Cendres et Sérum (1/2)

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Détonations, hurlement des armes, cris du métal arraché.

Des pas précipités résonnent sur le zinc de la passerelle carbonisée.

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Vite, il faut aller plus vite. Quitter cet endroit. Le raser à jamais.

Une rafale siffle le long de sa tempe abîmée.

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La sortie n’est plus très loin. Deux cents mètres de couloir environ. La lumière de la lune se réfléchit déjà sur la vitre.

Nouvelle rafale. Elle manque cette fois de lui labourer l’épaule.

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À contre-lune, des silhouettes se positionnent au bout du corridor. Devant la vitre. Bloquant la sortie.

Tant pis pour le traçage. Au diable l’image. Il faut répliquer.

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Plusieurs silhouettes s’accroupissent, les mettent en joue, au risque de toucher le constituant.

- Calwin ! crie-t-elle. On a plus le temps ! Donne-le à Aisaan et passe devant ! Brise leur défense !

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Fracas des armes. Des balles leur filent dessus, cœur en vue. Derrière, les cris se changent en gargouillis.

Devant les projectiles s’effritent sur l’épiderme du colosse. Son corps de pierre charge les tireurs qui titubent en arrière, surpris.

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Cinq individus. Hommes ou femmes, n’importe. Calwin projette leurs corps désarticulés à travers la vitre blindée d’une seule charge.

L’horizon est dégagé. La voie est presque libre. Elle sourit, sprintant avec les autres vers leur échappatoire.

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La lame brûlante vient lacérer son bras gauche. Pas encore lui !

De son bras valide, elle arrache le premier renflement qui passe et l’envoie voler vers la seule véritable menace.

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Grognement agacé. La chaise d’acier l’a touchée au poitrail. Il se plie en deux.

Par-dessus son épaule, elle discerne des étincelles dans les yeux de Blyke. Quand ils atteignent enfin la vitre fracassée, son compagnon plaque une main sur le visage scarifiée de l’autre...

- On a plus le temps Blyke ! lui crie-t-elle en sautant dans le précipice.

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La chute paraît durer une éternité. L’adrénaline ralentit sa perception temporelle.

Aisaan a sauté à sa suite. Blyke aussi. Le sabreur est resté sur la passerelle, le visage entre ses mains boursouflées. Elle peut l’entendre crier vers les étoiles.

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D’abord c’est une déflagration dans les profondeurs des Rocheuses. Un sifflement suivi d’une rasade de flamme engloutissant capsules, propane et métal roussi.

Puis vient l’explosion, une lumière brûlante, aveuglante. Le laboratoire explose, la falaise est atomisée depuis l’intérieur, projetant des débris sur des kilomètres à la ronde. L’onde de choc les envoie s’écraser en vrac dans l’Enfer Vert. En percutant le tronc d’un pin, elle croit bien sentir ses vertèbres craquer, avant de se crasher sur le tapis d’aiguille recouvrant le sol sylvestre.

Elle reste un moment étendue sur le terre meuble, aspirant l’air âcre à pleine goulée. Ils ont réussi. Le centre de recherche n’est plus qu’un tas de gravats, les doses sont détruites et le sérum..

Elle se redresse brusquement, ignorant les craquements de son corps en pleine rémission. Ses trois compagnons sont déjà en train de se relever. Calwin est le seul à ne pas avoir une égratignure. Il fait craquer sa nuque en roulant des épaules.

- Eh bien, dit-il, c’est pas passé loin. Une seconde de plus et vous partiez tous en cendres.

Accroupi à quelques pas, Aisaan grommelle quelque chose. Elle boitille jusqu’à lui et l’attrape par les épaules.

- Tu l’as ? l’interroge-t-elle.

- T’inquiète princesse, répond-il en souriant. Il ne m’a pas quitté.

- Il est intact, t’es sûr ?

Aisaan hoche la tête et sort la fiole d’une des poches de son manteau. Pas une fêlure, nickel.

- Tu veux le prendre ?

- Pas besoin. Garde-le et fais gaffe.

- Comme si je l’faisais pas déjà… De t’façon, on risque plus grand chose.

- On est pas encore tiré d’affaire. Je crierai victoire seulement lorsqu’on aura rejoint Imo.

Aisaan écarte les mains et range la fiole, alors que Blyke titube vers eux, le bras gauche plié dans un angle anormal. Elle le fusille du regard.

- Quoi ? lâche-t-il en faisant craquer l’articulation brisée. Désolé, si j’ai pas votre constitution.

- J’en ai rien à foutre de ton bras. Si tu nous refais un coup pareil, je veillerai à ce que tes membres mettent des semaines à se ressouder correctement.

- Tu te fous de ma gueule ?! Sans moi, cet enfoiré serait en ce moment avec nous. P’têt’ même qu’il t’aurait d’jà éventré…

- La ferme ! Quand j’ordonne quelque chose, tu obéis, surtout pour ce genre d’opération ! C’est clair ?

