Différents différends
- Allez, c’est parti, c’est l’heure !
- Quand faut y aller, faut y aller !
- Attendez.
- Non, certainement pas. L’opération Cormoran II est réglée comme du papier à musique… au moins pour le début, alors on y va et maintenant !
- J’ai dit : Attendez !
- QQQQuuuuooooiii ?
- Mi grouw.
- Il faut que nous mettions les choses au clair.
- Encore ?! Vous commencez à faire chier l’emplumé.
- Je ne l’aurais pas dit de cette manière, mais pour le coup…
- Si, si, moi clairement. Tu nous emmerdes, ‘foiré. On perd du temps à philosopher ta morale à deux sous. On s’casse.
- Non.
- Comment non ?! T’vas voir, ‘spèce de…
- STOP ! On se calme ! Tous !
- Mais Keaya, il…
- Ta gueule Aisaan. Qu’est-ce que tu as à nous dire, Leone ?
- Lorsque nous serons sur place, au niveau -13, on ne touche pas à un cheveu des innocents. C’est bien clair ?
- Vous nous prenez pour qui l’emplumé, exactement ?
- Vous, pour un lunatique, un peu trop enivré de la gâchette. Au vu de votre nouvel attirail et particulièrement de la carabine repliée sur votre dos, je suis obligé de vous rappeler qu’initialement, nous sommes…
- Là pour observer, analyser, sans agir, je sais ! Et moi de vous répéter encore une fois, que nous sommes trop impliqués pour uniquement jouer de la paluche à présent. Ou au futur… Vous m’avez compris. Ce monde va très mal, alors la moindre des choses qu’on puisse faire, c’est de lui refiler autre chose que la gigite.
- Élégant, grand-papy…
- Et vous Keaya, je vous interdis de m’appeller ainsi.
- Ça ne coutait rien de vous rappeler nos liens héréditaires.
- Potentiels, jeune fille ! Des liens potentiels ! Quant au prix, ce n’est rien de moins que du temps. Il s’égrène en ce moment même.
- Des mots tout ça.
- Ta gueule Imo.
- Non, vos gueules les mouettes. Faut qu’on y aille, pas qu’on disserte après une journée à RAB. Allez, le portail, là !
- Calme-toi, Aisaan. J’ai donc votre parole ? À tous ? On ne touche pas aux innocents. S’ils essaient de nous attaquer, on les assomme juste, c’est bien compris ?
- Oui…
- Est-ce qu’un SuperZ peut être innocent selon vous, Leone ?
- Tempérez votre cynisme, Imo.
- Je vous informe seulement que les “innocents”, que je suppose vous imaginez comme des fanas de l’éprouvette ou des techniciens, ne doivent pas courir les couloirs à ce niveau ultra-secret. Surtout en plein assaut.
- Cela ne nous empêchera pas de pouvoir en croiser…
- Et nous de les épargner ! Parfait, la messe étant dite, quelqu’un a une dernière confession ou objection à rajouter ?
- Oo krem letich. Pwagah na kwongart. Mickl sisaroom ? Hoh blev shzarf dobbinips arbo gwinchey. Ribby wibs : aloone olemme picstick, kune pkig fortzas. Hey !
- …
- Tout à fait Chang.
- Et sur ces bons mots, le portail. Je vous préviens d’emblée, je tire sitôt un pied posé de l’autre côté, quel que soit ce qui se présentera devant moi. Alors venez pas vous plaindre après. Surtout vous, Aisaan !
- Hein ? Pourquoi moi ?
- Parce qu’on a même pas encore décanillé que vous faites déjà la tronche, voilà pourquoi. Il vous faut une autre raison ?
- Si c’tait pas l’urgence, j’vous jure que…
- Rien du tout. Maintenant, fermez-là et tenez-vous prêt, parce que vous passez le premier.
- Pourquoi moi ?!
- Ferme-là, Aisaan !
La chanson habituelle : l’air crépite et tout le tintouin, puis un pop et Aisaan n’est plus là. Le suit dans la foulée, sa demi-soeur, le gardien de son cœur, suivi d’un…
- Chang, attend un instant.
- Booba, jookaroo ?
- La ferme, niveau langue, c’en est où ?
- Pourquoi question ?
- Parce que ton speech devait être sans doute au même niveau que celui d’Octavien ou Napoléon, il n’empêche que pratiquement personne n’en a bité un mot ! T’as toujours pas réussi à te faire la langue sur le manuel que je t’ai donné ?
