Féminicide raté et jaloucide réussi ou comment classer une affaire qui contrarie tout le beau monde
En réponse à mon défi, ou plutôt, pour être honnête, j’ai imaginé le défi une fois que j’avais commencé à écrire ce texte. J’avoue avoir pris du plaisir à l’exercice, et trouvé que c’était un bon exercice, répétition ;-) que d’écrire une histoire composée à 100 % de dialogues.
Serait-ce transposable à un roman entier ? Je me demande si cela a déjà été fait…
Juste avec des dialogues, je ne pense pas, il faudrait au moins les monologues et les réflexions des personnages. Si quelqu’un a des exemples, je suis curieux.
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— Je ne vous ai jamais vu aussi contrarié, commissaire. Enfin, contrarié n’est peut-être pas le mot adéquat... las, peut-être ? Je n’ai pas en face de moi le commissaire Dupin que je cotoie depuis…oh la la, depuis si longtemps.
— Va pour las, je ne sais pas trop... J’ai rarement eu une histoire aussi pénible à gérer, et à digérer. Déjà, les drames familiaux, par principe, je déteste. Je veux dire, si vous êtes sur la piste de vrais assassins, de vrais truands, de mafiosi aux mains couvertes de sang, de trafiquants de drogues, d’avocats verreux, d’agents immobiliers varois ou de philosophes télé, vous avez l’instinct du chasseur qui traque une proie retorse qui mérite, le cas échéant, et sans état d’âme, la balle perdue. La motivation est là. Mais les histoires familiales...
— Je comprends. Quand le drame est le résultat d’années ou de décennies d’incomprehension, de mauvaise ambiance, de silences assassins, de mensonges et de tromperies mesquines… Enfin bon, commissaire, on ne va pas refaire le monde. Nous avons passé l’âge pour ce jeu, du moins en état non alcoolisé.
— Non Monsieur le juge, je…
— On se connaît depuis assez longtemps, commissaire, je ne veux pas vous faire perdre votre temps, je résume brièvement les faits, juste pour vérifier que je les ai bien compris, et après, il nous , enfin, il me faudra prendre une décision, et pour elle, j’ai besoin de vous et vos intimes convictions. Depuis que nous travaillons ensemble, vos conseils et intuitions m’ont toujours été plus utiles que tous les rapports écrits du monde.
— Dois-je le prendre pour un compliment ?
— Vous pouvez, et vous savez que j’en suis assez avare. Bien, nous avons Pierre-Jacques Dubois, entrepreneur brillant, riche et ami de nombreux politiciens, qui, après une soirée très arrosée, trop, essaie d’assassiner sa femme dans la cuisine avec un couteau, justement de cuisine, il la frappe plusieurs fois, mais celle-ci, bien que blessée, réussit à attraper un autre couteau, toujours de cuisine, qui finit en plein coeur du mari. Le découvreur de la scène est le fils, vingt ans, étudiant en gestion dans une école privée en Suisse, qui rentre chez ses parents pour les vacances. Il arrive juste au bon ou au mauvais moment.
— Difficile de faire plus concis.
— Et vous connaissiez, ou connaissez très bien les personnes concernées.
— Oui, il y a une vingtaine d’année, un cambriolage avec violence chez les Dubois, ma première enquête en sortant de l’école de la police, et j’ai bien sympathisé avec le couple qui sont devenus des bons amis au fil du temps. Il faut dire que j’avais réussi à récupérer presque tous les bijoux volés.
— Pénible, pénible, je peux comprendre. D’après des témoignages, il accusait depuis longtemps sa femme de ne pas être… un modèle de fidélité… que pouvez-vous me dire là-dessus ?
— Ah, disons que Pénélope…
— Le prénom ne lui sied guère alors… quoique, professeur d’université, linguiste et archéologue renommée, elle avait une tête bien faite. Spécialiste des Gaulois et des langues celtiques, je crois.
— Oui, elle est même capable de faire un discours en gaulois reconstitué. Ne me demandez pas comment elle réussit ce coup-là. Elle en a dans le cerveau, je me suis toujours senti un peu bête devant elle, mais si vous descendez au niveau du coeur, ou plus bas, sous la ceinture, elle devient… comment dire ? plutôt naive, voire simplette.
— Des on-dit ou... ?
— Ou ?
— Pas besoin de vous faire un dessin. Pouvez-vous confirmer ?
— Peu importe ce qu’elle faisait réellement de ses fesses, le problème est ce que Pierre-Jacques croyait, et il se pensait cocu depuis longtemps. Ce qui n’aurait pas dû trop le contrarier, parce que lui-même, de son côté, je ne compte pas les voyages d’affaires avec des secretaires débutantes fournies par un de ses amis d’enfance, devenu producteur de films pornos.
