Lettre à Klaus 8
Serres les Alpes, 28 septembre 2021
Bonjour Klaus!
Ton frère m'a informée que tu n'avais toujours pas donné signe de vie, et j'avais de nouveau perdu tout espoir d'avoir de tes nouvelles, mais j'étais sûre et certaine que je ne réussirais qu'à me mentir à moi même, en agissant comme dans le passé. Je sais tout au fond de moi qu'en renonçant à t'écrire je ne pourrais que faire semblant de t'oublier, et même si je prétends ne pas aimer ce fichu espoir, car c'est bien souvent le refuge de ceux qui n'ont plus rien, je m'y accroche comme si ma vie en dépendait. Plus exactement comme si ma vie dépendait de ta propre vie, parce que j'ai toujours besoin de croire que tu es toujours en vie. Et c'est justement pour cette raison qu'autrefois j'avais souhaité effacer ton image de ma mémoire, tellement cela me paraissait absurde de penser que tout mon univers allait basculer, si un jour je n'avais plus aucune raison d'espérer.
Je ne me souviens plus du contenu de mes dernières lettres, et tant pis si je me répète encore une fois, car j'ai besoin que tu saches que j'aurais l'impression de te trahir, si je renonçais à t'écrire. Comme si ton existence dépendait de moi! C'est bien un truc de magicien de penser que tout tourne autour de lui, tellement il souhaite avoir le contrôle sur tout. Mon ego serait-il si démesuré pour que je pense que mes lettres pourront t'aider, alors que tu ne peux même pas les lire? L'idée me vient que je n'arrive simplement pas à supporter que les choses ne soient pas exactement comme j'ai envie qu'elles soient, et que somme toute, je m'en sortirais fort bien si j'apprenais l'inévitable. Je pourrais même passer à autre chose, et trouver le moyen de faire le deuil de notre histoire. Mais en vérité, ce raisonnement est absurde, puisqu'il y a bien longtemps que je suis déjà passée à autre chose. Et d'ailleurs, c'est bien grâce à la pratique de la magie que j'ai réussi à comprendre que le bonheur est un choix, mais que l'être humain passe tellement de temps à s'obliger à être heureux qu'il en devient malheureux, à force d'essayer de croire que l'ordinaire peut être extraordinaire, alors qu'il lui suffit d'avancer d'un pas pour découvrir l'extraordinaire.
Autrefois j'avais envisagé l'idée que je m'étais peut être trompée sur toute la ligne, que tu m'avais oubliée, et que les cartes postales que je t'envoyais régulièrement n'avaient pas eu plus d'impact que si une parfaite inconnue les avaient écrites. Je ne savais jamais si je m'adressais au même homme, que celui à qui j'avais envoyé un courrier quelques semaines plus tôt, mais je me disais que, même si tu étais parti dans la cinquième dimension, cela te ferait toujours plaisir de recevoir un petit mot gentil. Aujourd'hui je porte un autre regard sur le passé, mais aussi sur le présent, et je mets un point d'honneur à défier la morosité ambiante de ces dernières années. Certes, depuis avril 2020 la situation s'est améliorée en France et dans d'autres pays d'Europe, comme si le vent avait tourné sans que l'on sache vraiment pourquoi, mais ici les gens ont gardé leurs mauvaises habitudes et ont beaucoup de difficultés à penser à leur futur.
Quand je pense qu'il y a deux ans à peine, le simple fait de souhaiter une Bonne Année à son entourage était presque devenu une hérésie! C'est à peine croyable, lorsque l'on sait que ce sont justement les plus malheureux qui ont besoin de croire en l'avenir, et qu'ils sont incapables d'y parvenir, dès lors que les plus favorisés ferment la porte à leur propre bonheur. Ce serait tout de même plus juste que ceux qui ont déjà la santé, l'amour ou la gloire laissent au moins une petite ouverture, pour que leur bonheur puisse rayonner sur ceux qui n'ont jamais cru que tout le monde a droit à une seconde chance. Car le bonheur n'est peut être pas une obligation, et chacun est libre de ses choix, mais personne n'a le droit de décider de l'avenir des autres, ou de claquer la porte au nez à ceux qui ont envie d'aller mieux, et de leur enlever les rêves auquels ils n'ont jamais osé rêver, avant même qu'ils ne se soient réalisés.
Un jour tu avais décidé de fermer ta porte à double tour, parce que tu n'étais pas entièrement responsable de tes actes, mais à présent je te propose d'essayer de l'ouvrir encore une fois, juste un petit peu. Quant à moi, ma porte s'était ouverte toute seule, à l'époque où j'avais découvert les milieux de la magie, mais ensuite je l'avais malencontreusement refermée. Pourtant j'ai décidé de l'ouvrir de nouveau en grand, et c'est beaucoup mieux ainsi, parce que le bonheur est contagieux.
Marie Alix
Annotations