Fin de soirée
Passé de Stella
Le visage pâle, Théa ne bouge toujours pas. À la voir ainsi, je m’inquiète. Je décide de sortir dehors pour prendre un peu l’air. La discothèque est devenue une vraie fournaise, pas l’endroit idéal lorsqu’on est déjà affecté par une situation difficile. De toute façon, avec le tampon sur notre main, nous pourrons rentrer par la suite.
Théa marche avec lenteur. Je passe un bras protecteur sur ses épaules. Cette rencontre l’a bouleversé. J’ignore pourquoi, mais il m’est impossible de lui poser la question.
Dehors, le ciel nocturne nous accueille. Un vent frais nous caresse le visage. Après quelques pas, je propose à mon amie de s’asseoir dans la voiture. Elle refuse et préfère marcher. Je l’accompagne.
– Désolée, murmure-t-elle du bout des lèvres.
– Ce n’est pas ta faute. C’est ce type qui est venu nous importuner.
Une façon polie de dire que c’est un gros lourd qui voulait jouer les forceurs.
– Mais c’était ta soirée…
Je serre sa main dans la mienne.
– J’étais présente pour m’amuser avec vous. L’important, c’était que vous soyez là. On aurait pu être chez toi à jouer au Monopoly que ça m’aurait autant fait plaisir.
Avant qu’elle ne puisse répondre, une voix nous appelle. Adrienne nous a suivis et vient dans notre direction.
– Je vous ai vu sortir. Il y a un souci ?
Théa tente de sourire pour ne pas l’inquiéter, mais sur son visage, on peut lire combien la situation l’a bouleversée. Pas besoin de mot pour qu’Adrienne se précipite vers elle. D’un regard, elle m’interroge.
– Un gros lourd !
La colère est visible dans les yeux de mon ancienne belle-sœur.
– On ferait mieux de rentrer.
Pour le coup, j’acquiesce.
– Je vais chercher Ela.
Une voix faible, Théa tente de répliquer.
– Mais non, vous n’êtes pas obligé…
– On peut aussi bien terminer la soirée chez toi, la rassure Adrienne.
En vérité, ce que nous ne disons pas, c’est que rester près d’elle serait une bonne manière de nous tranquilliser sur sa santé. Après avoir confié les clés de la voiture à mes amies, je m’en retourne chercher Ela.
– Elle doit être avec le plus beau mec de la boîte : André, soixante-ans, un dentier…
Cette blague fait sourire Théa. Pas besoin d’en dire plus pour comprendre que la moquerie vise Hervé, l’ex de sa sœur. Un homme plus âgé à la mâchoire supérieure proéminente. Notre potentiel de critique s’est éveillé lorsqu’ils se sont séparés, pas dans les meilleurs termes.
D’un pas décidé, je retourne à l’intérieur de la discothèque. Le rythme de la musique sonne à mes oreilles. Les basses font bouger les corps. Je me dirige vers la piste de danse. C’est là où j’ai vu Ela pour la dernière fois. J’espère ne pas mettre trop de temps avant de la retrouver. Sous la lumière des spots, il est difficile de reconnaître quelqu’un. Pourtant mes yeux scrutent les visages féminins.
Je décide d’aller faire un tour dans les coins plus calmes. J’ignore combien dure ma recherche, mais après m’être frayé un chemin vers les toilettes, je reconnais les vêtements portés par Ela. Sa jupe à sequin doré qu’elle revêt à chaque sortie en discothèque attire mon attention par les reflets qu’elle produit. Je la remercie intérieurement d’aimer autant cette tenue.
Perdue dans les bras d’un grand blond inconnu, elle l’embrasse langoureusement. À bien y regarder, le type n’a pas l’air mal. En tout cas, physiquement. Je m’en veux un peu de la déranger, mais je sais qu’elle comprendra.
– Ela ?
Surprise de mon intervention, elle se retourne à la hâte. Son partenaire me scrute.
– Je suis désolée de t’embêter, mais ta sœur ne va pas bien. Est-ce que tu as envie que je la ramène et revienne te chercher après ?
