Révélations

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— Bon, soupira Héranel, je suppose que je te dois bien quelques explications maintenant que tout est fini.

Ils venaient de quitter un petit salon où ils s’étaient réunis avec la vieille Lyena, Eyra Eolène et le roi Miénil afin de discuter de la marche à suivre concernant son retour chez elle et ses prochaines venues. Avec toute la diplomatie dont elle était capable et une certaine dose de nervosité (donner son avis devant un roi avait de quoi intimider), Coara avait essayé de leur faire comprendre qu’il était inutile de tenter de convaincre sa mère pour qu’elle la laisse revenir et qu’il valait mieux qu’elle ne sache rien de ses entraînements en Alayésa. De sa propre expérience, Sira Lore était quelqu’un à qui il valait mieux demander pardon que permission. Mais, à son grand désarroi, ils avaient tous jugé préférable de faire les choses dans les formes en lui demandant son autorisation. Selon eux, collaborer avec elle serait soit disant plus facile pour mettre en place la formation de la jeune fille, et celle-ci avait donc dû se résigner à suivre leur décision.

En attendant que le roi Miénil achève les derniers préparatifs nécessaires à son retour, Héranel et elle traversaient les couloirs de l’école des gardiens (dont la salle de cérémonie faisait partie, comme l’avait découvert avec surprise Coara un peu plus tôt) afin de se rendre dans le petit pavillon où elle avait assisté à l’entrainement des jeunes maîtres du souffle le matin même. Ce souvenir lui semblait étrangement lointain, il s’était passé tant de choses entre temps qu’elle peinait à croire qu’une seule journée s’était écoulée depuis.

Ils empruntèrent un raccourci qui passait par un jardin intérieur étonnamment grand, et la jeune fille huma avec plaisir l’air frais de la nuit qui était retombée. Cela lui faisait un drôle d’effet ; elle avait passé sans le savoir les quelques heures d’ensoleillement du jour sous terre. Il n’y avait pas un nuage et les étoiles brillaient haut dans le ciel. Elle les contempla en se demandant par où commencer tant elle avait de questions. Finalement, l’une d’elle sembla se détacher du reste pour prendre plus de place que les autres, alors elle la laissa franchir ses lèvres :

— Que s’est-il passé dans les souterrains ? Après que j’aie sauté dans le lac ? Et avant aussi… pourquoi est-ce qu’il m’appelait ? Est-ce que c’est normal ? C’est comme ça pour tout le monde ?

Coara pressa ses lèvres l’une contre l’autre pour se forcer à se taire, consciente qu’elle avait laissé beaucoup trop de questions emboiter le pas à la première et qu’il lui fallait bien laisser une chance à Héranel de lui répondre. Lui non plus semblait ne pas savoir par où commencer. Il réfléchit quelques instants avant de prendre la parole :

— Tout le monde est attiré par ce lac, du moins tous ceux qui ont le souffle. Il est chargée d’une énergie phénoménale, cette fameuse essence qui circule partout et en tout, mais à une dose si élevée qu’on pourrait presque parler d’énergie pure. Et avec les émanations qu’il projette dans l’air qui est saturé d’humidité, plus on s’en approche et plus on y est exposé, ce qui cause cet état de transe dans lequel tu as pu te retrouver.

Ils passèrent une double porte au sommet arqué et se retrouvèrent à nouveau dans les couloirs alambiqués de l’école.

— Comment ça se fait que ce lac soit si chargé en énergie ? demanda Coara.

— Nous ne pouvons pas en être sûr, mais il est très probable que ce lac soit un gaelithe.

— Un gaelithe ?

Héranel se méprit sur son étonnement, croyant qu’il s’agissait là d’une interrogation :

— Il s’agit d’un objet qui a été possédé par un esprit. Plus un esprit reste longtemps présent dans un corps matériel, plus il l’imprègne de son essence. Celui qui a séjourné dans ce lac a dû rester très longtemps pour qu’il y persiste une si grande concentration d’énergie.

Coara hocha la tête.

— Et que s’est-il passé après que j’ai sauté dedans ?

— Ta propre énergie est entrée en contact avec celle du lac. Comme tu es interversée, c’est-à-dire un double maître, à la fois intra et extraversée, tu as en quelque sorte fusionné avec lui, dans le sens où tu as absorbé son énergie tout en lui donnant la tienne. Et puisque, naturellement, tu n’étais pas encore capable de contrôler ce phénomène, tu t’es retrouvée submergée et t’es évanouie.

— Mais je ne me suis pas noyée ?

— Non, j’étais là pour y veiller.

