Chapitre 6 (1/3)
Arc 2 : Traque dans la forêt
Des tambours résonnaient dans la nuit obscure, un feu de joie flambait au cœur d’un immense cercle de monolithes entouré de grands arbres noirs. Des ombres sinistres caracolaient autour des flammes et d’une large pierre, semblable à un autel sur lequel un homme dénudé était enchaîné. Le malheureux se débattait en criant, dans le vain espoir d’échapper au funeste sort qui l’attendait. Une grande silhouette encapuchonnée se détacha de la ronde infernale, un poignard gravé luisant dans une main osseuse.
Le captif se débattit de plus belle, hurlant de terreur. Aussi vif qu’un serpent, la silhouette noire se jeta sur le prisonnier et enfonça sa dague dans son estomac. Le hurlement de douleur de l’homme déchira la nuit, alors que ses tripes et son sang se répandaient sur le sol boueux du marécage.
Les cris de douleur du pauvre bûcheron résonnèrent dans toute la forêt, arrivant même aux oreilles des habitants d’un petit hameau situé à une dizaine de kilomètres du marécage. Les enfants pleuraient de peur et même les adultes les plus endurcis tremblaient au son des hurlements et des tam-tams. Une jeune paysanne âgée d’une vingtaine d’années tout au plus empoigna son pendentif, un petit symbole religieux, avant de dire d’une voix basse et tremblante au bord des larmes :
-Par pitié…seigneur…venez nous en aide.
***
Le Guerrier du Désert franchit les portes de la Guilde, affichant un grand sourire. Cela faisait environ un mois qu’il avait rejoint la compagnie. Durant ce mois, ses camarades et lui avaient affronté une troupe de brigands et réalisé deux chasses de gobelins, des missions accomplies avec brio. Le Sabre des Dunes chercha ses camarades des yeux et finalement les trouva assis à une table non loin du large panneau des quêtes.
-Salut à vous camarades, dit le jeune homme en s’asseyant.
Ses cinq camarades lui rendirent son salut, avant que l’Amazone ne prenne la parole :
- Pour notre prochaine quête, nous avons le choix entre l’exploration de ruines souterraines, une chasse troll ou bien…
La porte du bâtiment s’ouvrit dans un grand fracas, coupant l’aventurière, et un vieil homme aux vêtement poussiéreux entra à toute allure, essoufflé et ruisselant de sueur.
Il s’approcha du comptoir en claudiquant, le voyage ayant visiblement vidé le pauvre bougre de ses forces. S’écroulant presque devant l’employée vers laquelle il se dirigeait, le paysan tira une bourse de cuir en mauvais état et dit d’une voix rauque et épuisée :
-Aidez-nous, par pitié.
Après quelques minutes d’agitation, les employés de la guilde parvinrent à calmer le pauvre diable. Ce dernier exposa son problème et put formuler sa requête. Alors que le groupe du Guerrier du Désert reprenait sa réunion, la Paladin se leva et fila comme une flèche vers le comptoir. Ses camarades restèrent interdits devant son action, ne comprenant pas ce qu’il se passait. Arrivé à la hauteur de la réceptionniste, la jeune femme en armure demanda :
-Bonjour, dites-moi la quête que ce pauvre homme propose, de quoi s’agit-il.
Le Guerrier du Désert n’entendit pas la réponse de la réceptionniste, mais visiblement cela inquiétait la Guerrière sacrée. Aussitôt sa conversation terminée, elle revint vers la table à grandes enjambées, le visage figé en un masque grave. Elle plaqua ses deux mains sur la table et dit sur un ton qui ne souffrait aucune objection :
-Il faut prendre cette quête.
***
-Redites-nous, exactement comment tout cela a commencé. Dit l’Amazone assise à l’avant du chariot.