- Parce que tu crois que…

- LES GARS ! beugle Calwin. Arrêtez vos conneries ! Vous réglerez votre bagarre de biroutes quand on sera en ville, OK ? Comme tu l’as si bien dit, Keaya, on sera en sécurité uniquement lorsqu’on aura quitté l’Enfer Vert, donc on se casse. Maintenant !

Blyke veut répliquer mais se renfrogne. Il plaque son bras fracturé contre son torse et emboite le pas du colosse. Il y a plus urgent, effectivement. Keaya les observe un moment, agacée, avant de suivre le mouvement avec Aisaan.

La petite troupe file silencieusement à travers les conifères. Ils avancent à un rythme rapide. Si tout se passe bien, ils devraient parvenir dans la banlieue sud dans moins de cinq minutes. Malheureusement, dans les bois, les choses se déroulent rarement sans accroc. Chacun d’eux le sait.

Aisaan est le premier à la sentir. Il agrippe l’épaule de Keaya, passée chef de file, qui s’immobilise immédiatement. Echange de regard rapide, puis hochement mutuel. Inutile d’attendre que le danger se pointe.

L’air autour de Blyke ondule, la peau de Calwin se durcit. Aisaan scrute les alentours. Pour l’instant il n’y a rien, mais ça se rapproche. Elle se rapproche. Sur le défensive, ils reprennent leur avancée, chaque pas prudemment posé au sol. Toujours rien.

Keaya laisse échapper un soupir. L’air n’a pas plus tôt franchi ses lèvres craquelées, qu’elle capte un mouvement rapide dans les fourrées. Aisaan l’a vu aussi. Il la tire vers lui, alors qu’une branche affutée traverser l’endroit exact où sa tête se trouvait moins d’une demi-seconde plus tôt. Du coin de l’oeil, le jeune homme entrevoit une liane serpenter sur le sol, droit vers eux.

- Calwin, Blyke ! Faites gaffe au sol. Si elle vous choppe…

- On sait ! répond Blyke en plaquant ses paumes au sol.

La terre vibre et ondule. Un cri perçant déchire les bruissements diffus de la végétation.

J’ai si mal à la tête… Maudits insectes…

La voix vient de tous les côtés, à la fois de la voûte végétale et de la terre caillouteuse. La boue se soulève, durcit, se liquéfie, crache des brassées de ramures.

- Blyke, irradie cette saloperie un bon coup ! crie Keaya.

- A tes ordres ma ché…

Une racine noueuse perfore la terre et le fauche comme un fouet à la poitrine. L’attaque est fulgurante. Aucun d’eux n’a le temps de le retenir. Il se fait projeter contre un érable, libérant son rayonnement gamma sur l’écorce. Calwin a tout juste le temps de protéger les deux autres de son corps cuirassé. Autour, la flore est vaporisée et la daemon hurle.

- Il faut qu’on se tire de ce merdier, articule Keaya, plaqué contre le torse en pierre du colosse.

- Sans blague princesse ! Seulement on est un peu dans la merde, là !

- Je me charge de Blyke, dit Calwin. Vous, partez devant. Résister contre cette chose, c’est signer notre arrêt de mort. On le savait en traversant cet endroit.

- Tu pense y arriver ?

- Aucune idée. Maintenant filez, avant que je ne change d’avis. On se retrouve au Caveau. A trois. 1, 2, 3 !

Aisaan et Keaya bondissent. Ils roulent sur le sol dentelé, arrachent des plantes un peu trop téméraires et courent aussi vite que possible vers la civilisation. Jetant un regard derrière son épaule, Keaya aperçoit brièvement Calwin tirer sur une plante enroulée autour de son avant-bras et frapper la terre mouvante de l’autre. Un nouvel éclair aveuglant anéantit un pan de végétations. Ils sont mal barrés, mais ils pourront sans doute s’en s…

- Keaya, fais gaffe !

La jeune femme se baisse in extremis lors qu’une épaisse branche de chêne fend l’air, frôlant son crâne. Elle pousse un grognement et immobilise le bras de l’arbre pour mieux le briser en deux d’un coup-de-poing. Pas question de se faire humilier par un bout de bois.

- Ça va ? demande son compagnon restant, alors qu’elle reprend sa course.

- Évidemment ! Te préoccupes pas de moi. On file.

Les deux jeunes gens slaloment entre les troncs, esquivent la flore déchaînée, bondissent par-dessus plusieurs fossés. Cela dure dix bonnes minutes. Dix minutes de chaos à fuir l’étreinte de l’Enfer Vert.

Et puis d’un coup, tout s’arrête. Les racines s’étendent paresseusement dans la glaise, les branches s’assouplissent au gré du vent, les arbustes cessent de se mouvoir, la voix lancinante du daemon s’interrompt. Soit ils sont trop loin du noyau, soit Blyke et Calwin sont parvenus à la sonner.

Quelle que soit la raison, ils peuvent maintenant quitter cette forêt infernale. L’orée des bois est proche, pour ne pas dire juste après la butte, devant eux. Un bond plus tard, ils sont à l’air libre, quoique loin d’être pure.

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