Elle le regarda avec étonnement :

— Vous m’avez suivie dans le noir ?

— Bien sûr. Tu ne penses quand même pas que nous laissons nos jeunes aspirants se balader sans surveillance dans cette obscurité avec un ravin pareil dans les environs ?

Elle comprit que c’était lui qui l’avait repêchée, et elle en fut affreusement gênée du fait qu’elle était dévêtue à ce moment-là.

— Vous m’avez sauvée… merci, dit-elle tout doucement en espérant que ses joues n’étaient pas trop écarlates.

Il sourit.

— Je t’en prie.

Il n’ajouta rien et ne fit aucune remarque sur sa nudité, ce dont elle lui fut reconnaissante. Ce fut elle qui relança le sujet :

— Mais…

— Mais ?

— Comment avez-vous fait dans le noir ? Vous ne me surveilliez rien qu’à l’oreille ?

Héranel sourit :

— Il est vrai qu’en développant bien son ouïe, l’être humain peut réussir à se faire une idée de la configuration de l’espace et même parfois à détecter certains obstacles à la manière des chauves-souris, néanmoins ça reste très peu précis. En revanche, en affinant sa perception de l’énergie environnante, on finit par développer un sixième sens, une seconde vue en quatre dimensions qui se superpose aux informations que nous donnent nos yeux, nous permettant de sentir s’il y a quelqu’un dans un périmètre précis, où il se trouve, sa position… Mais cela demande beaucoup d’entraînement, bien sûr, et rares sont les personnes à pouvoir maintenir ce niveau de vigilance en continu.

— Vous y arrivez ?

— Je peux utiliser cette perception deux jours durant, mais c’est ma limite, et il me faut un bon moment après cela avant de pouvoir recommencer.

Au détour d’un ultime corridor, ils débouchèrent enfin dans le pavillon d’entraînement. Héranel se dirigea vers la grande cheminée mais Coara l’arrêta :

— Est-ce qu’on pourrait aller un peu à l’extérieur ?

Comme il lui lançait un regard surpris, elle s’expliqua :

— C’est que… J’ai l’impression d’être restée longtemps enfermée ces dernières heures et l’air frais me ferait du bien.

— Ça ne me gêne pas, consentit-il. Suis-moi.

Ils sortirent et Héranel s’avança vers un petit cercle de rondins de bois un peu plus loin dans l’herbe. Il s’installa sur l’un d’eux et Coara l’imita, songeuse. Elle avait encore beaucoup de questions. Comment se passait le test pour les autres ? Ceux qui n’étaient pas interversés, ou encore ceux qui n’avaient pas le souffle ?

Héranel se gratta le menton lorsqu’elle eut verbalisé ses interrogations :

— Parmi ceux qui n’ont pas le souffle, certains ressentent malgré tout la forte pression en énergie des souterrains, mais comme ils sont incapables de la gérer, ils ne parviennent pas à atteindre le bas des escaliers et sont forcés de remonter. D’autres n’ont pas cette sensibilité et descendent sans se rendre compte de rien mais ne trouvent évidemment pas le lac puisqu’il ne les appelle pas. Insensible à la densité énergétique de l’air, ils errent pendant une heure au hasard puis nous allons les chercher pour leur faire gagner la sortie.

— Et les autres qui ont le souffle ? Les intra ou les extraversés ? Je ne suis d’ailleurs pas sûre de comprendre la différence entre les deux…

— C’est normal, sourit Héranel, puisque je ne te l’ai pas encore expliqué. Pour faire simple, je dirais que les intraversés - comme moi - ont la capacité d’absorber l’énergie du milieu qui les entoure afin d’augmenter drastiquement leurs facultés. Quand ils rentrent pour la première fois en contact avec un gaelithe comme le lac, les intraversés en absorbent l’énergie malgré eux et déploient subitement d’incroyables capacités jusqu’à ce que le surdosage les fasse tourner de l’œil. Les extraversés, à l’inverse, sont capable de transmettre leur propre énergie à leur environnement afin d’agir dessus. Lors du test, ils transfèrent malgré eux leur énergie au lac, y créant l’une ou l’autre perturbation avant de tomber d’épuisement.

Tout cela faisait beaucoup d’informations à emmagasiner, et pourtant Coara était encore loin d’avoir vidé son sac de questions. Un léger vent se leva, faisant danser les brins d’herbe à leurs pieds. La jeune fille resserra ses bras autour de ses genoux pour se tenir chaud. Ils restèrent quelques instants silencieux, perdus dans leurs pensées respectives.

— Maître Héranel ?

Il sourit :

— Je t’ai déjà dit que tu pouvais m’appeler Lygrec.

