2 - Un big boss
Sauve...notre fiiills...
Suzy...Alex...Les tueurs...la femme qui court vers une voiture rouge. Tout zigzaguait dans la tête d'Hammond, à la façon dont il roulait à travers Londres : il grillait des feux, dépassait les limites, doublait dangereusement, roulait à 200 et en sens inverse. Dans un autre cas, il aurait respecté les limites, quitte à faire un doigt d'honneur aux gangsters s'ils avaient osé toucher ne serais-ce qu'à un poil de sa femme. Mais il n'y avait pas d'honneur pour les gens qui n'avaient aucun scrupules à tirer des balles de 9mm dans les poitrines de pauvres innocents. Et cela, Mark le savait.
Il n'y a pas d'honneur aux riches qui engagent des tueurs pour briser en quelques minutes le seul brin de joie que vous avez. Vous vous endormez un soir, pour vous réveiller dans un cauchemar ambulant.
Epris d'une migraine, Mark se tint le visage d'une main, l'autre trop occupée à tourner. La Rover, devant lui, faisait n'importe quoi, roulait tellement dangereusement qu'elle pouvait à tout moment entrer en collision. Ils dépassaient les quartiers bourgeois pour entrer dans la zone de la pègre londonnienne : Soho, le quartier rouge, Chinatown, le quartier des chinois, Jamaïca, le quartier des Yardies...
A chaque tournant de rue, Mark portait dans son coeur un brin de peur, l'autre perdu dans ses émotions, tel une pluie de samedi soir.
Au détour d'une rue industrielle où se disputaient des rangées d'entrepôts délabrés et de ports industriels, la berline rouge s'arrêta. Les hommes en sortirent, en portant Alex comme s'il était un chien qu'on allait dévorer.
Mark les regarda, tout en maugréant entre ses dents :
- Espèce de salauds ! Salauds !
La seule fois qu'il avait ressenti cela, c'était quelque part où il n'y avait même pas de droit de colère. Dans un bureau, fermé par des barreaux, où il n'y avait qu'un lit, un lavabo, et un placard...
Vous êtes en état d'arrestation, Mr. Hammond ! Mettez les mains derrière la tête, à genoux, devant moi !!!
Le souvenir afflua comme la rage. Mark ouvrit sa portière
à la volée, et charga son pistolet. S'il devait mourir, il le ferait maintenant, quitte à se sacrifier pour son fils. Il courut en direction de l'entrepôt où les tueurs se dirigeaient. Ses mocassins brûlaient le sol, dans des bruits de claquements aïgus.
Il aperçut la berline, il aperçut son fils, il aperçut des hommes en costard, et il se vit lui. Il se vit lui quand il se planqua derrière une paroi métallique, à deux mètres d'un garde, armé d'une kalashnikov, qui se foutait pas mal de ce que pouvait penser le père de famille.
Lorsque Mark se retourna, ce fut au détriment de sa propre vie. La balle fut tirée presque immédiatement, la détente, la détonation...
Tout se passa très vite, et Mark perdit deux choses ce jour-là : son honneur, et...sa loi.
Il avait tiré en pleine tête : le garde s'écroula sur le sol, en se tenant d'une main innocente son visage meurtri par la chair nécrosée. D'autres gardes autour avaient entendu le bruit, et avaient dégainé leur mitraillette. Mark tira à nouveau, dans le vide. Il tira sur un garde, debout au dessus d'une plateforme, puis tira sur un autre, et un autre...
- Prends-ç'a, connard ! Prends-ç'a !
L'endroit lui paraissait familier, comme s'il y avait déjà été, comme s'il s'y était déjà aventuré.
Tandis que les gardes s'abrutissaient la vision en tirant des rafales de balles, tandis que les explosions de tonneaux retentissaient, Mark courut rejoindre l'entrée de l'entrepôt, en tirant. Pour le meilleur, et le pire, il laissa une traînée de sang derrière lui. La guerre venait de commencer...
Il courut en direction de la cage d'escalier, située dans le centre de l'entrepôt. Un garde gardait l'entrée, il tira sur son torse, ce qui lui provoqua une explosion de cris. Autour, ses amis le rejoignirent, comme s'ils avaient entendu un loup gémir.
Tout en hurlant comme une bête, Mark grimpa quatre à quatre les marches d'escaliers, et atteignit au premier étage, tout en tirant des rafales de balles, sans penser aux conséquences. Il pénétra un couloir humide, où des néons clignotaient, où des ordures traînaient. Autour, il ne voyait que ç'a : une putain de paperasse, du marketing, des cartons d'entreprises connues comme Nokia, Adidas, ou bien Coca-Cola. Où était-il ? Pourquoi ne s'en souvenait pas-t-il ?
Autour de lui, des cris, et des hurlements d'enfant retentissaient. Où était Alex ? C'était sa seule préoccupation.
Il tourna la tête, passa une allée, une autre, il grimpa un étage.
