Épilogue : arrivée en 2015

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Je dus tâtonner encore longtemps afin de trouver ma voie. Je restai deux ans l’institut Cardijn. J’y passai de très bons moments, me fis des amis du tonnerre et je découvris une de mes plus grandes passions : le jeu de rôles. Je vécus ma première relation sérieuse, qui dura trois ans et demi, avec une femme formidable. Mais pour les cours, ce n’était pas encore ça.

La première session d’examens ébranla totalement la légère confiance en moi que je venais d’acquérir. Mon premier oral fut réussi, mais avec une côte de onze sur vingt. Bien que tout le monde me disait que c’était bien pour un premier essai, surtout avec ce prof-là, je me trouvais médiocre. L’examen suivant fut le pompon. C’était de la philo morale. La prof, très spéciale, bégayait pendant les cours. Mais j’adorais ses exposés, ce fut d’ailleurs le seul cours que je n’ai jamais manqué.

L’examen commença et elle tira sa première salve : « vous êtes nouveau ? Parce que je ne vous ai jamais vu en cours ! » J’étais désarçonné. Je commençai néanmoins à répondre à la question de l’examen, mais arrivant presque au terme de la réponse, je perds les pédales. Panique totale, trou noir et je commence à bégayer. La prof crut que je me moquais d’elle alors que simplement, je paniquais, et bien que ma réponse était aux trois quarts bonne, je reçus la note de deux sur dix. Elle me rétorqua que j’étais immature, que j’avais étudié son cours par cœur et que je n’avais rien compris à ce qu’elle voulait m’enseigner.

Cette histoire me cassa tellement qu’au troisième oral, j’arrivai tremblant comme une feuille avec des difficultés à respirer. Le prof me renvoya chez moi en me demandant de prendre un certificat médical. Résultat : de nouveau une cure de Temesta pour quelques semaines. Je ne pus terminer mes études d’AS, déjà pour ces petites raisons, mais surtout je n’étais pas prêt. J’étais trop proche des usagers. J’avais du mal à mettre une barrière, à prendre du recul. Je ressentais fort ce qu’ils étaient en train de vivre. Trop sensible, trop empathique avec les usagers pendant les stages, c’était trop difficile pour moi.

Je tentai alors l’impensable : les premières sections informatiques ouvraient en secondaire. À vingt-et-un ans, je me retrouvai sur les bancs de l’école, à côtoyer des gamins de seize et dix-sept ans. Presque tous les matins, je sortais tripes et boyaux, et quand cela ne se transformait pas en crise d’angoisse pure et simple, j’arrivais à me traîner jusqu’à l’école. Je découvris ce stress, mon corps qui me montrait que je ne faisais pas les bons choix. Vous l’avez deviné, je ne pus terminer mon année.

Je tentai par après l’apprentissage en informatique. Mais là encore, ce fut dur, j’eus mal. Bien que j’adorais travailler dans ce petit magasin d’informatique, mon mal était toujours là. En plus, cette année-là, je rompis avec ma compagne, après trois ans et demi de vie de couple. Ce n’était pas facile, ni pour elle, ni pour moi, et même si la rupture était de mon initiative, il me fallut des mois pour m’en remettre.

Je commençai donc à vivre seul. Mais sans le sou, étant viré de l’école d’apprentissage pour mon absentéisme excessif, je n’avais droit à rien, pas de chômage, que dalle. Je n’avais même pas de quoi payer mon loyer. La solitude, pour couronner le tout, n’aida pas. Je replongeai pendant quelques mois, je retentai d’écrire, et commençai un carnet appelé les tourments de l’âme. Certaines pages sont d’ailleurs tachées de sang, parce que j’écrivais avec les bras ensanglantés. J’avais recommencé à me mutiler, ma douleur et ma solitude étant tellement forte. Je ne pouvais pas rester comme cela, sinon j’allais recommencer toutes mes conneries. À vingt-quatre ans, je retournai vivre une première fois chez ma mère.

Durant cette période, en juin 2003, je commençai à discuter sur internet avec cette fille. Avec la bande d’amis de Louvain-La-Neuve, nous avions créé un site internet, l’atoll du web, où nous parlions tous de nos passions. Je m’occupais de la partie jeu de rôles avec un ami, nous rédigions des articles et modérions la section du forum dédiée au sujet. Elle était venue s’inscrire sur le forum. Nous avions sympathisé, et quelques semaines après ma séparation avec mon ex, nous commençâmes à discuter sur Messenger, pendant une bonne année. En août 2004, je trouvai finalement un job, d’abord par intérim. Et avant que l’on me propose un contrat, cette demoiselle de Suisse vint me voir ici, en Belgique. Je me rappelle notre premier baiser. C’était le deuxième jour de sa visite, nous discutions en terrasse, et il vint tout seul, comme par magie.