— Mais tout le monde vous appelle maître Héranel…

— À mon grand regret, soupira-t-il. Ça fait pourtant plus de dix ans que je m’évertue à expliquer que ce titre n’est pas nécessaire en dehors des cadres officiels.

Elle pinça les lèvres en une grimace navrée.

— Désolée, mais on m’a toujours appris à respecter les titres honorifiques alors je risque d’avoir du mal à changer mes habitudes…

Il haussa les épaules :

— Je crois qu’avec le temps, je vais finir par me faire une raison… Qu’est-ce que tu voulais me demander ?

Elle réfléchit à la meilleure façon de poser sa question.

— Pourquoi m’avoir fait passer ce test ? Qu’est-ce qui vous a fait penser que je pouvais avoir le souffle ? formula-t-elle finalement.

— Pas mal de choses. Il y a eu tout d’abord le fait que tu aies voulu espionner mon cours depuis le mélène, énonça-t-il d’un ton d’où perçait un certain amusement.

Coara se mordit la lèvre. Il l’avait donc bel et bien repérée.

— Cela s’avérait être un bon indice, poursuivit-il en faisant mine de ne pas remarquer son air coupable. Et ensuite, ce que tu as dit après y avoir assisté de plus près a confirmé mes soupçons.

— Pourquoi ? Je ne suis pas sûre de comprendre…

— En général, ceux qui perçoivent l’énergie mais ne savent pas encore la maîtriser ressentent comme un appel lorsqu’ils sont en présence d’autres personnes qui l’utilisent. Ils sont sensibles aux perturbations énergétiques que ça entraîne et éprouvent intuitivement le besoin d’apprendre à en faire de même. Le petit malaise que tu as ressenti pendant l’entrainement était très certainement lié à ça.

— D’accord, mais… il n’y a pas que ça, avança Coara. Vous vous en doutiez avant même que je vienne assister à l’entraînement, non ? Vous aviez déjà arrangé mon passage du test du souffle à ce moment-là.

— Oui, c’est vrai, convint Héranel d’un ton calme sans chercher à la démentir.

— Pourquoi ?

— Disons qu’il n’est pas vraiment courant de voir une jeune fille débarquer illégalement d’Hiyancar par un passage aussi secret que dangereux en faisant totalement fi du bon sens.

Coara s’empourpra mais Héranel lui fit un clin d’œil complice et poursuivit :

— Il n’était pas à exclure que ta venue soit liée à cet appel ressenti au contact d’un autre maître du souffle. Après tout, tu m’avais déjà vu employer cette maîtrise il y a quelques années, même si tu n’en savais rien.

La jeune fille redressa vivement la tête :

— C’était bien vous ce jour-là, quand j’étais cachée dans l’arbre ?

— En effet. Tu étais encore jeune, mais assez grande tout de même pour pouvoir être sensible à ma maîtrise.

À bien y repenser, c’était en effet depuis ce jour-là que Coara avait développé un intérêt soudain pour l’Alayésa. Se pouvait-il que ce soit ça qui l’ait poussée à venir ? Un léger sentiment de culpabilité l’envahit lorsqu’elle songea à Ebry. Elle n’était pas venue que pour ça, elle était quand-même venue pour lui aussi, non ?

— Maître Héranel, au sujet du guérisseur pour mon ami…

— Ah, oui. Eyra a déjà accepté de s’en occuper. Il faudra juste s’organiser pour qu’elle puisse le rencontrer.

Le visage de la jeune fille s’éclaira :

— Elle pourra le soigner ? Elle a des capacités de guérisseuse ?

— Eyra est une gardienne extraversée. Elle peut donc déployer son énergie dans le corps d’un autre pour le soigner. Avec un peu de chance, elle pourra effectivement aider ton ami.

Coara soupira d’aise. Malgré toutes ces péripéties, elle avait réussi à accomplir sa mission. Ebry allait être soigné. Elle ferma les yeux quelques secondes, s’abandonnant à la vague de soulagement qui l’envahissait.

Elle repensa à toutes ces longues conversations qu’ils avaient eues, Ebry et elle à ce sujet, à tous leurs espoirs fondés sur ces récits dérobés à sa mère… Elle avait hâte de le retrouver pour tout lui raconter, de voir sa joie quand il découvrirait qu’une guérisseuse acceptait de s’occuper de lui, et sa tête quand Coara lui révèlerait qu’elle aussi possédait des capacités hors norme…

Une question surgit alors dans son esprit, interrompant brusquement ses retrouvailles imaginaires avec Ebry.

