Vénus et Mars
Les semaines qui suivirent s'écoulèrent comme dans un rêve éveillé. Au grand désespoir de Rose, la stratégie de Scorpius ne fonctionna qu'à moitié : il fut bien désigné Roméo, mais Albus, lui, n'obtint que la deuxième place pour le rôle de Juliette. Treize voix derrière Lily.
Cependant, Albus leur réservait encore quelques tours dans son sac. A la surprise générale, il déclara qu'en additionnant toutes les voix reçues pour tous les rôles, Scorpius et lui arrivaient en tête, loin devant Lily. Cette dernière, en effet, ne candidatait que pour le rôle de Juliette, alors que Scorpius et Albus figuraient tous deux dans le top trois pour presque tous les rôles principaux.
Avec un tel raisonnement, Scorpius conserva sa place de premier pour le rôle de Roméo, et Albus, lui, s'attribua Juliette... sous les regards émoustillés de toute la gent féminine.
Rose en fut amusée, soulagée, mais surtout, infiniment reconnaissante. Elle savait qu'elle ne devait sa tranquillité d'esprit qu'à l'intelligence d'Albus. Et que son cousin s'était placé dans cette position uniquement pour leur rendre service. Lily était devenue verte à l'annonce des résultats, et rien que pour cela, Albus pourrait les faire tourner en bourrique aussi longtemps qu'il le voudrait.
Scorpius aussi avait exprimé sa gratitude, implicitement, même s'il n'avait pu retenir quelques piques à l'égard de son futur promis. Les répétitions avaient commencé dès le lendemain. Rose était venue y assister, encore grisée par son bonheur naissant, savourant sa légèreté, et, comme tous les autres, elle avait éclaté de rire lorsqu'un Albus Potter rouge tomate avait dû répondre aux déclarations enflammées de Scorpius. Albus s'était prêté au jeu de mauvaise grâce, et avait passé tout son temps libre lors des pauses à râler et fulminer, insultant tous ceux qui passaient à sa portée. Mais dans le fond, tout le monde savait qu'il prenait un certain plaisir à cette entreprise, mine de rien. C'était Albus, après tout, et il adorait se mettre en scène. Le rôle de Juliette était taillé pour une diva telle que lui.
Pour lui faciliter la tâche (et les costumes), on transforma néanmoins « Juliette » en « Julio ». Un surnom qu'Albus se verrait attribuer encore longtemps après les vacances de Pâques, et dont il ne pourrait jamais vraiment se défaire.
Un soir, néanmoins, en arrivant un peu en avance pour la répétition, Rose l'avait surpris seul sur scène avec Emily. La jeune fille brune lui avait récité les vers de Juliette, et alors, l'espace de quelques minutes, Albus avait pu être Roméo, rien que pour elle. Rose les avait laissés tranquilles. En fait, elle avait retenu les autres comédiens lorsqu'ils étaient arrivés. Au final, il n'y avait pas eu de répétition, ce soir-là. Sauf pour Albus.
La veille des vacances de Pâques, Rose enfila le costume de Lady Capulet, le rôle dont elle avait finalement écopé. Il y avait une sorte d'ironie délicieuse à jouer la mère d'Albus lors de la pièce. Cachée dans les coulisses, elle contempla une nouvelle fois avec tendresse Scorpius et son cousin se jurer amour éternel, sous les gloussements généralisés de la salle. Ils eurent même droit à quelques baisers échangés, et lorsqu'arriva la scène de fin, personne ne les prenait plus suffisamment au sérieux pour se sentir véritablement attristé. « Roméo et Julio » s'était transformé en une vaste comédie, et quelque part, Rose se disait que c'était exactement ce qu'Albus avait recherché.