Je signai mon contrat dans cette grande compagnie vendant culture et technologie la semaine après la visite de ma chère et tendre. Je commençai comme stockiste, passant ma journée à coller des étiquettes sur des livres et les envoyer en magasin. C’était un travail certes pas très passionnant, mais au moins il était tranquille.

Durant cette première année de boulot, j’arrêtai le Trazolan, dernier médicament que je prenais (donc oui, vous avez vu, ça a duré encore longtemps). Je n’étais plus suivi par personne, hormis mon médecin traitant. J’arrêtai de mon propre chef, en baissant progressivement les doses, comprenant que je n’en avais plus du tout besoin. Ce fut une décision difficile, couper une habitude de plusieurs années me faisait un peu peur. Les premiers jours furent difficiles. Malgré la fatigue physique, je n’arrivais pas à dormir. Mais après quinze jours totalement clean, tout rentra dans l’ordre.

Une bonne année plus tard, je tentai un coup de maître. Je chipotais énormément à faire des sites internet. La direction était en train de mettre en place son site d’e-commerce, ils semblaient chercher du monde. J’allai voir le directeur en proposant mes services. Je ne fus pas engagé pour travailler sur ce projet, mais à la place, on me fit tester des ordinateurs pendant deux heures, à diagnostiquer des pannes et problèmes de toutes sortes. Je fus catapulté comme seul technicien informatique, au Service Après-Vente du magasin de Bruxelles.

J’aimais beaucoup mon travail au début, et je fis part de mes expériences passées au directeur à et à mon chef. Je pus un tout petit peu infléchir sur la politique de la clinique micro, parce qu’il était bien clair d’une chose : les managers n’y connaissaient rien. Que ce soit au niveau législatif, au fonctionnement du monde informatique, et du service informatique à la clientèle.

Je dus me battre pour mon travail. J’étais seul dans une équipe qui s’occupait de tout le reste du SAV. Et c’était un métier dur, très souvent, on se retrouve insulté, traité de tous les noms. Un exemple parmi tant d’autre pour vous montrer ce quotidien : un client qui avait fait une mauvaise manipulation sur son ordinateur voulait même à un moment, porter plainte contre moi pour vol d’un fichier DLL. Il m’arriva d’éviter plusieurs fois l’envoi de téléphones dans la tronche, car les clients furax, ne comprenaient pas pourquoi leur appareil tombé dans l’eau était irréparable.

Je repris en 2008 des cours du soir. Je rêvais secrètement de monter ma boîte. J’adorais faire des sites internet. Je voulais en faire mon métier, même si j’avais encore beaucoup de choses à apprendre. Comme j’étais sans diplôme, j’étudiai la gestion, pour pouvoir monter entreprise. Ces cours duraient six mois, à raison de trois soirs par semaine. Ce ne fut pas facile, de conjuguer avec le boulot, mais je réussis la formation avec brio.

Au bout de quelques années, elles réapparurent. Les nausées matinales, les douleurs incessantes. Elles durèrent pas mal de temps, mais je laissais courir, et tout devenait plus dur. Ma relation avec ma douce et tendre compagne devenait également invivable. On se parlait à peine. J’envoyai tout valser en juin 2009. Je fis une replongée fantastique dans l’univers des crises d’angoisse. Je fus de nouveaux sous traitement, avalant Temesta sur Temesta. Je chassai ma compagne de la maison.

Malgré toute cette spirale, j’essayais de tout faire pour rester positif : pour moi, ce n’était qu’une mauvaise passe. Je devais virer tout ce qui me faisait du mal pour aller de l’avant. Cela incluait ma relation avec ma compagne, mon travail, et réfléchir à ce que j’allais faire pour vivre plus sereinement. Cependant, début septembre, le drame atteignit son paroxysme.

En arrivant au travail, je regardai par hasard mon fil Facebook sur mon téléphone. Et je vis des messages, un nombre incalculable de messages sur le mur d’Aurélia. Des mots de tristesse, des questions, des coups de colère. Elle était partie, elle avait mis fin à ces jours. Bien que je n’avais plus énormément de nouvelles d’elle, cette annonce me dévasta. Alors que j’essayais de rester positif, de trouver un sens pour me battre et remonter, le fait d’apprendre son départ ruina en quelques minutes tous mes efforts.

Je m’en voulus énormément. Deux bonnes semaines avant, j’avais écrit à toutes ces personnes qui avaient beaucoup compté pour moi, qui m’avaient soutenu à un moment, ou partagé mes souffrances. J’expliquai ce qui se passait en moi, que je ferais tout pour me battre et m’en sortir. J’avais envoyé cette lettre à Aurélia. Même encore maintenant, je me sens responsable, même si je sais que des graves événements se sont produits dans sa vie. Mais cette pensée m’obsède, j’y pense souvent. Est-ce qu’elle serait encore là si je ne lui avais pas envoyé ce courrier ? Je pense que je n’aurais jamais de réponse à cette question.

