CHAPITRE HUIT

6 minutes de lecture

Adrian Price

09 décembre 2086

Poste de police, Minport City.

Elle est assise à côté de moi, et je l’observe de coin pendant qu’elle continue à lire les différents dossiers sur les Ghost. Ses doigts tapotent le clavier tactile et ses yeux s’éclaircissent par la luminosité des écrans les rendant noisette.

— Tu les as déjà rencontrés ? Les Ghost ? demande-t-elle.

— On arrive toujours trop tard. Ils débarquent n’importe où, n’importe quand.

— Comment tu veux que je t’aide ?

Je passe une main dans mes cheveux bruns, et elle s’arrête soudainement pour me regarder. C’est la première fois que je la contemple d’aussi près. Ses lèvres sont vraiment abîmées à cause de ses gerçures.

— Dans une semaine, un gala est organisé par Saito Yamamoto il est aussi l’adjoint du maire de Minport City. De grandes personnalités sont invitées ainsi que la police. Je compte y aller, et j’aimerais que tu nous accompagnes. Le but : se rapprocher de Saito. Je suis certain qu’il a payé les Ghost pour faire disparaître son rival Hammer.

— Je pensais que les Ghost, agissaient toujours seul ?

— Oui et non, à vrai dire, toutes les interventions qu’ils effectuent sont payées la plupart du temps par les megacorporations.

Son regard quitte mes yeux et elle longe mes mains pour revenir devant les écrans. Elle se remet à enlever la peau de son pouce et saigne à nouveau. J’enferme ses doigts avec ma main pour qu’elle évite de s’affliger cette peine. Sa tête se tourne vers moi et elle se détache brutalement en serrant les poings.

— Ne me touche pas ! s’écrie-t-elle en se mettant debout.

J’ai été imprudent, je n’aurais pas dû, mais j’aimerais comprendre pourquoi elle est si distante.

— Désolé, réponds-je en me levant à mon tour. Tu… saignes… encore.

— Et alors ? On saigne tous ! Ne te préoccupe pas de moi Price, c’est clair ? ordonne-t-elle cinglement en me regardant droit dans les yeux.

Je pince mes lèvres et me maudis légèrement d’avoir agi de cette façon. Je me sens stupide, mais ce n’était pas pour la mettre mal à l’aise.

— Juste… reprend-elle, ne fais pas ça.

Ses yeux sont remplis de larmes. Je hoche la tête pour lui montrer que le message est passé. À l’avenir, j’éviterai tout contact avec, mais il faut que Ran nous fasse confiance. Je suis persuadé qu’elle n’est pas celle qu’elle prétend vouloir être. Son passé doit être dur, je n’ai aucun doute. Je suppose qu’elle a vécu seule et des choses que je ne peux imaginer. Elle réagit au quart de tour, on lui a certainement fait du mal, toutefois, je ne peux pas m’en empêcher, ça me rappelle ma mère qui recevait des coups par mon géniteur alcoolique. Et, ça me répugne, je ne supporte pas de voir une personne avec ce même regard vide de tristesse.

— Je préfère rester dans l’ombre, ajoute-t-elle en se rasseyant sur la chaise.

— Pourquoi ? Je t’ai déjà dit que tu n’avais pas à t’inquiéter pour ta sécurité. Tu as juste à te créer une nouvelle identité, comme tu as l’habitude de le faire, non ?

Elle soupire et se frotte le front. J’ai l’impression de la forcer, ce n’est pas ce que je veux.

— Je suis une cybercriminelle, tu ne penses pas qu’ils ont déjà une panoplie de recherches sur moi ? rétorque-t-elle, c’est la mort assurée et je ne suis pas suicidaire. Pas encore…

Elle murmure quelque chose que je n’entends pas. Tandis que Newton rentre à nouveau dans la pièce, les moniteurs s’affolent et clignotent dans tous les sens. La petite alarme retenti et l’écran principal nous annonce : Alerte.

— J’arrive au bon moment hein ? affirme Newton, en nous regardant.

Je prends mon manteau accroché sur le portant, et propose celui de Ran.

— Où est-ce que l’on va ? demande-t-elle.

— Faire la chasse aux criminels, réponds-je en lui faisant un clin d’œil.

