L’éclat de Cyran
- Lothaire ? Où vas-tu ?
Le jeune homme se figea dans la courette du château sous le soleil brulant du mois de juin. Il se tourna vers la jeune fille qui l’observait avec ses grands yeux inquiets sans rien lui dire, faisant un pauvre sourire gêné.
- Tu… Tu n’es pas en train de t’enfuir n’est-ce pas ?
Il se dandina sur ses pieds, essayant de cacher son paquet qui contenait toutes ses possessions, annonçant clairement sa volonté. Liria posa sa main sur la colonne ancienne en s’avançant vers lui.
- Tu ne peux pas faire ça.
C’était une affirmation mais malgré tout il y avait une note interrogative dans sa voix, elle semblait un peu incrédule. Pourtant, depuis le premier jour tout le monde savait qu’il y avait un problème avec lui. Les autres choisis étaient maigrichons, frêles, délicats, … On pouvait les reconnaître juste en posant les yeux dessus et lui, au milieu, faisait office de mouton noir. Lord Seaïn n’avait de cesse de lui répéter que c’était une excellente chose, que son sang était vigoureux et que sa constitution l’aiderait à servir correctement son maître vampire. Excellent. Oui, vraiment. Il n’en disait pas autant de son caractère.
Il frotta l’arrière de sa nuque, embêté et tenta de s’expliquer.
- Tout ça… c’est pas pour moi, Liria. Je ne suis pas comme vous.
- Mais si voyons ! Ton sang est parfait !
- Mon sang oui, pas moi. Je dois partir. Je ne peux pas le faire. S’il-te-plait Liria, respecte mon choix. Ne les préviens pas.
- Mais… tu as été marqué, ils te retrouveront la nuit prochaine… Ce que tu fais… Tu nous déshonoreras tous !
L’idée même semblait tellement la choquer qu’elle porta la dentelle qui pendait à ses manches devant sa bouche, entrouverte.
- Non. Nous ne sommes pas liés. Vous n’avez pas à avoir honte de mes actions, elles m’appartiennent. Au revoir, Liria. Bonne chance.
Il fit demi-tour, la tête un peu plus basse qu’il ne l’aurait souhaité mais le pas rapide. Elle avait raison, dès que la nuit tomberait, les gardiens s’élanceraient pour le retrouver et ils n’auraient aucun mal à le pister. Il devait aller loin, loin vers le Sud. Là-bas, on disait qu’il se trouvait des murailles entièrement érigées de croix maudites, abritant des villages entiers de donneurs de sangs. Franchissant les grandes portes du château, après avoir poussé la plus petite – celle dédiée aux serviteurs – d’un grand coup d’épaules, il se mit à courir. Le petit trot faisait balloter son paquet qu’il serra plus fort entre ses bras, débutant ainsi l’épreuve d’endurance la plus intense de toute sa vie.
Le ciel était encore clair, l’aube pointait à peine et toute la journée, entrecoupant ses courses de pauses haletantes, il suivit sa course, angoissé.
***
- Lord Osberg ?
Le vampire se tourna lentement vers son hôte. Ses mains tremblaient depuis plusieurs semaines et le voyage l’avait épuisé. Il n’était arrivé que depuis quelques heures et attendait avec impatience qu’on lui fournisse enfin le calice promis.
- Veuillez nous excuser.
- De quoi ? cracha-t-il sèchement détestant qu’on vienne l’ennuyer alors qu’il était tellement fatigué.
- Votre calice s’est enfui.
Il se redressa, se penchant vers l’avant, en fronçant les sourcils.
- Quoi ?
L’hôte humain eut la bonne grâce d’avoir l’air mal à l’aise. Il hésita légèrement avant de répéter un peu plus faiblement.
- Votre calice, il est parti au petit jour. Nos meilleurs traqueurs sont après lui. Ajouta-t-il sur une note d’espoir.
Cela n’eut pas l’effet escompté. Le vampire se redressa un peu plus encore, dévoilant sa grande carrure, plus imposante que la majorité de ses frères et sœurs. Il se pencha sur la table lourde qui le retenait et d’une voix trop douce il répondit :
- Oh oui parfait… Vraiment parfait. Vous m’avez désigné pour m’occuper d’un calice rebelle, fugueur et bientôt … mutilé ?
L’humain cligna des yeux, plusieurs fois d’affilés, mal à l’aise. Et bientôt il bredouilla ce qui était censé le rassurer.
- Et bien, non, enfin, nous espérons que les traqueurs réussissent à le capturer sans causer trop de dommage. Ils sont… Ils sont entraînés.
- Oui, pour capturer des vampires rebelles. Ils vont en faire de la chair à pâté et vous allez me le laisser pour que je finisse de le presser pour en tirer les dernières gouttes. Splendides ! J’ai fait cinquante jours de voyage juste pour ce plaisir. Bon ! Arrêtons les amabilités. Je veux six calices de prêt. Maintenant.
L’hôte blêmit un peu mais acquiesça sans un mot avant de reculer rapidement pour ne pas finir avec le cou troué par ce vampire affamé. Il circula rapidement dans les couloirs du château pour descendre aux quartiers des calices communs. Les vampires de secondes zones se les partageaient allègrement. Six ne serait pas de trop pour éviter un mort, se disait-il tout en choisissant les rares encore en bon état et appartenant au bon groupe sanguin.
***
La nuit était tombée, la lune ne s’était pas levée pour éclairer son chemin, qui était plus noir que jamais. Ses jambes le brûlaient à chaque pas. Ses pieds étaient affreusement douloureux. Son dos lui faisait mal. Il courait toujours, à petits pas, boitant. Il n’avait pas trouvé la moindre muraille, le moindre village fortifié, la moindre cachette efficace. Il n’y avait rien. Le petit village de Crakozi était certes charmant et il aurait apprécié de s’y reposer, mais les drapeaux qui flottaient voulaient tout dire. C’était un domaine de vampire comme il y en avait tant d’autres.
La forêt devient tout à coup silencieuse et il comprit immédiatement. Il lâcha son paquet, l’abandonnant derrière lui et courut plus vite encore. Aussi vite que ses pieds humains pouvaient le transporter en tout cas. Les bruits de courses derrière lui finirent par dépasser le son de son cœur qui palpitait à ses oreilles. Il était perdu.
Le premier coup de griffes qui l’atteint dans le dos le balaya et il tomba au sol. Il se recroquevilla sur lui-même en criant, mais il ne pouvait rien faire de plus. Il tenta néanmoins d’un coup de pied de se dégager, mais la main crochue revint pour lui déchirer le mollet. Il cria encore une fois, de peur et de douleur. Le traqueur était excité par sa chasse et rien ne l’arrêterait. L’être démoniaque le mordit profondément, machant sa jambe. Il tenta de remettre un coup de pied mais cela sembla sans effet. Une seconde mâchoire s’accrocha à son épaule, s’enfonçant profondément dans sa chair et venant cogner ses os. Il hurla plus franchement encore, se débattant comme le diable qu’il n’était pas, cherchant quelque chose pour les frapper et se dégager. En vain. Là, entre leurs crocs et leurs griffes, il se vit mourir.
Puis, un grand courant d’air vient le caresser et l’un des prédateurs le secoua comme une poupée de chiffon. Il ne bougeait plus, soudainement trop faible. Peut-être à cause du sang qui se répandait sous lui ? Ou peut-être à cause du choc ? Ou même de la fatigue accumulée ? Il mit un moment avant de se rendre compte que le monstre n’était plus accroché à son épaule. Elle saignait abondamment, mais ses crocs n’étaient plus là. Il fut soudain traîné sur plusieurs mètres. La douleur se fit foudroyante, lui arrachant des hoquets de terreur et de douleurs. Sa tête se balança sur le côté et il observa, sans vraiment comprendre, un vampire énorme massacrer le traqueur. Que faisait-il ? Lothaire eut du mal à analyser ce qu’il voyait. La main, si grande, du vampire était accroché dans les cheveux sombres du traqueur alors que son autre main tirait sur sa mâchoire. Il était en train de le casser en deux. La pression sur son corps humain se fit plus légère mais il n’avait plus la force de fuir. Le bruit écœurant de la mâchoire qui se brisa fit se révolter son estomac, à moins que ce soit l’odeur de son propre sang ? Il s’évanouie sur l’image de ce visage vampire déformé par la haine.
Lorsqu’il se réveilla, il était dans les bras d’un vampire qui le tenait fermement contre son torse en se déplaçant à grande vitesse. Il remarqua la douleur, de partout dans son corps et l’odeur du vampire, puis il s’évanouie à nouveau. S’il se réveilla encore, il ne put distinguer le souvenir du songe fiévreux.
Ce ne fut que dans le grand lit confortable de l’unique petite auberge de Crakozi qu’il se réveilla vraiment. Une éponge humide et fraiche passait et repassait doucement sur son front. Son corps avait été bandé, pansé avec soin. Très vite, en voyant qu’il se réveillait, la femme de chambre fit monter un bol de soupe qu’elle pressa contre ses lèvres tout en murmurant des encouragements pour qu’il boive un peu plus. Il faut dire qu’il était aussi pâle qu’un mort et d’une faiblesse extrême. Il comprit ce dernier point lorsqu’il finit, au bout d’un long moment et de plusieurs phases de réveils, par repérer le vampire qui n’avait assurément pas bougé du coin de la pièce, l’observant calmement. Ce visage était stoïque, mais c’était le même qu’il avait vu, si furieux, arracher les traqueurs à son corps. Un lord vampire. Un guerrier assurément. Il aurait dû avoir l’air furieux, pourtant il semblait juste fatigué malgré la nuit qu’il pouvait voir par la fenêtre entrouverte.
- Tu te sens mieux petit ?
