Chapitre 22 :
Amanda réajusta son gilet noir en dessous de sa blouse de laboratoire. Dans le centre de recherche scientifique, il faisait assez froid. Les malades avaient tout le temps chaud à cause de la maladie, par conséquent, toutes les salles étaient climatisées. Pour le moment, Amanda n’était pas malade, elle n’avait donc pas chaud. La jeune femme se leva de sa chaise de bureau et sortit dans le couloir. Un vieil homme passa devant elle, en crachant ses poumons. La scientifique pressa le pas et descendit rapidement les escaliers avant de tourner vers une porte au fond de la grande salle où une dizaine de malades dans leurs lits étaient reliés à plusieurs machines communes ou individuelles pour les aider à respirer ou à mourir. Elle chercha une petite clé dans sa poche pour pouvoir ouvrir la porte où il y avait écrit ‘‘morgue’’ et l’ouvrit.
Même avec le peu de lumière présente dans cette pièce, elle restait sombre. Elle s’avança jusqu’à une grande table, où une jeune fille restait inerte. Elle n’avait que douze ans, mais sa peau était aussi froide que blanche, ses yeux resteraient à tout jamais fermés, et sa cage thoracique était immobilisée pour toujours. A douze ans, et en l’espace de deux mois, la maladie s’était emparée d’elle très vite. Beaucoup trop vite. Amanda se pinça la lèvre. Comment le roi Fabrice II allait-il réagir lorsqu’il apprendra la mort de sa fille ? Très mal sûrement, la directrice du laboratoire redoutait la réaction du roi depuis avant-hier. La vieille dame n’en avait pas reparlé, et la jeune femme se demandait si c’était inquiétant ou non. De sa main, Amanda toucha la joue glacée de la jeune fille et y chassa de son pouce une ultime larme de douleur. La porte claqua contre le mur et Amanda retira précipitamment sa main du cadavre puis tourna rapidement la tête faisant voltiger ses cheveux. L’infiltrée papillonna des yeux avant d’ouvrir la bouche et de ranger ses mains dans ses poches, assez déstabilisée.
L’homme qui approchait était âgé d’environ quarante ans. Il était très grand, bien habillé, il se tenait bien droit et marchait d’une manière royale et affirmée qui ferait retourner tout le monde sur son passage. Sa lourde couronne posée sur ses cheveux roux en était sûrement pour beaucoup. Sa majestueuse veste était tachée de terre, sûrement à cause des sans-abris qui avaient dû être si fous de rage de le voir débarquer dans la ville qu’ils lui avaient jeté des pierres et de la terre dessus. Pourtant, les gardes qui l’encadraient ne semblaient pas trop atteints. Le roi Fabrice II avait l’expression fermée, comme s’il retenait des émotions profondes tout au fond de lui pour ne pas les laisser prendre l’avantage sur sa raison. Lorsqu’il atteignit le corps de sa fille, il passa légèrement sa main sur son front et lui effleura la joue avant de se pencher pour serrer un peu le corps avant de le laisser sur la table. Amanda resta immobile, à côté. La jeune femme se maudissait d’être venue à cette heure-là, elle ne voulait pas assister à cela. Elle n’allait déjà pas bien, donc voir la tristesse de cet homme qui semblait pourtant si fort et intouchable la touchait encore plus. Elle resta les yeux fixés sur le corps et puis sur le roi. Cela sentait les représailles à plein nez pour la directrice. Le roi releva la tête.
— Comment ? D’autres tiennent plus longtemps.
— La maladie a atteint son cœur. Tout dépend de l’organisme de la personne, certaines personnes sont plus résistantes, d’autres moins. Nous pensons que l’environnement dans lequel il a été en l’attrapant et avant a peut-être un impact considérable sur le développement de la maladie. Certains meurent en un jour, d’autres en un an. On peut prédire en fonction des stades, mais nous ne pouvons pas le faire dès le début… Je suis désolée.
