Son précieux
Le poing du maître s’enfonça dans sa mâchoire, le jetant sur le côté. Il tomba, s’étouffant à moitié sous la douleur. On ne lui permit pas de rester au sol, il fut relevé d’une poigne ferme sur ses cheveux et un coup de pied le balaya. Il retomba, près de l’éclaboussure de sang qu’il avait répandu.
- Aywin, es-tu prêt à obéir ?
La réponse était « non » mais il ne pouvait pas le dire, s’il le faisait, les coups redoubleraient. Seulement, il n’arrivait pas à faire l’amour à n’importe qui. Il détestait tellement ça. Lâchant ses longs cheveux blonds comme les blés, le maître l’attrapa par l’oreille, serrant le cartilage jusqu’à ce qu’il se mette à pleurer. Chez tous les elfes, c’était une zone excessivement sensible.
- Il suffit de dire « oui », p’tit cul.
- Oui…
- Oui quoi ?
- J’obéirais, s’il-vous-plait… arrêtez.
Le maître le lâcha enfin et le laissa se recroqueviller sur lui-même en sanglotant un instant avant qu’il ne le chasse.
- Fais en sorte qu’il s’entraîne. Je veux qu’il les envoute tous demain.
***
Un voile fin sur les hanches, ne cachant presque rien, des voiles dans les mains, il dansait. Les lumières tamisées cachaient la majorité de ses marques. Les autres parvenaient à exciter, plus qu’autres choses, les grands trolls qui l’entouraient en le dévorant du regard.
Les yeux fermés, il remuait lentement sur le tempo de la musique détestable. Il la haïssait. Ses hanches bougeaient en rythme, tranquillement, plus lentement que ce que ses clients auraient aimé. Un coup de fouet le toucha soudain, le faisant hurler, mais il n’arrêta pas de danser.
Dans son dos, la marque rouge pulsait fortement. Il remua la faisant bouger à la vue des spectateurs qui adorèrent ça. Certains criaient, à chaque fois qu’il roulait des hanches et lorsqu’il s’approcha fortement d’un client, celui-ci donna un grand coup en l’air avec sa choppe. Un peu de vin rouge s’envola et s’écrasa sur son corps. Il se décala légèrement. Le long de sa peau pâle, le rouge coulait.
***
Aywin se tenait recroquevillé dans un coin, un morceau de pain de viande gras entre les doigts. Il le mangeait rapidement, en tremblant. La soirée précédente, il avait récolté trois coups de fouet en plus des meurtrissures déjà présentes. Ce n’était pas vraiment surprenant et ce n’était même pas le signe d’une désobéissance profonde. Les clients aimaient juste voir son corps se tordre de douleurs au milieu des pas de danses. Ses voiles ne cachaient pas grand-chose… et ils se délectaient du spectacle. Troll stupide, pensa-t-il un instant avant de s’arrêter, catastrophé. Il jeta un coup d’œil autour de lui, mais personne ne le regardait. Les clients observaient uniquement ce qu’il se passait sur la piste. Les petites cages entassées au fond de la salle derrière un rideau lâche ne les intéressaient pas le moins du monde.
Dans quelques heures ou peut-être avant, on viendrait le chercher encore une fois pour le faire à nouveau danser. Il fallait qu’il ait fini de manger avant s’il ne voulait pas risquer de s’évanouir. Quand ça arrivait… Il préféra chasser ces pensées morbides pour se concentrer sur le simple fait de macher.