***

Je roule vite, en essayant de ne pas causer d’accident dans la neige, la tempête s’est calmée. Quel froid désagréable, je déteste l’hiver et surtout celui de Minport City. À Steamfall, nous n’avons pas autant de neige, le climat est beaucoup plus chaud et puis avec le réchauffement climatique, c’est pire. Sirah doit être en train de jouer avec le petit Jaycobe au parc, ramasser les feuilles des arbres qu’ils n’ont pas ici. C’est complètement dingue que l’herbe n’existe pas dans cette foutue ville. J’aimerais être auprès de ma sœur, à la place de son mari qui la trompe, au moins par soutien. Quel fils de pute, j’avais confiance en lui. Je suis même allé boire des dizaines de verres avec et j’ai été témoin de leur mariage en compagnie d’un androïde en guise de prêtre. Si je n’étais pas flic, je lui aurais déjà défoncé la gueule. Le silence plane dans la voiture, je ne sais pas si c’est parce que Ran nous a rejoints ou parce que Newton a arrêté de sortir des conneries. Je suppose que ça doit être les deux. Ran m’a demandé un masque tout à l’heure, elle ne souhaite pas qu’on la reconnaisse dans la rue. Elle est emmitouflée de la tête aux pieds, son bonnet cache ses cheveux longs et son manteau est à nouveau fermé jusqu’à son cou.

— Roule plus vite Price, ordonne Newton, sinon on va encore se taper les ivrognes ou les orphelines du soir. Si ça continue, je ferai bientôt un business dans les orphelinats. Sans t’offenser gamine.

Je l’ignore, il finira par apprécier Ran. Il joue le dur à chaque fois, mais au fond de lui, c’est un ours dodu sous une carapace. Je regarde dans le rétroviseur central si Ran n’est pas blessée par son comportement. Pourtant, elle a l’air de s’en foutre complètement en regardant par la fenêtre et ça me fait doucement rire.

— Il faut surtout que l’on arrive avant la brigade criminelle de Minport City, approuvé-je en accélérant légèrement.

Les sirènes retentissent et les gyrophares illuminent la neige qui fond tout doucement sur le bitume. Nous arrivons bientôt à l’adresse indiquée par la tablette reliée avec les moniteurs de la station de police. Je n’ai pas envie de croiser ces chiens de flics corrompus qui font semblant d’enquêter.

— Lis-moi le rapport, demandé-je à Newton.

— Homme âgé d’une trentaine d’années, retrouvé mort d’une balle en pleine tête. Identité inconnue dans un premier temps, j’attends les recherches d'autres postes.

— Ran ? demandé-je, en l’interrompant dans ses pensées. Peux-tu avoir des informations avant que l’on arrive ?

Elle hoche la tête et allume le cadran de son poignet. Un hologramme apparait, diverses informations défilent devant ses yeux.

— D’après les dernières alertes de disparition, nous avons Zimeon Grey, introuvable depuis douze heures, il semble avoir trente-deux ans.

J’esquisse un léger sourire, car satisfait d’avoir Ran avec nous en attendant que nos recherches sur les Ghost avancent.

— Si avec ça, je peux prendre ma retraite plus tôt, alors bienvenue Ran.

— Merci, Newton, répond-elle en laissant échapper un léger rire à travers son masque.

Surpris qu’elle arrive un peu à se détendre en notre présence, je souris.

— Supposé que c’est Zimeon Grey, il semble avoir quelques antécédents de cybercriminalité…

— Ne t’inquiète pas Ran, tu resteras dans la voiture.

— Ce n’est pas à quoi je fais référence, je me demandais si les Ghost pouvaient éventuellement être les coupables.

— Je ne suis pas sûr, habituellement, ils arrêtent les personnes chez eux pour démanteler le système complet de cybercriminalité. Il ne tue pas, ou presque pas.

— Il ne tue pas ? J’ai vu passer un dossier : le Merle Noir. Il est indiqué qu’un homme a été retrouvé mort. Il y en a d’autres aussi.

— 80% du temps, ils ne tuent pas. Tu penses à quelque chose ?

— Non, je ne les connais pas.

Nous arrivons dans une petite ruelle et je gare la voiture devant la scène de crime où les androïdes scientifiques sont déjà présents pour délimiter l’endroit. Ceux-là ne ressemblent pas à des humains, ce sont juste des carcasses de fer. Les drones survolent les abords et une vingtaine de curieux se trouvent autour des barrières.

— Regarde qui est là, prononce Newton en sortant une cigarette.

— La brigade criminelle, nos meilleurs amis, dis-je avec ironie.

Je fais demi-tour pour observer Ran et lui fais un signe de tête avant de sortir de la voiture avec Newton. Mes pieds écrasent la neige et je réajuste mon manteau. Le froid glacial frotte mes joues et nous nous dirigeons vers la scène de crime.

— Voilà, les bannis de Steamfall ! lance Luekas Collins, détective de la brigade criminelle de Minport City.

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