Un homme soucieux

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Stella

Un peu déroutée par la mauvaise surprise que je viens de recevoir, je décide de quitter le salon. L’envie de jeter à la poubelle ce colis de malheur m’habite. En vérité, je suis plus touchée que je ne le laisse voir. Savoir que des gens souhaitent ma mort, c’est violent. Plus encore quand on se rend compte que la personne a payé pour m’envoyer ce carton. Elle n’a donc pas agi sur l’impulsion du moment, comme on le ferait pour un message internet.

En même temps, je me rassure en me disant que c’était dans ma boite postale et non personnelle. Prise d’un élan, je vais vérifier s’il y a un expéditeur sur le colis. J’y découvre une adresse griffonnée en tout petit. Je la déchiffre avant de l’entrer sur internet. Le résultat de la recherche me montre la photo d’une crèmerie. Sur le côté, des clients ont laissé leur avis sur les produits.

La ville notée est à l’autre bout de la France. Serait-ce une adresse prise au hasard ? Je n’imagine pas trop une entreprise me harceler. À moins qu’ils désirent que je lui fasse de la pub. Et encore…

Fin de mon investigation. J’abandonne. Je laisserais faire quelqu’un de plus qualifié que moi.

Dans mon bureau, je me concentre sur le contenu que je voulais poster. Cela paraît soudain très anodin. Je dois préparer la photo que je dois offrir à mes abonnés pour les remercier de leur soutien. Il faut qu’elle soit assez unique pour qu’ils sentent que j’ai envie de leur faire plaisir et que je les récompense pour leur soutien. En même temps, je dois aussi en garder certaines pour attirer l’attention des visiteurs.

Du coup, je me penche sur les résultats de mon dernier shooting photo. Le thème du printemps y est à l’honneur. On retrouve beaucoup de fleurs, ainsi que de la lingerie de couleur pastel avec dentelles et transparence. Me voir prendre la pose me fait toujours bizarre. Je me demande ce que les gens peuvent me trouver.

Alors que j’hésite entre deux propositions, la sonnette de mon interphone me fait sauter au plafond. Je ne sais pas si les précédents locataires étaient sourds, mais j’ai toujours l’impression que quelqu’un sonne une corne de brume juste derrière moi.

Je me saisis du combiné.

– Stella ?

La voix de mon cousin est reconnaissable entre toutes, même si j’y perçois de l’inquiétude.

– Je suis toujours en vie. Ne t’en fais pas, celui qui veut me découper en morceaux a eu la gentillesse de t’attendre pour commencer !

– Ça ne m’amuse pas !

Je lui ouvre avec un sourire. Mieux vaut en rire…

D’un geste de la main, je déverrouille la porte. Un bruit de pas dans les escaliers m’apprend que Samuel a décidé de jouer les sportifs. Alors qu’il arrive sur le palier, je pousse le battant.

– Mais pourquoi tu ouvres, maintenant ?

– Pour que tu puisses rentrer…

Il soupire et s’avance vers moi.

– Ça aurait pu être dangereux !

– Mais ça ne l’est pas. Tu viens de sonner !

Je le laisse entrer avant de refermer derrière lui.

– Et si j’attendais dans l’escalier pour t’agresser ?

– Tu aurais vraiment du temps à perdre.

Il me fait les gros yeux. Je le reconnais bien là.

– Fais-moi un câlin plutôt que de me réprimander, j’ai besoin de courage.

Aussitôt, son expression change, il s’avance pour me prendre dans ses bras. Sa présence me rassure.

– Je ne veux pas qu’il t’arrive malheur, me souffle-t-il à l’oreille.

– Moi non plus, je n’ai pas envie qu’il m’arrive un truc. Mais je ne peux pas avoir peur de tout.

Autrefois, je l’ai vécue lorsque je suis partie de chez moi. J’imaginais que mon père allait venir frapper à la porte pour me récupérer. Que j’allais le croiser dans la rue et qu’il allait s’en prendre à moi. J’étais terrifié à cette idée. La personne qui m’a aidé à surmonter ce trouble, c’est mon cousin. C’était invivable et il avait raison.

