Hélène
La mort.
Par déni ou par peur on l'ignore. Elle vient à nous lorsque nous perdons un proche, un ami, un frère, une mère...
On l'oublie, on s'y oblige, on se relève.
Alors elle frappe à nouveau, sous nos yeux, un inconnu qui traverse la rue, un collègue absent, la voisine, notre chien... Comme pour se rappeler à notre (mauvais?) vieux souvenir.
Je n'ai jamais personnellement rencontré la Mort mais j'ai vu ses méfaits sur mon entourage. Comme tout le monde, j'élude ces pensées de mon esprit en me disant que le jour de ma propre mort est encore loin... Si j'ai bien conscience de ma propre mortalité je la refoule, je suis humain, mais en ai-je le droit ? Je ne considère pas la phrase « C'est la vie » si salutaire que cela pour celui qui l'a reçoit, mais on n'a pas trouvé mieux comme apophtegme pour adoucir la mort.... On doit bien vivre, après tout, il faut se battre.
Une question subsiste encore pourtant...
Pourquoi la mort s'imprègne-t-elle ainsi autant des gens qu'elle touche ? Pourquoi ne quitte-t-elle jamais vraiment les gens qu'elle croise ?
J'ouvre les yeux, chancelant. J'ai du mal à respirer. Il fait froid et sombre. C'est comme si le temps s'était arrêté.
Je me rends compte que je suis allongé sur un tas de feuilles mortes. Je me redresse et m'essuie. La chemise que je porte est un peu sale. Je regarde autour de moi et je me rends vite compte que je suis dans une forêt. Je me mets à marcher entre les branchages sans trop savoir où aller. Certaines branches m’égratignent la peau. Tout n'est que feuilles orangées, pastel, ocre. Entre les cimes des arbres, je perçois les rayons diffus du soleil qui tentent de percer les épais nuages qui strient le ciel. Le temps ombrageux annonce l'arrivée prochaine de l'automne.
J'aime cette saison.
Je respire mieux à présent mais j'espère trouver rapidement quelqu'un qui puisse m'aider à rentrer et quitter cette forêt avant la tombée de la nuit.
Après plusieurs minutes de marche, j’arrive au pied d'une colline où serpente un petit chemin de terre. Etrangement, cette vision ne m'apparait pas totalement étrangère. Je décide d'emprunter ce chemin, hâtant le pas. Arrivé en haut, je trouve une jeune fille en tenue de randonnée, assise par terre, les mains jointes sur ses genoux et la tête enfoncée dans ses bras. Intrigué, je m'approche d'elle.
- Excusez-moi, dis-je maladroitement, je cherche mon chemin, pourriez-vous...
Elle lève la tête et me regarde.
Je tressaille un instant. Je la reconnais parfaitement. C'est Hélène. Mon ex petite amie.
- Hélène ? Qu'est-ce que tu fais ici ?, balbutie-je.
- Qui êtes-vous ?, demande-t-elle, visiblement effrayée.
Elle pleurait depuis un moment déjà.
- C'est moi, Bruno. Tu n'as rien à craindre.
Je m'avance doucement.
- Moi, je ne vous connais pas, répond Hélène en se levant, prête à fuir, partez maintenant.
- Non, attendez, pourquoi pleurez-vous ?, m'enquiers-je.
Hélène hésite, baisse la tête et essuie ses larmes.
- Je pleure car mon petit ami m'a plaqué, répond-t-elle finalement.
- Ici même ?
- Oui, ici même, il vient de rompre...M'a plantée ici.
Je me rapproche d'elle.
- J'ignore qui est votre petit ami actuel, dis-je, mais il ne se rend sûrement pas compte de la chance qu'il a.
- C'est gentil, merci.
- C'est sincère.
Et soudain, j'eus un flash. Cette forêt, cette colline, ce moment.
Tout se matérialise à présent parfaitement dans ma mémoire. C'est fulgurant et assommant à la fois.
Tout paraît si clair, si tangible...
C'était il y a dix ans. Hélène et moi étions partis en week-end dans la forêt de Fontainebleau. Et c'est sur cette colline que je lui ai dit que c'était fini entre nous. Elle avait été mon grand amour de jeunesse et pourtant, à l'époque, je ne voyais en elle qu'une fille délurée et excentrique qui me déridait un peu. J'étais jeune, prétentieux et surtout stupide.
Elle n'a pas changé, la Hélène. Toujours ce regard si avide de dévorer la vie, ce visage espiègle que je n'ai jamais pu oublier. Elle, si radieuse, se battait pourtant déjà contre elle-même. Contre cette fragilité naïve qu'elle dissimulait à tout le monde, sauf à moi. Toutes ses fêlures m'étaient, je m'en souviens, insupportables à ce moment de ma vie.
Après un moment, lassée, elle se tourne vers moi et plonge longuement ses yeux dans les miens.
- Je dois partir, murmure-t-elle, si on m'entend parler seule je vais finir à l'asile.
Hélène, ma fille, tu dérailles, rentre...
Elle part, se sermonnant elle-même, peinant à sécher ses larmes.
Ne te parle plus comme cela, c'est dans ta tête. Ces voix sont dans ta tête.
Je reste seul, tout penaud, l'entendant jurer et l'observant s'éloigner puis disparaître dans l'épaisse forêt. Allait-elle rappeler l'homme qui avait rompu avec elle ? Etait-ce moi ? Etait-ce un autre ? J'en doute à présent...
J'ouvre les yeux, chancelant. J'ai du mal à respirer. Il fait froid et sombre. C'est comme si le temps s'était arrêté. Mon réveil indique quatre heures quarante-deux.
Je suis bouleversé. Je prends quelques instants avant de me rendre compte que je ne suis pas mort et que tout ceci n'était qu'un rêve.
Hélène...
Mon cerveau, comme dans un ultime élan de survie, m'avait fait revivre le moment le plus fort de ma vie pour adoucir ma mort. Que devais-je retenir de ce signe ? Que devais-je faire de ce rêve morbide et pourtant si vivant ? Devais-je faire la part des choses ?
Hélène...Tu ne m'as jamais vraiment quitté...
Soudain, oui soudain, c'est comme si j'entrevoyais mon chemin dans la nuit. Ceci devait m'aider à percevoir l'essentiel, à mettre de côté le superflu. C'est ce que les gens font une fois que tout est vain. Une fois que c'est fini, c'est bien fini. Les gens ne gardent que le meilleur. Ils ne retiennent pas leur vie au moment de leur mort, ils ne retiennent que des moments très courts. Ils réduisent leur existence à sa plus simple expression et cela leur va très bien avant de partir. Mais moi, pour le moment, je ne tiens pas à faire le tri dans mes moments, non, je n'y tiens pas. Je suis toujours en vie.
C'est mon choix. C'est ma décision. C'est ma chance.
Je dois te le promettre.
Hélène, je te retrouverai...
Auteur : Bruno Carlyle
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