Histoire du loup qui ne savait pas aimer ses enfants de façon appropriée.

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Il était une fois un loup qui n'avait jamais reçu d'amour de ses parents. Il était né pendant la guerre, n'avait donc eu que peu d'occasions de croiser son père, et à cette période toute l'attention de sa mère était occupée à la survie. Alors il était devenu un grand méchant loup, c'est comme ça chez les loups quand on manque d'amour parental. Un loup qui détruit, qui dévore tout ce qui lui passe par la main, y compris les autres loups, y compris ses propres enfants.

Il faut savoir que chaque enfant loup naît avec une petite lumière d'amour à l'intérieur de son cœur. Cette lumière grandit à chaque fois qu'il donne de l'amour. Il paraît même que parfois, quand un loup a beaucoup donné d'amour, cette lumière intérieure brille tellement fort qu'elle forme un halo de joie tout autour de la personne. Mais quand un loup est maltraité, quand il a peur, quand il souffre, la petite lumière décroit.

Or chez ce grand méchant loup la lumière avait toujours été faible et vacillante, car il souffrait depuis son enfance d'un profond manque d'amour. Hélas, pour combler ce manque, au lieu de donner de l'amour aux autres loups il cherchait à dévorer leur lumière... il n'avait jamais appris que l'amour ne peut croître qu'en étant partagé.

Comme il était beau, jeune, imposant, dominant, il n'eut pas de mal à trouver une jeune louve peu farouche et qui avait tellement envie de quitter la tanière familiale qu'elle ne s'était pas méfiée de ce loup trop beau pour être honnête. Comme elle était un peu coquine, elle lui enseigna rapidement tout ce qu'elle savait de l'amour charnel qui convient aux échanges amoureux entre loups adultes. Lui qui manquait tellement d'amour ne put bientôt plus se passer de cette forme là d'amour, et n'en avait jamais assez. Il devint dur et encore plus dominant, elle prit peur et devint plus soumise, et sa petite lumière intérieure commença à diminuer au fur et à mesure qu'il s'en repaissait, sans que lui ne soit jamais repu.

La vie suivit son cours. Ils dénichèrent et arrangèrent à leur goût une petite tanière à l'écart des autres loups, car le grand méchant loup n'aimait pas ses semblables. Ils eurent bientôt 3 enfants, d'abord une louvette qu'ils nommèrent petite louvette, puis un louveteau qu'ils nommèrent petit loup, et enfin, quelques années plus tard, un dernier petit louveteau baptisé tout simplement loulou.

Comme je l'expliquais précédemment, le grand méchant loup était très méchant, et faisait régner sa loi par la terreur dans son foyer. Il n'admettait aucune contradiction : interdiction de penser autrement, interdiction d'avoir des amis, interdiction de parler aux autres loups, interdiction d'inviter d'autres personnes dans la tanière, interdiction d'aller voir ailleurs. Cette terreur dévorait sa louve et ses enfants de l'intérieur, et leur petite lumière déclinait, sans que lui ne soit jamais repu.

Ce grand méchant loup, rappelons-le, n'avait jamais connu l'amour de ses parents. Il ne savait pas comment un papa loup peut échanger de l'amour avec ses enfants. La seule chose qu'il connaissait en la matière, c'était l'amour charnel par lequel deux loups adultes peuvent échanger de l'amour. Comme il n'avait jamais assez de cet amour là, il se mit à tout confondre, et commença à imposer à petite louvette, puis à petit loup, l'amour réservé aux échanges entre deux loups adultes, ce qui est formellement interdit chez les loups comme chez les humains.

Les enfants étaient terrorisés. Ils sentaient bien que cette façon de faire n'était pas acceptable, et leur faisait du mal, mais ils ne pouvaient rien dire car leur père était le maître incontesté de la tanière, et il les avait menacés de mort si ils osaient se plaindre. Tout cela, on l'imagine bien, les détruisait encore plus de l'intérieur.

Au début, leur mère ne comprenait pas pourquoi ses enfants étaient devenus si tristes. Elle s'inquiéta d'autant plus qu'ils étaient sa seule raison de vivre, et qu'elle même s'étiolait déjà de voir sa lumière intérieure dévorée. Une terreur plus dense que d'habitude, lourde de secrets, planait dans la tanière. Et puis un jour elle comprit. Elle fût terrifiée, elle ne savait que faire. Elle aurait dû bien sûr partir avec ses enfants, prévenir la meute, se protéger de son grand méchant loup de mari, mais il n'y avait déjà plus assez de lumière en elle pour trouver le courage nécessaire. Elle rassembla néanmoins le peu de courage qui lui restait afin de protéger son petit dernier, loulou, qui n'avait pas encore été abusé par son père. Elle prit l'habitude de le cacher tout au fond de la tanière lorsque le grand méchant loup revenait de la chasse. Et, tous les soirs, elle pleurait secrètement au fond de son cœur.

Et le temps passa.

Un jour, petit loup fût appelé pour le service militaire des loups, comme tous les jeunes loups de son âge, et son père ne put plus le retenir dans la tanière. Ce fût sa plus grande chance. Il rencontra enfin d'autres personnes, découvrit le vaste monde, tomba amoureux de plusieurs autres louves et loups, et réussit enfin à briser ses chaînes. Il se plut tellement à donner de l'amour à toutes et à tous que bientôt il eut de nouveau une belle lumière d'amour au fond de son cœur. Pour autant ses blessures ne guérirent jamais tout à fait, ses nuits continuèrent à être peuplées de cauchemars, et il eut tellement peur de ressembler un jour à son père qu'il fit en sorte de ne jamais avoir d'enfants.

Loulou, lui, rappelons-le, avait été protégé et caché par sa mère. Il avait moins souffert de la violence de son père, et avait pu bénéficier plus directement de l'amour maternel. Cela lui donna la force de quitter lui aussi la tanière, et lui permit de sortir presque indemne de cette histoire. Il rencontra une louve sympathique, construisit une belle tanière et eut un petit louveteau et une petite louvette qu'il sut aimer de façon appropriée. Dans cette petite famille, la lumière d'amour qui réside au fond du cœur était bien nourrie !

Pour petite louvette, ce fût plus compliqué. Elle s'était tellement fait dévorer de l'intérieur qu'elle n'avait pas trouvé assez de force pour s'échapper de cette influence destructrice. Alors quand il ne lui resta plus qu'une microscopique parcelle de lumière intérieure, c'est son esprit qui s'est enfui avec, qui s'est caché au plus profond de son être, en laissant son corps dans l'obscurité, esclave de son grand méchant loup de père. Bien sûr ainsi il fût facile à son père de la déclarer folle, et de se dédouaner de tout le mal commis.

Sa mère resta avec elle dans cette tanière envahie d'obscurité et pesante de secrets. C'était sa façon d'essayer de la protéger malgré tout, et peut être aussi de se punir de n'avoir pas eu le courage de fuir avec ses enfants quand c'était encore possible. Son esprit aussi finit par s'enfuir dans un monde imaginaire pour sauvegarder le peu de lumière qui lui restait.

Voilà où en est l'histoire aujourd'hui. Elle n'est pas très joyeuse, mais pas tout à fait finie non plus, aussi reste-t-il peut-être encore un peu d'espoir. Peut-être qu'un jour, quand le grand méchant loup mourra, l'esprit de la mère et l'esprit de la fille reviendront-ils habiter leurs corps. Peut-être toute la famille pourra-t-elle se retrouver, briser le silence, et se pardonner. Peut-être leur sera-t-il alors possible de se donner de l'amour en toute sérénité et de faire à nouveau croître leur lumière intérieure.

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