Assis un peu à l’arrière, le vieil homme à la barbe grisonnante saisit la gourde qu’on lui tendait, et but une grande gorgée d’eau. Sa gorge rafraîchie, il recommença donc son récit. Le Sabre des Dunes, juché sur son cheval, tendit l’oreille bien décidé à ne pas perdre le moindre détail. Le bûcheron venait d’un petit village situé tout près d’une immense forêt de sombres conifères, la vie y était dure mais paisible. Seulement, une semaine auparavant, une étrange activité avait commencé à agiter les bois et le marécage au sud. Pensant qu’il ne s’agissait que de bêtes sauvages, les villageois l’avaient ignoré. Ce fut là une grave erreur, car peu de temps après plusieurs bûcherons disparurent, leurs cadavres furent retrouvés deux jours plus tard, éventrés et démembrés. La peur et la panique s’empara du hameau, une étrange cérémonie commença à se dérouler dans le marécage. Des tambours résonnaient à la nuit tombée et des cris de fous déchiraient l’habituel silence de la forêt. Une nouvelle série de disparitions et de meurtres eut lieu, poussant les paysans à se retrancher dans leur village. Cela n’arrêta pas les mystérieux ritualistes : un groupe de gobelins attaqua le village en pleine nuit. Les bûcherons endurcis étaient parvenus à les repousser, mais plusieurs villageois avaient été blessés ou bien capturés. Face à l’urgence de la situation, la petite communauté s'était cotisée afin de quérir l’aide de la Guilde des aventuriers. Le vieil homme avait donc été désigné pour formuler la demande de quête à la guilde. Après trois longues journées de marche, il était finalement arrivé à la ville.
Le bûcheron barbu but une nouvelle gorgée d’eau, assoiffé par son récit, le Guerrier du Désert reporta son attention sur la route. À la suite la réaction de la Paladin concernant la quête du bûcheron, ses coéquipiers avaient demandé une explication. Tout ce qu’elle avait bien voulu leur dire était que la situation était critique et que son dieu exigeait son intervention. Après une bonne heure de discussion, le groupe s’accorda sur cette mission, ayant constaté que la récompense et le niveau exigé leur correspondaient. Sans perdre une minute de plus, les six aventuriers avaient rassemblé leurs affaires avant de partir accompagnés du villageois, à cheval pour le Guerrier du Désert et en chariot pour le reste de la compagnie.
Ils étaient partis la veille, et grâce à leur moyen de locomotion, les sombres silhouettes des arbres se distinguaient déjà au loin alors que le soleil était à son zénith.
Moins de deux heures plus tard, la compagnie atteignit la petite bourgade, composée de bâtisses en rondins de bois. Tout autour du petit village, on pouvait voir d'épaisses barricades faites des mêmes rondins que le maisons. Plusieurs d’entre eux avaient été taillés en pieux effilés, donnant au village un aspect de hérisson crasseux et mal léché.
À la vue de la troupe qui approchait, les visages moroses et délavés des habitants s’illuminèrent. Une majorité de femmes et d’hommes âgés accoururent, le Sabre des Dunes craignait de deviner ce qui était à l’origine de l’absence des hommes. Le jeune homme mit pied à terre suivit bientôt par ses camarades et leur employeur occasionnel. La joie fébrile de la petite assemblée redoubla de vigueur en voyant leur camarade revenir en vie.
-Grand père !
S’exclama une petite fille aux longs cheveux châtains qui accourut sur ses petites jambes avant d’enlacer le vieux barbu. Derrière elle, une paysanne aux yeux lourds de cernes s’avança à son tour et serra le bûcheron dans ses bras.
-Papa, tu es revenu ! tu vas bien ?
-Oui, oui. Je suis juste un peu fatigué. Et regarde, j’ai ramené des aventuriers, ils ont aussitôt pris la quête, on est sauvé !
Malgré l’enthousiasme du vieillard, les villageois gardaient des mines quelque peu affligées. Le Guerrier du Désert voyait bien qu’ils étaient exténués autant mentalement que physiquement, le manque de sommeil, couplé à l’angoisse que les assaillants du marécage les tuaient à petit feu. Le Sabre des Dunes et ses camarades avaient bien fait de venir, la Paladin avait sûrement eu raison d’insister, et l’Épéiste ne doutait pas que ce qui les attendaient tapis dans le marécage le démontrerait plus encore.
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