Quand ça veut pas...

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Je ne l’espérais plus… Six mois que je bavais littéralement devant elle au boulot. Je renversais mon café quand elle passait devant moi (généralement sur le clavier de mon ordinateur, ce qui fait que je les achetais par paquets de 10…). Je devenais aussi écarlate (non, pas que l’eau… elle est incolore l’eau écarlate, quel nom bizarre d’ailleurs, mais bon, je m’éloigne du sujet) qu’une pivoine. Je n’arrivais plus à bafouiller que :

  • Gpftjrsdrs.

Voire même parfois, dans les bons jours :

  • Pflmtgnftrdsqft.

Mais pas souvent…

Vous l’avez compris, cette jeune personne me troublait au plus haut point. On peut même admettre qu’elle me faisait perdre tous mes moyens (qui n’étaient déjà pas fameux à l’origine, juste moyens). Bref, j’étais amoureux, amoureux fou, fou amoureux. Je m’endormais en pensant à elle, je dormais en rêvant d’elle et je me réveillais (non pas en pensant à elle mais la « tête dans le cul » tellement j’avais mal dormi). Ma vie était un enfer merveilleux dans lequel je me roulais avec délices et douleurs.

Et puis, un beau jour (Ou étais-ce une nuit ? Près d’un lac… non, ça c’est une chanson de Barbara et je ne travaille pas la nuit, encore moins près d’un lac, mais dans un bureau donc c’est pas possible) elle a semblé me voir, découvrir mon trouble et qui sait, peut-être a-t-elle été touchée par mon amour ? Elle s’est tournée vers moi (déjà la voir passer je perdais tous mes moyens, là ils étaient devenus négatifs... je ne sais pas ce que ça peut vouloir dire ni comment cela peut se représenter mais ça me semble bien décrire mon état du moment) et m’a dit :

  • Tiens, Machin, faudrait qu’on aille boire un café ensemble, un de ces jours ?

Je me suis empressé de lui répondre avec enthousiasme :

  • Pflllthgffbrdp (qui voulait dire, bien sûr, où vous voulez, quand vous voulez, mais elle n’a pas semblé comprendre exactement ça…)
  • Ah bon ? Dommage... (mais qu’avait-elle pu donc comprendre de mon bredouillis) dit-elle en se retournant et en s’éloignant de moi
  • Non, non, enfin oui, bien sûr que non, que oui, évidemment enfin quand même oui, où, quand, comment, qui (ça non, qui : c’est elle et moi, mais quel sinistre crétin je faisais) ?

Tout était sorti d’un seul coup. Elle s’est retournée à nouveau (donc, si vous avez bien suivi, elle était de nouveau face à moi, ce qui me fit à nouveau perdre tous mes moyens)

  • Demain, 13h30 devant la machine à café au bout du couloir ?
  • Oui, bien sûr, yes, Jah, Jawol, Da, okay, spaciba, danke shön, thank you… (Voilà, là au moins c’était clair, j’étais d’accord)

C’était le plus beau jour de ma vie : elle m’avait invité à boire un café ! Mon cœur battait la chamade, la bave coulait de ma bouche, mes yeux faisaient des huit dans leurs orbites (j’arrête là, ça va finir par vous donner la gerbe). J’étais H E U R E U X ! Voilà, tout simplement. J’étais le plus heureux des hommes. ELLE m’avait invité à boire un café, Yipeeeeeeeeee !

La fin de la journée m’a semblé interminable (minable sur tout, pas inter, je me suis fait chier comme un rat mort et pourtant, pour une fois, je n’avais pas flingué un énième clavier en renversant mon café dessus). Je suis rentré chez moi sur un petit nuage. (Non, je n’habite pas sur un nuage, et ce n’est pas non plus mon moyen de locomotion, vous délirez, là ? faut vous faire soigner les gars… C’est une expression, vous voyez ? Comme quand on dit qu’il pleut comme une vache qui pisse, ce n’est pas de la pisse de vache qui tombe sur vos parapluies... C’est bon, vous tenez le concept ?).

Et le soir, j’ai encore rêvé d’elle (les draps s’en souviennent…. Oups, désolé Il était une fois…) et le lendemain, on y était, j’allais enfin boire un café avec ELLE ! Si, si, moi, Machin truc, insignifiant petit employé de bureau, j’allais boire un café, en tête à tête avec ELLE ! WAOWAOWAOW. Mon cœur battait comme un fou. Pourvu que j’arrive à aligner deux mots, allez, trois, au moins lui demander « comment allez-vous ? », trois mots, je ne demandais pas grand-chose…

La matinée ? Sans fin... Même pas faim à midi tellement mon estomac était noué à l’idée de cette intimité cafetière entre nous dans une heure et demie. Mes mains tremblaient, mon cœur pulsait dans mes tempes, mes jambes flageolaient, mes yeux se troublaient, mes dents s’entrechoquaient, j’étais amoureux.