Au milieu du vacarme, il n’entendait presque pas ses propres dents broyaient la nourriture immonde, alors quand soudain, il s’entendit arracher une partie du pain, il s’arrêta aussitôt. Ce grand silence était inquiétant. Il releva la tête et observa sans vraiment comprendre. Il y avait un être étrange qui avançait dans la salle. Il n’était pas très grand comparé aux trolls, mais il restait assez impressionnant. Son port de tête était aussi haut que celui d’un elfe, mais ce qui attirait les yeux, c’était avant tout ces deux grandes cornes noires, pointues et effilées, sur sa tête. Ses cheveux noirs étaient tressés vers l’arrière… là où se trouvait une autre série de cornes qui descendaient le long de son dos, jusqu’à cette queue reptilienne lourde qui se redressait peu avant le sol et bougeait au rythme de ses pas. Etrangement attiré par ses cornes, il mit un petit moment avant de se rendre compte d’un élément aussi étrange qu’imposant. Ce n’était pas une cape qui couvrait son dos, mais une paire d’ailes noires, repliées.
- Je vais emmener l’un de vous.
Les trolls reculèrent comme d’un seul homme, attrapant l’arme la plus proche, prêts à se battre. L’homme-dragon soupira.
- L’un de vous sera mon trésor, ce n’est pas une mauvaise nouvelle…
Un troll attaqua et la queue, discrète jusque-là, le percuta, transperçant sa poitrine sans la moindre difficulté. Ce fut un bain de sang. Sur les murs, les giclées s’étalaient dans un tableau macabre mais le plus terrifiant c’était de voir la lassitude sur les traits du dragon. Tout cela n’était que banalité. Il n’y avait ni défi à relever, ni envie de se battre chez lui.
Tout redevint assez vite calme. Une partie de la clientèle avait fui. L’autre s’étalait là, morte, au sol. Ses bourreaux étaient morts, eux aussi et depuis sa cage, les doigts sur son pain de viande, Aywin continua de manger avec empressement. Lorsque les futurs maitres trolls arriveraient, ils les mettraient immédiatement au travail, pour effacer cette boucherie des esprits. Il avait eu beaucoup de chance d’être choisi pour danser ici, la prochaine fois ce serait peut-être bien plus difficile. Offrir son cul dans le salon d’à-côté le tuerait à petit feu.
Le dragon continua d’approcher des cages et bientôt, il fut assez près pour qu’Aywin n’ose plus manger. Le mâle le regardait fixement. Il rompit la distance pour s’accroupir juste devant lui et il demanda doucement :
- Depuis quand les elfes mangent de la viande ?
Depuis qu’ils n’ont rien d’autres à manger, pensa Aywin avant de baisser les yeux, précipitamment. Bien de ses frères et sœurs avaient choisi de mourir plutôt que d’avaler ça. Un bon nombre était également mort faute de le supporter. Alors ce n’était pas tout à fait vrai. Il devait seulement être un elfe dégénéré et il le fallait pour vivre ici.
Lorsqu’il releva le regard, ce fut pour observer une pomme, bien rouge qui lui était tendu. La vision était si étrange qu’il crut être en train de rêver un long moment avant de comprendre que c’était le dragon qui la lui tendait. Pourquoi ? Il la saisit timide, essuya une goutte de sang de troll qui avait coulé dessus et la croqua sans aucune hésitation. C’était tellement bon qu’il en gémit. Le jus frais était sur sa langue et le sucre du fruit collait un peu à ses dents. Il adorait toute ses sensations et prit un instant pour la renifler, heureux.
- C’est bien mieux, trésor.
***
Le dragon l’avait emporté jusqu’au plus profond de son nid, dans une montagne maudite qu’il gardait avec soin. Il appelait Aywin « trésor » sans que l’elfe ne comprenne véritablement ce que cela supposait. Tout ce qu’il savait finalement, c’était qu’il adorait le voir ramener des fruits à profusion, le nourrissant de tout ce qu’il pouvait aimer.
- Tu es un danseur, n’est-ce pas, mon trésor ?
- Oui… mais je peux être ce que vous voudrez.
- Que penses-tu que je voudrais ?
- Je ne sais pas…
Le dragon s’approcha au plus près de lui, l’entourant de sa queue reptilienne, caressant légèrement ses chevilles. L’or qui les entourait tintaient leurs peaux d’une couleur jaunâtre douce. Très agréable.
