Café et Carabistouilles

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- Bonjour tout le monde, dit Keaya fraîchement douchée. J’ai manqué quelque chose ?

Leone lui jette un regard distrait. Ouf, elle a enfilé un peu plus de tissu que lorsqu’il l’a étranglé à son réveil. Sans être vieux jeu, quoique un peu de par ses origines, il ne connaît pas suffisamment la jeune femme pour se juger digne de bigler ses miches. Il est vrai qu’à l’instar des deux Sanchez, la promiscuité sédentaire les a rapprochés, sans aller jusqu’à d’entretenir des rapports génésiques. Aussi plus elle est vêtue, moins il y a quiproquo, mieux il se porte.

Keaya file se préparer son café-canelle à la séculaire machine à café. Fabiano se l’est procurée dans un Easy Cash de Paris. Pensez donc : une authentique machine à café du XXIe siècle, quelle rareté ! À faire rougir les rares antiquaires dont Esprenys est dépourvu, hormis les quincaillers du marché.

D’ailleurs, il ne voit pas que les Pandas ne l’utilisent pas. Un café par tête rousse, au moins ! À ce rythme, il va finir par devoir se mettre à planter ses propres caféiers. Il faudra peut-être qu’il se procure des pousses dans son prochain trip vers le passé…

- Qui a encore cassé la table ? demande Keaya en allant s’asseoir à côté de Leone.

- Ton ami le mécananthrope, princesse, répond Martha, son œil artificiel bloqué sur la position de Leone.

- Décidément, après mon cou, la table…

- Pardon ?! s’exclame Fabiano, arraché à son rêve de baron caféiné. Qu’est-ce qui est arrivé à ton cou ?

- Rien de bien grave… papa, répond-elle gênée comme toujours lorsqu’elle se confronte à lui devant le reste des Pandas. Juste un malentendu, un… réflexe musculaire.

- Montre-moi ça.

- Non, c’est bon, je préférerais pas. Ni tout de suite, ni plus tard d’ailleurs.

- Vous, vous ! tonne Fabiano, bombant le torse et pointant un index sur Leone. Si vous reposez une main sur ma fille, vous allez le regretter.

Leone siffle une gorgée de café, partagé entre la consternation, l’amusement et une touche d’incompréhension. C’est bien la première fois que la Taupe se prend à jouer les papas gâteaux pour sa fille. Pas à ce point et encore moins en se donnant un air de dur à cuire.

- Ravie de voir que vous vous sentez d’un coup concerné par le bien-être de votre fille Fabbio, articule Martha, sarcastique, au milieu d’une vaguelette de ricanements. Maintenant, si vous le permettez, j’aimerais, si possible bien sûr hein, ne soyons pas pressés ; revenir sur la foutue infrastructure d’AstraCorp ! On peut avancer oui ou merde ?!

- Oui, oui, très juste, très juste, répond Fabiano, penaud.

- Bien ! Alors ? Ce 13e sous-sol, vous nous avez dégottés un plan ?

- Ce n’est pas aussi simple que ça…

- C’est donc non ?

- Je n’ai pas dit ça, laissez-moi développer !

Sourire en coin, Martha croise ses guiboles robotiques, comme pour l’inviter à faire une allocution. Fabiano marmonne dans son bouc en activant les projecteurs holographiques plafonnant l’ex-table à manger. Une représentation tridimensionnelle du centre de recherche émerge par à-coups vectoriels.

AstraCorp est Esprenys. Des fondations aux têtes de fion en fonction. C’est ainsi que Fabiano dépeint le géant qui l’emploie, le nom d’oiseau coprophagique en moins.

Vu de la plèbe, le siège prend la forme concrète d’une haute tour surplombant la ville de son arrogance vitrée. Vu du reste, d’un immense complexe souterrain pompé sur le modèle de Sanford. En plus ramassé, plus profond et plus secret. Un très haut niveau d’accréditation est requis pour s’enfoncer dans les profondeurs terrestres. Accréditation que Fabiano, petit physicien pépère du niveau -6, ne possède pas, l’obligeant à sortir de sa zone de confort pour jouer les Gilbert Renaud discount.

Non que les résultats aient jusqu’à présent été très probants.

De fait, la carte fort aguicheuse mise de côté, les informations collectées sont très lacunaires, tout particulièrement celles en lien avec le mythique niveau -13. Le fameux niveau où aurait été élaboré le Noyau Omeg. L’endroit le plus sécurisé et hermétique, de toute la structure. Impossible de s’y rendre par voie légale, extra-légale, voire totalement illégale, sinon bourrine.

