Des nouvelles de Moi

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« On peut passer une vie entière à chercher qui l'on est. Suis ton instinct, il te montrera le chemin. »


Les mots de la vieille Chouette résonnent encore en moi tandis que, rassemblés une dernière fois auprès d'elle, nous lui témoignons notre plus sincère reconnaissance. Je détaille sa longue robe blanche, soyeuse comme un bouquet d'aigrettes et l'imagine déjà virevoltant dans la nuit noire, à travers les étoiles endormies.

La cérémonie se termine, je m'installe tout contre un arbre et suis des yeux le déclin du soleil. Je laisse ses derniers rayons caresser ma peau de leur souffle tiède. Un sentiment d'apaisement s'empare de moi tandis que nous basculons doucement dans la pénombre.

Des petits jouent à cache-cache. L'un d'entre-eux se faufile derrière mon tronc. Je sens bientôt son regard curieux se poser sur moi. Je tourne la tête. Un mélange de fascination et de terreur brille au creux de ses prunelles. Après un instant d'hésitation, sa curiosité l'emporte. Dans une démarche féline, il s'installe à mes côtés et me demande :

  • Quel espèce d'animal es-tu ?

Je souris. Combien de fois m'a t-on posé cette question ? Combien de fois me la suis-je posée moi-même ?

Sans attendre ma réponse, le Chaton reprend :

  • Je suis triste pour la vieille Chouette. Je l'aimais bien.
  • Moi aussi, dis-je.
  • Qui nous guidera désormais ?
  • Ta mère ! répond un jeune Lapereau en s'approchant de nous.
  • Il n'a plus de mère, souffle alors une jeune Renarde.

Devant le désarroi de ce pauvre petit Chat, des souvenirs de moi, plus jeune, affluent. Et, c'est ainsi qu'au clair de lune, je partage avec lui, l'expérience de ma vie.


« Un jour, je me réveillai seule et perdue. Un sentiment de panique m'oppressait, j'avais envie de pleurer et, plus que tout, je voulais la tendresse réconfortante de ma maman. Je errai ça et là, des jours durant, portée par le souffle du vent. La première que je remarquai fut la Poule. Il me semblait qu'elle n'allait pas très bien, toute recroquevillée sur elle-même. Mais lorsque je m'approchai d'elle, elle leva la tête et m'adressa un tendre sourire. Qu'elle était coquette ! Toute rousse et toute frisée, les joues poudrées de fard carminé.

  • Qui es-tu ? me lança t-elle.
  • Je ne sais pas.
  • Où est ta maman ?
  • Je ne sais pas. Je me suis perdue.
  • Tu peux rester avec moi.
  • Que fais-tu ? lui demandai-je alors, intriguée.
  • Je couve mes petits. Nuit et jour je couve.
  • Pourquoi ?
  • Pour leur apporter toute la chaleur dont ils ont besoin.
  • Que ce doit être exquis d'être choyé ainsi ! m'entendis-je dire.

Je restai tout près de la Poule et la regardai couver. Nuit et jour. Quelle patience elle avait ! Lorsque ses petits eurent éclos, je décidai de m'en aller.


La seconde que je croisai fut la Lionne. Sa robe fauve luisait au soleil et sa chevelure flamboyait comme la crinière de son père. Elle était resplendissante. Dans un port de tête altier, elle surveillait ses petits. Une Hyène passa tout près d'eux, je la vis bondir sur elle et la mordre avec tant de force que la pauvre malheureuse rebroussa chemin dans une démarche clopinante. La lionne s'approcha de ses petits et les lécha avec fougue. Lorsqu'elle me vit, elle m'adressa un regard haineux qu'elle abandonna vite en apercevant mon tremblement. Elle s'approcha avec méfiance, et me demanda :

  • Qui es-tu ?
  • Je ne sais pas.
  • Où est ta maman ?
  • Je ne sais pas. Je me suis perdue.
  • Tu peux rester avec moi.
  • Pourquoi te montres-tu si agressive ?
  • Parce que je ne peux tolérer de les voir souffrir. Les défendre reste mon devoir le plus sacré.
  • Que ce doit être rassurant de se sentir ainsi protégé ! murmurai-je.

Je restai tout près de la Lionne et appris à chasser. Je l'observai tandis qu'elle guettait ses proies. Je voyais les muscles de sa mâchoire se contracter, ses griffes se rétracter, son corps se cambrer tout comme elle le faisait à l'approche d'un danger. J'admirai sa force, son courage et sa ténacité. Lorsque je me sentis prête, je poursuivis mon chemin.