Une solution pour lui éviter de couper court à sa rencontre. Mais Ela m’en dissuade.
– J’arrive !
Elle se penche tout de même pour chuchoter à l’oreille du blond. L’homme paraît déçu. Sans doute espérait-il terminer la soirée de manière plus agréable.
Après un baiser sur la joue de l’inconnu, Ela me fait signe de la suivre. Nous retraversons la piste de danse ensemble. Ici, la fête continue, bien loin de nos considérations.
– Que s’est-il passé ?
– Un type lourd qui est venu à notre table.
– Il t’a saoulé ?
Je secoue la tête.
– Pas moi… Théa !
L’espace d’un instant, un spot vert éclaire le visage de mon amie, j’y discerne de l’inquiétude.
– Connard de merde ! J’aurais dû être là pour lui refaire le portrait !
Elle râle jusqu’à ce que nous regagnions le vestiaire. Comme je la regarde, elle se reprend.
– Désolée… C’est juste que… Un mec a déjà fait du mal à ma sœur et je ne peux pas supporter l’idée que ça se reproduise.
Entendre ces mots me fend le cœur. J’ignore ce qu’il s’est passé, mais je n’en demanderais pas plus. Ce n’est pas à moi de le faire ni à Ela de me raconter. Si elle en ressent le besoin, Théa se confira.
– Où sont les filles ?
– Elles sont parties à la voiture.
Au moment, où je vais quitter la discothèque, mes prunelles croisent celles d’un homme que j’ai beaucoup vu ce soir.
– Je vous cherchais, déclare-t-il en m’emboîtant le pas.
Nous sortons tous les deux. Le silence de la nuit m’enveloppe de manière soudaine. C’est presque oppressant après la force des basses qui régnait à l’intérieur.
– Je tenais à m’excuser. Le comportement de cet homme était inacceptable. L’établissement prend très à cœur le fait que ses clientes ne soient pas importunées.
Le discours est bien rodé.
– Je suis désolé que vous partiez.
Son ton change alors qu’il prononce ces mots.
– Mon amie n’est pas bien… Je préfère qu’on rentre pour prendre soin d’elle.
Il hoche la tête.
– Je comprends. J’espère que vous reviendrez quand même…
Je tente un petit sourire.
– Ne vous en faites pas pour ça. Je vous souhaite une bonne soirée…
Alors que je vais partir, l’agent de sécurité prononce une phrase qui m’apporte toujours du stress.
– Je ne vous ai pas déjà vu quelque part ?
Je n’aime pas mentir, mais je ne veux pas trop en dire sur mes activités.
– C’est possible. Je fais des photos.
Sans préciser la nature des dites « photos ».
– Vraiment ? Vous êtes mannequin ? Alors, je suis face à une célébrité !
Il me sourit.
– Je peux vous demander un autographe ?
Comme je n’ai aucune raison de refuser et que je pense que c’est une façon pour lui d’être sympathique, j’accepte. Il tire un petit carnet de sa poche, et me tend un stylo. En vitesse, je signe la page puis lui rends son bien.
– Attendez !
Il note quelque chose sur le papier puis le déchire et me le donne. Étonnée du geste, je jette un œil curieux sur son petit mot. J’y vois un numéro de téléphone ainsi qu’un prénom « Nick ».
– Si jamais vous avez envie qu’on discute tous les deux.
Il ajoute :
– Cela ne vous engage à rien.
Je ne réponds pas. La voix d’Ela résonne derrière moi.
– Stella, tu viens ?
– Je ne vous embête pas plus longtemps.
L’agent de sécurité, Nick, repart à l’intérieur de la discothèque. La feuille reste coincée entre mes doigts.
– Arrête de draguer ! se met à crier Ela.
Je me retourne et accélère le pas vers elle.
– Je ne drague pas.
Le papier disparaît dans mon sac à main.
– Tu parles… Mais j’avais raison ! Le mec te regardait !
Ela jubile. Moi, j’ai du mal à réaliser. Je préfère mettre de côté mes sentiments pour me préoccuper de Théa. C’est le plus important pour le moment.
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