Et enfin, l’heure H, la minute M et la seconde S sont arrivées. À 13h30 pétantes, j’arrivai devant la machine à café du fond du couloir. J’aurais osé, je serais venu avec un bouquet de fleurs pour ELLE, mais ma timidité m’avait fait renoncer (j’aurais été capable de les manger de nervosité).

Et là… PATATRAS. Elle était là mais… pas seule. Elle était entourée de toute une cour de bellâtres en costumes trois pièces qui la dragouillaient lourdement. Et elle semblait aimer ça. Elle roucoulait, elle minaudait, elle roulait des hanches et des yeux au milieu de ce poulailler de coqs en rut. Au bout de quelques minutes durant lesquelles je restai pétrifié d’effroi et de désillusions, elle m’aperçut :

  • Eh Machin, viens avec nous. Les gars, le voilà celui qui bave devant moi quand je passe dans le couloir.

Ils se sont tous tournés vers moi, le rire aux lèvres et la moquerie sur la langue. Sans demander mon reste (merde, j’aurai même pas bu de café au final...) je suis parti en courant vers mon bureau pour m’y réfugier et digérer cette honte. ELLE s’était bien foutue de moi ! Comment avais-je pu être aussi stupide ? Et m’imaginer que j’aurais pu attirer son attention pour autre chose que rire de moi ?

Pris dans mes pensées, je n’ai pas vu le photocopieur qui était en cours de maintenance et qui avait été mis au milieu du couloir. J’ai buté dedans en me cognant fortement le genou droit. Putain, ça faisait un mal de chien. Je me suis plié en deux de douleur et puis, en me redressant, je me suis cogné la tête dans le type qui faisait la maintenance dudit photocopieur, renversant son café. Ce café (un café dont je rêvais et qui devait être le couronnement d’une journée parfaite avec ELLE) avait jailli du gobelet pour venir s’étaler sur ma chemise (une belle chemise blanche toute neuve, achetée la veille pour cette occasion unique du café avec ELLE). En plus il était brûlant ce café, j’allais avoir des cloques sur la poitrine.

Le réparateur, énervé d’avoir perdu son café, a essayé de me flanquer un coup de poing au visage. Pas con, je l’ai évité en me baissant vivement, mais ma joue a percuté le bac trieur qui avait été démonté, par le susdit agent de maintenance, m’entaillant la peau assez profondément.

  • Putain, vous mettez du sang sur mon photocopieur, me hurla-t-il.

Il me prit par les épaules et me précipita dans le couloir loin de lui. J’atterris dans les bras de la secrétaire de Direction qui passait à ce moment-là, les bras chargés de dossiers hyper-importants. Bien évidemment, les dossiers, la secrétaire et moi chûmes sur la moquette du couloir. C’est dommage que je n’ai pas eu le recul nécessaire mais ça devait être très joli toutes ces feuilles en l’air en même temps, avec les couvertures multicolores des dossiers. Je me suis retrouvé la tête entre les cuisses (visiblement pas épilées depuis longtemps, car extrêmement velues) de la secrétaire de Direction, sous la jupe. Elle s’est mise à hurler :

  • Au secours, au viol, on m’agresse !

Qui cela pouvait-il bien intéresser en plus, c’était vraiment pas crédible, elle était vraiment moche, laide et méchante. En plus, en hurlant de la sorte, elle m’avait pété au moins un tympan, voire les deux. Je me suis redressé vivement, voulant protester et expliquer la raison de ma propulsion contre elle. En me relevant, j’ai déchiré sa jupe qui s’est ouverte jusqu’à la taille.

  • Au secours, il déchire mes habits, il en veut à mon corps, c’est un sauvage, arrêtez-le ! hurla-t-elle de plus belle.

En vouloir à son corps, quand même, c’était un peu exagéré. Qui aurait eu envie d’un corps de guenon… putain, ça sifflait dans mes oreilles maintenant… Les portes du couloir se sont ouvertes et toutes et tous sont venus voir le spectacle.

  • C’est Machin qui veut se faire la vieille.
  • Dis donc, Machin, faut demander et pas se servir comme ça.
  • Elle est moche et con (très con même) mais c’est pas une raison pour lui sauter dessus.
  • Moi j’aimerais bien qu’on me saute dessus comme ça, mais pas Machin.. un autre !
  • ….

Je vous en passe et des meilleurs, mais c’était ma fête. Le pompon, ça a été le patron :

  • Machin, dans mon bureau, je vous fais votre compte !

Il m’a pris mon badge, ce qui fait qu’il a fallu que je me paye les 25 étages à pieds (il fallait le badge pour l’ascenseur). Il m’a également rappelé que l’appartement était payé par l’entreprise et que ça serait bien que je l’ai quitté dans les 48 heures et qu’il fallait que je ne me plaigne pas parce qu’il aurait pu porter plainte pour utilisation abusive du café, dégradation de matériel (le photocopieur en sang) et agression sexuelle sur guenon, euh non, sur sa secrétaire...

Alors que ce café avec ELLE s’annonçait si bien….

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