Fabiano Andersen est une piètre taupe, aussi a-t-il eu l’idée plus ou moins responsable de s’en remettre au génie de son aïeul. Celui-là même qui lui permet de se téléporter dans le temps et l’espace. Une idée pas trop merdique sur le moment, que les interférences radioactives du carboradium, constituant l’essentiel de la structure, complexifient. D’où la nécessité d’avoir cartographié le complexe avant toute percée vers l’inconnu.

- Le 13e sous-sol constitue le terreau de la plupart des expérimentations génétiques d’AstraCorp, explique Fabiano en zoomant sur un dédale de couloir censé de toute évidence en croquer la géographie. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il soit protégé comme la Banque Mondiale… enfin quand elle était à son maximum d’autorité, vous avez compris.

Hochements de têtes silencieux, à l’exception d'un Panda largué sitôt les premières paroles prononcées.

- Bref, reprend Fabiano. La bonne nouvelle, c’est que j’ai pu poser un pied dans le sas, et même gagner la guérite de sécurité.

- Comment ? intervient Elrin.

- En remplaçant un collègue plus haut placé, prit d’un soudain regorgement gastrique. J’ai moi aussi un peu de ressources. Un soupçon d’hydroxyde de sodium allégé dans le café synthétique et le tour était joué !

Nouveaux hochements de têtes satisfaits. Deux Pandas soudain avisés reposent néanmoins leurs mugs de café, aussi poliment que le doute stomacal les autorise à montrer.

- La mauvaise nouvelle, poursuit Fabiano retenant l’envie impromptue de claquer deux ursidés contre les restes de la table, c’est que l’endroit est sur-défendu. Durant les deux minutes où j’y suis resté, j’ai eu l’occasion d’apercevoir trois jeunes SuperZ patrouiller dans la zone. Et ce n’était que l’entrée…

- On s’en cogne, rétorque Sanchez, de son tact habituel. Vous avez bien trouvé un moyen de dératiser ces saloperies depuis le temps que vous prétendez bosser sur le Noyau, non ?

- Vraiment ? s’étonne Imo. Vous avez trouvé un moyen d’inverser l’augmentation ?

- On parle de diminution, tocard !

- Pas forcément. Il peut y avoir affaiblissement ou instabilité atomique qui…

- On s’en fout à la fin ! tonne Martha. Vous avez trouvé un antidote Fabbio ?

- Eh bien, c’est euh… Eh Hey ! J’ai bien peur que cela soit plus compliqué qu’il n’y paraisse.

- Aussi ? À quoi vous servez, nom d’un clodo ?! s’emporte Sanchez.

- Je vous signale que là tout de suite, sans moi, vous seriez encore incapable d’accomplir votre saut spatio-quantique sans terminer coincé dans un mur. Alors, euh… baissez d’un ton, hein.

- Comme si j’avais besoin de votre aide pour ça. J’aurai fini par trouver par moi-même. En injectant des nano-implants sur un travailleur un peu trop dévoué par exemple.

- Vous n’auriez pas osé…

- Vous n’avez pas idée de ce que j’ose accomplir, rejeton de vos vieux.

- De toute façon, les autres rejoignent mon avis : je vous suis indispensable.

- Si j’étais vous, je ne m’avancerais pas davantage Fabbio, susurre Imo, un sourire dans la voix.

La phrase fait l’effet d’une serviette humide claquée sur la face. En clair, pour qui n’a jamais goûté l’expérience : très mal.

- Je… Je… balbutie-t-il. Je vous ferai en ce cas remarquer que vous vous terrez tous chez moi, à siroter ou bouder MON café, mettre en pièces MA cuisine ! Donc si je vous suis à ce point dispensable, tirez-vous de chez moi !

- Personne n’a dit ça… papa, vient temporiser Keaya. On essaie juste de te dire qu’il est inutile pour toi de faire le coq.

- Non, non, non, réagit Sanchez. Vous n’êtes clairement pas une roue essentielle au camion. Je dirai que vous valez tout juste l’un des boulons de la jante arrière-gauche .

- L’arrière-gauche !

- Eriko ! s’exclame Leone.

- Quoi ? C’est pas vrai peut-être ? C’est probablement le triple zéro de l’espionnage, un physicien tout juste potable avec un égo surdimensionné, et je devrais m’extasier ? Très peu pour moi.

- Au moins, vous avez quelque chose en commun, réplique Leone.

- J’en fais mon ronderche.

Autour de la table, en pleine reconstitution par l’essaim de nanorobots d’entretien, les Pandas assistent mi-consternés, mi-amusés, au rififi verbal qui n’en finit pas. Martha y met un terme à coups de latte sur les pieds de table.