Au détour d'un couloir, il aperçut une porte grande ouverte, d'où réchappait une aigre odeur de tabac, comme si quelqu'un fumait un cigare. Dès lors, il courut, il sprinta vers la porte, tout en tirant à la façon de Matrix tout autour de lui. Il n'avait rien à foutre des conséquences, du destin de chaque famille. Des fois, la vie, c'est du caca, mais ç'a porte à réfléchir : il fallait protéger votre famille avant de penser à tirer !
Lorsque Mark pénétra le bureau de Charly Jolson, il aperçut d'abord un tableau, avec des adresses, des clichés, des post-it...
Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
Puis il vit Alex, qu'il visa sans pitié. Quand il l'aperçut, il faillit tirer, mais se ravisa. Il ne fit qu'hurler :
- Alex ?!
Avant que quelqu'un ne surgisse de l'ombre derrière lui. Il n'eut que le temps de se retourner qu'une batte maculée de sang se dirigea vers son crâne. La seule chose qu'il entendit avant de s'écrouler sur le sol, ce fut : "Il y a Hammond, les gars...". La seule...chose.
*
- Les gars, réveillez-le !
Une salle, un bureau...une odeur de tabac familière...des cigares anglais...une odeur de moisissure, de poussière...
Charly Jolson avait les pieds sur le bureau comme il les avait au bord d'une tombe. Sexagénaire sans pitié, qui tirait aussi bien que Lucky Luke,et qui n'avait besoin de personne pour qu'on lui dicte les règles du jeu. Un gangster imprégné de corruption et de véracité.
Il fumait un Davidoff, au bord des lèvres. Il portait un Ermenigildo Zegna à rayures, à la façon de Tony Montana. Mais il n'était ni cubain, ni fraîchement débarqué anglais. Il était purement et simplement londonien, et un gangster qui régnait depuis plus longtemps que la Reine était là.
Devant lui, attaché, ligoté à une chaise, ensanglanté, Mark Hammond reprenait ses esprits. Narquois, Jolson le fixa, et dit, malgré le fait qu'il soit encore dans les vapes :
- Bien le bonjour...Content de te revoir. Bien dormi ?
Hammond ne dit rien. Il secoua sa tête, le regard vers la lumière allumée au-dessus de lui. Elle paraissait sale, plus sale que Jolson. Charly Jolson le regarda à nouveau, puis prit des deux doigts son cigare et se redressa, en disant, un peu vexé :
- Hmm...T'as l'air un peu vaseux. Eyebrows, fais-lui reprendre ses esprits, tu veux ?
Le dénommé Eyebrows exécuta, et se dirigea vers Hammond. Il tenait dans les mains un fusil à pompe, qu'il porta à sa main gauche pendant que celle de droite plongeait dans sa poche. Il attrapa un flacon de remontant, le débouchonna, et le porta au nez ensanglanté de Hammond.
Ce dernier effectua un mouvement de défense, sursauta de frayeur, et tourna son regard vers Jolson. Eyebrows l'aida à se redresser, tout en ayant un rictus moqueur, malgré sa lassitude du métier. Quand Hammond eut terminé d'examiner la pièce et de respirer, il s'écria, tout en essayant de se débattre :
- Où est mon fils, putain d'ordure ?!
Jolson pouvait faire beaucoup de choses en un claquement de doigt, même s'il était seul. Sobre, il ne pouvait rien. Il inspira à nouveau une bouffée de son cigare, et dit à Hammond, qui était loin d'être calme :
- Patience mon garçon : une chose à la fois.
- Je te jure, Charly, si tu me dis pas où est mon fils, tu ferais mieux de me TUER TOUT DE SUITE !!
- Drôle de façon de saluer un vieil ami, s'énerva Jolson, tais-toi et ouvre bien grand tes oreilles ! T'es pas en position de demander quoi que ce soit.
Tout en parlant, il trempait son cigare dans son verre de whisky, et le pointait vers Mark. Hammond respirait cette affreuse puanteur, d'une voracité à toute épreuve. Il voulait mourir, il exprimait le besoin, le désir, d'être tué. Il aurait dû être tué par les balles ennemies, malheureusement, il n'en avait pas eu l'occasion. Agacé, enragé, il demanda à son interlocuteur :
- Ecoute Charly, ç'a rime à quoi tout ç'a, hein ? J'te croyais rangé ! Moi je le suis ! Je fais plus partie de la bande à Collins, bordel !
Il se débattait tout en parlant. Eyebrows le retint, avec violence, tenant fermement son fusil des deux mains. Finalement, il ajouta, plus calmement :
- Tu dois le savoir : je tiens une boîte de nuit...C'a fait que deux mois que je suis sorti du trou, je joue plus dans ce putain de MERDIER, D'ACCOOORD ?!!!
- Du calme fiston, tu vas finir par te faire du mal !
Hammond se leva, se défaisant de l'emprise des deux malfaiteurs. Il se dirigea bruquement vers le bureau de Jolson, en se débattant avec violence. Les malfaiteurs le tenaient toujours, mais il n'en avait rien à foutre. Il s'écria, d'une voix vorace :
- C'est à toi que je vais faire du mal, JE TE LE JURE, JOLSON !!!