La fête qui suivit fut gargantuesque, à l'image du Préfet en chef. Minerva McGonagall vint féliciter les amants maudits, puis força Albus à ouvrir le bal avec elle lors d'une valse. Rose elle demeura en retrait, satisfaite de retrouver Scorpius auprès d'elle. Tous deux souriaient, aux anges. Tous deux n'avaient pas besoin de parler. Comme ils l'avaient convenu, personne à Poudlard n'était au courant de leur relation, à l'exception d'Albus, Emily et Hugo. Cependant, au fil des semaines qui avaient précédé la fête, les habitants de Poudlard s'étaient peu à peu habitués à voir Albus, Emily, Scorpius et Rose traîner ensemble, se retrouver à la bibliothèque, pour les repas, toujours accompagnés de membres plus ou moins fixes de leur entourage, mais toujours ensemble, néanmoins. Cela avait suscité la curiosité, mais au final – et grâce à la nonchalance d'Albus – ils s'étaient fondus dans le paysage. Rose et Scorpius ne se mettaient jamais l'un à côté de l'autre. Ils ne se montraient jamais ensemble sans la présence d'un tiers. Ils ne manifestaient aucun signe d'attachement particulier l'un pour l'autre, en dehors d'une camaraderie distante. Au final, la communauté sorcière de Poudlard décréta que les demi-frère et sœur d'alliance avaient conclu une trêve, et apprenaient à s'entendre. Cela généra un courant d'optimisme plutôt que des rumeurs malvenues. Comme si les derniers vestiges de la guerre Potter / Malefoy – et avec eux, les derniers vestiges de Voldemort – disparaissaient enfin.
En secret, Rose et Scorpius vivaient au rythme d'un bonheur délicieux. Poudlard ne leur offrait que peu d'intimité, d'autant plus qu'ils n'étaient pas dans la même maison et ne partageaient donc pas la même salle commune. Mais ils trouvaient toujours un moyen. La Tour d'astronomie était leur rendez-vous de prédilection. Sinon, la Salle sur Demande, le parc, ou un obscur rayon de la bibliothèque lorsqu'il n'y avait personne. Dans ces rares moments où ils pouvaient se retrouver seuls, ils se contemplaient parfois sans rien dire, absorbés par l'infinité de l'autre. Ils s'embrassaient, pour toutes ces fois où ils n'avaient pas pu le faire. Ils découvraient du bout des doigts le corps de l'autre, encore arrêtés par la frontière de l'uniforme, promesses et désirs mêlés.
Rose sentait son amour et son bonheur grandir à tel point qu'elle avait la sensation de découvrir d'autres dimensions en elle. De vastes contrées dont elle se croyait dépourvue. Une propension à aimer, à s'épanouir, à vivre, plus loin que les limites qu'elle avait cru cerner. Elle se transformait. S'améliorait.
En face d'elle, Scorpius était une réinvention de tous les instants, un univers en constante expansion. Plus que jamais, il continuait de la surprendre, de l'interroger, de l'enivrer. Au fil de l'année, Rose avait expérimenté ce que peut-être la fascination envers un jeune homme qu'elle ne connaissait pas vraiment, mais à présent, elle découvrait autre chose. La proximité que l'on peut ressentir envers une personne. La complicité. La sensation qu'il n'existe qu'une seule fréquence pour son âme en ce monde, et qu'il est le seul à la partager. Scorpius se livrait à elle, se découvrait sous une myriade de facettes différentes : plus intimes, plus familières, quotidiennes, tout simplement, et Rose aimait tout ce qu'elle découvrait. Chaque pas en avant était un cadeau. Un don précieux qu'elle voulait chérir, mais qui en appelait toujours plus. Jamais elle n'aurait cru que l'amour puisse être à ce point asservissant. Elle était une planète avide de son étoile, une assoiffée dans le désert, toujours en quête de sa source. Scorpius apportait au monde une profondeur et des couleurs qu'elle n'avait jamais devinées. Quelque part, c'en était terrifiant. A quel point elle se sentait emportée... A quel point il la perdait... Elle ne serait plus rien sans lui. Une aveugle. Autrefois, elle avait toujours été convaincue de se suffire à elle-même, de toujours être capable de s'en sortir, de pouvoir tenir seule sur ses jambes, mais... A présent, elle ne pouvait plus. Il l'avait rendue dépendante.
Etait-ce une faiblesse, ou une force ? Tant qu'ils seraient ensemble, ce serait sa plus grande force.
