Préface
Tu vas lire une histoire banale, une histoire qu’il n’est pas banal de lire.
C’est l’histoire banale d’un adolescent. Greg, gamin à fleur de peau dont la sensibilité, les émotions, les amoures se gravent dans la peau. Greg, rêveur lucide, qui voit le monde qui l’entoure, les gens qui l’entourent et qui ne comprend pas les injustices, les sourdes oreilles et leurs œillères. Greg, humain sans filtre, qui prend le monde en plein bide, jusqu’à ce que la boule grossisse et explose, comme ça arrive souvent à cet âge-là.
Ce n’est pas banal de lire une telle histoire. Car même si on a oui-dire que d’autres ont vécu une telle adolescence, peu de gens osent la livrer, ainsi, sans fard. Il y a dans ce récit autant de dévoilement que de pudeur. Les faits et leurs effets y sont livrés, crus ; je ne peux m’empêcher d’y sentir une certaine retenue, une touchante timidité qui nous accompagne dans l’intime.
Car ce livre est écrit en dégradés. Il y a des dégradés dans le temps, où Greg le père et l’adulte revient sur le journal de Greg l’adolescent, sur la pointe des pieds de page. Puis Greg le jeune homme revient sur la fin de son adolescence, sur ces instants du pire où tombent les rechutes, relus par l’adulte du présent. Puis le Greg d’aujourd’hui nous accueille au bout de ce chemin de vie, pour parler des futurs immédiats, des présents que l’on peut changer et des avenirs qu’il espère.
De ces dégradés de temps naissent des camaïeux de styles, qui s’étendent d’une rudesse brute d’ado un peu gauche, à la finesse tendre d’un adulte qui a trouvé comment exprimer sa fleur de peau au fil des mots et émotions. Un style qui déroute au départ, puis prend du souffle, de l’ampleur, comme pour ajouter de la tendresse aux moments les plus noirs.
Les idées se nuancent, donc au fil de ce dégradé, au fur et à mesure que le temps passe sur les expériences. Violentes comme douces, tragiques et malheureusement quotidiennes, ces tranches de vies servies par Greg nous permettent d’évoluer au fil de sa pensée et de ses compréhensions, et de voir son point de vue avancer et grandir avec lui.
Ce livre est un voyage empreint de courage. Le courage de se livrer, de parler, là où le silence est généralement aussi présent qu’oppressant. Dire tout, même les affres les plus grandes, même ces scènes qu’il est si dur de rendre quand on sait que ses proches les liront. Témoigner, simplement, ne serait-ce que pour dire aux ados qui liraient cet ouvrage avec leur propre boule au ventre qu’ils et elles ne sont pas seul-e-s, que d’autres ont survécu.
Il faut une sacrée dose de vaillance pour affronter le flot de ces réminiscences, la noirceur de ces espoirs retombant dans les abîmes, l’infernal rythme de ces chutes et rechutes. Avoir la force de se repencher sur les instants les moins heureux, sur toutes ses faiblesses, afin de les redonner et d’en offrir les leçons tirées.
Car il est un autre grand courage qui sous-tend ce livre : c’est le don. Cette histoire, son histoire, ses moments les plus doux, violents, forts et intimes, Greg les élève dans notre Domaine Public. Il nous donne le droit d’en faire ce que bon nous semble, de l’adapter comme de la trahir, de la délaisser ou la transmettre. Greg ne nous confie pas une histoire, il nous confie la sienne… de manière aussi littérale que littéraire.
Toi qui vas lire ces lignes, moi qui viens de les finir… je me permets de te donner un conseil : laisse-toi porter. C’est une vie en dégradés, une expérience à vivre de bout en bout. Un voyage pas banal dans un commun qui, je le crois, ne te laissera pas tel que tu l’as commencé… Mais qui te laissera Libre.
Pouhiou.
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