Plusieurs heures s’étaient écoulées, l’après-midi était bien avancé et le soleil descendait à présent vers l’occident, teintant le ciel d’une flamboyante couleur pourpre. Entre les troncs de bois noirs, des ombres bougeaient, des cris inhumains et hilares résonnaient déjà dans les méandres vaseux du marais. Un hurlement monstrueux retentit, une ombre monstrueuse jaillit des arbres, brisant les branches et les troncs sur son passage. L’immense silhouette s’éleva dans les airs et poussa un nouveau hurlement si aigu qu’il aurait fait éclater les tympans de n’importe qui. La créature fit le tour du hameau avant de plonger droit sur le village de bûcherons.

Le village était complétement désert et silencieux, le monstre atterrit dans la boue dans un choc sourd, et se mit à tourner sa tête massive, cherchant ses proies. Un hululement perçant déchira ce silence de mort ! Oull, qui était resté perché sur le toit de la salle de réunion, venait de donner le signal de l’assaut !

Le Guerrier du Désert jaillit de l’ombre d’une maison, son arc à la main une flèche encochée, l’aventurier décocha son trait qui siffla dans les airs pour aller se ficher droit dans le flanc de l’immense créature. Ce fut alors que le Sabre des Dunes prit le temps d’observer son adversaire. Face à lui se tenait un cocatrix : un hybride de coq et de serpent. Long de quatre bons mètres et haut de deux, la créature avait la tête d’un coq, surmontée d’une crête rouge, son cou et son poitrail étaient couverts de plumes fauves et vertes. Ses ailes membraneuses, bien plus longues que celles d’un vulgaire poulet, atteignaient facilement les six mètres d’envergure. Mais le plus déroutant était la longue queue nue de la créature, couverte d’écailles reptiliennes, qui se terminait par une tête de serpent sifflante.

Le Berserker et la Paladin surgirent à leur tour, le Nain se jeta à l’assaut du cocatrix en poussant un assourdissant cri de guerre. Il abattit ses lames droit sur les pattes du monstre, espérant le mettre au sol. Sa lame érafla la jambe de la créature, celle-ci avait réussi à esquiver la botte du guerrier barbu alors qu’il frappait depuis son angle mort.

Le Berserker perçut un mouvement juste au-dessus de lui et, par réflexe, recula d’un bond. La lame d’un sabre siffla dans l’air pour heurter son heaume d’acier, le Nain remercia en silence le Guerrier du Désert de l’avoir poussé à l’acheter. Plus étonné que blessé, le Berserker releva la tête et alors que les autres membres de la compagnie entraient en action, tous virent l’agresseur du Nain. Sur le dos du cocatrix se tenait un Hobgobelin, juché sur une selle de poney, retenue au dos de la chimère par de grossières lanières de cuir. Le Sabre des Dunes remarqua que le Hob était moins bedonnant que ceux qu’il avait vus jusqu'ici. Le peau-verte était équipée d’une armure de cuir et de mailles ainsi que d’un casque d’acier de bonne qualité. En plus de sa protection, le gobelin maniait un sabre courbé, lui-même de bonne facture et effilé comme une lame de rasoir.

Le cavalier Hob poussa un cri aigu et inarticulé. Aussitôt le cocatrix battit des ailes et chargea le Guerrier du Désert. L’aventurier réagit au quart de tour et décocha deux flèches avec une précision digne du meilleur chasseur. Le premier trait se ficha dans l’épaule du Hob et le second dans le flanc de sa monture. Les deux monstres bronchèrent à peine. Le Sabre des Dunes jura et dégaina son bouclier avant d’esquiver l’assaut du cocatrix d’une formidable glissade sur le sol boueux. Le bec de la créature claqua à l’endroit où le crâne de sa proie se trouvait une demi-seconde plus tôt alors que son cavalier tentait d’éviscérer sa cible d’un grand coup de sabre. La lame d’acier racla contre le bouclier du Guerrier du Désert et il salua son instinct de survie en se redressant d’une roulade, cimeterre au poing.

-Prenez garde à sa queue, cria le mage Drow, son venin vous change en pierre !

À peine avait-il lancé son avertissement, que le cocatrix revenait à l’attaque, son cavalier Hob poussant des cris de guerre si crissant que l’on pouvait les prendre pour des bruits d’ardoise rayée. L’Amazone passa à l’action, bondissant comme une panthère la Combattante fendit les airs en tourbillonnant comme une toupie. Son coup de pied capable de briser les os d’un homme frôla la tête du Hob qui eut le réflexe de se coucher sur l’encolure du cocatrix. L’aventurière atterrit avec la légèreté d’une plume sur le plancher. Le gobelin voulut lancer son compagnon sur cette nouvelle proie, mais la Paladin ne lui en laissa pas le temps. Elle arriva comme un bélier et d’une puissante rotation de son corps mit sa masse en action, laquelle décrivit un arc de cercle parfait qui percuta le cocatrix en pleine poitrine.

La tête de métal percuta la chair et les plumes dans un son mat, mais le cocatrix avait eu le temps de bondir en arrière, atténuant ainsi la puissance du choc. Le Hob articula une suite de mots inintelligibles, battant des ailes comme un forcené, sa monture regagna les hauteurs avant de fendre les airs droit vers le marécage. Les aventuriers pestèrent : leur premier plan avait échoué, ils comptaient éliminer le monstre volant avant de s’attaquer à la horde de gobelins et à l’étrange cérémonie. Cette démarche n’ayant pas fonctionné, ils allaient devoir changer leurs plans.

-Très bien, dit l’Amazone, on passe au plan B.

Tous les membres de l’équipe se mirent en action de façon fluide et efficace. Après avoir transmis les dernières instructions aux villageois, cachés dans le sous-sol de la grande salle, l’équipe fila vers la sombre forêt. Durant les quelques heures qu’elle avait eu à sa disposition, la compagnie avait mis au point deux plans : le premier consistait donc à éliminer le monstre volant lors de son prochain assaut puis à se rendre dans le marécage pour mettre un terme à l’étrange cérémonie. Le plan de secours qui devait être mis en branle dans le cas où la cible s’échappait, était de foncer sans attendre vers le marécage et ainsi profiter autant que possible de l’effet de surprise. Sachant qu’il y avait des gobelins dans les rangs ennemis, le Guerrier du Désert avait donné à ses camarades les mêmes conseils que le Goblin Slayer lui avait donné deux ans plus tôt sur les peaux-vertes. Ils avaient donc une stratégie à adopter une fois dans le marais. Le Sabre des Dunes envoya le Djinn et Oull en éclaireurs, tous deux voyant parfaitement dans la pénombre des pins, ils n’auraient aucun mal à repérer les ennemis et ainsi prévenir les embuscades.

Mais franchir la forêt serait la partie la plus simple du plan, car une fois la végétation traversée, les aventuriers devraient faire face à un cocatrix enragé et un rituel obscur dont ils ne savaient rien, et là résidait la partie la plus risquée de l’opération.