Mortelle contagion
Annie se pressait sur le chemin. Elle était en retard. D'ici, elle entendait les autres ouvriers qui s'affairaient déjà dans la mine. La société dans laquelle elle vivait, plaçait le travail au-dessus de toute chose. Elle ne pouvait pas se permettre d'arriver après l'heure. Elle finit le trajet en toute hâte. Heureusement, personne ne lui prêta attention et elle put se faufiler parmi ses collègues. Cela faisait des mois qu'ils creusaient cette nouvelle galerie et plus ils avançaient, plus le travail était exténuant car il fallait faire de plus longs voyages pour déblayer la terre et les pierres. Mais leur équipe était soudée, ce qui leur permettait de tenir le coup. Annie se sentait à l'aise parmi ses collègues. En fait, elle les considérait davantage comme des amis, presque comme une famille. Elle éprouvait du plaisir à être en leur compagnie.
Le gros Bob qui travaillait à ses côtés, tout à coup bascula en arrière, les membres agités de soubresauts. En quelques secondes, il trépassa sans que personne ne puisse lui venir en aide. Ce n'était pas la première fois qu'Annie voyait une telle chose. Depuis quelques jours, c'était le troisième membre de leur équipe qui rendait l'âme de cette façon. Elle contempla avec horreur le corps du malheureux ouvrier qui venait de s'arrêter de bouger. Cette chose recroquevillée sur le sol, ce n'était déjà plus Bob. Elle regarda autour d'elle et vit le reflet de sa propre peur dans les yeux de ses collègues. Une ancienne qui était aussi un peu leur chef, prit les choses en main. Elle fit évacuer le corps de Bob et renvoya chacun et chacune à ses foyers. C'était sans doute la meilleure décision à prendre. Une fois que les autorités auraient investi les lieux, il ne serait de toute façon plus possible de travailler. Annie frissonna en quittant la galerie : qui sait ? Peut-être serait-elle la prochaine à mourir ? A ce rythme, il n'y aurait bientôt plus un seul ouvrier pour faire tourner la société minière...
Une troupe arriva en sens inverse : c'étaient des soldats. Pour qu'on les envoie à la mine, il fallait vraiment que la situation soit grave. Annie s'écarta de leur passage. Elle trouva le bruit de leurs pas quelque peu sinistre, mais peut-être était-ce dû à ce qu'elle venait de vivre. Ils la dépassèrent sans même la regarder. Ce qui n'était pas étonnant d'ailleurs car les soldats ne s'occupaient jamais des ouvriers. Ils formaient une caste à part et ne se mélangeaient pas aux autres. Annie se demanda s'ils étaient sensible à la peur qui avait gagné tout le reste de la colonie. C'était difficile à dire... aucune émotion ne semblait pouvoir transparaître de tels individus. Mais alors qu'elle allait détourner son regard d'eux, un mouvement insolite capta son attention. Un soldat venait de s'effondrer, créant un remous parmi ses camarades. Et soudain, d'autres tombèrent à leur tour : une véritable hécatombe!
Comme Bob, ils se retrouvaient sur le dos, leurs membres battant l'air de manière grotesque. Annie hésita : devait-elle leur porter secours ? Elle décida que non, après tout ce n'était pas ses affaires ! Si ça avait été elle qui s'était effondrée, ils n'auraient sans doute même pas tourné la tête dans sa direction. Elle se dépêcha de quitter les lieux. La panique contaminait toutes les allées. Certains couraient dans tous les sens, d'autres mouraient brusquement et leurs corps, de plus en plus nombreux, encombraient le passage. Etait-ce la fin du monde ? Annie se demanda si les colonies voisines subissaient les même ravages ou si cela ne concernait que la leur. Apparemment, aucune couche de la société n'y échappait : que l'on soit ouvrier ou militaire, l'épidémie frappait de la même façon.
L'ouvrière sentit son coeur se serrer : elle ne voulait pas finir comme ça. Puis elle se morigéna : elle ne devait pas céder à la panique, sinon elle était perdue. Elle aurait du tourner à droite pour rentrer chez elle, mais les cadavres qui jonchaient le sol la dissuadèrent d'y aller. D'où venait ce fléau qui les touchait si cruellement ? Sans savoir pourquoi, elle se mit à courir. C'était stupide bien sûr : elle ne serait pas épargnée pour autant ! Elle traversa au hasard plusieurs allées et partout, elle vit le même spectacle de désolation. Les quelques survivants qui comme elle, erraient à la recherche d'un endroit sain, finissaient eux aussi par succomber, comme frappés par une main invisible. Annie les évita, comme elle évitait de toucher le moindre corps, par crainte d'une contagion.
Les quartiers de la Reine étaient tout proches. Voilà un refuge sûr ! se dit-elle en se demandant vaguement si on la laisserait entrer. Mais là aussi le mal avait fait son chemin... Les gardes qui n'étaient pas morts s'étaient enfuis et un silence lugubre régnait dans les appartements royaux. Mais un son ténu parvint à l'ouvrière, cela venait de loin. Annie traversa plusieurs couloirs avant d'en localiser la source. Allongée sur le dos, aussi misérable que le plus insignifiant des ouvriers, la Reine agonisait. Ses derniers nés, agglutinés autour d'elle n'étaient déjà plus de ce monde. Annie s'approcha d'elle craintivement. Elle se risqua même à la toucher, mais la Reine, toute à sa douleur, ne s'en aperçut même pas. Elle mit plus longtemps que Bob à mourir, mais toute reine qu'elle était, son corps s'immobilisa.
Annie sentit un grand vide l'envahir. Si même la souveraine avait péri, où diable trouverait-elle un asile ? Elle n'eut pas le loisir de s'interroger plus longtemps. Une douleur infernale la renversa et tandis que ses membres, comme mus d'une volonté propre, s'agitaient dans tous les sens, la vie s'échappa de son corps...
Maurice donna un dernier coup de bêche dans la terre et le corps énorme de la Reine apparut, sectionné par la moitié. Saleté de bestioles ! Il les avaient enfin eues... Le type de la société H & Cie qui lui avait vendu ce produit avait raison, le résultat était fulgurant. En sifflotant gaiement, l'insecticide à la main, le jardinier s'en alla exterminer une autre colonie.
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