Personne ne l’avait jamais appelé « petit ». Il était toujours immense au milieu des autres calices en devenir, mais là, perdu dans les draps blancs devant ce guerrier terrifiant, oui, il avait sans doute l’air petit. Il mit un certain temps à réfléchir à cela avant de comprendre qu’il y avait eu une question. Il se sentait vraiment mal en faites.
- Tu as encore une journée pour te reposer avant le voyage.
- Le voyage ? murmura-t-il, perdu.
- Tu es mon calice. Je ne vais pas te laisser là.
Lothaire frémit et ses yeux s’écarquillèrent sous la terreur. Calice. Il allait devoir se soumettre, obéir et s’offrir à cet être ? Il était tellement impressionnant. Il n’avait jamais vu un vampire comme lui.
- Tu devrais dormir.
Dormir ? Il ne pouvait pas dormir sous son regard. Il ne pouvait pas dormir en sa présence. Il ne pouvait pas dormir en sachant que cette mâchoire énorme allait se refermer sur lui bientôt pour le ponctionner. Il ne pouvait pas dormir, c’était impossible. Lorsqu’il s’éveilla, un bon nombre d’heures plus tard, il avait encore cette idée en tête. Seulement, il était à moitié soulevé par ce vampire qui l’inquiétait déjà, qui l’enroulait dans un manteau épais avant de le transporter. Ses bras tremblaient. Pourquoi les bras du vampire tremblaient-ils ? Il avait faim. Lothaire se ratatina sur lui-même en comprenant ce que cela supposait, pourtant, le vampire ne le mordit pas. Il le déplaça juste silencieusement jusqu’à l’asseoir dans une calèche. Comble de la situation, il sembla même faire de son mieux pour qu’il soit vraiment très bien installé, s’assurant qu’il ne risquait pas de prendre froid avant d’aller payer l’auberge.
Lorsqu’il revint s’asseoir devant lui, il ne dit rien. Pas une seule fois il n’exigea de boire ou ne vint prendre ce qui lui était dû. Il semblait seulement méditer dans une technique qui permettait avant tout de maîtriser sa soif. Faire un tel voyage avec un vampire affamé n’avait rien pour lui plaire. S’il craquait il allait sans doute le saigner à blanc.
- Et si tu méditais toi aussi ? Histoire de calmer ce cœur palpitant qui fait un vacarme pas possible…
- Pardon. Chuchota-t-il inquiet.
- Non. Pas pardon. Pas désolé. Pas d’excuses. Essaie juste de faire ce que je te dis.
Lothaire ferma les yeux sous la réprimande. Tout le problème était là. Il ne savait pas obéir. Il n’aimait pas obéir. Il ne comprenait pas pourquoi obéir. Il n’était donc pas fait pour ça. La méditation n’avait rien de facile, mais il se perdit rapidement dans ses pensées et presque aussi vite, il s’endormit, basculant contre la paroi de bois qui vibrait au rythme de la route.
***
- Lord ! Vous devez boire ! Pourquoi… Qu’attendez-vous ?
- Il n’est pas encore en état.
- Vous n’êtes plus en état d’attendre !
- Ça suffit, Craence. Laisse-moi.
- Lord. S’il-vous-plait… Peut-être que des calices de prêts pourraient…
- Non. Je refuse de les boire… A moins que ce soit vraiment très urgent et ça ne l’est pas.
- Pas encore.
Craence tourna les talons et partis, visiblement mécontent. Dans le lit juste à côté, Lothaire fit de son mieux pour faire semblant de continuer à dormir. Il s’était réveillé au milieu de la dispute et pour la première fois depuis longtemps, il avait l’impression que son esprit était un peu plus clair. Les traqueurs l’avaient rattrapé, mordu, blessé gravement et c’était ce vampire qui l’avait sauvé. Ce vampire affamé qui refusait de se nourrir de lui parce qu’il était trop faible, c’était son vampire, assurément. Son vampire qui avait pris la peine de lui courir après comme s’il était important. Son vampire qui l’avait protégé en se battant pour lui. Il ne savait pas comment se sentir par rapport à ça.
Lorsqu’il avait préparé sa fuite, il savait que son vampire allait arriver dans les prochains jours. Il n’avait alors pas envisagé une seule seconde qu’il puisse prendre la peine de lui courir après. Il s’était dit qu’on lui confierait la jolie Maddie, le magnifique Ernest et le sublime Josuah. Les calices de qualités avec un sang similaire au sien ne manquait pas et contrairement à lui, il n’y avait pas que leur sang qui était de valeur. Qui aurait bien pu le vouloir lui ? C’était un service qu’il rendait à ce vampire, voilà tout. Par contre, il n’avait pas non plus envisagé qu’on envoie les traqueurs à sa poursuite. Cette seule pensée lui donna la nausée.
- Je t’ai déjà dit de méditer.
Le vampire le regardait sévèrement, faisant un peu plus augmenter sa fréquence cardiaque. Il soupira.
- Ferme les yeux.
Il attendit un moment avant de s’accroupir pour être à la hauteur du regard du calice, à demi-clos certes, mais pas fermé.
- Ferme les yeux. Respire doucement et profondément. Détends tes muscles en commençant par ceux de tes pieds. Tes chevilles maintenant… puis tes mollets. Décontracte-toi. Sens tes genoux qui se déverrouille…
Il haleta alors que son corps obéissait lentement et chercha à s’arracher à ce ton ferme qui ne laissait pas le moindre libre-arbitre.
- Arrêtez !
- Calme-toi et obéis-moi.
- Non, s’il-vous-plait, non… pas comme ça. Je me donnerai mais pas comme ça !
- Je ne vais pas te prendre, enfant stupide, je veux seulement que tu guérisses et pour ça, tu dois apprendre à te détendre. Tu empoisonnes ton propre corps de stress.
- Et ce n’est pas bon pour mon sang. C’est ça ?
- Ton sang ? Tu crois sincèrement être en état d’en donner ?
Le trajet avait été horriblement long et ses plaies étaient presque entièrement cicatrisées. Si ce n’était cette fièvre qui avait eu tant de mal à le quitter, oui, il devrait être majoritairement remit.
- Je… Vous… Vous voulez dire que je n’ai plus de valeur ?
Plus de valeur, cela impliquait de devenir calice de prêt. Morsures fréquentes, vampires aléatoires, maladies courantes et mort précoce. Il trembla devant ce destin.
- Non. Simplement, tu es trop faible pour me faire don de ton sang et ce n’est pas son goût ou sa qualité qui m’inquiète mais ton état à toi. Alors sois gentil. Détends tes jambes.
Lothaire l’observa en tremblant comme une feuille, incapable de comprendre ce que cet être immense pouvait bien vouloir. Son vampire était une énigme. Il ordonnait sans sévir quand il n’était pas obéi. Lord Seaïn l’avait puni un nombre incalculable de fois pour des raisons bien plus futiles que ça.
- Détend tes mains en commençant par tes doigts.
- Quand me mordrez-vous ?
La question franchit ses lèvres avant qu’il ne réfléchisse vraiment.
- Quand tu seras prêt.
- Quand alors ?
- Faisons une chose toi et moi. Je te mordrais quand tu me le proposeras et pas avant. Et ensuite, je ne te mordrais que lorsque tu le demanderas à nouveau. Jamais je ne poserais mes crocs sur toi, si tu ne le réclames pas.
- Vous… Vous ne pouvez pas faire ça ?
- Je fais ce que je veux. Et toi, tu dois simplement m’écouter et te détendre. Il n’y a que ça qui compte pour le moment.
Il y avait quelque chose d’inflexible dans sa voix qui le fit vaciller. Ce vampire ne lâcherait pas. Il le ferait obéir simplement comme ça, en imposant une volonté sans faille. Et puis, il n’y avait rien d’abusif se disait-il tout en lâchant doucement l’édredon qu’il tenait de ses doigts crispés, obéissant.
Osberg reprit tranquillement, comme s’il n’y avait pas eu de victoire, l’énumération des parties tendues de son corps et il ne s’arrêta qu’une fois son calice endormi. Là, il se réinstalla sur une chaise, prenant un livre pour s’occuper et se replongeant dans un univers qui le maintenait éloigné de sa soif oppressante. Peut-être devrait-il accepter et se nourrir à nouveau de ces calices de seconde zone ? L’idée même lui donnait envie de vomir.
***
Cela faisait maintenant deux semaines qu’il se sentait mieux et qu’il avait pu débuter l’exploration du domaine. Catalogué « fugueur » et donc « rebelle » il s’était attendu à une énumération de règles longues comme le bras mais rien n’était venu. Il avait pu ouvrir la totalité des portes du Manoir sous le regard mauvais des serviteurs. Il avait pu aller se balader dans les allées froides du parc puis en rentrant, il avait découvert qu’un manteau épais et long avait été ajouté à ses affaires, signe qu’il était malgré tout surveillé. Tout le long du parc, un épais mur couvert de lierre noir le séparait de l’extérieur mais pour être tout à fait honnête, il n’avait pas envie d’en sortir.
Ils avaient roulé dans la petite calèche durant des semaines entières, en direction du Nord. S’il avait été un jour proche d’un lieu sécurisé -ce dont il ne pouvait pas être sûr-, il était à présent certains que ce n’était plus le cas. A une journée de course, il serait sans doute encore sur le domaine de son maître.
Chaque nuit, le vampire semblait un peu plus faible mais il restait dans sa chambre, à lire ou écrire ses correspondances. Chaque jour, le personnel le foudroyait un peu plus du regard, furieux. Le climat était lourd et petit à petit, l’ennui se fit plus fort. Avant, il vivait avec les autres calices. Ce n’était pas idéal, mais il avait toujours quelqu’un à qui parler. A présent, les domestiques semblaient le haïr et le vampire ne paraissait pas très engageant… Néanmoins, il était là.