— Ah carrément ? Ah oui… Mais alors pourquoi chercher à assassiner sa femme ?
— Il avait l’alcool mauvais, et violent. Et j’en ai été plusieurs fois le témoin.
— Il la battait ?
— Pas à ma connnaissance, mais il la menaçait souvent. D’ailleurs, le témoignage du fils est sans appel. Mais je dois avouer qu’il racontait souvent des trucs bizarres quand il avait bu, alors personne ne le prenait au serieux, même pas moi. À trois grammes, il massacrait tous les députés européens à la hache. Vous savez, si j’ai bu un verre de trop, moi-même, enfin plus qu’un, il m’est arrivé de trouver des qualités humanistes à Jean-Luc Mélanchon, si si, je vous le jure, vous voyez quels peuvent être les effets de l’alcool sur des cerveaux qui fonctionnent correctement en temps normal.
— Oh ben moi, je ne suis pas en reste, à un reveillon, nous avions abusé du champagne, vraiment abusé, je me souviens avoir raconté que Francois Hollande était de gauche.
— Noooon ? Là, les trois grammes devaient être dépassés depuis longtemps.
— Si, je vous le jure. Bon, juste après, j’ai pensé à Manuel Valls et j’ai dessaoulé en quelques secondes. J’ai quand même eu un grand-père républicain espagnol, je ne peux pas le trahir.
— Le contraire aurait été étonnant.
— L’alcool, cest terrible. Mais redevenons sérieux, le fils... Comment va-t-il ?
— Comme un gosse, malgré ses vingt ans c’est un gamin, qui a trouvé le cadavre de son père tué par sa mère, elle-même blessée et couverte de sang.
— J’imagine le traumatisme.
— En voilà un qui va faire la fortune d’une bande de psy-tout-ce-que-vous-voulez.
— Il hérite d’une belle fortune, je suppose ?
— Oui, il pourra les payer, cette bande de sangsues qui s’annonce.
— Et elle, comment va-t-elle ?
— Elle se remet de ses blessures, elle a eu de la chance, beaucoup de chance.
— Et … dans la tête ?
— Le cerveau a repris les choses en main, mais quand même, elle ne va pas bien. Voir l’homme avec qui vous vivez depuis plus de vingt ans essayer de vous massacrer et vous-même lui transpercer le coeur, le choc est rude.
— Là aussi il faudra des psy-quelque-chose ?
— Non, je ne pense pas, elle est trop intelligente pour leur faire confiance. Je vais peut-être vous surprendre, mais je pense que quelques semaines ou quelques mois dans un couvent lui ferait du bien.
— Vous plaisantez ?
— Non, pas du tout. Ce serait un peu long à expliquer…
— Soit, la question n’est pas là, la question est : que dois-je faire ? Commissaire, je vous demande de me dire franchement, entre nous, strictement entre nous, ce que vous pensez de cette affaire.
— Vous savez, Monsieur le juge, qu’en ce moment, trois affaires de fémicides particulièrment sordides déferlent sur les médias, et que beaucoup de mouvements feministes, mais pas seulement, sont remontés à bloc… Et avec cette histoire, nous fournissons une héroine qui serait hyper médiatisée, et s’il y a bien une chose dont Pénélope a besoin, pour se remettre d’aplomb, c’est de se faire oublier. Le premier point. Le deuxième, l’entreprise. Elle a besoin de stabilité, beaucoup d’emplois sont en jeu dans la région, et un déferlement sordide en place publique, pourrait la pénaliser. La réputation d’une boîte, c’est une grosse partie de son chiffre d’affaire. Et le fils va devoir mener cette barque, cela sera déjà assez difficile pour lui.
— Donc, si vous étiez à ma place, vous classeriez l’affaire.
— Oui. De plus, comme vous l’avez évoqué, Pierre-Jacques connaissait de nombreux politiciens, dont deux ministres actuels. Et ces gens-là n’aiment pas les scandales en place publique. Pourris, plus ou moins, plutôt plus que moins, mais discrets.
— L’argument me parle. Je ne vous cacherai rien, commissaire, j’ai déjà reçu quelques appels téléphoniques pour me donner des bons conseils. Je vous laisse imaginer.
— Je ne suis pas vraiment surpris. Et un autre argument, même si vous avez le droit de ne pas l’accepter, j’ai d’autres affaires brûlantes sur les bras, plus grave, et je manque déjà de personnel.
— Commissaire, vous avez été sincère, je le serai aussi. Je n’arrive pas à effacer tous les doutes de mon esprit. Trop simple. Êtes-vous sûr que la scène s’est bien déroulée comme l’a décrite madame Dubois ?
