Chapitre 6 - Débarquement
Les dragons se roulent en boule pour un repos bien mérité alors que nous longeons une forêt dont les arbres disparaissent à mesure que nous nous rapprochons du bruit de la mer. Lorsque l'étendue bleue se dévoile, les bois ne sont qu'amas de cendres encore fumants.
Des bruits parviennent du rivage, nous tournons tous la tête en direction de la petite plage de galets en face de nous. Je crois que j'aurais trouvé l'endroit charmant si je n'étais pas aussi stressé. Un navire, comme ceux de Christophe Colomb, a jeté l'ancre à quelques dizaines de mètres du bord et trois canots sont échoués depuis peu sur le sable, en témoignent les hommes qui sont en plein déchargement. Ils sont une bonne vingtaine.
Nous n'avons aucun endroit où nous cacher. J'entends l'un des arrivants crier et nous montrer du doigt. Je vois les Ïaryss avancer sans hésitation, il n'y a pas grand-chose pour leur faire peur. Plusieurs étrangers viennent à leur tour dans notre direction, les autres terminent de vider les petites embarcations. Ils ont l'air plus grands que les hommes d'Altéphée, la peau mat, les yeux clairs. Un enfant les accompagne ainsi que quelques petites créatures bleues.
Chacun stoppe à une vingtaine de mètres de l'autre groupe. Je sens la tension autour de moi. Les Ïaryss ont la main refermée sur leur arme, prêt à engager le combat. D'un coup, l'un des étranger s'écarte et je reste sans voix face à ce que je vois derrière lui. Je connais cette enfant. Sa jolie chevelure blonde. Ses yeux noisette. Cette façon de plisser le front quand elle réfléchit ou se sent stressée.
Chloé !
Sauf que là, celle que j'aime en secret a les cheveux courts au lieu de les avoir jusqu'à la taille. Quand est-elle allée chez le coiffeur ? Je me surprends de cette question stupide alors que nous risquons à tout moment de nous entre-tuer. Puis les pensées commencent à affluer. Que fait-elle avec l'ennemi ? Comment a-t-elle trouvé l'accès au portail ? Nous n'allons tout de même pas nous combattre ?
Je vois l'une des créatures bleues, sorte de troll aquacien avec des mains palmées et une bouche de grenouille, la tirer dans sa direction en la sermonnant. Le regard qu'elle pose sur lui est plein d'incompréhension. Mon amie semble perdue et ne m'a même pas reconnu. J'ai mal dans la poitrine de la voir aussi indifférente.
— Que voulez-vous ? demande le plus grand des Ïaryss, le visage fermé.
De l'autre côté, un homme petit aux larges épaules et avec une cicactrice qui lui barre le nez s'avance. Il prononce des mots incompréhensibles. Tout le monde se regarde perplexe.
Une idée me traverse l'esprit. J'attrape ma sacoche, plonge ma main dedans et farfouille. Ouf, Peflor y a pensé ! Je ressors cinq sachets pailletés. Je tends le tout au chef Ïaryss. Ses yeux m'interrogent.
— La poudre de compréhension !
— Merci Hugo, grâce à toi, nous allons peut-être éviter une bataille inutile.
Il se tourne ensuite vers Peflor :
— Merci à toi.
Il attrape les sachets et en offre un à ceux qui nous font face. L'homme petit et massif pousse de sa lance un jeune garçon qui vient dans notre direction presqu'à reculons. Il revient en courant pour donner le présent à son chef. L'homme-oiseau avale le contenu suivi de peu par l'étranger.
— Que voulez-vous ? demande à nouveau le Ïaryss.
— Trouver refuge.
Je le vois à la fois surpris et soulagé. Comme j'ai pris de la poudre peu après mon retour sur Altéphée, je suis le seul à pouvoir suivre les échanges entre les deux leaders.
— En brûlant nos forêts ?! s'énervent l'homme-oiseau.
— Nous avons cru voir une menace, c'est pourquoi nous avons attaqué. Nous accostions pour vérifier ce qu'il en est.
— Pas de menace par ici hormis vous, lance l'homme-oiseau agressif.
— Si vous dites vrai, nous proposons de trouver un moyen de réparer notre erreur. Je suis Bas-tient, capitaine de la Courageuse.
L'homme-oiseau ôte la main du pommeau de son épée, son visage est toujours crispé mais moins qu'avant.
— T'kril, commandant Ïaryss. Il vous faut repartir.
— Cela nous est impossible.
Je vois de nouveau T'kril poser sa main sur son arme, les sourcils froncés, en position de garde. Bas-tient met un genou en terre, la main droite sur son coeur :
— Nous ne pouvons accepter, nous avons une mission à respecter. Nous ne pouvons rentrer bredouille, il en va de la survie de mon peuple.
— De quoi avez-vous besoin pour quitter nos terres ?
— D'un nouveau territoire.
Devant le regard orageux de l'homme-oiseau, l'étranger reprend aussitôt :
— Nous ne venons pas envahir, nous pensions cette terre déserte. Nous n'avons croisé aucun navire. Notre royaume est attaqué par un monstre sanguinaire. Il nous faut sauver notre peuple en lui offrant un nouveau territoire. Pouvez-vous m'indiquer des terres inoccupées que nous pourrions habiter, mêmes dans un endroit reculé ou malmené par le climat ?
On voit le désespoir et la fatigue dans les yeux du chef.
— Je ne suis pas habilité à pouvoir traiter pareille requête. Nous pouvons emmener une délégation auprès de notre Tsarin et du roi d'Altéphée. A condition de cesser immédiatement vos actions destructrices. Vos hommes resteront sous surveillance pour vérifier que votre part du marché est respectée.
— J'accepte.
L'homme se remet aussitôt debout, attrape une dague, s'entaille légèrement la paume de la main gauche puis la tend vers T'kril. Le Ïaryss le regarde surpris.
— Vous ne faites pas ainsi dans vos contrées pour sceller un contrat ?
— Non, c'est...étrange.
— L'échange du liquide vital vaut accord des différents partis.
L'homme-oiseau prend l'arme de Bas-tient et fait perler quelques gouttes rouges avant de lui attraper la main. Un sourire se dessine sur les traits de l'étranger. La tension redescend.
Pour ma part, je suis peiné de l'indifférence persistante de Chloé. Je me faufile jusqu'à elle :
— Chloé ?
Elle me regarde, les yeux agrandis par un mélange de peur et de confusion.
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