Alors un soir, épuisé par sa propre solitude il demanda :
- Que lisez-vous ?
- Je relis un auteur classique. Lord Enoch. Tu connais ?
- Non…
- Je ne t’ai jamais vu lire.
- J’ai été éduqué. Se défendit immédiatement Lothaire, sans vraiment savoir pourquoi.
L’idée que son vampire le trouve ignare au point de ne pas savoir lire le dérangeait profondément.
- Oui, je sais. Tu as reçu les enseignements d’un bon ami à moi.
- Ah…
- Est-ce que tu aimerais savoir s’il m’a parlé de toi ?
- Je ne suis pas sûr d’apprécier ce qu’il aurait pu dire. Avoua-t-il doucement.
Puis, il se rendit compte qu’il avait une nouvelle fois désobéi, simplement en ne répondant pas à la question. Son professeur l’aurait puni pour ça, mais son vampire ne semblait pas vouloir l’éduquer. Il ne releva pas.
- L’avis des autres peut être délicat à supporter, en effet. Cependant, je suppose qu’il a toujours été plutôt honnête avec toi. Que penses-tu ?
- Oui… sans doute.
- Alors qu’aurait-il pu me dire que tu n’apprécierais pas ?
Lothaire serra la mâchoire, cette discussion était en train de déraper vers quelque chose qu’il n’appréciait pas et il ne savait pas du tout comment rattraper les choses. Il leva un regard un peu perdu vers son vampire qui l’observait tranquillement par-dessus son livre. Voyant qu’il ne répondrait pas, Osberg reprit simplement la parole sans le pousser plus en avant dans ses retranchements.
- Lord Edael m’a confié que tu étais assez différent des autres. Plus solide mentalement, prompt aux traits d’esprits quand on t’en laissait la liberté, capable de prendre des décisions par toi-même, … Il apprécie ta franchise. Il m’a également dit que tu étais plutôt un meneur et que les autres calices aimaient ta compagnie malgré les remontrances, tu n’étais jamais isolé des autres.
Lothaire déglutit devant le portrait bien plus flatteur qu’il ne l’aurait envisagé.
- Je crois également savoir que tu n’apprécies pas les cours.
- Si ! Enfin… j’aime les cours d’histoire, de géographie, de lettres, …
Il s’arrêta, sachant qu’il s’enfonçait et se détourna, se maudissant d’avoir parlé car dans sa liste, il manquait les choses les plus importantes pour un vampire. Il détestait les leçons d’étiquettes, de soumissions et toutes ces choses qui étaient censé le préparer à vivre avec son vampire.
- Je te ferais porter des livres sur le sujet si tu le désires. Je peux comprendre que tu t’ennuis ici.
Et aussi simplement que ça, le vampire se replongea dans sa lecture, sans faire le moindre commentaire négatif, laissant son calice un peu plus perdu encore. Lothaire n’était pas satisfait de la conversation. Une partie de lui aurait préféré que le vampire s’énerve, lui cri dessus, le plaque au mur pour le mordre férocement. Ainsi il aurait enfin pu voir son véritable visage et pas ce masque qu’il semblait porter en permanence.
- Vous aviez l’air si furieux… chuchota-t-il plusieurs heures plus tard interloquant son vampire.
- Comment ?
- La première fois… Vous aviez l’air… terrible.
Osberg l’observa, perdu. Il était heureux que son calice tente une discussion, c’était un signe de rapprochement totalement bienvenu, mais il ne comprenait pas du tout ce qu’il voulait dire par là.
- Tu veux dire lorsque tu as été attaqué ?
- Oui.
- Et bien oui. Je suppose que nous avions tous les quatre l’air assez terribles. Des traqueurs en chasses, ce n’est guère accommodant non plus.
- Non, mais vous…
Avait-il réellement réussi à l’inquiéter davantage que les traqueurs qui étaient en train de le broyer ? L’idée le perturba car après tout, il l’avait sauvé ce jour-là, mais effectivement, aucun calice n’aurait dû observer un vampire guerrier en pleine attaque. Il n’avait jamais pensé qu’il ait pu l’horrifier et aussitôt il fit ce qui lui semblait important.
- Je m’excuse si je t’ai fait peur, petit. Ce n’était pas mon intention.
- Vous êtes un guerrier n’est-ce pas ?
- Oui.
- Vous pourriez me déchirer en deux.
Ce n’était pas une question. Osberg referma son livre et le posa à côté de lui, observant simplement le jeune humain.
- Vous pourriez ?
- Physiquement parlant, oui, bien-sûr.
- Alors pourquoi…
- Pourquoi quoi, gamin ?
- Pourquoi vous ne le faites pas ?
Osberg cligna des yeux, surprit. Les calices apprenaient normalement tout le respect que les vampires avaient pour leur fonction. Même s’il était rebelle et qu’il avait été puni de nombreuses fois, sans doute à l’aide de fessées ou de coups de baguettes sur les doigts, il ne pouvait pas réellement croire qu’il l’attaquerait sérieusement. Le doute s’instilla en lui, le laissant d’autant plus perplexe. Il n’eut pas le temps de rassembler ses idées pour construire une réponse censée que déjà le jeune reprenait.
- Je vous vois vous savez ? Vos domestiques me détestent sans doute parce qu’ils ont peur de vous. Ils vous voient aussi après tout.
Le vampire fut d’autant plus perdu. Ses domestiques détestaient son calice ou tout du moins, son calice le pensait ? Voilà quelque chose qu’il allait devoir régler au plus vite. Par contre, le garçon se trompait.
- Mes domestiques n’ont pas peur de moi.
- Bien-sûr que si !
Il avait l’air si sûr que lui que le lord le crut presque, mais il pouvait sentir la peur sur la peau d’un humain et jamais ses domestiques n’avaient eu ce genre d’odeurs. Il n’avait pas non plus senti davantage d’eaux de toilettes qui auraient pu masquer leurs effluves. Seules quelques gouttes d’essences de plantes, pour masquer l’odeur de leurs sangs… Cela aurait-il pu suffit à tromper ses sens ? Non, il avait confiance en ses gens et la confiance était mutuelle.
- Qu’est-ce qui te fait penser ça ?
- Vous êtes affamés. Vous tremblez en permanence ! Ne pas avoir peur de vous serait idiot.
- Ou bien ce serait le signe d’une très grande confiance. Je remercierais mes domestiques pour cela. Merci de l’avoir souligné.
Il se détourna pour reprendre son livre, un peu soulagé que la déduction ait été toute logique. Le garçon se trompait simplement et avec un peu de chance, il se trompait également sur les sentiments des domestiques envers lui. L’arrivée d’un calice était souvent appréciée dans une maisonnée. Il n’y avait pas de raison que ce jeune soit rejeté.
- Ne faites pas ça ! ordonna le calice d’une voix glaçante.
- Pas quoi ?
- Ne prenez pas ce livre pour faire comme si la discussion était finie ! Vous n’avez pas répondu à ma question. Pourquoi vous ne mordez pas ?
Le vampire soupira en refermant son livre d’un geste agacé.
- Tu n’es pas très sympa, gamin. Comme tu l’as vu, je manque de sang. La méditation, la lecture, le calme aident à gérer. Que tu me donnes des ordres, que tu me cris dessus pour savoir pourquoi je ne te déchire pas en deux, ça n’aide pas. Je comprends que voir un vampire en pleine attaque ait pu t’effrayer, mais je ne suis pas un monstre pour autant, ni l’un de ses jeunes idiots qui ne savent rien maîtriser et je te l’ai déjà dit. Je ne te mordrais que quand tu le demanderas.
Lothaire trembla sous le ton sec, écoutant les mots froids du vampire, qui était dit sur un ton étrangement monocorde.
- Vous n’avez pas à faire ça.
- Je n’ai pas à faire quoi, sois plus clair petit.
- Vous n’avez pas à vous retenir !
Osberg soupira. Le gamin tremblait tellement qu’il lui faisait peine à voir. Il se leva et fit demi-tour, abandonnant la chambre, un peu déçu. Avant de passer la porte néanmoins, il rappela froidement.
- En tant que maître vampire, je suis libre de mes choix, petit.
Il referma la porte derrière lui, sans faire attention à son calice qui observait le battant de bois, terrorisé. Maître vampire. Ce n’était pas juste un guerrier. On l’avait confié à un général, à un décideur, à un des pires que pouvait produire l’espèce. Maître vampire. Calice d’un maître vampire. L’idée même lui donnait envie de pleurer d’horreur.
***
- Craence ?
Le chef domestique s’arrêta dans sa besogne pour se tourner vers son maître et presque aussitôt, un élan de colère l’envahi. Tout dans l’apparence de son maître lui montrait sa famine. Ses magnifiques cheveux semblaient ternes et cassants. Sa peau sublime paraissait fragile. Même ses muscles imposants semblaient avoir fondu. Il mourrait littéralement de faim.
- Lord, puis-je vous aider ?
- Oui. J’aimerais savoir comment ça se passe avec Lothaire ?
- Et bien, nous ne faisons pas de surveillance active, conformément à votre demande. A ma connaissance, il a fouillé la totalité du Manoir, il est allé dans chaque pièce et il passe une partie de la journée dans le parc. J’ai vérifié, le portail n’a pas été forcé et aucune clé ne manque.
Osberg l’observa sans vraiment comprendre. Craence faisait comme si son calice n’était qu’un prisonnier à surveiller, mais il était bien plus que ça. Lothaire était un jeune homme intéressant, curieux et qui n’avait jamais eu de mal à se lier aux autres d’après le dossier qu’il avait consulté à son sujet.
- Je suppose qu’il mange avec vous ?