Lorsque les vacances de Pâques arrivèrent, Scorpius et Rose se séparèrent pour une petite semaine, chacun partant chez leur parent respectif. Rose retrouva son père, qui était sorti de l'hôpital quelques semaines plus tôt. Leur ancienne maison s'était bien vendue, et depuis, Ron avait racheté un petit cottage dans la campagne londonienne, non loin de chez les Potter. Le cadre était idyllique, mais le cottage une véritable ruine. Tant mieux, c'était exactement ce qu'il fallait à Ron. Comme promis, ses parents et ses frères étaient venus l'aider. Harry également : il était même venu loger sur place, après avoir pris un congé prolongé. Ginny rendait de temps à autre visite au chantier en distribuant des boissons fraîches.
Durant la semaine qu'elle passa là-bas, Rose fut ravie de mettre la main à la pâte. Elle nettoya les sols, arracha le papier-peint, peignit les murs, récolta une bonne douzaine d'échardes, et se cogna si souvent qu'elle finit par ne plus compter ses bleus. Le tout dans une ambiance bonne enfant. Pour la première fois depuis des années, la famille Weasley semblait s'être resserrée, enfin. Avoir retrouvé cette union, ce ciment, ces liens qui s'étaient peu à peu désagrégés après la guerre. Tous réunis par un projet commun... Redonner vie à cette maison, c'était un peu comme réparer leur famille. Et tous en avaient conscience.
Emerveillée, Rose avait eu l'impression de voir son père s'ouvrir à la vie à nouveau. Lui qui avait vécu si seul pendant toutes ces années, il redécouvrait enfin la sensation d'avoir des proches sur lesquels compter, des amis, des raisons d'attendre le lendemain, et de rire. Personne ne le considérait plus comme le poids mort ou le mouton noir de la famille. Il s'intégrait. Il avait retrouvé sa place.
Au terme de ce séjour malgré tout trop bref, Ron étreignit sa fille dans ses bras redevenus forts, et il lui murmura seulement à l'oreille :
- Merci, ma chérie... Merci.
Rose lui rendit son étreinte. Elle avait du mal à croire à une résolution si parfaite, si absolue, sur tous les plans de son existence. Sa seule tâche noire à l'horizon restait son secret vis-à-vis de Scorpius. Mais chaque chose en son temps.
Pour la deuxième semaine des vacances, Rose transplana avec anticipation dans le salon de la demeure Malefoy. Sa mère et Drago étaient déjà là. Alice se jeta dans ses bras, et Rose l'embrassa avec plaisir. Enfin, à peine cinq minutes plus tard, arriva Scorpius.
La situation était étrange. Tous restèrent silencieux, tandis que Scorpius et Rose se dévisageaient, incapables de réagir. Ils n'avaient plus besoin de se cacher, ici. Personne ne les jugerait, personne n'éventerait leur secret. Et pourtant... Ils étaient devant leurs parents.
Drago et Hermione les observaient, un petit sourire aux lèvres, guère décidés à les sortir de leur gêne. C'était la première fois qu'ils se trouvaient confrontés tous les quatre, depuis la déclaration fracassante de Rose à Malefoy. La jeune fille se doutait bien qu'il avait dû s'en ouvrir à sa mère. L'idée ne l'avait jamais gênée, jusqu'à ce qu'elle se retrouve enfermée dans cette pièce aujourd'hui avec eux. Elle mourait d'envie d'attraper Scorpius et de s'enfuir en courant. Mais, d'un autre côté, elle devait avouer qu'elle aussi appréciait la situation.
Au final, Hugo arriva par la poudre de Cheminette, et sauva l'instant : il sonna l'heure du déjeuner.
Le repas qui suivit fut pour ainsi dire mémorable. Jamais un déjeuner chez les Malefoy n'avait semblé si convivial. Rose s'autorisa un semblant de discussion avec son beau-père, tandis que Scorpius écoutait le récit palpitant des vacances d'Alice. Hermione ne savait plus où donner de la tête tant tout lui prêtait à sourire, et, au milieu de toute cette euphorie, Rose ne voyait que les regards de Scorpius, les sourires qu'il ne destinait qu'à elle seule, et que leurs deux parents interceptaient.