Suite à cette nouvelle, je n’arrivais plus à rester positif, un gouffre s’était de nouveau ouvert sous moi, et je plongeai dedans, sans regarder si la moindre chose pouvait me retenir. Je commençai à planifier. Un lundi matin, je rencontrai ma mère. Je lui donnai les clés de mon appartement, prétextant, comme ma compagne ne vivait plus avec moi, qu’il fallait que j’aie un backup si je perdais mes clés. Mais je savais ce que je comptais faire au soir. Cette nuit-là, j’écrivis une lettre annonçant mon départ. Je l’envoyai par mail vers minuit, pensant que personne ne verrait ce message avant le lendemain. Je me mis rassembler tous les médicaments que je pouvais, et commençai à les ingurgiter. Le téléphone sonna pendant qu’ils se mirent à faire effet. C’était un ami d’internet qui essayait tant bien que mal de me joindre. Au bout de plusieurs essais, je décrochai. Il réussit à me calmer, me fit aller chez ma voisine de palier qui appela l’ambulance. Je me rappelle juste être monté dans celle-ci, n’ayant plus aucun souvenir de la suite des événements.


Lorsque je me réveillai, j’étais aux soins intensifs, et un policier était là, à attendre. Il me posa quelques questions pour confirmer mon identité et s’en alla. Ma mère avait appelé la police, elle n’arrivait pas à me joindre, et je n’étais pas chez moi. Mes parents arrivèrent peu de temps après, mais impossible de sortir, bien que les infirmières confirmèrent que j’étais en état physique de le faire. Il fallait attendre la visite d’un psy qui déciderait si on me gardait ou pas. Il était hors de question, pour moi, de retourner à nouveau en unité psychiatrique. Pour moi, mes hospitalisations n’avaient servi à rien, je m’en étais nettement mieux sorti par moi-même, et je ne voulais pas rester enfermé, gavé de médocs plutôt que d’avoir quelqu’un à qui parler. Je ne voulais pas me retrouver de nouveau avec des personnes qui ne faisaient que partager des expériences difficiles ou morbides, ou des personnes ayant des troubles plus sévères. J’avais déjà donné, cela n’avait rien arrangé.

Lorsque je vis arriver ce psy, je commençai à désespérer. C’était vraiment le stéréotype du psy « savant fou », les cheveux en batailles, un mélange de coupe à la Jackson Five et à la Einstein. Mais je discutai pas mal avec lui, racontant que je reprendrais contact avec mon ancien psy, et que j’irai vivre quelques-temps chez ma mère. Je ne savais plus m’occuper de rien de toute façon, et il me faudrait en plus plusieurs jours pour récupérer de la dose massive de médicaments que j’avais absorbée. Avec l’assurance que je retournerai chez ma mère, il donna son accord pour que je quitte l’hôpital.

La première chose que je fis, en arrivant chez ma mère, fut d’allumer mon téléphone. Ma messagerie était pleine, et je fondis en larmes. Les messages de détresse de mes proches, qui avaient essayé de me contacter, me donnèrent une grosse claque. Je dus affronter tout le monde, les semaines qui suivirent, et ce ne fut pas facile : encaisser leur colère, que je comprends, leur tristesse et leur désarroi face à mon geste.

Je retournai donc vivre chez ma mère. Je ne pouvais plus rester seul dans cet appartement, à Bruxelles, et je n’arrivais plus de toute façon à faire front seul face à toutes les tâches quotidiennes. Je quittai mon travail, après une tentative de reprise de boulot qui ne dura que quelques jours. Je ne pouvais plus rester dans cette atmosphère, être pressé comme un citron. Mon départ se passa assez mal, la direction refusant de me donner un préavis, et comme je n’étais pas apte à négocier, pour qu’on en finisse au plus vite, j’eus un C4 médical. C’est comme cela maintenant, les grosses sociétés. Tu rapportes pas mal de fric, tu aides pour des gros contrats ou la compagnie se fait un max de blé, et le seul remerciement que tu en as c’est de finir le contrat sans même un merci ou une compensation.

Une fois au chômage, je me mis à chercher des formations, pour me parfaire en informatique, et je me lançai dans celles-ci : un peu de développement web pour commencer, mais surtout en administration système Unix, où je rencontrai un pote du tonnerre, qui n’habite pas très loin de chez moi.