- Non, mais il a la courtoisie de ne rien voler, d’après la cuisinière, il demande sa ration, deux fois par jour. Il la mange en cuisine. Désirez-vous un autre protocole ? En l’absence de demande, j’ai cru que cela conviendrait.
- Il mange seul alors ?
- Et bien, oui mon Lord.
Craence l’observait avec le même air qu’il avait tous les jours, simplement un peu plus interrogateur peut-être. Il ne comprenait visiblement pas où il voulait en venir.
- Dis-moi, que penses-tu de lui ?
- Il est étonnamment grand et épais pour un calice sélectionné. En dehors de ça… Voudriez-vous que j’enquête sur un point précis ?
- Tu ne le connais pas, n’est-ce pas ? As-tu déjà discuté avec lui ?
- Pas directement non.
- Avec qui est-il ami ici ?
- Personne à ma connaissance mais si vous avez peur que l’un de nous vous trahisse et l’aide, je vous jure que tous vos gens vous sont fidèles, mon Lord.
Osberg se retient de reculer sous le choc. Il masqua de son mieux ses émotions, conservant un visage purement impassible. Le garçon avait dit vrai. On le détestait sans doute. Jamais ses domestiques n’avaient fait plus mauvais accueil à qui que ce soit. Mais pourquoi ?
- Il n’est pas mon ennemi, Craence.
- Non… Je suppose qu’il ne devrait pas l’être.
- Il ne l’est pas.
Son domestique resta stoïque, étrangement butté, alors il insista.
- Craence ! Il ne l’est pas. Tu le sais, n’est-ce pas ?
- Non mon Lord. Je suis désolé, mais je ne peux pas le savoir. Ce… Cet humain vous affame depuis des mois maintenant alors non, je ne le sais pas !
Humain. Craence refusait même de le voir comme étant son calice. C’était pire qu’il ne le pensait.
- Tu le détestes.
- Bien-sûr ! Regardez ce qu’il vous fait, mon Lord ! Il vous tue ! Il est en train de vous tuer !
- Non. Il n’est pas en train de me tuer. Nous avons douze calices de prêt dans la propriété voisine. Douze. Je ne vais pas mourir de faim.
- Vous ne les utilisez pas.
- En effet, je n’en ai pas encore besoin et même si je finis par les utiliser, le rythme à lequel je me nourris est mon choix.
- Il était censé être votre calice ! Il était censé vous tenir en bonne santé ! Oh mon Lord… Vous ne voyez pas ce qu’il fait, mais… il est… immonde de vous laisser dans un tel état !
- Ça suffit Craence. Arrête-toi. Je vais te donner un ordre et tu vas m’obéir, n’est-ce pas ?
- Oui, mon Lord. Toujours.
Craence semblait prêt à se faire saigner à blanc juste pour lui plaire et cette constatation le rassura au moins sur un fait. Il n’avait pas peur de lui.
- Lothaire est mon calice. Je veux qu’il soit traité aussi bien que vous me traitez. A chaque fois que vous l’oubliez dans un coin, c’est comme si vous m’oubliez moi. A chaque fois que vous le regardez en colère, c’est à moi que vous jetez ce regard et il est hors de question que vous ne me respectiez pas. Fait passer le mot à toute l’équipe. Je veux qu’il se fasse de véritables amis.
- Maître… C’est impossible.
- Et pourtant, je te l’ordonne.
Osberg repartit, le cœur un peu lourd. Comment pouvait-il réparer cette haine qui s’était installée à son insu ? Il détestait se nourrir sur des corps déjà utilisés. Il détestait toucher aux restes d’un autre. Les calices de prêts le dégoutaient et leurs sangs étaient immondes. Il préférait encore s’affamer plutôt que de les boire. Oh il le faisait néanmoins depuis longtemps maintenant, à chaque fois qu’il avait dû aller se battre, il avait bu avant. A chaque fois que c’était nécessaire il le faisait. Devoir le faire juste pour rassurer ses gens par contre ? Non, c’était hors de question.
***
- Qu’avez-vous fait ?
Il leva les yeux de son ouvrage, un peu las de la conversation à venir. Son calice était rentré dans la pièce furieux. Les jeunes humains étaient souvent très émotifs, alors ce n’était pas si surprenant que ça, mais depuis sa dispute avec Craence, il se sentait assez agacé. D’un autre côté, la géologie des plages du grand nord, n’était pas le domaine d’étude le plus palpitant qui soit et une partie de lui aimait les interactions avec son calice.
- Je suppose que c’est une bonne question. A quoi fais-tu référence ?
- Les domestiques !
- Quoi ?
- Ils me parlent !
- Ah. Et ça te déplait ?
- Pourquoi est-ce qu’ils me parlent ? Vous avez fait quelque chose ! Je veux savoir quoi.
Il soupira.
- J’ai ordonné qu’ils te traitent comme ils me traiteraient.
- Ils me détestent ! Faites arrêter ça !
- Ont-ils été désobligeant ?
- Je ne veux pas être… je ne veux pas. Faites que ça cesse.
- Tu n’as pas répondu à ma question.
Lothaire lui jeta un long regard d’une noirceur et d’une colère qu’il ne lui avait jamais connu et cracha sèchement.
- Non ! Ils n’ont pas été désobligeant !
- Alors quel est le problème exactement ?
- Je vous déteste ! cria-t-il en faisant demi-tour claquant la porte derrière lui.
Osberg observa un long moment la porte close. Une partie de lui, sans doute la partie affamée, se disait-il, avait envie de rouvrir la porte pour donner la chasse au gamin avant de lui donner une longue et délicieuse fessée qui ferait monter le sang à sa peau, lentement. Il le mordrait peut-être même là, au pli de la fesse. L’endroit ne s’y prêtait guère, mais la tentation serait forte. Une autre partie de lui était simplement peiné. Il ne cessait de penser à Cyran. Son calice lui manquait tellement. Lorsqu’il avait vu le portrait peint de Lothaire, ça avait été une évidence pour lui et il l’avait fait réserver immédiatement. Oh les deux garçons ne se ressemblaient pas pour un sou. Cyran était frêle, il avait de petites mains menues et fines, d’une délicatesse presque étrange. Lorsqu’il se tordait de plaisir pour lui, en offrant son cou à ses baisers comme à ses morsures, il paraissait toujours aussi minuscule dans le grand lit qu’ils occupaient tous les deux. Qu’il avait pu l’aimer… Leur seul point commun était cet éclat d’impertinence qu’il aimait tant dans ses yeux. Cette impression étrange de ne pas avoir à faire juste à un calice anonyme ou à un serviteur quelconque, mais bel et bien à une personne tout entière. Il avait choisi chacun des gens de sa maison sur ce critère. L’éducation même des calices leur conférait un regard morne qu’il détestait au plus haut point.
On lui avait bien dit que le garçon était différent de Cyran. Qu’il était réellement rebelle et pas juste joueur. Il savait dans quoi il s’engageait. Il n’avait jamais pensé qu’il n’arriverait à rien avec lui et pourtant il n’arrivait à rien. Le gamin parvenait à lui crier dessus, devait-il voir cela comme une victoire ? Non, c’était impossible alors que son regard se faisait chaque jour un peu moins amical. Il soupira, espérant simplement que ses domestiques arrivent à l’apprivoiser et qu’ils l’aident à se sentir mieux dans leur maison.
***
- Désirez-vous manger monsieur ?
Lothaire se raidit complètement et jeta un regard noir à Craence qui resta froidement posté dans une semi-révérence des plus pénibles.
- Non, je ne veux pas manger. Pourquoi me le demandez-vous sans cesse ?
- Je suis simplement inquiet de votre bien-être, monsieur.
- Arrêtez de m’appeler « monsieur ».
- Voyons monsieur, je n’oserais employer un autre mot.
Craence le détestait, mais depuis qu’Osberg avait donné ses ordres c’était pire encore. Il était passé de l’ignorance crasse à une forme de harcèlement qui laissait le jeune homme toujours un peu plus mal.
- Pourquoi vous faites ça hein ? Vous n’êtes pas toujours aux basques de votre maître ! Alors pourquoi ne faites-vous pas pareil avec moi ? Foutez-moi la paix.
- Comme je vous l’ai dit monsieur, je suis inquiet pour votre bien-être. Je crains que vous ne vous nourrissiez pas assez.
- J’ai déjà mangé ! Vous le savez en plus !
- Etes-vous certain de ne pas vouloir une collation supplémentaire ? Je serais ravi de vous la faire apporter dans les plus brefs délais.
Lothaire poussa un cri et se leva d’un bond, fuyant la maison sous le regard satisfait du domestique. Craence regagna les cuisines et jeta un coup d’œil à la cuisinière qui semblait elle aussi satisfaite par ce qu’elle avait entendu au loin.
- Il se rend dans les jardins ?
- Oui. Abel y est. Il prendra le relais.
Et effectivement, très vite, Lothaire fut rejoint par un autre domestique qui lui demanda s’il désirait quelque chose.
- Notre potager est garni en toute saison. Nous n’avons plus de fruits frais actuellement, mais je peux vous faire griller des châtaignes si vous le désirez, monsieur.
- Non merci.
- Nous possédons aussi une réserve de confiture. A moins que vous préfériez le salé ?
- Je veux juste être seul, s’il-vous-plait.
- Si vous êtes sûr de ne pas avoir faim monsieur.