La voix tremblotante d’Amanda se brisa à la fin de sa phrase, et elle baissa les yeux. La jeune femme n’arrivait pas à regarder le roi en face. Cette situation était un vrai supplice pour elle. Le roi rumina un moment et essaya de rejeter sa frustration grandissante. L’homme savait pertinemment que pour le moment, les recherches ne donnaient à rien. Cela commençait déjà à l’agacer, mais le fait que la maladie ait eu raison de sa fille le frustrait encore plus. Il fit tout pour piétiner les différents sentiments difficiles. L’homme était à la tête d’un pays déjà au point mort, il était de son devoir de ne pas laisser tomber tous ses gens qui, même s’ils ne croyaient plus en lui, avaient besoin de lui.
— Emmenez-moi voir la directrice, déclara-t-il sèchement.
Amanda hocha légèrement la tête et sortit de la pièce, suivie par le roi et tous ses gardes. La jeune femme remonta donc l’escalier et échangea des regards inquiets avec les collègues qu’elle rencontrait dans le couloir. La scientifique se concentra sur le bruit de pas coordonnés des gardes qui suivaient le roi où qu’il aille. Elle s’arrêta devant la porte du bureau de la directrice et inspira un bon coup puis toqua à la porte avant de l’ouvrir. Une dame d’une soixantaine d’années, à la peau fripée et aux cheveux blancs crépus lisait des papiers. Elle releva immédiatement la tête lorsque Amanda ouvrit la porte.
— Oui ? Qu’y a-t-il mademoiselle Chasme ? demanda-t-elle.
Amanda avait l’habitude de se faire appeler par son nom de couverture. Depuis qu’elle était appelée comme cela, elle répondait à son vrai nom de famille, mais aussi au faux. C’était devenu une habitude pour elle. L’Opartiskaine se pinça la lèvre avant de déclarer :
— Sa Majesté le roi Fabrice II aimerait s’entretenir avec vous.
Amanda scruta le visage de la directrice et y descella une tension et une peur qui commençait à naître en elle. Elle ne pouvait que la comprendre, le roi pouvait paraître et être très dur et intransigeant. La jeune femme se décala jusqu’à toucher le mur du côté et le roi fit son entrée dans le bureau. Ce fut un garde qui ferma la porte. Le roi s’approcha du bureau alors que la directrice déglutit péniblement.
— Votre Majesté, bredouilla-t-elle difficilement.
La dame commençait à perdre son sang-froid, laissant place à l’angoisse totale. La présence du roi, ne présageait rien de bon pour elle. Tout le monde le savait. Amanda pouvait deviner que ses autres collègues attendaient patiemment derrière la porte pour connaître le verdict le plus rapidement possible. Amanda s’autorisa à s’appuyer contre le mur le temps de l’échange, qu’elle imaginait plutôt court. Le roi resta un moment silencieux puis sélectionna ses mots avec soin. Il devait continuer à soigner le mieux possible son image même si tout le pays était contre lui.
— Vos résultats n’ont augmenté que depuis seulement quelques semaines. Vous n’avez fait aucune découverte concrète depuis plus d’un an ! Un an ! Vous vous rendez compte. Des enfants continuent de mourir, et ma fille est morte il y a deux jours. Pensez-vous vraiment bien faire votre travail ?
Amanda pouvait comprendre l’impatience du roi face au désespoir et au ravage que causait la maladie. Sauf que ce n’était pas si simple, et cela, le roi ne pouvait pas le comprendre. Tout ne se faisait pas en claquant des doigts, et les recherches scientifiques étaient complexes. Amanda en avait déduit plusieurs hypothèses qu’elle ne pouvait pas prouver sans cas réel. Ce qui l’embêtait assez car elle était presque certaine que son hypothèse était la bonne. La directrice lui lança un regard qu’elle ne vit pas car la chercheuse fixait le sol puis se leva en serrant ses mains entre elles. La vieille dame se pinça la lèvre et releva les yeux pour parler d’une voix hésitante :
— Votre Majesté, il est très dur de trouver une quelconque solution pour le moment. Les recherches sont compliquées, mais notre nouvelle interne a des hypothèses qui sont intéressantes et qui pourraient s’avérer exactes si elles étaient vérifiées. Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez demander au docteur Amanda Chasme ici présente qui est notre nouvelle recrue depuis quelques semaines. Elle est brillante.