— Maître Héranel, d’où provient cette maîtrise du souffle ? Comment se fait-il que je l’ai ?

Elle fut surprise par le sourire désabusé qui se peignit sur le visage de son interlocuteur.

— Ah, ça… je me doutais bien que tu finirais par me poser la question, mais je ne suis toujours pas sûr de la meilleure façon de te l’expliquer…

Il se passa une main sur le visage.

— Que sais-tu de l’histoire des sylves ? lui demanda-t-il alors.

Prise au dépourvu, la jeune fille hésita :

— Euh…

Elle ne s’était pas attendue à être interrogée sur ses cours d’Histoire et tenta de rassembler ses connaissances du mieux qu’elle pouvait :

— Ils sont arrivés sur les Hautes-Terres il y a plus d’un siècle, mais ils utilisaient une magie dangereuse parce qu’ils l’acquéraient en volant le pouvoir des esprits, ce qui déclenchait leur colère et donc toute une série de fléaux. Le roi Astragale a décidé de les chasser d’Hiyancar pour protéger son peuple, mais quand il a voulu poursuivre sa lutte jusqu’en Alayésa, l’Alliance des cinq royaumes s’y est opposée…

Elle jeta un coup d’œil à Héranel pour voir s’il approuvait son récit mais il se contentait de la regarder d’un air impénétrable, aussi poursuivit-elle :

— La force réunie des cinq armées de l’Alliance et du pouvoir des sylves a eu raison de l’armée d’Hiyancar. Un traité a donc été signé, Astragal a été déchu et le nouveau roi Ilio s’est engagé à ne plus traquer les sylves à condition qu’ils ne menacent plus l’équilibre des Hautes-Terres.

Héranel hocha la tête :

— C’est tout ?

— Euh… Oui. Je sais que depuis lors, il n’y a presque plus de sylves en Hiyancar, la plupart sont ici dans les royaumes de l’Alliance. Et qu’un peu avant ma naissance, suite à une recrudescence de manifestations du courroux des esprits, un décret est passé pour inviter les sylves pratiquant leur magie à se rendre ou à être dénoncés aux Hauts prêtres d’Aumure afin qu’ils se mettent à son service pour apaiser leur colère au lieu de la provoquer. Il y a depuis lors beaucoup moins de catastrophes.

Héranel acquiesça avant de pousser un soupir las :

— C’est plus ou moins ce à quoi je m’attendais.

Puis il se tût, plongeant la jeune fille dans l’embarras. Avait-elle dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? Ou oublié une partie importante de l’Histoire ?

— Bon, reprit-il soudain d’un air décidé, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Une bonne partie de ce qu’on t’a appris est fausse.

Coara sentit ses yeux s’agrandir sous le coup de l’étonnement.

— Les sylves n’ont jamais volé le pouvoir de qui que ce soit, poursuivit Héranel, encore moins celui des esprits. En tant que maîtres du souffle, nous sommes mieux placés pour le savoir que n’importe quel roi ou haut prêtre, puisque nous en sommes les descendants.

Cette déclaration fit l’effet d’un tremblement de terre à la jeune fille. Une petite part d’elle-même étrangement lointaine songea que si ses yeux s’écarquillaient encore plus, ils finiraient sûrement par lui sortir de la tête.

— Mais… ce n’est pas possible !

— Pourquoi donc ? demanda doucement Héranel.

— Parce que… parce que… les sylves ont tous les cheveux blancs !

C’était le premier argument qui lui était venu à l’esprit.

Héranel sourit :

— Les premiers sylves arrivés il y a près d’un siècle et demi avaient en effet tous les cheveux blancs. Mais depuis lors, et surtout après la guerre, ils se sont mélangés aux peuples de l’Alliance, et ce trait particulier a presque disparu avec le métissage qui en a résulté. Les seuls descendant des sylves à encore présenter cette caractéristique sont ceux possédant la double maîtrise, comme toi, et ils sont très peu nombreux.

Coara fronça les sourcils :

— Mais mes cheveux sont bruns.

Un haussement d’épaule lui répondit :

— Tu es peut-être l’exception qui confirme la règle, ou alors peut-être que ta couleur n’est pas naturelle. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que ça a effectivement contribué à la surprise générale lors de la cérémonie, ajouta-t-il, le regard pétillant.

Mais la jeune fille était trop accaparée par une réflexion soudaine pour partager son amusement.

Sa mère. Sa mère et son obsession pour ses cheveux.