J’ai vraiment embrassé le logiciel libre à cette époque, bien que je le supportais déjà, ces formations me permirent de mieux connaître le milieu, et sa philosophie, qui pour moi, est synonyme d’avenir, de société plus juste, si on applique ces principes dans les autres domaines. C’est d’ailleurs aussi une des raisons pour laquelle tous mes écrits sont dans le domaine public. Que d’autres puissent en profiter et s’approprier ce que je fais, pour que le mot partage, le mot « bien commun » puisse avoir un sens dans une société où seul l’argent compte.

Je me rendis compte aussi de beaucoup de choses en retournant chez ma mère. Ma compagne, que j’avais envoyé balader me manquait de plus en plus au fur et à mesure que le temps passait. J’allais souvent chez elle, et un beau jour, comme j’étais vraiment pas bien, ma mère me posa la question : est-ce que tu te vois faire des enfants avec elle ? C’est là que je compris, parce que oui, je me l’imaginais bien. Et depuis, elle m’a donné le plus magnifique des cadeaux, le meilleur remonte moral par ses sourires, notre fils Henri. Il suffit qu’il coure vers moi, avec son si beau petit rire pour faire envoler le moindre petit souci et faire fondre mon petit cœur.

Avec le net, je commençai à bloguer. Timidement au début, faisant quelques trucs pas très intéressants. L’antre du Greg, mon site, connut d’ailleurs plusieurs versions avant d’arriver dans sa version finale telle qu’on la connaît maintenant. Je me renseignais aussi de plus en plus sur le monde, et je me rendais compte que mes sentiments d’ado étaient dans le juste. Le monde ne tourne pas rond. Je parlai pas mal de cette vision du monde sur Facebook, voulant essayer de sensibiliser d’autres. Mais j’eus souvent l’impression de parler à un mur, les gens ne semblaient pas s’intéresser à cela, aux problématiques de société, préférant leur petit train-train quotidien, partageant des photos de chats ou des vidéos généralement stupides. Et un beau jour, j’ai trouvé des gens qui partageaient en grande partie ma vision de la société : les pirates. Je me sentais enfin compris, je me sentais moins seul.

Mais j’avais toujours du mal à savoir ce que je voulais réellement faire dans la vie. Retravailler dans un système que je n’approuve plus du tout, où je risquais de retomber malade, je n’en voulais plus. Chercher du boulot devint un calvaire, n’ayant jamais de réponse, ou alors des réponses types du genre que je suis sous-diplômé. Je voulais travailler dans l’associatif, me rendre utile à la société1. Mais même pour toutes les associations pour lesquelles je postulais, je ne recevais jamais aucune réponse.

La révélation se fit petit à petit. Mon blog commença à « cartonner » avec un billet coup de gueule sur les stéréotypes du chômeur fainéant2. Je commençai à découvrir des auteurs libres, qui écrivaient sur leur blog des histoires, des nouvelles, montrant qu’écrire par ce biais était possible.

Le goût de l’écriture me revint et je me remis à écrire corps et âme, écrivant tous les jours, même si je ne mettais rien sur le blog. Mon rêve d’adolescent était revenu m’habiter. Devenir écrivain. Je ne m’estime pas encore réellement comme tel, car j’ai encore beaucoup de progrès à faire. Je n’en vis pas non plus, car je veux avant tout partager ce que je fais, que ce que j’écris soit accessible à tous. Cette idée hante mon esprit au quotidien, comme je l’explique dans plusieurs billets de mon blog. Peut-être qu’un jour j’arriverai à en vivre, car rares sont les « élus » qui vivent de leur art, encore moins les doux rêveurs utopistes tels que moi qui mettent tous leurs écrits en libre accès. En attendant, je fais enfin quelque chose que j’aime, et chaque fois que je vois qu’un de mes textes touche quelqu’un, je sais que je n’écris pas en vain. Et ce sentiment, ces mots de remerciements et de soutiens pour mes écrits sont pour moi bien plus enrichissants qu’une simple monétisation. Ils sont la meilleure rétribution que l’on puisse avoir.

Je sais qu’il y a encore des cicatrices qui me font mal, que ces expériences ont laissé des traces. J’ai peur du regard des autres, suite aux moqueries et aux coups durs que j’ai subi par le passé. Mais tout doucement, avec le temps, ça se répare petit à petit, et je commence à prendre un peu confiance en moi. Ce n’est pas rose tous les jours, mais ma chère et tendre, mon petit fiston, les amis et une partie de la famille sont là. C’est ce que j’ai de plus cher au monde, c’est ce qui me rend si riche. Je ferai tout pour faire le bout de chemin le plus long possible avec eux.

Je sais que la voie que j’ai choisie n’est pas facile, que beaucoup de monde me regarde de travers lorsque je dis que je préfère aider les autres plutôt que de bosser dans une grosse boîte avec un bon salaire. Je terminerai juste en écrivant ces mots : oui, la route est longue, mais la voie, elle, est libre.

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