La jeune femme releva la tête et réprima un soupir. Elle aurait dû se douter que la directrice l’utiliserait comme ultime carte pour convaincre le roi que les choses allaient changer, que les recherches allaient définitivement avancer. Le roi lança un regard noir à la directrice et tourna la tête vers Amanda. Il la dévisagea brièvement de la tête aux pieds puis fixa la vieille scientifique pratiquement à la retraite.
— Jeune femme… Venez en face de moi à la place de Mme. Lowing. Je souhaiterais que vous m’exposiez vos hypothèses, je vous prie.
La dame recula d’un pas et partit à la place d’Amanda pendant que celle-ci marchait doucement en face du bureau et donc du roi. Avant même de rejoindre l’association, Amanda avait déjà fait des présentations scientifiques, mais en Opartisk, il n’y avait pas de roi impressionnant, et les conseillers n’étaient nullement impliqués dans la science avant l’apparition de la maladie. La jeune femme releva la tête et secoua la tête avant de s’éclaircir la gorge. Elle ferait comme à son habitude : une présentation professionnelle la plus impeccable possible.
— On a pu constater deux caractéristiques communes chez les patients : leur tranche d’âge et le lieu où ils habitaient. Cependant, je pense que le premier critère influence mais ne sera bientôt plus un critère en lui-même. Je m’explique : mon hypothèse, est que n’importe qui, et je dis bien n’importe qui, pourrait être atteint de cette maladie. Il y a quelque chose dans l’air qui entraîne cette maladie, je ne sais pas quoi. Mais les enfants ont un système immunitaire plus fragile, donc, ils sont plus sujets à en être victime. Je crois, aussi, que le quotient intellectuel influence le développement de la maladie. Mais, je n’en suis pas absolument certaine.
— Vous voulez donc dire, que tout le monde peut attraper cette maladie mortelle, mais que c’est juste une question de temps ? s’enquit Fabrice II.
— Oui, en gros, c’est cela. Mais j’espère me tromper car dans ce cas-là, l’humanité toute entière est donc en danger. Ne faites pas cette tête, ce n’est juste qu’une hypothèse, rien n’est encore confirmé !
Le roi Fabrice II resta interdit, immobile telle une statue. Il semblait être sous le choc, comme s’il venait de réaliser que quelque chose de très grave était en train de se passer. Le voyant pâlir, Amanda lui apporta une chaise et il se laissa tomber dessus, comme si le fait de devoir garder son image n’avait plus aucune importance à ses yeux. Mme. Lowing ne décrochait pas un mot, et elle sortit pour parler aux autres chercheurs, qui attendaient devant la porte du bureau. Ils avaient hâte que la directrice leur rapporte l’échange avec le chef de la Thuath. Amanda sortit pour remplir deux tasses de café et en donna une au roi avant de refermer le bureau. Après quelques gorgées, il se ressaisit et Amanda s’assit à la place de la directrice et trempa ses lèvres dans le liquide chaud et amer qui était devenu presque comme une drogue pour tenir pendant les journées au centre de recherche.
— Cela ne doit pas être très plaisant de travailler ici, commença-t-il d’une voix rauque.
— Il est vrai, que de retrouver des cadavres chaque matin, et de ne pas trouver un remède, ni exactement les causes est assez bouleversant. L’ambiance est pesante en plus, chacun travaille de son côté, on ne parle pas trop. Mais j’espère qu’un jour on trouvera les raisons et une solution pour soigner tous ses malades sans oublier tous les morts qui y ont succombé.
— Les premiers symptômes de la maladie. Ce sont les maux de tête et les trous de mémoire, n’est-ce pas ?
— Oui, exactement. Mais cela dépend des personnes.
— J’aimerais pouvoir vous dire le contraire… Mais votre hypothèse est juste. J’ai, récemment remarqué que ma femme oubliait systématiquement des choses tous les jours, que parfois, elle ne savait plus ce qu’elle avait fait à la minute d’avant. Elle a mal à la tête tous les jours et elle est prise de tremblement.
