La Planète Blanche (1/2)
Une note sur un piano blanc. Une silhouette seule dans un paysage désolé. De la glace à perte de vue, balayée par des embruns neigeux. Le silence du vent glacial pour seul compagnon.
Les glaciers crissent à peine sous ses bottes crantées. Les continents sont loin, prisonniers de la glace, à l’instar du panel des vivants. Qu’il soit en France ou sur la vieille Manche, le spectacle reste le même. Du blanc jusqu’au bout de l’horizon se distinguant à peine de la voûte immobile par l’anneau artificielle gravitant autour de la Terre.
Il fait si froid ici-bas. Sur le verre augmenté, Leone a bien du mal à ignorer les trois chiffres en dessous du zéro rassurant. Malgré son organisme bio-mécanique, heureusement qu’il porte cette épaisse combinaison. Eriko l’avait “empruntée” à la NASA des années plus tôt, voire des siècles suivant l’époque, et s’était autorisé deux-trois expérimentations dessus. Moins encombrante, plus malléable et, dans le cas présent, pensée pour le corps du cyborg. D’où sa présence sur le sol gelé, pendant qu’en haut, le professeur explore le dernier refuge de l’humanité.
Une arche sans doute. Un immense anneau d’acier forgé à partir des stations spatiales. À défaut de pouvoir quitter la planète pour aller en détruire une autre, l’humanité a choisi de vivre en orbite de la sienne, lorsque les températures ont chuté. C’est ce qu’Eriko en avait déduit en observant ses données embrouillées.
Leone, lui, n’avait pas compris grand chose. Dans son monde, enfin, son temps, de stations spatiales, il n’y avait goutte. Ses semblables avaient renoncé aux promesses de l’espace pour le contrôle global de la Terre. Pour l’harmonisation, disait la propagande. Un bel échec.
Il faut croire que l’entre-deux douteux entourant la planète n’avait pas non plus porté ses fruits. Probablement parce que l’humanité avait fait fi de toute union et chercher par nation séparée, à édifier la plus grande part de son œuvre finale. De fait, Eriko n’a pour l’instant pas trouvé signe de vie dans l’arche. Il fait moins froid que sur l’écorce congelée, sans pour autant être propice à la vie humaine. Pas tel qu’ils la connaissent.
Dans ses oreilles, la radio grésille.
- Leone, vous… êtes où… côté ? articule la voix crépitante du professeur.
- Je vous entends très mal Eriko. Ajustez votre fréquence.
- Put… nerve… pour… plus tôt !
- Inutile de crier. Je perçois parfaitement le peu que l’atmosphère laisse passer.
Nouvelle salve de craquements, accompagnée d’un Larsen qui fait grimacer Leone dans son casque. Enfin, après une bonne minute de parasites, la voix du vénérable savant parvient dans ses oreilles.
- Je disais, Leone… Vous m’entendez la Chouette, hein ?
- 5/5.
- Remballez votre jargon. Où est-ce que vous en êtes ?
- J’ai prélevé vos échantillons. Dans la glace et les couches de neige. Vous pouvez dire à Chang de me faire rentrer maintenant ?
- Pourquoi, vous avez froid ?
- Ça va venir, mais surtout je m’ennuie. Il n’y a plus rien en bas. Pas âme qui vive, ni particule de vie.
- Je serai seul juge de ça. Chang va ouvrir un portail sur votre position dans… très exactement trois minutes et vingt-sept secondes, comme convenu. Ne vous éloignez pas.
- Bien. Vous avez trouvé quelque chose ? Quelqu’un éventuellement ?
- Seulement des placards, des sas et du plastoc en apesanteur ! Je me dirige vers les quartiers des ingénieurs. Si indices il y a toujours, je les trouverai forcément là-bas.
- Voulez-vous de mon aide ?
- Inutile. Retournez à notre époque. Je vous rejoindrai. Terminé.
Le “Terminé” était superflu, mais le message plus clair : le professeur a tout sauf envie de revenir bredouille une fois encore. Il n’a pas besoin d’aide pour trouver ce qu’il cherche, quoi que cela puisse être…
Leone soupire. Les Sanchez ont leur caractère. Au moins, cela préserve leur goût du risque. Ou leur amour pour la science, comme ils disent.
Il observe autour de lui. Un paysage froid rendu aveuglant par les faibles rayons du soleil. À la fois si triste et si poétique. Néanmoins, Leone s’y ennuie, chose rare. C’est qu’il fait vraiment froid sur cette plaine infinie. Chaque bourrasque vient secouer le thermomètre de sa combinaison. Sa main gauche commence à s’engourdir, titillant le réacteur fiché dans sa poitrine altérée.
Dépêche toi, Chang… Le temps me paraît bien long…
Enfin, son organisme perçoit des fluctuations dans l’air. L’air crépite, se compresse, bref subit les affres habituelles de l’apparition d’une faille temporelle, à quelques mètres de Leone, que celui-ci traverse à peine le vortex formé.
Il est venu, a vu et ça lui suffit.
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