Dès qu'ils furent libres, Rose n'y tint plus et l'entraîna dans le parc.
C'était une journée longue et ensoleillée. Le printemps bourgeonnait. Il faisait chaud, et le kiosque se noyait sous les fleurs. A l'abri des regards, Scorpius et Rose savourèrent enfin un semblant de tranquillité, d'intimité, de passion. Tous deux s'amusèrent du comportement de leurs parents. Tous deux se réjouirent de la félicité de leur famille. Ils ne restaient plus qu'à prier que cela dure pour toujours.
Le soir venu, sous l'inspiration de Scorpius, ils exhumèrent son vieux télescope du grenier puis montèrent sur le toit de la demeure victorienne, ouvert sur l'infini. Là, de sa main assurée, Scorpius effectua les réglages et montra tour à tour à Rose ses planètes préférées : Mars, Vénus, Saturne, la Voie Lactée, et une pléiade de constellations dont il semblait toutes connaitre le nom. Lorsqu'ils en eurent assez, ils étendirent une couverture sur le sol et restèrent là à regarder les étoiles, portés par les réflexions qu'elles leur inspiraient. Scorpius raconta distraitement les mythes d'Orion et de Cassiopée. Jamais Rose ne s'était sentie aussi proche de quelqu'un. Se redressant sur un coude, et ignorant d'où lui venait cette inspiration soudaine, elle demanda :
- Promets-moi que tu m'emmèneras sur Mars, un jour.
Surpris, Scorpius effleura sa joue :
- Oui, bien sûr...
Rose sourit. Alors, elle l'embrassa, laissant Scorpius refermer ses bras sur elle. Ils mirent longtemps à réaliser qu'ils étaient seuls, et libres de faire absolument tout ce qu'ils voulaient. Se concertant du regard, ils ne lurent qu'une absolue confiance l'un en l'autre, un respect et un amour sans limite, et ils s'embrassèrent alors sans contrainte. Scorpius caressa le visage de Rose, son cou, la naissance de ses seins. Leurs mains s'entrelacèrent, se quittèrent, se déshabillèrent. Il faisait frais, en cette nuit d'avril, mais Rose ne voyait que Scorpius, sa peau très pâle sous le ciel lunaire, et la douceur infinie qu'il plaçait dans chacun de ses gestes, sa prévenance mêlée d'impatience, tendresse et désirs intriqués.
Contrairement à ce qu'elle aurait cru, Rose ne ressentit aucune gêne, aucune pudeur. Scorpius avait déjà vu au fond d'elle de tant de façons qu'être nue n'en était qu'un accomplissement. Son propre corps lui était indifférent, en fait, puisqu'elle ne détaillait que lui : ses membres fins et déliés, son torse blond, et le contact quasi électrique que lui procurait sa peau sur la sienne.
Plus que jamais cette nuit-là, Scorpius lui parut intense et profond. Il vivait l'instant avec une déférence proche du sacré. Son regard et ses gestes trahissaient une tempête intérieure : un déchainement de fougue qui se disputait à une douceur très pure. Il embrassa chaque parcelle de sa peau, comme pour en apprendre le relief. Rose se perdit dans son odeur. Il souligna chaque ligne de son corps du bout des doigts, la célébrant comme une œuvre d'art.
Au final, lorsqu'il unit son corps au sien, Rose tremblait en elle-même. Sa douleur première disparut dans l'univers sans fond des yeux verts de Scorpius. A cet instant, vraiment, ils ne faisaient plus qu'un. Leurs deux corps brûlaient à la lueur d'une même flamme. Tout comme leurs cœurs, et leurs âmes. Ils s'aimèrent sous les étoiles, à la pointe d'un amour sous sa plus formidable expression, un accord parfait, un équilibre suspendu.
Lorsque la réalité toute entière disparut pour ne plus laisser place qu'à un plaisir dévorant, Rose ouvrit les yeux sur le ciel, et alors, elle ne vit que l'infini, l'infini, l'infini...
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