III
Sehae parcourait les luxueux couloirs de la forteresse. Ici encore, aux endroits où les murs n'étaient pas immaculés, ceux-ci étaient recouverts de remarquables tentures et dorures. Pour les intérieurs comme pour les extérieurs, le seigneur semblait rechercher toujours plus de clinquant dans son domaine. Certainement, pensait-il ainsi compenser la légèreté dont il faisait montre, au quotidien, auprès de ses sujets .
Il y avait ceux que la frivolité du monarque devait particulièrement horripiler. Ceux même que Sehae ne cessa de croiser, non sans inquiètude, durant son retour à ses appartements. On ne galéjait pas aisément avec les membres de l'Ordre Renaissant. Encore moins quand on se revendiquait appartenir au Culte du Crépuscule et qu'on se trouvait seule à défiler devant des groupes de soldats, de mages vêtus de ces caractéristiques tuniques ou cuirasses blanches. De sobres atours ornés indifféremment du jaune emblême de l'épée enflammée.
Pourquoi l'Empereur laissait-il ces gens parader présomptueusement dans les couloirs et halls de la forteresse ? Il cherchait sans doute, à travers cet ordre se couvrant de pseudo-vertus, un moyen d'expier ses nombreuses fautes. En réalité, naïf qu'il était, il n'avait pas conscience du danger auquel il s'exposait. Sehae avait bien tenté de le lui faire comprendre mais il gardait trop en tête le fait que l'ordre et le culte restaient opposés dans leur conception du développement de l'Empire.
Sehae feignait ignorer les regards noirs qui la défiaient à chaque détour de couloir. Hélas, elle était minoritaire en ces lieux et n'avait d'autre choix que de garder la tête haute en faisant étalage de tout l'aplomb dont elle était capable afin de cristaliser sa position. Ces hommes et ces femmes ne devaient pas sentir qu'une sorte d'immunité permanente leur était acquise.
La jeune femme poussa la porte qui la séparait de ses appartements d'un geste ample.
― Madame ... , commença la jeune fille qui venait de se lever vigoureusement de sa chaise.
― Tu peux rentrer chez toi ! déclara l'autre fermement sans lui prêter le moindre regard.
La couturière s'exécuta avec empressement. Sehae n'était plus d'humeur à bavarder et n'en avait d'ailleurs plus le temps. Bientôt, elle s'assit à son bureau, découpa un morceau de parchemin, sortit son encrier ainsi que sa plume. Elle se mit à écrire avec application.
« Doyens,
Depuis le signalement émis par les sbires du culte, j'ai pu confirmer la résurgence de magie noire provenant des profondeurs de la capitale de l'Empire. Une telle quantité ne peut que prévenir le lent réveil des anciens dieux noirs, tel que vous le supposiez. J'implore encore un peu de votre patience car je suis sur le point de trouver l'accès me permettant d'initier le lien avec ces entités fabuleuses qui offriront enfin au culte, son heure de gloire.
Sur le plan politique, les choses ne font qu'empirer, ici. L'empereur, auprès de qui je dispose des bonnes grâces, n'est plus vraiment dans son état normal. Je soupçonne les mages d'autres factions d'exercer profusément sur lui quelque artifice ayant pour effet de troubler son esprit.
Je suis consciente que le temps presse face au nombre de menaces, notamment celle des orcs qui s'agitent dans la région. Concernant ces derniers, j'ai pu découvrir que certains chamanes, présents à l'époque précédant leur débâcle face à l'Empire, demeuraient vivants au sein de leurs tribus. Sans doute ont-ils pu profiter, jadis, de résidus de magie noire offerte par les rivières souterraines sur le point de se tarir. Si mes travaux n'aboutissent pas ici, peut-être devrais-je envisager nouer le contact avec eux, même si la chose promet d'être ardue tant leur aversion pour les humains, a fiortiori ceux de mèche avec l'Empire, demeure vivace.
Crépusculairement, votre servitrice,
Sehae Solran »
Dans la soirée, quelqu'un gratta discrètement à la porte. La jeune sorcière ne fut pas surprise de trouver l'homme qu'elle attendait derrière celle-ci. Encapuchonné et vêtu de noir, la face qu'il laissait entrevoir était laide et abimée. Alors qu'il fut invité à pénétrer dans la pièce, elle plaqua sa main sur son visage qui sembla, alors, disparaitre derrière une masse noirâtre informe.
― Ceci ne te fera assurément point de mal, dit-elle avec un brin de malice dans la voix. Inutile de te rappeler ce qui t'attend si ce message ne parvient pas directement à ses destinataires.
L'homme accepta le parchemin tendu en ne disant mot mais ne put réprimer une goutte de sueur perlant sur ce qui semblait être devenu son front. Il savait que le sortilège s'évaporerait une fois sa mission accomplie. Il s'éclipsa alors sans demander son reste.
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