Lothaire se détourna d’un pas rapide, sans répondre, les larmes aux yeux. C’était la première fois qu’il vivait une telle chose. Il avait grandi dans un petit village humain, assujetti aux vampires. Ses parents cousaient des vêtements du matin au soir. Ils gagnaient très correctement leur vie ce qui leur avait permis de louer une très jolie maison, dans un village paisible, et d’y élever leurs trois enfants. Lothaire était le petit du milieu, ni l’ainé, ni le cadet. Chaque année, les tests de sang avaient lieu et chaque année, son nom était en tête de liste. Il avait su très tôt, qu’il serait un calice. Un calice de prêt, pensait-il alors. L’idée n’était pas très plaisante, mais c’était ainsi qu’allait les choses, tout simplement. Il avait été assez aimé pour encaisser l’idée de cette vie, même si tout un tas de détails le perturbait et qu’il osait le dire. Son père soupirait souvent en disant qu’il était impertinent.
Lorsqu’on l’avait emmené aux milieux des calices de valeurs, il n’avait pas compris. Rien en lui ne correspondait à cette élite. C’était censé être une bonne nouvelle, mais elle l’avait surtout laissé avec la sensation de ne pas être à sa place et il n’avait pas non plus su s’assagir. Rebelle. Il ne l’était pas vraiment pourtant, enfin, il n’avait jamais agressé un vampire ou fait quelque chose de véritablement grave. Il posait des questions, il répondait, il peinait à se soumettre aux punitions physiques, … Mais même là, dans cette ambiance étrange, il avait trouvé des gens pour l’aimer. C’était la sensation étrange d’être coincé dans une situation qui n’était pas faites pour lui qui l’avait poussé à fuir. Il cherchait un endroit où il serait véritablement à sa place et s’il ne pouvait pas être le calice que les vampires souhaitaient, alors il devait chercher auprès des humains, sans réelle conviction malgré tout. Au vu de sa capture sanglante, il n’était pas prêt à recommencer l’expérience, mais la sensation ne le quittait pas.
Il n’était pas à sa place et c’était donc la première fois de sa vie qu’une maison entière le détestait. Les larmes coulèrent. Il était bouleversé. Il allait vivre là, son vampire allait planter ses crocs dans sa gorge rallongeant sa durée de vie de manière drastique et il vivrait là, aussi longtemps que lui… Il vivrait dans cette maison où il était haï. Il avait tenté de parler du problème à Osberg, ce qui lui avait demandé énormément de courage, mais le vampire avait fait semblant de ne pas comprendre. Seulement lui, il comprenait parfaitement.
Le vampire avait ordonné qu’ils soient traités de la même manière. Les humains de la maison devaient avoir peur de se retrouver vidé de leur sang au beau milieu de la nuit. En tant que calice c’était à lui de nourrir le vampire. Le rappel était simple et facile.
- Oh monsieur ! Je suis ravi de vous revoir. Je viens justement de passer au potager, est-ce que vous voulez gouter à quelque chose ? Vous devez avoir faim.
Lothaire ne se tourna pas vers Abel, il partit en courant vers la maison, fuyant. Il traversa le grand hall et se dirigea sans difficulté dans la demeure. En dehors d’Osberg personne ne rentrait dans sa chambre et il faisait jour, alors il ne serait sans doute pas là. Il détestait prendre le risque de le croiser en journée, sachant à quel point les vampires pouvaient être fatigué et moins patient une fois le soleil haut, alors il passait le plus clair de ses journées dehors lorsqu’il n’était pas en cuisine, mais tant pis. Il ouvrit la porte de la chambre à la volée et se figea.
Osberg était là. Il dormait dans le lit. Soudain, ça le foudroya. Ce n’était pas sa chambre. Ça n’avait jamais été sa chambre. Bien-entendu. Le vampire l’avait simplement installé dans son propre lit. C’était pour ça qu’il était tout le temps-là, parce que c’était son domaine. Osberg se retourna en grognant légèrement vers le bruit et Lothaire fit aussitôt demi-tour. Il referma derrière lui et se retrouva perdu et tremblant dans le couloir. Il avait perdu sa seule zone de repli. L’envie de fuir, de courir loin, de partir du domaine le reprit avec force, mais la douleur résiduelle dans ses muscles le rappela à l’ordre. Ce n’était pas une bonne idée. Il ne pourrait jamais fuir.
Lentement, il marcha à travers les couloirs, errant et réfléchissant. Il ne s’arrêta qu’une fois la nuit tombait, se cachant de pièces en pièces pour que personne ne vienne lui demander s’il avait faim. Pourtant son ventre noué le faisait souffrir mais l’idée même de manger devant eux le révoltait. La nuit tomba et la majorité des humains allèrent se coucher, conservant un service minimum uniquement destiné au maître vampire. Ils profitaient de ses temps de repos pour entretenir tout le Manoir, tout nettoyer et tout arranger.
La mort dans l’âme, Lothaire marcha jusqu’à la chambre du vampire. Il hésita un peu avant d’actionner la poignée, mais finit par le faire. Osberg se tenait sur son siège, comme toutes les nuits, profondément plongé dans un livre. Son siège. Son bureau. Sa bibliothèque. Son lit. Sa chambre. Le jeune humain avait horriblement honte en pensant que chaque nuit il était venu ici comme si c’était une chose normale.
- Tu es enfin là. Il est tard. Remarqua le vampire.
Lothaire posa ses yeux, humide de larmes sur lui et observa le vampire affamé. Tous les signes de la famine se voyait clairement quand on savait où regarder. Désirez-vous manger, monsieur ? Vous devez avoir faim. Une collation supplémentaire ? Les mots des domestiques lui tournaient en tête, sans relâche et les larmes grimpèrent à nouveau à ses yeux. Osberg dû le voir car il semblait inquiet. C’était pourtant lui qui avait fait ça. C’était lui qui l’avait choisi, alors qu’aucun vampire censé ne l’aurait fait ! C’était lui qui l’avait sauvé alors qu’à nouveau, personne ne l’aurait fait ! C’était lui qui l’avait enfermé ici, qui lui avait laissé croire qu’il avait une chambre et qui avait… Qui avait demandé à ses gens de le torturer comme ça. Il l’avait prévenu, se souvint soudain Lothaire. Il lui avait dit qu’il ne le mordrait que lorsqu’il le lui demanderait, mais alors son ton était si doux qu’il avait cru que c’était juste pour le rassurer. Ce n’était pas pour ça. Visiblement, c’était simplement pour le briser totalement.
- Mordez-moi.
Les larmes coulèrent le long de ses joues, sans qu’il ne parvienne à les retenir. Il se condamnait à une éternité à être détesté mais peut-être qu’ils arrêteraient au moins un peu ainsi ? Peut-être qu’ils accepteraient de recommencer à l’ignorer ? Il tremblait comme une feuille attendant l’attaque et effectivement le vampire se leva et marcha jusqu’à lui, le saisissant par les épaules. Il pencha la tête sagement sur le côté, comme il l’avait appris, dégageant un espace confortable pour la morsure. Les larmes glissaient sur sa peau et s’accumulaient le long de sa mâchoire jusqu’à former de grosses gouttes. Il les essuya d’un revers de main.
- Lothaire ? Que s’est-il passé ?
Osberg avait attrapé ses épaules, mais il ne faisait pas le moindre geste pour le boire, le forçant à se répéter, plus poliment encore, avec une note de désespoir dans la voix.
- Mordez-moi, s’il-vous-plait.
Les larmes ne coulaient plus déjà taries.
- Gamin ? Eh gamin, qu’est-ce que tu me fais ? Regarde-moi.
Lothaire obéit et lorsque le vampire vit ses yeux froids et vides, malgré les larmes qui les faisaient encore briller, il en fut horrifié. L’étincelle était partie. Comment avait-elle pu se briser aussi facilement ?
- Non, non, non.
Il le serra contre sa poitrine, le berçant doucement. Avec des gestes assurés, le plus âgé ouvrit les draps et le glissa en-dessous pour le mettre bien au chaud. Il caressa ses cheveux en tentant d’être rassurant, mais le jeune homme ne pleurait plus. Il répétait simplement doucement, d’une voix brisée :
- Mordez-moi… maître, faites-le. Je vous en supplie…
- Chut. Calme-toi. Dors un moment d’accord ? Tout va bien. Chut.
Osberg tremblait comme une feuille et ce n’était pas la faim. C’était la sensation de perte. Il s’était sentit tellement bien face à cet éclat. Il avait eu l’impression de faire quelque chose que Cyran aurait apprécié. Cyran aurait adoré ce jeune homme. Il aurait même pu le choisir pour lui, il était presque certains. Il pouvait imaginer son sourire en coin alors qu’il lui aurait dit : « tu vas devoir t’accrocher, maître-vampire » sur un ton taquin qui l’aurait fait fondre. Il pouvait tout aussi bien l’imaginer maintenant, dans un coin de la pièce, l’air fermé et les bras croisés. Colérique. Une petite chose si colérique. Mais que c’était-il passé ?
Le garçon mit des heures avant de s’endormir et même là, Osberg eut peur de le laisser, peur qu’il se réveille et ne fasse quelque chose de profondément stupide. Il sortit de sa chambre, laissant la porte entrebâillée pour pouvoir le surveiller et fit appeler Craence par le domestique le plus proche. Il y en avait presque toujours un, là-bas, au bout du couloir. Son ami arriva bien vite, soucieux, il était rarement appelé ainsi et il redoutait depuis des jours déjà qu’on ne l’appelle pour qu’il aille chercher les calices de prêts. L’état de son maître le nécessitait pourtant, mais l’aveux de faiblesse le blesserait.
- Lord, un problème ?
- Que s’est-il passé avec Lothaire ?
Il réfléchit à toute allure, cherchant à comprendre ce que le garçon avait pu faire de mal.
- Rien de particulier. Il n’est pas rentré ce soir ?
- Si, il dort. Il est bouleversé. Est-ce que tu sais pourquoi ?
- Non, mon Lord.
- Ça n’est pas arrivé tout seul. Il m’a demandé de le mordre. Est-ce que tu sais pourquoi ?