- C’EST FINI, OUI !? cocotte-t-elle, joues en feu et regard ardent en prime.

- De toute évidence, réplique Sanchez en se radossant sur son tabouret, manquant d’inverser son point de gravité. On a enfin un point d’entrée, il ne reste plus que vos super-héros testostéronés.

- Nous pouvons les obliger à sortir, propose doucement Elrin.

- Fort bien. Ah et je refuse d'embarquer l’autocuiseur dans les fondations de votre Big Pharma avec moi.

- ET POURQUOI ÇA ?!

- Je vois que vous reconnaissez, c'est bien. Mais vous restez trop détraquée pour mériter ma machine.

Martha essaie de passer par-dessus les restes de la table.

Sans l’intervention d’Imo et d’Elrin, elle aurait probablement volé dans le frigo d’un tir au plastron. Certainement pas poser un ongle sur le professeur, occupé à se reculer, car moins de deux secondes plus tard, un portail s’ouvre en crépitant, laissant Chang fracasser la table pour de bon. Les Pandas tombent pour la plupart (encore) à la renverse, tant devant l’apparition du portail, que celle de l’assistant attifé comme un bûcheron mal léché.

- Bonjoooooor ! clame-t-il dans son franlish coutumier.

- B’jour, répond Sanchez. Qu’est-ce que tu veux ?

- Ta daaaa !

L’assistant sous acide sort un injecteur de l’une de ses poches. À l’intérieur, brille un liquide vaporeux tirant vers la malachite. Sanchez pousse un sifflement.

- Oh. Intéressant. Tu l’as testé ? demande-t-il en s’en emparant.

Chang secoue la tête.

- Ce qui veut dire qu’il nous faudrait un cobaye…

- Qu’est-ce Eriko ?

- Rien qui ne devrait vous concerner directement l’emplumé, marmonne Sanchez avant de se tourner vers Martha. Vous, l’autocuiseur, injectez-vous ça dans les artères ?

- ÇA VA PAS NON ?!

- Qu’est-ce que c’est ? l’interpelle à son tour Elrin.

- Cette question ? Une version améliorée de votre Mirage à deux francs. Voilà ce qui arrive quand on fait appel à de vrais professionnels.

- Ah oui ? Et à quel moment vous avez cru dans votre névrose qu’on allait s’injecter votre merde dans notre organisme ?!

- Vous avez peur ?

- Moi non, déclare Imo.

L’immortel se trouve d’un coup derrière Sanchez et Fabiano, qui sursautent de concert. D’un geste fluide, il s’empare de la seringue et s'en pique le bras.

Tout le monde retient sa respiration, chose superflue connaissant la condition du camé. Pendant un moment, rien ne se passe. Imo se tourne vers les scientifiques déconcertés, un sourcil arqué, puis tout son corps parait se contracter. Il tremble, plutôt convulse, puis s’écrase face contre le carrelage, où il reste étendu, secoué de spasmes, avant de s’immobiliser.

Mort.

Une fois de plus.

Pas longtemps cependant, car il se relève dans les secondes qui suivent. Durant ce laps de temps, chacun est parcouru d’une étrange sensation. Une douce chaleur au niveau du bide, s’étiolant lentement dans tout le corps, accompagnée de la nette impression d’avoir soudain affaire à un vieil ami perdu de vue pour de mystérieuses raisons, tout juste revenu taper le carton.

Imo s'étire, fait craquer sa nuque, les yeux papillonnant.

- Wouah ! s’exclame-t-il, sautant presqu’à pieds joints. Ça défonce votre shoot. À envoyer tringler la mort, c’est moi qui vous le dis. Mollo sur la compo.

- Humpf… marmotte Sanchez, pensif. Il va falloir alléger l’apport d’épinéphrine, ainsi que les échantillons de…

- NON MAIS SCROGNEUGNEU, VOUS COMPTIEZ VRAIMENT PROCÉDER À UNE INJECTION PRÉSENTANT UN TEL RISQUE LÉTAL ?!! beuglent en substance Martha et Elrin. QUEL CARABISTOUILLEUR VOUS ÊTES, JARNICOTON !

- On se calme ! Je ne l’ai pas fait au final, donc inutile de vous enflammer pour si peu.

- Vous êtes timbré !

- En ce cas un conseil : ne faites pas en sorte que le sort de votre foutu avenir dépende de mon génie.

Les noms d’oiseaux fusent, les offenses pleuvent et Leone se masse l’arête du nez. La journée va être longue. Très longue.

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