Je me détache de lui pour l’entraîner vers le salon afin qu’il voie « la scène de crime ».

– Est-ce que ça nécessite que tu appelles le GIGN ou les démineurs ?

Il m’offre un visage dépité, avant de se pencher sur le colis.

– Il y a une adresse sur le colis…

Je lui coupe l’herbe sous le pied.

– C’est celle d’une crèmerie dans le sud de la France.

Il y a de la fierté dans son regard, lorsqu’il m’observe.

– Je vois que j’ai affaire à une professionnelle.

– Mon cousin m’a tout appris !

Faute de pouvoir retirer le carton de ma table, je récupère les petits paquets que je n’ai même pas ouverts. L’attention de Samuel se pose dessus.

– C’est quoi ça ?

– C’est ce que j’avais dans ma boite postale, plus des lettres.

Du doigt, je désigne les enveloppes qui traînent toujours près du colis.

– Des petits mots doux ?

Je préfère taire les photos qui accompagnent les messages.

– Tu as regardé ce qu’il y a dedans ?

Je secoue la tête.

– Je n’ai pas eu le temps.

Samuel me tend la main.

– Je vais vérifier. C’est plus sûr.

L’idée ne m’enchante pas, sauf que je ne me vois pas refuser. Sous quel motif ? Il veut juste m’aider. Après tout, je ne peux pas cacher ce qu’est ma vie ou mon travail.

J’accepte de lui donner les paquets. Pendant qu’il les ouvre, j’en profite pour aller ranger les lettres. Le tri attendra.

– Alors ? Quelque chose de dangereux ?

Vu la mine de Samuel, j’ai l’impression qu’il vient de faire une découverte fâcheuse. Son regard se fait fuyant lorsqu’il me tend une nuisette rouge à ruban noir. Des triangles transparents ornent le bustier.

– Tu reçois souvent ce genre de cadeau ?

Je me saisis du vêtement pour l’observer sous toutes les coutures. J’admire le soin apporté à la création de cette tenue. Les matières sont agréables, et je pense qu’elle va m’aller comme un gant.

– Tu préférais des bonbons ?

– C’est quand même très sexy !

Je hausse les épaules.

– C’est sûrement pour ça qu’il me l’a envoyé. Une façon d’être proche de moi, un peu comme si j’étais sa petite amie.

Samuel plisse le nez. Il n’aime pas ça. Raison pour laquelle je ne parle pas trop de ce que je fais.

Du coup, je regarde l’étiquette dans la nuisette pour m’occuper.

– Tu vas la garder ?

– Tu voudrais que je la jette ?

Il ne me répond pas.

– S’il y a quelque chose dont je désire me débarrasser dans la pièce, ça serait plutôt ce truc qui encombre ma table.

Je lui désigne le colis. Mon cousin hoche la tête, le referme puis le pose dans l’entrée. J’aurais préféré la poubelle, mais je ne peux pas trop en demander.

– Au moins, on pourra dîner sur la table.

Samuel s’installe sur le canapé. Il a toujours ce pli soucieux sur le front, même s’il ne veut pas le montrer.

– Moi qui pensais qu’on mangerait sur la table basse, comme au bon vieux temps.

Je viens m’installer près de lui, après avoir abandonné la nuisette sur le dossier d’une chaise. Même si ce n’était prévu, je suis contente qu’il soit là.

Je tire un dépliant de la tablette sous ma table de salon. Avec un sourire, je le mets sous le nez de Samuel.

– Choisi ce que tu veux, c’est moi qui régale, ce soir !

Son regard parcourt les plats.

– Dommage, il n’y a pas de nuisette.

– Je suis sûr que ça t’aurait été comme un gant.

Agacée, je lui jette un coussin au visage, avant d’aller déposer le vêtement dans le panier à linge. Il rit alors que je lui tire la langue. Malgré la situation, je suis certaine qu’on va passer un bon moment, ce soir.

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