- Excusez-moi, mon Lord, mais c’est une excellente nouvelle. Il prend enfin conscience de son rôle et je pense que nous devrions nous en réjouir.
- Est-ce que tu l’as poussé à ça ?
L’hésitation seule suffit à faire comprendre à Osberg que la réponse, la véritable réponse, était « oui ». Cependant Craence répondit autre chose, quelque chose de tout aussi vrai.
- Je ne lui ai pas demandé de vous nourrir, mon Lord.
- Je ne sais pas à quoi tu as joué. Je ne crois pas avoir envie de savoir… pour ta propre sécurité, mon ami. Mais je suis mécontent de l’état du garçon. Tu le diras à tout le monde. Pour la première fois depuis que vous êtes à mon service, j’ai honte du service rendu dans ma maison.
Craence recula sous le choc et l’insulte. La porte se referma devant lui, le laissant seul dans le couloir. Il avait pourtant fait ce qu’il devait. Son maître ne se rendait pas compte, il était peut-être simplement trop faible physiquement pour s’en apercevoir, mais le garçon le tuait réellement. Il ferma les yeux et baissa la tête, horriblement triste, avant de s’éloigner.
Durant les jours qui suivirent, l’ambiance dans la maison se dégrada fortement. Osberg n’avait pas menti. Il était réellement honteux à l’idée que ses serviteurs aient pu blesser mentalement son calice. Dès le premier jour, il remarqua à quel point sa remarque avait été prise en compte et à quel point chaque serviteur semblait affecté. Il ne fit rien, néanmoins, pour les rassurer. Pas quand le garçon tremblait si fort dans la chambre, refusant de s’alimenter et pleurant pour être mordu. Il préféra prendre le temps pour son calice.
Assis devant son bureau, un ouvrage à la main, il tentait d’établir le contact avec le jeune homme. Il tentait de le ramener, doucement et gentiment, à ce qu’il pouvait être. La géographie, l’histoire, la connaissance des lettres, les anecdotes diverses et variées, rien n’arrivait à le calmer. Parfois il disait « obéis-moi » et Lothaire acceptait de manger. Il répondait mollement aux sollicitations. Il obéissait, lui qui n’avait jamais su le faire, il obéissait et Osberg détestait ça.
Il fallut un bon nombre de jour, pour qu’il réussisse à les faire venir, mais au creux d’une froide soirée d’hivers, Lord Seaïn fut devant sa porte. Un seul regard suffit pour lui apprendre tout ce qu’il avait envie de savoir et le maître instructeur fut fort déçu.
- Lord Osberg.
- Je vous attendais.
- Je suis désolé du piètre service que vous as rendu le calice. J’ai amené Liria, pour faire un échange dans les plus brefs délais. Liria, propose ta gorge ma belle.
La jeune femme avança d’un pas et dévoila sa veine palpitante au vampire affamé qui recula d’un pas devant la tentation. La mordre serait lui enlever toute valeur et il était hors de question qu’il fasse ça à cette pauvre enfant.
- Je ne désire pas faire d’échange. Liria, j’ai cru voir dans les notes que tu étais proche de Lothaire ?
- Oui, Lord.
- Vous étiez ami ?
- Oui, Lord. Murmura-t-elle en baissant la tête, un peu honteuse.
Être amie avec un calice rebelle, fugueur, qui laissait son vampire mourir de faim. Une partie d’elle-même ne pouvait que s’en vouloir.
- Je t’ai fait demander exactement pour ça. Lothaire ne va pas très bien. Je pense qu’il aurait besoin d’une amie. Peux-tu remplir ce rôle ?
- Oui, Lord.
Il hésita un instant avant de se redresser légèrement, faisant ressortir tout ce qu’il pouvait être. Son regard se fit plus dur, tendant immédiatement l’autre vampire devant le danger visible.
- J’ai bien dis être son amie. Si tu le fais se sentir coupable, honteux ou quoique ce soit d’autres, je serais mécontent. Tu as bien compris ?
- Oui, Lord. Souffla-t-elle, catastrophée.
- Je voudrais qu’il soit… plus heureux.
- Je ferais de mon mieux Lord.
Il la guida jusqu’à son garçon, ouvrant la porte et la refermant derrière elle en priant pour ne pas avoir fait une erreur de plus. Lord Seaïn les avait suivis silencieusement. Il peinait à croire qu’il avait fait tout ce voyage pour si peu, mais si Osberg pensait que c’était nécessaire alors ça l’était. L’acclimatation d’un second calice était souvent très difficile et le dossier de Lothaire était loin d’être reluisant.
- Ne préférez-vous pas un échange ?
- Non. J’aimerais juste… revenir en arrière.
- Cyran était un calice d’exception.
- Je ne parle pas de Cyran. J’ai fait des erreurs avec Lothaire. Je suppose… Je suppose que j’ai oublié à quel point il pouvait être jeune.
- Jeune ?
De l’autre côté du battant de bois, des sanglots lourds traversèrent. Osberg ferma les yeux, triste et heureux à la fois. Lothaire avait sans doute besoin de lâcher ce qu’il avait sur le cœur. Il ne pouvait pas tout garder en lui comme ça.
- S’il n’a pas été suffisamment préparé, cela doit être mis à ma responsabilité.
- Celui qui n’était pas assez préparé, je pense que c’était moi.
- A-t-il proposé sa gorge ?
- Je l’ai ramené ici en miette après sa fugue. Il était hors de question de le mordre.
- Il a largement eu le temps de se remettre.
- Oui…
- Il n’a pas proposé sa gorge pour autant. Je m’excuse pour le service que je vous ai fournis, si tel est le cas. Vous méritiez mieux. Je comprendrais que vous ne vouliez pas un autre calice passé entre mes mains. Je suis prêt à vous payer le surcoût pour que vous le preniez n’importe où ailleurs.
Osberg le foudroya du regard, l’amenant à se taire, puis le maître vampire répondit simplement :
- J’ai déjà un calice. Je n’en changerais pas.
La porte se rouvrit après un long moment et Liria en sortit, un peu bouleversée. Elle ne savait pas quoi penser de ce qu’elle avait vu dans la chambre. Lothaire n’avait aucune trace de blessures physiques mais il était si mal. Il avait pleuré un très long moment sur ses genoux, sanglotant sans pouvoir se retenir. Elle lui avait demandé à l’oreille de lui expliquer ce qu’il se passait, mais ses propos n’avaient pas été clair avant un très long moment. Puis les mots l’avaient ramené à leur toute dernière discussion.
- Alors ? demanda Osberg tendu.
- Il ne va pas très bien, Lord. Avoua-t-elle doucement avant d’ajouter : mais ce n’est pas de moi qu’il a besoin.
- Que lui faut-il alors ?
- Je pense qu’il faudrait que vous le mordiez, Lord.
- Quoi ? Pourquoi ?
Elle hésita un instant, à cause de l’impression de trahir son ami, mais répondre au vampire était bien plus important que ce genre de considération et contrairement à lui, elle était assez bien élevée pour le savoir.
- Lothaire pense qu’il n’est pas à sa place depuis toujours. Il n’a pas … le physique habituel d’un calice. Si vous refusez de le mordre, vous confirmez juste qu’il n’est pas à sa place. Et le fait de ne pas vous nourrir lui fait honte. Il pense qu’il ne devrait pas manger s’il ne vous nourrit pas.
- Bien, quoi d’autres ?
- Il est terrorisé à l’idée de bénéficier d’une longue vie sans personne pour l’apprécier.
Elle prononça la fin dans un froncement de sourcil. Cette idée-là était étrange et elle ne l’avait pas comprise. Lothaire leur faisait honte à tous, mais il était aussi un bon ami. Il savait écouter, faire rire, faire penser à autre chose. C’était un partenaire de jeux et de discussion très agréable. Personne ne parvenait à lui en vouloir longtemps parce que même quand il faisait n’importe quoi, il essayait vraiment de faire au mieux. Même ceux qui l’aimait le moins ne le détestait pas. Alors l’idée qu’une maison entièrement remplie de serviteurs le déteste n’avait pas le moindre sens pour elle.
- C’est quelqu’un de très sociable. Il n’aime pas la solitude. Je pense qu’être enfermé dans cette chambre n’est pas bon pour son moral.
- Il n’est pas enfermé. Il refuse d’en sortir.
Elle l’observa un instant, perdue, avant de baisser les yeux poliment. Comment ce vampire avait-il pu transformer à ce point Lothaire ? Lothaire aimait sortir, explorer, visiter, … Lothaire aimait marcher dans les jardins. Oui, mais Lothaire avait fugué aussi alors peut-être n’en avait-il plus le droit ? Cela pourrait se comprendre, se dit-elle tristement.
- Merci pour votre aide. Je vais vous laisser aux bons soins de mes domestiques. Lord Seaïn, je vous reverrais demain. Votre instruction aura une bonne appréciation de ma part, pour votre réactivité et le prêt de cette douce enfant, même si je préfèrerais vraiment que vous laissiez votre prochain fugueur courir plutôt que d’envoyer des traqueurs à sa poursuite.
- L’un des deux est mort suite à votre intervention.
- Oui, j’ai été… gentil. Un a survécu malgré ce qu’il a fait à mon calice.
***
La chambre était sombre. Lothaire sanglotait encore doucement lorsqu’Osberg se pencha sur lui, caressant ses cheveux d’un geste qui se voulait tendre.
- Tu ne vivras jamais dans une maison qui te déteste, petit, même si pour ça je dois faire renvoyer tous les domestiques un par un. Je suis désolé si je ne t’ai pas permis de te faire te sentir à ta place. Désires-tu toujours que je te morde ?
- Oui, maître.