Je rencontrai alors l'Ourse. Elle traversait la rivière en compagnie de ses petits. Elle paraissait si puissante dans son épaisse robe brune. L'un de ses Oursons, moins téméraire que les autres, pleurait. Je la vis alors lui adresser le plus tendre des regards et lui parler d'une voix rassurante. Un pas après l'autre, le petit avançait sûrement. Lorsqu'elle me vit, l'Ourse me demanda :

  • Qui es-tu ?
  • Je ne sais pas.
  • Où est ta maman ?
  • Je ne sais pas, je me suis perdue.
  • Tu peux rester avec moi.
  • Pourquoi ne lui donnes-tu pas la main ? demandais-je étonnée.
  • Parce que je sais qu'il peut y arriver !

Puis je remarquai la faible distance qui la séparait de son petit. Un simple mouvement suffisait à le rattraper si besoin. Lorsque l'Ourson regagna la rive, l'Ourse s'écria :

  • Bravo mon grand !

Son regard luisait de fierté.

  • Que ce doit être merveilleux de se sentir adulé ! soupirai-je.

Je restai tout près de l'Ourse et la regardai jouer et câliner ses petits. Lorsque l'hiver approcha, je les laissai à l'entrée d'une grotte.


Je luttais contre le vent, le froid, le manque de cette mère que je ne reverrai sans doute pas. C'est alors que j'entendis un hurlement qui perfora le silence de la nuit. Terrifiée, je me pelotonnai contre l'écorce d'un arbre. Des yeux jaunes percèrent les fourrés et se figèrent sur moi. Lorsqu'elle avança dans la lueur de la lune, je reconnus la chevelure cendrée de la Louve et les cicatrices qui zébraient son corps.

  • Qui es-tu ? s'exclama t-elle.
  • Je ne sais pas.
  • Où est ta maman ?
  • Je ne sais pas. Je me suis perdue.
  • Tu peux rester avec moi.
  • Pourquoi hurlais-tu ainsi ? demandai-je.

La Louve soupira.

  • Pour rappeler tout près de moi, l'enfant que j'ai perdu.

Sa réponse me brisa le cœur.

Se pouvait-il que ma mère, où qu'elle soit, hurle mon nom avec autant de désespoir et de souffrance ?

  • Que ce doit être réconfortant de se sentir inoubliable ! soufflai-je.

Je restai tout près de la Louve. Elle m'apporta autant d'amour et d'attention qu'à ses petits. Pourtant, vint le moment où je la quittai aussi.


Les yeux rivés au sol, le cœur au bord des larmes, je m'enfonçai dans la forêt. Lorsqu'à bout de forces et vidée de toute émotion, je tombai à genoux, une douce voix m'interpella :

  • Qui es-tu ?

Cette seule question déclencha de nouveaux sanglots. J'attendais que l'étrangère m'interroge une seconde fois mais elle ne dit plus rien. Je craignis un instant qu'elle s'en soit allée, mais en levant la tête, je la trouvai, assise tout près de moi. Elle avait de grandes prunelles ambrées et une peau aussi laiteuse que les plumes de sa robe. C'est moi qui brisai le silence.

  • J'ai perdu ma maman. Je ne sais pas qui elle est, tout comme je ne sais pas qui je suis. J'ai bien rencontré d'autres mamans toutes plus aimantes les unes que les autres. J'ai tant appris à leurs côtés mais moi, je ne sais pas qui je suis, répétai-je. Quelle mère ferai-je alors ?
  • On peut passer une vie entière à chercher qui l'on est. Ne tente pas de ressembler à l'une ou à l'autre. Sois toi-même. Écoute ton cœur, puise dans ton âme et suis ton instinct, il te montrera le chemin.


J'ai tenté d'avancer sur le chemin de ma vie en suivant les précieux conseils de la Chouette. J'ai aimé et quand fut le moment d'être mère à mon tour, je me suis enfin découverte. »

  • Alors, qui es-tu ? me demande le Chaton, captivé par mon histoire.


Je souris et fixe l'obscurité devant moi. Il y a quelque chose de rassurant dans cette pénombre qui m'enveloppe. Je ne saurai dire quoi. Pourtant, je ne me sens jamais autant moi-même que sous le reflet de la lune. Certains voient dans la nuit le spectre de leurs angoisses, les fantômes de leur passé. Moi, je vois à travers ce voile noir, l'ombre d'une vie, le prisme d'un futur.

  • Je me suis sentie Poule lorsque j'ai porté mon petit, Lionne quand on l'a menacé, Ourse lorsqu'il doutait de lui et Louve quand il m'a quittée.

Mon petit voisin me fixe circonspect. Je vois que ma réponse ne lui convient pas.

  • On est qui on est Chaton. Quelque soit l'animal qui sommeille en nous, il nous faut suivre notre instinct et affronter notre destin !

Mon compagnon ressasse mes dernières paroles et se lève enfin.

  • Moi je pense que tu es une vieille Chouette, me dit-il en s'éloignant, un sourire au bord des lèvres.


    ** Texte Lauréat du concours de nouvelles 48h pour écrire : Et si j'étais un animal lequel serais-je ? **







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