Serres les Alpes, 10 avril 2021

Bonjour Klaus!

Je suis revenue dans ma petite maison des Hautes Alpes et je m'y sens merveilleusement bien. Il y avait longtemps que je rêvais de vivre de nouveau à la montagne, mais sans pour autant être trop éloignée de la ville. C'est chose faite et c'est magnifique de pouvoir respirer à plein poumons au moment où j'ouvre la fenêtre le matin et d'écouter de la musique classique à fond, plutôt que d'entendre ces horribles tondeuses, tronçonneuses et autres engins de malheur.

Pour l'instant je n'ai toujours pas la moindre idée de l'endroit où tu te trouves, ni même si tu es en bonne santé. Pourtant je continue inlassablement à t'écrire des lettres, car je sais tout au fond de moi que j'ai raison d'agir comme si tout était comme avant, comme si tu étais toujours le même, puisque de toute façon tu n'as plus aucune notion du temps. Je caresse toujours l'espoir que tu retourneras chez toi à un moment où un autre et que mes lettres te permettront au moins de savoir que quelque part dans le monde il y a quelqu'un qui sait que tu n'as jamais été atteint de schizophrènie et que les médicaments que tu as été obligé de prendre ont modifié ta perception de la vie. Malgré toutes mes recherches sur le sujet et le fait que l'association que j'ai fondée soit reconnue, je ne suis pas habilitée à établir un diagnostic, mais je sais que je réussirai à me faire entendre. Au départ les médecins étaient incapables de donner un nom à ta maladie et n'en comprenaient pas la cause, à ce qu'il paraît. Et c'est tout à fait normal, puisqu'au moment où tu as commencé à aller si mal tu étais tout simplement effrayé par tout ce que tu voyais, entendais et ressentais. J'ai peut être été le seul témoin direct de tes incroyables facultés mentales et à en comprendre le sens, mais à l'époque j'avais si peur d'être jugée que je n'ai jamais osé parler. C'est vrai que Je n'avais pas suffisamment pris conscience de la gravité de la situation et que je refusais de croire ce que j'avais vu de mes propres yeux et c'est impardonnable. Pourtant Je peux bien avouer à ma décharge, que J'ai évolué et continue à évoluer dans un univers où, malgré les apparences, l'irrationnel n'a aucune place. J'ai mis beaucoup de temps à comprendre que les gens ont si peur de ce qu'ils ne connaissent pas qu'ils suivent aveuglément tous ceux qui prônent la voie de la raison et qui prétendent connaître la vérité absolue. Malheureusement les apparences sont trompeuses et c'est prétexte à toutes les dérives. J'ai culpabilisé pendant si longtemps d'avoir été si peu honnête avec moi même... A chaque fois que je te téléphonais c'était pour essayer d'aborder le sujet, mais hélas c'était déjà trop tard. J'avais alors beaucoup de difficultés à suivre les méandres de ton cerveau, car tu vivais dans ta propre réalité et tu t'éloignais de plus en plus de la mienne. Le simple mot magie t'effrayait, alors que je parlais simplement de magie de spectacle. Et je continuerai à t'en parler, aussi longtemps que j'en aurai le courage, car aussi curieux que cela puisse paraître, je sais maintenant que ce sera la meilleure façon de te reconnecter avec le monde réel et de t'accepter tel que tu es. Et puis, comme le dit si bien ce proverbe esquimau que j'aime tant: "Une vie sans phénomènes inexplicables c'est comme des yeux qui ne voient pas la couleur".

Mais pourquoi personne n'a pensé que c'était à cause de ta célèbre mère que tu allais si mal? Parce que c'est très dur de faire ses preuves en étant un fils de... Et que c'est son décès qui a précipité le cours des événements qui ont suivi.

Marie Alix