Il détestait l’entendre dire « maître » et d’autant plus sur ce ton pleurnichard qui le faisait hésiter. Il l’avait choisi pour une particularité qui avait simplement disparue. S’il ne parvenait pas à la faire revenir, il briserait ce garçon en l’abandonnant tôt ou tard. Mais l’idée même de ne pas essayer était encore pire.
- Je veux que tu comprennes. Je vais te mordre. Tu vas devoir te détendre pour ne pas avoir mal. Tu vas ressentir une envie sexuelle forte et je vais te prendre tout entier. Alors, tu seras mon calice.
- Oui, maître.
- Dis-le.
- Je serais… votre calice.
- Oui. C’est ça.
Il le caressa encore, hésitant et pourtant, sûr qu’il le ferait si c’était là la seule manière de calmer l’insécurité du garçon, la seule manière de lui montrer qu’il était important, qu’il était à sa place, … Alors le vampire se dénuda tranquillement, dévoilant sa grande carcasse décharnée. Son corps avait tellement fondu, il faudrait boire des litres et des litres de sangs pour le remettre réellement sur pied. Ce n’était pas grave, ils avaient le temps. Il baissa son pantalon et ses sous-vêtements après avoir retiré ses chaussures s’offrant entièrement au regard du garçon.
- Es-tu vierge ?
- Oui, maître.
Osberg se retint de soupirer. Il aurait aimé que le garçon se soit réellement rebellé et qu’il ait joué avec un autre calice, découvrant les joies du sexe dans de meilleures circonstances. Il était bien assez âgé, pour un humain, pour avoir traversé les phases où le corps s’éveille à la reproduction.
- Debout. Déshabille-toi pour moi.
Lothaire obéit sagement, se dénudant à son tour. Leurs physiques étaient très différents. Malgré sa maigreur, le vampire était encore plus épais que lui, mais Lothaire n’avait rien qui semblait fragile et les cicatrices sur sa peau, marques horribles des mâchoires des traqueurs et autres coups de griffes qui avaient été donné dans la lutte, le rendait d’autant plus viril. Osberg décida que ça lui plaisait vraiment en laissant ses yeux traîner sur le corps de son futur amant. Il n’avait pas envie de lui faire un cours, néanmoins, il se sentit forcé de préciser un détail important.
- Ce qu’il se passe ici restera entre nous. C’est notre intimité.
- Oui, maître.
- Tu n’as pas le droit de juger ce que je te demande. Tu as juste le droit de me dire si ça te tente ou pas. Aucun jugement de valeur, est-ce bien clair ?
- Oui, maître.
La réponse lui donna envie d’hurler mais il se retint, espérant de tout son cœur réanimer l’âme du garçon. Alors à la place, il s’approcha de lui jusqu’à frôler son corps. Il saisit son menton pour lui faire lever le visage et lui vola un baiser doux. Les lèvres étaient chaudes sur sa peau froide, lui plaisant énormément. Il poussa ses hanches vers l’avant et leurs virilités se frôlèrent faisant gémir le garçon. Au moins, il n’était pas hermétique à ce qu’il lui faisait. Parfait.
Ses doigts glacés tracèrent des arabesques sur sa peau tout en lui tournant autour comme un prédateur. Il avait tellement faim. Il avait envie de le mordre de partout, mais il ferait ça proprement. Une morsure d’appartenance, claire, qui ne laisserait aucun doute à personne et surtout pas au garçon. Il le marquerait comme était son calice. Il pinça gentiment l’un de ses mamelons, le faisant couiner et observa son sexe qui durcissait en tressautant. Il allait se régaler de lui.
- Je vais te mordre deux fois. La première pour que tu t’éveilles… Puis je choisirais comment te faire l’amour et je te remordrais jusqu’à ce que tu jouisses.
Lothaire frissonna devant la promesse mais répondit aussi sagement que possible « oui, maître ». Son corps réagissait très bien, mais il se sentait simplement épuisé et anxieux. Il n’aurait sans doute pas d’autres chances de bien faire, mais même ça, ça ne suffirait sans doute pas à ce que l’on arrête de le haïr. Il avait fait attendre le maître, il était détestable rien que pour ça. Il chassa les pensées de sa tête pour se concentrer sur l’idée de faire plaisir à son maître. Rien d’autre ne comptait. Rien d’autre n’aurait jamais dû compter.
Il rendit une première caresse et puisqu’il ne fut pas chassé, il recommença doucement, explorant le corps fatigué du bout des doigts. Lorsqu’Osberg se pencha au creux de son cou, il se tordit pour s’offrir, attendant avec impatience la morsure, mais il reçut seulement des baisers frais. Son maître le tenait dans ses bras et leurs bas-ventres se touchaient légèrement, grâce à la position uniquement.
- Maître… s’il-vous-plait, mordez-moi. Supplia-t-il au bout d’un moment.
Les dents pénétrèrent sa peau, brisant l’épiderme pour s’enfoncer assez profondément en lui jusqu’à percer l’artère. Il commença à aspirer sagement le liquide vital, tout en se frottant au jeune pour surveiller la montée de son érection. Elle ne se fit pas attendre. En faites, tout le corps de Lothaire devint bouillant. La fièvre le prenait ce qui était très bon signe. Malheureusement, une autre fièvre s’abattait également sur le vampire. Il était vraiment affamé et boire lentement avant de s’arrêter fut une torture qui lui demanda toute la discipline qu’il pouvait posséder. Il le fit malgré tout pour coucher son calice sur le lit défait. Son sang était… immonde, terreux plus qu’autre chose. Même avec la faim, il ne pouvait pas l’ignorer. Néanmoins, il lui murmura gentiment :
- Tu es parfait.
Et en réponse, Lothaire rosit un peu plus encore. Il était sublime malgré tout.
- C’est moi qui décide. Tu dois respecter mes choix. Tu te souviens ?
- Oui, maître.
- Alors tu vas me laisser te prendre.
- Oui, maître.
Les doigts froids glissèrent sur son pénis, comme pour le consoler. Il s’attendait à une pénétration profonde et brutale qui ne lui laisserait aucun répit. Si telle était sa crainte, rien ne se passa comme il avait pu l’imaginer. Les doigts continuèrent de le toucher jusqu’à lui faire prendre une bonne taille, puis Osberg le chevaucha et avant même qu’il ne comprenne, sa chair était enserrée dans le corps froid de son vampire. Il le pénétrait. Osberg ferma les yeux en se servant du garçon comme d’un vulgaire jouet sexuel. Il détestait ça. Il s’accrocha à l’éclat qui avait un jour brillé dans ses yeux pour se pencher sur lui et le mordre à nouveau, tout en jouant avec son corps. Le goût de terre lui revint avec force, mais la faim parvient à lui en faire avaler une bonne quantité sans le moindre mal. La fièvre avait repris son pouvoir sur son calice qui remua les hanches sans même le remarquer avant de jouir, l’éclaboussant à l’intérieur d’un liquide chaud. Osberg lécha la plaie, la refermant sans pour autant dissimuler la cicatrice.
- Ça y est, petit. Tu es mon calice.
***
Craence était heureux. Le maître allait beaucoup mieux et tout son corps le disait. Ses invités étaient repartis depuis plusieurs jours maintenant et les progrès continuaient de se voir. Il avait fallu que l’instructeur du garçon vienne pour qu’il cède enfin et nourrisse le maître mais c’était fait. Il souriait, lorsqu’il vit le calice apparaître. La marque dans son cou était nette et propre, elle attira immédiatement son regard. En souriant, devant cette preuve, il interpella le garçon.
- Désirez-vous manger quelque chose ? La cuisinière n’est plus en service, mais on devrait pouvoir vous trouver de quoi faire un vrai repas.
Il y avait un sourire dans sa voix, mais il fana lorsqu’il croisa le regard triste du calice qui recula d’un pas tout en faisant « non » du visage avant de s’enfuir, le laissant perdu. Craence ne comprenait pas exactement ce qu’il s’était passé, enfin, il avait essayé d’être amical, mais il ne fut pas surpris qu’Osberg apparaisse quelques heures plus tard avec un air sombre. Depuis qu’il avait dit avoir honte d’eux, tout le monde allait mal et seul son état s’améliorant leur donnait espoir d’un lendemain meilleur.
- Qu’as-tu fais encore ?
- Rien, Lord.
- Ne me met pas en colère, Craence. Tu ne veux pas me mettre en colère.
- Mon Lord, je vous jure… Je l’ai croisé, je lui ai parlé mais je n’ai rien voulu dire ou faire de mal.
- Alors que s’est-il passé exactement.
- J’ai vu votre marque, mon Lord. J’étais vraiment heureux pour vous. J’ai l’habitude qu’après une morsure votre calice veuille manger un peu alors je le lui ai proposé.
Oui, Cyran faisait ça. A chaque fois. Parfois les yeux pleins d’étoiles en riant et en disant « chacun son tour ».
- Je t’interdis de lui reparler de nourriture. Est-ce clair ?
- Oui, mon Lord.
- Et je te veux, demain soir, dans mes quartiers.
Craence trembla un peu. Il n’avait jamais reçu ce type de convocation, mais certains vampires aimaient ça. Ils donnaient une date et une heure, laissaient le domestique dans le doute et puis, appliquaient la punition de leur choix après les avoir laissé angoisser. Depuis qu’il était rentré à son service, c’était la première fois qu’il serait puni.
- Craence ?
- Oui, Lord. Murmura-t-il d’une voix brisée.
- Calme-toi. Je ne te punirais pas. Prend ta journée et viens simplement.
***
Craence hésitait réellement pour la première fois depuis le début de sa carrière. Il était dans le couloir devant la chambre de son maître, prêt pour une punition malgré la promesse et terrorisé à l’idée d’être renvoyé. C’était sa maison ici. Il aimait cet endroit et même si depuis la perte de Cyran les choses s’étaient dégradées, il avait toujours eu espoir que le climat redevienne ce qu’il était alors. Une maison agréable à vivre.