— Hmmm… Moi-même, malgré une amitié sincère pour elle… trop simple, vous l’avez dit. Depuis quelques jours, je me force à me remémorer toutes les scènes désagréables auxquelles j’ai assisté, en essayant de me souvenir des réactions et des mots de Pénélope.
— Et ?
— À mon avis, elle n’a jamais imaginé que Pierre-Jacques passerait à l’acte.
— Mais quand même, quelque chose vous titille.
— La présence des couteaux de cuisine. Je n’ai jamais rien vu trainer dans cette cuisine. Je veux dire, tout est toujours impeccablement rangé. Les deux sont des maniaques de l’ordre et du rangement, et le personnel a toujours eu interêt à le comprendre vite. Et là, deux couteaux à disposition. J’ai procédé à une reconstitution, informelle, avec une inspectrice, pour voir si le récit est plausible, et il l’est. Il devait être bien alcoolisé, parce qu’il a frappé deux fois sur le meuble. Apparememt tout concorde.
— Mais votre instinct de policier vous dit que quelque chose cloche.
— Mon instinct n’a aucune envie d’aller plus loin dans cette affaire, Monsieur le juge.
— Moi non plus, nous allons laisser l’affaire se tasser, madame Dubois se remettre de ses blessures et de ses émotions, et le fils essayer de reprendre l’entreprise, et d’ici quelques temps, nous cloturerons discretement le dossier. Il me faudra, bien entendu, un rapport d’enquête conséquent, où strictement rien ne devra… clocher.
— Vous l’aurez.
— Bien, et les autres affaires en cours ?
— Justement, je n’ai pas voulu l’utiliser comme argument, mais avant-hier, un Sicilien, Tancredi Salina, bien connu de nos services, comme on dit, s’est pris une balle en pleine tête dans une rue sombre, et la nuit passée, un entrepot de fruits et légumes a brûlé…
— De fruits et légumes ?
— Disons que la fumée qui s’en est dégagée a permis à tous les habitants du quartier de voler…
— Je vois. Représailles à l’assassinat ?
— Mon instinct me dit que oui. J’ai besoin de tout le monde sur le pont, ca sent mauvais peut-être une nouvelle guerre des gangs, alors le fémicide raté et le jaloucide réussi…
— On l’oublie. Je vous comprends, commissaire. Pensez-vous retourner voir madame Dubois, et son fils ?
— Non… Pour leur dire quoi ?
— Qu’il ne s’inquiète pas, que tout ira bien.
— Vous pourriez l’appeler vous-même…
— Non, vous la connaissez, ce sera mieux.
— Merci Monsieur le juge, merci pour eux. Je vais telephoner au fils, il m’a donné son numéro.
— Marc Dubois ? Allo ?
— C’est moi, Marc, comment va ta mère ?
— Elle dort. Le docteur a dit qu’elle allait bientôt pouvoir sortir. Alors, chez le juge ?
— Comme prévu, il va clore le dossier. Bon, c’était béton, mais en plus, des amis de Pierre-Jacques, bien placés, lui ont téléphoné pour lui donner de bons conseils. Et comme le bonhomme a des ambitions...
— T’es le meilleur, papa.
— Dans le style fils traumatisé, tu joues bien ton rôle.
— Je me suis entrainé. Je me suis relu l’intégrale de Shakespeare. Au fait, tu ne m’avais pas dit que le docteur était ton cousin. Il est dans le coup aussi ?
— Disons que je lui ai rendu quelques services officieux, et il me renvoie la balle. Il va juste un peu, un tout petit peu exagérer les blessures de Pénélope. Sur le papier, je veux dire.
— Aucun risque de ce côté ?
— S’il parle, j’ai assez d’arguments pour l’envoyer au moins dix ans en prison ou suggérer son nom à quelques Calabrais désoeuvrés.
— Ah ouaih… si je comprends bien, on a réalisé le crime parfait.
— Je n’aime pas l’expression, mais je pense que oui. On devrait dire le crime que tout le monde veut oublier. Cachez ce crime que je ne saurais voir !
— Ah ah, Tu es un génie, papa commissaire.
— Je te laisse, j’ai du taf, faut que je trouve un coupable cohérent pour le Sicilien que j’ai dézingué et l’entrepot que j’ai brûlé. Il me faut une guerre des gangs le plus rapidement possible. Faut que ça pète dans tous les coins. Embrasse bien fort ta mère pour moi. Je passerai la voir dès que possible.
— C’était qui ?
— Le commissaire.
— Le commissaire…pffff… quel lourdingue celui-là...
— Ne t’en fais pas , maman, il nous a été utile, et il ne nous embêtera plus très longtemps.