- Tu n’en as pas la moindre idée ?
- Non.
L’elfe détourna le regard. Peut-être aurait-il dû savoir. Il avait été capturé si jeune et il ne connaissait rien de l’histoire des dragons. Lorsqu’il l’avoua, le dragon lui fit un sourire tendre et l’attira contre lui. Son torse était musclé et dur, le surprenant vraiment.
- Il était une fois… Un dragon qui vivait seul dans une montagne remplie d’or. Il était l’unique œuf du couple précédent et il s’éveilla seul. Il grandit, apprit et comprit qu’il n’était pas censé vivre ainsi. Il lui manquait son âme-sœur, un compagnon qui ferait vibrer son être sans rien faire. Alors il se mit en quête de ce trésor qu’il ne possédait pas. Il vola dans tous les royaumes, traversa les terres amicales comme les terres les plus hostiles et finalement, le trouva. Que fit-il après, a ton avis ?
Aywin se mordilla les lèvres après les avoir humidifiées légèrement. C’était une très bonne question, mais cette fois-ci il pensait avoir la réponse.
- Il l’a ramené chez lui.
- Oui. Et après ?
- …
- Après, il va le garder auprès de lui et l’aimer. Aimerais-tu que je t’aime, mon trésor ?
L’elfe trembla un peu. Oui. Il ne savait pas pourquoi, mais contre son torse chaud, il se sentait étrangement excité. A croire que lui aussi vibrait. Il ne parvient pas à dire « oui » à voix haute, mais acquiesça doucement.
Le dragon se mit presque aussitôt à caresser son corps malmené, embrassant chaque meurtrissure en douceur. Il lécha doucement celles qui étaient le plus à vif, le faisant trembler et gémir. Les voiles furent enlevés en un rien de temps offrant son corps aux caresses les plus intimes. Le dragon l’embrassa à l’intérieur de la cuisse et le mordilla jusqu’à le faire se cambrer. Aywin s’offrait sans le moindre complexe. Ame-sœur ? Il n’en savait rien. Il ne savait qu’une chose, la chaleur en lui ne faisait que grimper et il aimait être là avec lui. Ce n’était peut-être qu’un rêve après tout. C’était bien trop beau pour être vrai. Assez vite, son amant le pénétra, le faisant crier. La douleur vive le ramena dans la grotte, loin de ses suppositions. Il était couché au milieu de l’or et il savait que c’était lui, le plus grand trésor de la caverne. Le reste n’était que métal brillant sans importance. Le dragon bougea en lui doucement, délicatement et très vite la douleur reflua laissant la place à autre chose. C’était un autre sentiment, très différent, que Aywin adora.
Lorsque le pic qu’excitation fut atteint, ils bougeaient, haletaient, s’empoignaient, criaient tout autant l’un que l’autre puis une jouissance les balaya tous les deux. Autour d’eux, l’or se mit à vibrer de concert provoquant un vacarme assourdissant qui terrifia l’elfe. Les yeux écarquillés il observa les ailes du dragon, déployées, se couvrir d’arabesques dorées qui remontèrent jusqu’à ses épaules, puis descendirent jusqu’à son ventre, à son sexe allant jusqu’à toucher l’éclaboussure de spermes, là, profondément enfouie en lui. Les lignes dorées ne s’arrêtèrent pas là, puisqu’elles vinrent danser sur la peau elfique qui observa, émerveillé, leur dessin. Cela ne dura qu’une minute, puis aussi soudainement qu’elles étaient venues : elles disparurent.
- Mon trésor… Mon âme-sœur. Murmura le dragon émut lui faisant comprendre la portée de ce qu’il venait de se produire.
Il avait été lié à ce dragon par de vieilles magies ancestrales. Les larmes coulèrent le long de ses joues sous l’émotion alors qu’enfin il comprenait que tout ça était bien vrai. Il vivait cette merveille. Il s’accrocha plus fort au cou de son compagnon et chanta une litanie de « merci ».
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