A 1009 km

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L'enterrement était fini, la peine allait croissant, les déchirements familiaux éclosaient à peine de la fine coquille dans laquelle ils s'étaient brièvement cloisonnés. Simon n'en pouvait plus. Il avait l'impression d'étouffer, dans sa maison familiale. De redormir dans ces draps d'enfance. Entouré de ses souvenirs de gamin. Rencontrer les yeux encore brumeux de sa mère en se levant, les discours moralisateurs de son père lorsqu'il rentrait du boulot.

Aujourd'hui il prit sa caisse et conduit la vingtaine de kilomètres qui le menait à la mer. L'autre mer. De la Méditerrannée à la Manche. Translation violente du soleil tannant et du sable chaud, à la grisaille crachottante du Nord. Il marcha, un long moment. Réfléchit.

Durant ses rêveries solitaires, il repensa à Amélie. Au lapin qu'il lui avait posé, involontairement. Se demanda si, à son retour, elle sera encore là où, comme tous les autres touristes, si elle aura été happée par la gravité de son quotidien hors vacance. Il resongea à son regard. Ses yeux, en amande, dont les iris étaient le mariage envoûtant de l'ambre et de l'émeraude.

Il finit par se trouver un baraquement en bord de mer, qui vendait quelques glaces et des boissons à un prix abusif. Il s'acheta un coca pour étancher sa soif. Hésita avec du zéro puis se dit qu'un peu de sucre ne lui ferait pas mal en ces temps de deuil. Il s'assit et resta les yeux perdus dans le vague à observer l'horizon anglais perdu dans la bruime. L'air était frais. Le courant glaçant.

Il resta là une heure. Seul. A peine dérangé par le babil incessant d'une grappe de moineaux et, tantôt, par les quelques paroles du vieux bistrotier qui l'invitait à consommer un second coca. Il allait partir lorsqu'une jeune femme passa devant lui et retint son attention. Vingt ans, à peine. Une jupe dévoilant une paire d'échasses galbées, presque trop maigres à son goût, dont la peau s'hérissait de chair de poule. Un crop-top blanc, pas du tout adapté à la météo, qui laissait entrevoir un bronzage très... nordique. De son visage fin elle l'avait reluqué, par-dessus des lunettes de soleil bon marché. Elle lui parût trop maquillée, malgré de jolis yeux et une bouche dont la pulpe aurait pu l'exciter.

***

Je passai devant la baraque à frites lorsque je vis le touriste. Un énième touriste. Lui osait braver la météo pourrie de cet après-midi, visiblement.

Au début, je pensai presque à un local. Qui se fait chier à squatter la terrasse à Momo par des temps pareil en pleine semaine, si ce n'est un type du coin qui n'a nulle part où aller si ce n'est chez lui, où l'attend la patronne? Pourtant, deux indices me mirent la puce à l'oreille : son bronzage, d'abord. Il n'était décidément pas d'ici. 2e indice : les habits. Il n'avait pas du tout prévu de devoir affronter une météo pareille, mais plutôt de pouvoir exhiber ses biceps gonflés et, je l'imaginai aisément sosu son fin t-shirt blanc, le quadrillage de ses abdos.

Je tentai le tout pour le tout, approchai Momo, lui commanda un Coca-cola zéro, et m'assis à une table attenante à la sienne.

Il ne me jeta pas le moindre regard, le goujat. Il n'était décidément pas d'ici. Généralement, une fille aussi peu habillée que moi retient l'oeil des types qui la laissent rarement s'échapper sans au moins lui avoir fait causette. Lui, le touriste, semblait passionné par ce qui se tramait à l'horizon, là où les vagues moutonnaient.

- T'es pas d'ici, toi ?, demandai-je en voulant briser la glace.

Il se contenta de tourner sa tête vers moi - putain, vous auriez vu les contours de sa mâchoire, à peine troublée par une barbe de trois jours, vous auriez fondu. Et haussa les épaules. Je crus qu'il allait me foutre un vent, mais il ajouta :

- J'étais d'ici...