— Comment ?
— Le juge a informé directement les amis de ce Tancredi Salina que l’assassin de leur ami était le commissaire Dupin lui-même. Le juge était tout heureux de me le raconter, un vrai gamin. Et ces gens-là devraient lui rendre la monnaie de sa pièce, avec les interêts.
— Nous sommes des génies, mon fils.
— Tout le mérite te revient, maman.
— Tu y a mis du tien, tout de même.
— Je me suis même permis une petite fantaisie.
— Laquelle ?
— De raconter aux propriétaires de l‘entrepot de fruits et légumes qui est parti en fumée, que l’ordre venait directement du juge Marker. Nous devrions bientôt en être débarrassé aussi. Il faudra aussi s’occuper du docteur, juste par précaution. Même si son rôle est marginal, nous ne pouvons prendre aucun risque.
— Et dans six mois, ton père sortira enfin de prison.
— D’ici là, j’aurai vendu cette putain de boîte, et à nous la belle vie à Tahiti.
— Pedro, encore six mois pour toi.
— Oui, et après, une fois libre, je m’envole pour Tahiti, rejoindre mon fils et sa mère.
— Ah la famille, c’est merveilleux.
— Juste le temps de mettre ma main sur le pognon, et après je me débarrasse de ces deux-là.
— Pourquoi ?
— Elle est insupportable, et le fils est un idiot, en plus, je suis sûr qu’il n’est pas de moi. Elle a raconté à plusieurs mecs qu’ils étaient le père, pour les utiliser. Un flic, ce bâtard de Dupin à cause de qui je suis ici, le fils de chien, un juge, qui ne m’a pas loupé non plus, le fils de chacal, un mafioso sicilien, qui sais-je encore… ? Mais d’abord le fric, je la supporterai encore un peu, et je dois avouer qu’elle sait y mettre du sien pour t’enlever les doutes.
— Je suis d’accord, c’est pas bien ce qu’elle a fait. Être malhonnête à ce point… Et nous, pour presque rien, on moisi en prison. Regarde, moi, cinq ans , pourquoi ? Pour avoir enseigné les bonnes manières à ma belle-mère….
— Les bonnes manières à la tronçonneuse.
— Peut-être, c’est quand même injuste, trop injuste. Mais toi, les autres pères ?
— Elle va les faire éliminer. Je lui ai donné les bons conseils et les bons contacts.
— Raconte-moi, Pedro, on se fait chier dans cette prison…
— Tu vas rire tellement c’est simple, écoute, d’abord le commissaire… Mais après tu me raconteras tes techniques pour dissoudre les corps avec de l’acide.
— Promis, faut juste faire gaffe aux dents en or, c’est ce qui m’a foutu dedans pour ma belle-doche. Allez, je t’écoute.
— Commissaire Dupin ?
— Lui-même.
— Henri Bertrand.
— Monsieur Bertrand, mon directeur de prison préféré.
— Monsieur Dupin, mon fournisseur de prisonniers préféré, mon Lucky Luke. J’en ai un justement un des Dalton qui voudrait épancher sa conscience dans votre oreille.
— Qui ?
— Chihuahua Sanchez.
— Celui que je vous ai demandé de mettre dans la cellule de Pedro Cortez. Passez-le-moi s’il vous plaît.
— Commissaire Dupin ?
— Chihuahua, alors, tu as réussi à faire parler Cortez ?
— Tout, je sais tout. Je peux vous sauvez la vie, commissaire.
— Je ne suis pas un ingrat, Sanchez, allez, raconte-moi tout.
— Pénélope ? C’est moi, ton commissaire chéri.
— …
Non, c’est bon, je déconne, on s’arrête là...
Table des matières
En réponse au défi
Nouvelle policière uniquement en dialogue.
Je vous propose d’écrire une nouvelle qui ne sera constituée QUE de dialogues. Aucune description hors dialogue, aucune réflexions dans la cervelle des personnages, aucun « dit » « répondit » etc. Uniquement des phrases de dialogue, et tout, tout, le contexte, les personnages, l’intrige, la chute, devront se révéler dans le dialogue ou la suite de dialogues entre, à chaque fois, au moins deux personnes.
Je limite au thème de policier, ou criminel pour avoir en sus le plaisir de l’énigme et éviter les romances et les filgoudes, je veux des méchants et si possible des menteurs, comme nous ne pourrons comprendre qu’à travers ce qui dise les personnages, il peuvent essayer de nous tromper...
La longueur n'a pas d'importance, mais plus c'est long, plus...
Commentaires & Discussions
Le bal des menteurs | Chapitre | 2 messages | 3 semaines |
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