Pauline
Au passage de Pauline, on chuchote. Parfois, quelques insultes fusent. Pute. Salope. Tapin. Catin. Traînée. Monstre. Inhumanité.Va faire les trottoirs ailleurs ! T'as rien à faire chez nous ! Reste avec les autres anormalités ! Les mamans font changer les enfants de trottoir. Il ne faudrait pas qu'ils aient de mauvaises idées à son contact. Il ne faudrait pas qu'ils attrapent le virus de l'anormalité.Va te faire aliéner !
Au passage de Pauline, les regards s'illuminent d'une étincelle de mépris, de haine, de colère, de dégoût, de fascination, d'horreur. Chez certains, on y trouve un fantasme caché et Pauline sait que ceux-là viendront la retrouver chez elle un jour, parfois même le soir-même. Ils la dégoûtent ; elle les accepte quand même. Parce qu'elle a besoin de se sentir aimée, ne serait-ce que pour une nuit, que pour quelques heures. Même si le lendemain ils se remettent à l'insulter, même si plus jamais ils ne reviennent.
Salope.
Au passage de Pauline, il y a toujours des regards qui s'attardent sur sa silhouette, sur ses jambes, ses hanches, ses seins, son visage, ses longs cheveux bruns. Mais personne ne regarde jamais ses yeux. Ces yeux noirs dont on ne distingue pas la pupille de l'iris, ces yeux noirs qui ne cessent d'appeler au secours. Ces yeux noirs qu'elle garde fixés sur un point au loin. Ces yeux noirs qu'elle ne baisse jamais. Ces yeux noirs qui restent fiers.
Ces yeux noirs qui grouillent d'émotions.
Ces yeux noirs si vivants.
Ces yeux noirs si humains.
Il y a des fois où Pauline se demande si tout ceci cessera un jour. Si les regards passeront sur elle sans s'arrêter, si les murmures s'effaceront, si les insultes la choqueront réellement. Si un jour on la traitera comme un être humain normal ou si toujours elle sera une paria. Tout ce qu'elle peut faire c'est laisser le temps passer et espérer.
Il y a toujours un peu d'espoir.
Quelque part, caché au plus profond d'elle même.
Quelque part il y a cet espoir, certes minuscule, réduit à rien, mais il est bien là, tout au fond.
L'espoir que quelqu'un voit que tu es une bonne fille.
Une gentille fille.
Pour sortir, Pauline se prépare toujours. Elle tente toujours de chasser cette petite boule d'appréhension qui alourdit son estomac. Elle se répète que tout ira bien, qu'aujourd'hui on ne la regardera pas comme une bête de foire, comme un monstre. Elle se le répète. En vain. Pauline ne peut pas sortir sans avoir peur. Sans être terrifiée. Le monde extérieur est si cruel.
Tu n'es rien d'autre qu'une chose horrible à exterminer Pauline.
Tu n'es rien d'autre qu'un ennemi du quotidien.
Ils ne veulent pas de ce que tu es Pauline.
Tu brises les traditions Pauline, tu brises les idées reçues, tu brises leur monotonies, leurs habitudes. Tu rends leurs courses au supermarché du coin en une aventure terrible qu'ils raconteront plus tard à leurs amis. Hé, vous savez, la semaine dernière, je suis allé à Carrefour, vous savez pas ce que j'ai vu ? Si, je vous jure, les gens comme ça devraient se cacher !
Quelle aventure, que de croiser un être humain.
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