— Les tremblements, c’est le passage au stade deux de la maladie le plus souvent.
Amanda ferma les yeux pour réfléchir plus facilement. Son hypothèse était donc confirmée, tout le monde pouvait tomber malade. Son autre hypothèse par rapport au surdoué était que la maladie mettait plus de temps à les atteindre car leur QI était plus élevé. En quoi le quotient intellectuel influençait-il ? Elle ne savait pas pourquoi, mais elle était certaine que cela influençait sur énormément de choses. C’était prouvé, les surdoués n’étaient pas encore touchés par la maladie, sauf que cela ne voulait pas dire qu’ils ne pouvaient pas l’être. Et Amanda ne voulait pas mettre Lilian et Sandra en danger. La jeune scientifique devait absolument en parler à Mme. Keys et faire rapatrier les deux surdoués ainsi que Margot et Alex en Opartisk. La jeune femme devait aussi découvrir pourquoi certains clans en étaient plus touchés que d’autres. Et pour le moment, elle n’avait aucune supposition dessus. Le roi se leva et Amanda le regard partir.
— Ma femme viendra, je veux qu’elle soit prise en charge ici.
La jeune femme hocha la tête, et l’homme partit. La directrice vint la serrer dans ses bras puis Amanda décida de partir pour pouvoir parler à Mme. Keys. Elle sentit le regard pesant des sans-abris en traversant la rue elle n’y prêta pas plus attention que cela. Elle commençait à en avoir l’habitude. Dès qu’elle arriva dans l’enceinte du quartier général, elle sortit la tablette et appela la cheffe de l’association qui décrocha immédiatement. Amanda, qui marchait en même temps, cherchant un endroit isolé pour ne pas être dérangée lui imposa comme correspondant, le plafond.
— Il y a un problème Amanda ?
— La maladie… Tout le monde peut l’attraper. Je crois que c’est quelque chose qui est dans l’air mais je ne sais pas vraiment quoi. La reine est malade.
— Bien… Vous avez fait du bon boulot Amanda. Vous reviendrez très prochaine en Opartisk avec Lilian, Sandra, Margot et Alex. Je vous laisse le soin de les prévenir. Je ne doute pas de leur joie immense.
— Qu’allons-nous faire en Opartisk ? se renseigna l’agent.
— Vous reposer jusqu’à ce que vous soyez bien remise. Puis, j’ai réussi à entrer en contact avec un garde des prisons de Maryline et Marin. Par je ne sais quel moyen, Kendra a réussi à s’échapper. Malheureusement, on ne sait pas où elle s’est volatilisée. C’est un point à éclaircir aussi, il faut la retrouver.
— Bien, c’est chouette. Je suis certaine qu’elle est en sécurité, j’en ai aucun doute. Et, quand pourrai-je parler à Iris ?
— Dès qu’elle sera arrivée au quartier général en Dheas. Je vous le promets.
— Bien.
Amanda coupa la communication et s’allongea sur le canapé puis ferma les yeux. La jeune femme était très heureuse de mettre un terme à cette mission qui lui avait ruiné le moral. Néanmoins, même si elle n’allait pas regretter la Thuath, quelque chose lui brisait le cœur. Amanda Klimb n’était pas une Thuathienne, c’était une Opartiskaine fille de parents Opartiskains et sœur d’un grand militaire. Laisser tous ses enfants en proie à la maladie, sur le point de mourir, et un pays dans un état abominable avec un roi en plein deuil qui espérait qu’elle puisse sauver sa femme la bouleversait. Amanda était une humaine, et imaginer à quel point la Thuath pouvait finir décimée la désemparait totalement. Mais elle ne voulait pas rester ici, ce milieu trop pesant commençait à la détruire. Le roi lui avait fait tellement de peine. Amanda ne pouvait plus supporter. Le pays du nord allait-il vraiment finir dépeuplé ? Cela faisait froid dans le dos d’imaginer cela, mais c’était bien parti pour. En plus de cela, la guerre n’allait sûrement pas arranger les choses. Amanda soupira et se redressa pour partir à la recherche des quatre adolescents.
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