dînions chez elle.

Mon cœur s’emballe, trop pressé de la retrouver, je rejoins ma voiture en courant.

— Eh ! Mais t’es sérieux là ?

— Continuez à rire, moi, j’me casse !

Mes bottes rangées au fond d’un sac pour éviter toute salissure de mon véhicule, je démarre et je pars en trombe. Pas le temps non plus de faire un détour par chez moi, Kira m’a trop manqué.

Il est facile maintenant pour moi d’accéder directement à sa porte d’entrée. Trop nombreuses sont les fois ou madame Perrez n’a pas été attentive pour taper le code de sécurité sur l’interphone.

Je cogne à la porte de Kira, elle m’ouvre après quelques secondes. Putain de bordel de merde, qu’elle est belle. Elle porte une petite jupette sombre et un sous-pull blanc moulant, sa poitrine ronde attise mes sens. Ça monte dans mon boxer.

— Bonjour Jules, je ne vous attendais pas si tôt, elle dit avec un léger sourire qui étire ses belles lèvres attirantes et pour me faire constater que j’ai déboulé chez elle en moins de quinze minutes.

Je me gratte l’arrière de la nuque, gêné.

— Vous m'aviez pas précisé l'heure, glissé-je pour essayer de faire passer mon impatience de la retrouver.

— Je vous taquine, entrez.

Je dépose mes godasses derrière sa porte une fois fermée et ma veste sur un patère.

— Mettez-vous à l’aise, je reviens.

Elle sait pas qu’il y a qu’à poil que je me sens vraiment bien. On va éviter…

Elle revient avec deux bières, c’est la première fois que je vais la voir consommer de l’alcool.

— Je suis désolée, je n’y connais rien en bière, mais étant une source sûre, j’ai pensé que ça irait.

Je réagis pas, mais j’aime pas la bière. Elle les dépose sur la table avec deux pintes.

D’un regard porté sur les deux boissons, j’en conclue qu’elle me laisse l’honneur de les ouvrir, aucun décapsuleur en vue, je sors mon briquet et fait sauter les deux capsules.

Deux assiettes garnies de quelques légumes crus : carottes et concombres avec un bol de sauce blanche à côté. Kira doit vraiment avoir un problème avec la crème fraiche, je vois pas d’autres solutions.

Mais, elle mange que ça ? vu sa carrure, c’est fortement possible, mais moi, je m’apprête déjà à crever la dalle.

Assises à mes côtés, nous trinquons nos verres. Je la regarde boire la première gorgée, sa bouche se déforme par le dégout, j’éclate de rire.

Bon, au moins, je suis fixé, ni elle ni moi aimons cette boisson à base de houblon.

Ni elle ni moi aimons cette boisson à base de houblon.

Cependant, elle peut bien avoir le goût de l’amertume, le visage de Kira ajoute la douceur qui lui manque.

— Dites-moi Kira, si ado on vous aurait dit qu’un jour d'la magie tomberait d’vos doigts, qu’elle aurait été votre réaction ?

— Ahah, je pense que je ne l’aurai pas cru, tout simplement.

Son rire résonne encore dans ma tête, il est doux et léger. Sa réponse me convient. Elle enchaîne.

— Avez-vous une idée ou tout cela va nous conduire ?

Alors que je crève d’envie de lui répondre dans un lit, je ravale ma connerie. C’est difficile comme question.

— Pour être honnête, j’en sais rien.

Aucune idée si ma réponse lui convient, mais j’en ai pas d’autre.

Elle cligne doucement des cils, c’est une mimique qu’elle a lorsqu’elle se sent apaisée. Je l’avais déjà remarqué.

— À quel âge avez-vous fait votre première fois ? j'ose demander sans arrière-pensée.

La peur afflue d’un coup dans ses yeux comme si je venais de sortir un couteau. Instinctivement je prends ses mains dans les miennes et je les resserre.

— J'suis désolé Kira, j’voulais pas…

— Vous n’y êtes pour rien Jules, ce n’était pas vous. Il ne fait plus partie de ma vie…

Mon cœur cogne dans ma poitrine. Je pensais pas dire une connerie. Vu son âge, il est tout simplement normal de penser qu’elle a déjà vécu quelques aventures, apparemment, elles ne semblent pas en être de bonnes. Si une multitude de réponses tournent dans ma tête, celles que je voudrais entendre sont celles de Kira. Que lui est-il arrivé ? Par qui !

Alors que j’attends de connaître l’identité de la future victime, le visage effrayé de Kira me fait de la peine et je me reconcentre sur elle. Jamais j'avais ressenti de la tristesse pour les autres, et finalement, pour moi non plus. Une boule dans l’estomac, la gorge serrée et un sentiment de mal-être dans mon corps. J’en conclut que seule cette émotion est susceptible de faire ça.

Un instant plus tard, mes poings se referment sur eux-mêmes, les gouttes de sueur se forment dans mon dos, et je vois le moment où mes mains s’entourent autour de son cou. Je reconnais la colère, cette émotion ou je suis à l’aise, voir son regard implorer la mort d’être sur terre.