Prenant le peu de courage qu’il pouvait avoir, il toqua à la porte. Il entendit une voix filtrer à travers la porte.
- Un instant !
Puis elle s’ouvrit sur le maître à moitié dénudé.
- Parfait, tu es venu, entre.
A l’intérieur, Lothaire était nu, recouvert seulement d’un drap sur la partie inférieure de son corps. Osberg n’avait jamais été exhibitionniste et si les soirées-orgies existaient dans bien des maisons, ce n’était pas le cas de la leur, alors il fut gêné d’arriver dans un tel moment. Lothaire n’avait pas l’air mieux.
- Assieds-toi.
Il obéit, mal à l’aise de poser ses fesses sur le fauteuil du vampire.
- Je me suis dit que cette petite séance allait briser la glace entre vous.
Les deux hommes l’observèrent, choqués.
- Lothaire, tu vas me nourrir puis, je veux que tu exiges quelque chose qui te ferait plaisir de Craence.
Le regard sans vie du calice se posa sur le vampire. Quelque chose qui lui ferait plaisir ? Rien ne lui ferait plaisir… Mais Osberg insista et il dut travailler à trouver une idée. Seulement le demander à cet homme, ce n’était pas du tout comme le demander à n’importe qui d’autres, même avec un inconnu, ce serait plus simple. Il devait trouver mieux. Plus simple. Plus politiquement correct. Les dents sur son cou lui firent perdre le fil et presque aussitôt, son sexe durcit à sa plus grande honte. Il n’avait pas envie que Craence assiste à ça. Il s’attendait aux caresses, à la jouissance humiliante qui ferait rosir ses joues à chaque fois qu’il le croiserait mais rien de tout cela ne vint. Osberg arrêta de boire, le laissant se calmer et reprit un peu après. Il fit son repas ainsi en six fois, le laissant pantelant et frustré.
- Maintenant, tu lui demandes ce que tu veux. N’importe quoi. Il est à tes ordres.
Sa tête tournait encore un peu sous la fièvre, il ne se maîtrisait pas très bien alors il murmura son envie avant même de la comprendre réellement et Craence s’exécuta immédiatement. Ce fut ainsi que Lothaire se retrouva dans les bras tièdes de l’humain et se faire caresser la tête en douceur. L’étreinte n’avait rien de sexuelle, elle était seulement douce et tendre. Craence n’en revenait pas qu’il ait pu demander une telle chose, simplement un câlin réconfortant.
***
Craence croisa Lothaire dans un couloir à l’arrière du Manoir. Ça arrivait de temps à autre, par hasard. Cela faisait maintenant une année entière qu’il vivait là et il semblait toujours mal à l’aise de le croiser dans les couloirs. Pourtant, Osberg l’avait fait revenir un grand nombre de fois, puis il avait ordonné au garçon d’aller le chercher pour le lui demander à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. A chaque fois, Craence se retrouvait à prendre le plus jeune dans les bras, à le câliner doucement et à lui murmurer qu’il avait fait du très bon travail et qu’il était fier de lui. Fier. Il n’était toujours pas sûr de comprendre ce qui motivait cette demande surtout qu’il n’avait pas l’air d’aller tellement mieux que ça.
Il n’en revenait pas d’avoir pu causer autant de dégâts chez le jeune en si peu de temps. Il voulait simplement qu’il remplisse son rôle et nourrisse leur maître. A l’époque, ça lui avait semblé si léger. Si les conséquences avaient été évidente, jamais il ne l’aurait fait ! Il avait bien essayé de lui présenter ses excuses, mais ça n’avait pas semblé fonctionner du tout.
- Bonjour, Lothaire.
- Bonjour.
- Est-ce que tu as besoin de quelque chose ?
- Non… Non, merci.
Et aussi simplement que ça le garçon s’éloigna, le fuyant activement comme toujours. La meilleure cachette était encore la chambre du vampire. Osberg s’y tenait comme souvent. Il ne voyait pas grand intérêt à parcourir de long en large le manoir mais parfois, il l’emmenait dans les jardins et même dans la forêt avoisinante.
- Tout va bien, petit ?
- Oui… Ça va.
Et c’était vrai, ça allait de mieux en mieux.
***
Osberg tendit la langue, pour lécher le cou de son amant qui l’avait plaqué au lit et qui se redressa un peu pour l’en empêcher.
- Tut tut tut. On se retient.
- Mmmm…
- Sagement.
En souriant, Lothaire glissa ses doigts sur sa verge dure et froide comme la pierre. Ce n’était pas évident de le prendre en lui mais avec une bonne dose de lubrifiant, il parvenait à aimer réellement l’expérience. Il jouissait d’ailleurs régulièrement autour de lui.
Lothaire aimait diriger et ça ne posait aucun souci au lit. Alors il exigea, faisant se placer son amant, lui ordonnant de le préparer et de rentrer en lui, réclamant un rythme précis et le grondant gentiment lorsqu’il s’emballait dans sa chaleur. Tendrement, il s’installa de manière à ce que la tête du vampire puisse venir reposer dans son cou, mais à chaque fois qu’il allait pour le mordre, il le rabrouait gentiment tout en lui pinçant un téton en représailles.
- Tu dois être très sage.
- S’il-te-plait…
- Très, très sage.
- Je le suis.
Lothaire éclata d’un rire joyeux en voyant l’air boudeur de son compagnon et ordonna un changement d’angles dans la pénétration. Osberg s’exécuta immédiatement, s’appliquant pour pouvoir faire jouir son amant.
- Mord-moi.
Il se jeta à son cou, enfonçant ses dents dans la chair tendre. Ils haletèrent de concert et presque aussitôt, Lothaire exigea :
- Arrêtes-toi et ne lèche pas.
Dans un gémissement plaintif, le vampire s’arrêta et respirant profondément pour calmer ses sens. Le plus dur était encore de ne pas jouir en plein milieu du jeu.
- A chaque fois que tu toucheras mes points sensibles, je dirais « oui » et tu auras droit de lécher du bout de la langue et uniquement du bout de la langue.
Avec application, il bougea les hanches pour venir caresser les points les plus secrets de son corps, à l’intérieur de son rectum. Cela fonctionnait parfaitement, rien qu’à entendre le petit cri qu’il poussa, rapidement suivi par un « oui » sonore. La langue se tendit pour venir collecter un peu de sang. Le liquide carmin était devenu de plus en plus délicieux au fil des années. Il était très sensible aux humeurs de son compagnon ce qui rendait son goût d’autant plus agréable à sa langue.
Il se tordit pour venir frapper ce point en lui tout en léchant gentiment l’un de ses tétons, obtenant un « oui » supplémentaire qui le ravit. Il resta à proximité de sa gorgé pour prendre une nouvelle lapée en sachant très bien ce que la caresse au bout de sa verge aussi tendue que chaude allait produire. Il caressa ses côtes et revint vers son nombril, obtenant un halètement de désir en même temps qu’un « oui ». Finalement, il retourna son compagnon qui poussa un grand cri joyeux, bloqua ses hanches et commença à se déchainer en lui, alternant les poussées et les retraits.
- Oui, oui, oui, oui, … Oh oui !
Il le mordit pleinement, aspirant son sang et s’en délectant avec délice. Tout ne s’était pas construit en un jour, il avait fallu bien du temps pour qu’ils réussissent à se comprendre pleinement mais il c’était de mieux en mieux. Lothaire le fit basculer en arrière, joyeux, et le domina d’un seul regard. A l’intérieur de ses pupilles vibrait un éclat de malice et de liberté qui le rendait vraiment heureux et ce fut, par-dessus tout le reste, ce qui le fit jouir.
Ils restèrent un long moment ainsi avant qu’il ne force Lothaire à enfiler une tenue couvrante et à sortir. Malgré les années, le climat entre lui et les domestiques restait tendu et il n’avait jamais cessé le rituel.
A pas lent, le corps courbaturé mais heureux des jeux qu’il avait avec son vampire, Lothaire remonta les couloirs pour aller trouver Craence directement. L’homme avait pris l’habitude de se rendre disponible et ce ne fut pas dur de se retrouver face à lui. Le plus souvent, il demandait à avoir accès à une pièce tranquille et là, il se faisait câliner doucement, retrouvant le contact humain qu’il pensait avoir perdu à tout jamais. Il lui avait fallu des années pour comprendre que Craence ne faisait pas qu’obéir aux ordres mais qu’il l’écoutait vraiment et tentait de le remercier réellement d’avoir nourris Osberg.
- Lothaire ! Je ne t’attendais pas si tôt.
- Oui… j’y retourne. Juste… s’il reste un peu de gâteau, j’en prendrais bien une part avec toi si ça te tente.
Craence se figea, s’avança et le prit dans ses bras, le serrant fortement contre lui. Lothaire ne s’y attendait absolument pas, il se figea un moment avant de comprendre que l’autre homme pleurait. Il lui caressa le dos, gentiment, sans trop savoir quoi faire de plus. Puis soudain comme c’était venu, Craence le repoussa en acquiesçant plusieurs fois.
- Je… Je nous amène ça immédiatement. Attends-moi.
Et ce fut en le voyant si ému qu’il comprit pour la première fois qu’il n’était pas simplement aimé par son amant, mais que les gens du Manoir avait commencé à l’apprécier réellement eux-aussi. Très vite Craence revient avec les parts et ils mangèrent ensemble en papotant de tout et de rien comme souvent.
- Bon et bien, merci, j’y retourne.
- Tu reviens me voir après ?
- Si tu veux oui…
- Oui, ça me ferait vraiment plaisir.
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