- T'es né ici et t'es parti ? T'as eu bien raison, quelle idée de rester vivre dans ce trou.

- Dans le mille, me fit-il sans relancer la conversation.

Un instant, j'hésitai. Ne rien dire. Me distancier. Et voir ce qui allait se passer. Ou au contraire le rentre dedans. Elle opta pour la seconde option, se leva et s'assit à sa table, en face de lui. Elle n'avait ni vérifié sa coiffure, probablement dérangée par les rafales, pas plus que son décolleté. Mais c'était sa chance.

- Ton nom ?

Il haussa les sourcils, puis ôta ses lunettes.

- Simon. Toi ?

- Julie.

Il sourit. Je ne lui demandai pas pourquoi.

***

Je souris, sans lui dire pourquoi. J'avais couché avec une Julie la semaine passée, une suissesse qui faisait au moins une taille de plus que moi. Elle avait hurlé, quand on avait baisé dans sa chambre d'hôtel, ce qui nous avait valu les coups contre les murs préfabriqués des voisins des pièces attenantes. Je me souviens de son corps, parfait. Un cul si galbé que si j'y avais passé ma bite j'aurais eu peur qu'elle la coupe en deux en serrant ses fesses. Des seins généreux, naturels, aux auréoles larges et sensibles avec lesquels j'avais longtemps joué. Et sa chatte, poilue, si mouillée. Pourtant, lorsqu'elle s'est mise en position de levrette et que j'ai pénétré en elle, elle m'a hurlé de la traiter de salope en lui claquant les fesses, ce que j'ai fait. Timidement. J'étais mal à l'aise avec cette idée, d'autant plus que l'hôtel ne paraissait pas parfaitement insonorisé.

Elle m'encouragea alors.

- Vas-y, dis-le ! Dis-le plus fort ! Et claque moi ça !, qu'elle me dit tout en donnant des coups de reins en arrière pour que je m'enfonce profondemment en elle.

Alors j'avais réessayé, et elle m'hurla à nouveau dessus.

- Plus fort ! Plus fort !

J'avais fini par complètement débander. Comme quoi, les suisses, ils sont pas si lents qu'on veut bien le croire. Je souris donc à l'évocation de ce prénom, mais elle ne me posa guère de question.

- Et toi Julie, t'es d'ici ?

Elle fit oui de la tête.

- Et tu fais quoi en bord de mer ?

- Je chasse les jeunes hommes, fit-elle en souriant.

Son rentre-dedans, qui m'aurait tellement excité aux Saintes-Maries, me laissa complètement de marbre ici.

- Je n'en vois pas un ici que tu pourrais ajouter à ton tableau de chasse.

- Moi si...

Je fis non de la tête.

- Désolé, mais je passe mon tour. J'ai pas trop la tête à ça ces temps-ci.

Et m'en allai. Le visage d'Amélie imprimé dans mon esprit.

***

A 1009 kilomètres de là, Amélie dormait encore dans sa chambre d'hôtel. Nue. Le drap fin en lin ne couvrant que la moitié de ses jambes. Un gamin agile, qui aurait grimpé dans le tamaris qui faisait face à la fenêtre de sa chambre, aurait vu la jeune créature endormie. Peut-être aurait-il connu l'une de ses premières érections en détaillant cet étrange corps aux proportions parfaites, bloti sur ce matelas, exhibant entre ses cuisses ambrées sans aucune pudeur le doux abricot de son sexe enfermé dans la dentelle noire d'un porte-jaretelle dont elle s'était munie la veille et qu'elle n'avait pas eu la force d'ôter avant de s'endormir. Et longtemps, il aurait rêvé de ses cheveux bruns coulant sur son visage, de l'odeur qu'elle devait émaner, de la pulpe de ses lèvres qui mordraient les siennes et, sans doute, d'un doigt curieux qui aurait écarté ses deux lèvresi intimes pour en détailler la rosée.

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