Le regard de Kira me transperce, elle me fixe depuis de longues secondes, je me secoue férocement la tête, j’ai pas à être en rage devant elle. Je resserre mon emprise sur ses paumes tremblantes, alors que j’en appelle à la prendre tout entière dans mes bras. Je me rapproche d’elle.

Je sais pas quoi faire ! Comment m’y prendre ! Je me sens terriblement con de l’avoir mis dans cet état sans avoir les ressources nécessaires maintenant pour la rassurer.

D’un coup, elle extrait ses mains des miennes pour passer ses bras autour de ma nuque, sa tête glissant dans mon cou. Si dans les premières secondes je suis stoïque, dans celles d’après, je la resserre contre moi, pensant lui apporter du réconfort.

— Kira, j'vous fait la promesse que plus un seul homme ne s’verra dans la possibilité d’abuser de vous ou de votre corps, je murmure dans son oreille.

Elle se colle d’autant plus, je pense arriver à l’apaiser. Et je remarque, qu’aucun contact a jamais été aussi bon.

Elle resserre ses avant-bras, se pressant contre moi. Jamais un contact n’a été aussi bon.

Mon regard se porte sur la magie qui prend forme autour d’elle, mes poignets finissent également par être concernées, de petites particules argentées brillent.

Je patiente, à la fois troublé par la tristesse et ou la peur de Kira et ce que ces paillettes viennent faire ici et maintenant.

La respiration de Kira est redevenue stable, m’indiquant que notre étreinte se sent menacée de prendre fin. Cependant, elle reste dans mes bras, serre ma nuque comme si elle souhaitait ne plus en être défaite. Jamais plus.

J’ai mal pour elle, mais je peux qu’avouer que l’avoir pendue autour de mon cou, est sûrement l’une des meilleures choses que j’ai vécu de toute ma vie. Son contact est comme une caresse du vent doux qu'on ressent uniquement à la pointe du mont Fuji. Silencieux et reposant.

Je laisse mes mains glisser dans son dos, son haut léger permet que je ressente la chaleur de son corps. Un souffle plus langoureux s'extrait de sa bouche, j'ai l'impression que ça l'apaise d'autant plus, alors, je continue de la caresser en mouvement de rotation et de bas en haut.

Si mes yeux sont capables d'observer ses courbes, mon corps est apte à les sentir, et elles apparaissent encore bien plus parfaites.

Kira est la seule femme que j'ai étreinte dans ma vie, je regrette rien, ma patiente à fini par payer.

Lentement elle dépose sa tête sur ma poitrine, je la resserre dans mes bras. Et, c’est à cet instant précis que je remarque que nos cœurs battent en symbiose, comment c’est possible ?

Le bout de ses doigts qui effleurent ma poitrine me fait frémir, c’est délicieux.

— Jules, je vous remercie d’être là, dans ma vie, vous êtes le seul à qui je me confie, murmure-t-elle.

Je pose un baiser langoureux sur sont front, c’est ma manière de lui dire que j’en suis honoré.

Soudain, mon nez picote. Je regarde Kira, me rassurer si c’est normal ou si elle va finir par réagir. Interloquée, elle part en courant dans la cuisine, je la suis.

Elle ouvre le four et une fumée noire s’en dégage, elle tousse, s’étouffe, sèchement, je la tire vers moi, je veux pas qu’elle respire ça.

Je traverse le nuage de fumée et j’ouvre la fenêtre.

En revenant, j’éclate de rire alors qu’elle me regarde ennuyée.

— On va commander un truc, c’est rien.

— Je n’ai jamais été une bonne cuisinière, à priori, ça n’est pas prêt de changer.

Qu'elle soit douée en cuisine ou non, je m'en tape complètement, pour moi ce sont que des futilités tout ça, et même si je sais me faire un café car j'ai juste à appuyer sur un bouton tactile, personne voudrait goûter si je fais cuir un steak. J'ai jamais essayé d'ailleurs.

La commande est passée, ce sera tacos. Au moins, je suis soulagé par l’idée que j’aurais pas que trois morceaux de carottes à me mettre sous la dent.

Une fois rentré chez moi, les paroles de Ryu me reviennent en mémoire lorsqu’il me parlait de ce conte pour enfants, que l’on entendait régulièrement.

« A l’orée de la forêt sacrée, lorsque le crépuscule menaçait de couvrir le ciel de son voile obscur, de nombreux téméraires avaient organisé les offrandes ainsi que leurs départs en quête du Sanctuaire. Les fidèles se voyaient confier une exploration qui semblait tout droit sortie de rumeurs datant de quelques millénaires. À chaque excursion, aucun d’entre eux ne revenait une fois parti, laissant derrière eux enfants et famille. Plus jamais ils ne réapparaissaient. Pourtant tous les trente-trois ans, il était coutume que les dévots soient formés pour y parvenir. Ils passaient des épreuves de performances physiques telles que les arts martiaux mais aussi psychiques comme la méditation. À croire que ces pauvres gens tombaient dans les griffes d’une légende infondée, mais dont le respect de la croyance qui en découlait était tenace. »

Est-ce que je dois prendre ce conte pour une réalité ? Est-ce que je serais cru par le plus commun des mortels ? Serais-je capable d’accepter de passer pour un illuminé ?

Tant de questions qui se succèdent dans ma tête et qui me feraient chanceler.

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