Sa mère la harcelant pour qu’elle fasse son maudit shampoing malodorant au moins trois fois par semaine. Sa mère s’énervant au-delà de la raison lorsqu’elle avait avoué avoir plus d’une fois lavé sa chevelure au savon pour gagner du temps. Sa mère faisant fabriquer ses soins capillaires exclusivement par Rédonna et par personne d’autre.

Sa mère savait qu’elle avait les cheveux blancs. Et elle les lui avait fait teindre à son insu pendant des années.

Cette soudaine certitude balaya les réticences qu’avait la jeune fille à croire ce qu’avançait Héranel. Des centaines de nouvelles questions venaient de naître dans sa tête au sujet de Sira (que savait-elle d’autre, est ce qu’elle aussi avait les cheveux blanc, ou même, est-ce qu’elle aussi était un maître du souffle ?), mais elle décida de les réserver pour plus tard, quand elle serait rentrée. Pour le moment, il lui fallait essayer de comprendre tous les tenants et aboutissants de cette incroyable vérité que lui proposait Héranel.

— D’accord, déclara-t-elle lentement, admettons que tout ça soit vrai. Mais pourquoi les autorités d’Hiyancar ont elles cru que les sylves dérobaient leur pouvoir aux esprits ? Et pourquoi y a-t-il eu autant de signes que les esprits étaient en colère si ce n’était pas à cause des sylves ?

— Excellentes questions, approuva Héranel. Pour ce qui est de la colère des esprits, le sujet est complexe et nous-mêmes cherchons encore aujourd’hui à en éclaircir les causes et implications. Je te ferai bien part de nos hypothèses un jour mais je ne pense pas qu’aujourd’hui soit le moment. En ce qui concerne les accusations pesant sur les sylves, en revanche…

Il se frotta le menton d’un air pensif avant de reprendre :

— Le problème, vois-tu, c’est que l’idée même d’une énergie circulant librement en toute chose était menaçante pour le culte d’Aumure. Ça rentrait en contradiction avec ce que disait le Lierce et le Lierce ne pouvait être remis en question. Alors, puisqu’il était inenvisageable pour eux de reconnaître que les sylves tiraient leurs pouvoirs de cette énergie, il leur fut bien plus confortable de les accuser de la voler aux esprits. De cette façon, ils les discréditaient et se mettaient en sécurité, car personne ne prendrait plus la peine d’écouter des étrangers soupçonnés de pratiquer une sorcellerie à l’origine de tous leurs maux.

Il avait dit ça d’un ton léger, mais Coara se sentit horrifiée à l’idée de tout ce que cette révélation impliquait. Elle avait toujours trouvé le cours de Théorie des esprits ennuyeux et rébarbatif, mais jamais elle n’aurait pensé remettre en question ce qu’on leur y apprenait. Or, à en croire ce que disait Héranel, non seulement une partie du Lierce comprenait des erreurs et de fausses affirmations, mais en plus les Hauts-prêtres avaient préféré proférer des accusations illégitimes envers une minorité innocente plutôt que de le reconnaître.

Pire encore, cela signifiait que les sylves avaient été chassés et persécutés sans raison et qu’il y avait même eu une guerre au nom d’une menace inexistante.

La jeune fille se sentit prise de vertiges. Elle avait l’impression que son monde entier, toutes ses certitudes se dérobaient sous ses pieds. Pendant un fol instant, elle fut tentée de faire marche arrière, de tout rejeter en bloc, afin de retrouver le confort rassurant de ses convictions. Puis elle se rendit compte qu’elle ne le pouvait pas. C’était trop tard. Quelque part, au plus profond d’elle-même, elle avait déjà accepté qu’Héranel disait la vérité, tout comme elle avait accepté un peu plus tôt qu’elle était un maître du souffle.

Elle s’aperçut que ses mains tremblaient faiblement, mais ce n’était pas dû au froid. Son corps entier était parcouru de légers frissons comme si elle était malade. Comme si elle était en proie à une indigestion. Mais cette indigestion n’avait rien d’alimentaire...

Héranel l’observa avec sollicitude :

— Je sais que ça fait beaucoup à avaler d’un coup. Il vaut peut-être mieux en rester là pour aujourd’hui et continuer avec ces explications un autre jour. De toute façon, il est temps maintenant de nous mettre en route.

Coara hocha docilement la tête. Elle se sentait lessivée et avait soudain hâte de retrouver son lit. Malheureusement, songea-t-elle tandis qu’elle se levait pour emboiter le pas à Héranel, elle n’était pas encore au bout de ses peines pour la nuit. Une dernière épreuve l’attendait encore avant de pouvoir enfin se reposer : un tête à tête avec sa mère.

Et dire qu’elle avait cru que le pire était passé en quittant les souterrains...

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