- Eyebrows...Eyebrows...Fais en sorte qu'il écoute !!!
Hammond fut assis bruquement, tandis que derrière lui se tenait son pire cauchemar. D'une main violente, sans qu'il ne s'y attende, Eyebrows lui colla un uppercut en plein visage. Le sang gicla, son nez craqua, et il bascula sur le sol à toute allure. La chaise se renversa, tandis qu'Eyebrows haletait. A cet instant, la douleur ne lui faisait rien, on pouvait le marteler de coups, il ne ressentirait rien d'autre que de l'indifférence. Il souffrait déjà assez trop.
Jolson se pencha, toujours le cigare et le verre de whisky à la main :
- Tu m'entends ? Tu m'écoutes maintenant, Markie-boy ?
Puis, à ses employés :
- REMETTEZ LE SUR LA CHAISE !!
Eyebrows s'exécuta : il le ramassa comme une ordure, et ramassa la chaise. Il les remit droit, face au big boss, et s'éloigna vers la porte, le fusil pointé vers Hammond qui reprenait ses esprits avec douleur. Il devait avoir minimum une côte cassée, une lèvre fendue, et un nez cassé, mais il ne ressentait rien, c'était comme de l'engourdissement causé par du froid. Charly se leva, et se dirigea vers lui, le cigare aux lèvres. Il le posa dans une assiette, puis porta à ses lèvres l'exquis whisky. Le liquide ambré coula dans sa bouche, et il posa le verre avec claquement sur le bureau. Lorsqu'il dirigea son visage vers Hammond, il était normal, mais apte à faire tout ce qui lui était en son possible.
- On va jouer à un petit jeu. Tu aimes les petits jeux ? Eyebrows, file-lui le téléphone !
Eyebrows s'exécuta à nouveau, s'avança vers Hammond tout en plongeant sa main dans son costard comme s'il allait dégainer. Il jeta sur l'ex-détenu un Nokia, vieux d'un siècle, qui marchait toujours. Puis il revint à sa position. Jolson continua, encore plus malveillant qu'hier :
- Voilà le jeu auquel nous allons jouer. C'est un peu comme Jacques a dit, sauf que tu fais ce que je dis. Je t'appelles, tu fais le job. Tu fais pas ce que je te dis, ton fils crève. Si tu ne le fais pas où je te dis, ton fils crève. Si tu ne le fais pas quand je le dis, TON FILS CREVE, ç'a commence à rentrer ?!
Tout en disant, il marchait, en dirigeant des volutes de cigare dans tout le bureau. Il semblait s'amuser à voir le pauvre Mark souffrir, alors qu'il ne ressentait déjà plus rien depuis le méandre qu'était son passé heureux. Jolson revint à Mark brusquement, se pencha vers lui en lui fourrant le cigare dans le nez, et s'écria :
- T'es en retard, tu craches le morceau, tu me laisses tomber, ton fils crève ! Est-ce que j'ai été assez clair ?
Oui, eut envie de répondre Mark.
Mais il était trop préoccupé à fixer le vieil homme, à se poser un tas de questions, à regarder ce vieux shnoque fumer son putain de cigare et boire sa saloperie de boisson. Il répondit soudainement, les mots affluant dans sa bouche :
- Très. Mais pourquoi moi, Charly ? Pourquoi ? Je t'ai fait quelque chose ?
- C'est pas vrai, fit Jolson, lassé.
Il ajouta, en soufflant une volute de cigare :
- Tu fais toujours pas attention ? T'as pas écouté, fiston ? T'es en CAVALE ! T'as tué ta femme ! T'as laissé l'arme sur le lieu du crime, à Covent Garden ! T'as été condamné pour braquage de banque ! Tu crois vraiment que les flics vont te CROIRE ?!!!
- ...
Mark réfléchit, vaseux. Il allait bientôt replonger, il en était sûr. Le sang, les crosses, les armes, l'argent, le prix de la mort...
C'était un passé dont il n'était pas fier, qu'il voulait enterrer. Il répondit, d'une voix lasse :
- Tu ferais mieux de me tuer, Charly...Parce que sinon, c'est moi qui te ferais LA PEAU, J'TE JURE !!!!!!
- Mark, Mark, Mark, fit le vieil homme en se tournant vers son bureau pour poser son cigare, pourquoi tant de haine ?
Il se retourna lentement, comme s'il allait le tuer.
- Qu'est-ce que je vais faire de toi ?
Ce ne fut qu'une phrase, qui en valait bien d'autres. Il jeta son uppercut dans le visage de Hammond, qui souffra encore. Il continua, comme un gangster dévoué de culpabilité :
- T'en as aucune idée, n'est-ce pas ? Tu as cru que j'étais venu que pour la presse ? Quand Bethnal Green en aura fini avec toi, on vous enterrera, toi et ton fils !
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