- Neeshga… ?
- Mais bordel, comment c’est possible ?
- Babbel n’est peut-être pas le meilleur ami pour les personnes comme Chang…
- Vous Imo, vous l’ouvrirez quand je vous le demanderai.
- J’ai hâte.
- De toutes les pointures que je pouvais ramasser, je suis tombé sur le seul analphabète du lot ! Pourquoi ?
- Vraie question, manitou ?
- Bien sûr que non, crétin ! Avant de partir, tu vas me faire le plaisir d’aller farfouiller dans la bibliothèque avec les ouvrages cartographiques. Il y a un rayon consacré aux langues. Tu vas me faire le plaisir de celle qui te tape dans l’œil et l’apprendre.
- Nuun ?
- À ton avis ? T’es con ou tu le fais exprès ? Ce n’est pas une question. Ouste, on attend !
- Asawa poa, fro.
- C’est un peu dur, tout de même.
- Imo, justement, c’est votre tour.
- Quoi d’apprendre une nouvelle langue ?
- Non, discuter.
- Vous croyez vraiment que c’est le bon moment pour ça ?
- Il n’y a jamais de mauvais moment, seulement des opportunités manquées.
- Whoua… vous ne pensez quand même pas ce que vous dites ?
- Non, j’ai lu ça sur LinkedIn avant-hier.
- Roh ! LinkedIn ! Ce réseau d’impotents marche encore ici ?
- Malheureusement… Bref ! Vous savez ce qui nous attend en bas, n’est-ce pas ?
- Non.
- Vous mentez.
- Si je vous dis que j’ai une petite idée ? Très vague ?
- Je vous répondrais comme maintenant que j’aimerais en savoir plus.
- Le moment est mal choisi.
- Pas l’opportunité.
- Arrêtez avec cette merde !
- Alors répondez à ma question, sombre gueux !
- Puisque je vous dis que j’en sais trop rien.
- Trop est l’ennemi de rien. Votre œil indique le contraire.
- Mon œil ?
- Celui qui s’illumine à l’occasion de je ne sais quels stimuli. Le gauche. Soit vous avez besoin d’un monocle, soit il m’a tout l’air d’en indiquer plus que votre langue d’anguille ne dégueule. Vous nous cachez des choses, soit. Chacun ses secrets, moi le premier…
- Parfait, donc nous pouvons…
- Il n’en reste pas moins que vous connaissez la source de tout ce bordel. Sinon, vous ne vous serez pas donné le plaisir de nous accompagner.
- C’était plus pour faire un chiffre pair. Impair rime avec imperfection, vous sav...
- Au point de laisser vos collègues galérer en surface ? Vous êtes un putain d’immortel, vous avez pas l’impression qu’ils auraient eu davantage besoin de vous, que nous ?!
- Bof… Je ne suis pas le meilleur allié qui puisse exister. Depuis quand montrez-vous autant de considération pour des gens que vous ne pouvez pas encadrer ?
- Qu’est-ce qui est caché au treizième sous-sol, Menoj ?
- Vous n’en démordrez jamais, hein ?
- Pas tant que vous ne m’aurez glissé une information potable. Si vous ne dites rien, je vous plante ici.
- …
- Je vois que l’idée fait son chemin.
- À votre place, je ne m’engagerai pas sur celui-ci. Vous n’avez pas idée du mal que ma présence ici, à l’extérieur, pourrait causer.
- Non, sans doute pas. C’est pour ça que vous allez vous ramoner le ravin et vous lubrifier la glotte pour me répondre comme il se doit.
- Tss…
- Alors ?
- Mais quelle mouche vous suce ? Vous pouvez même pas attendre deux secondes ?
- Non, vous l’avez dit vous-même : l’opportunité est mauvaise.
- Oh pitié…
- Alors ?
- Je ne veux pas m’avancer ou vous bercer d’illusions.
- Je m’en contrefous, Balzac ! Contentez vous de sortir un truc utile.
- Bon… Il est possible, je dis bien possible, parce que je n’en ai aucune certitude, que l’origine de tout ce merdier génético-eugéniste, ait une origine bien plus anc…
- Michuno ! Blu bagoo ?
- Chang, pas maintenant.
- Seded… delco webney, me…
- Pas maintenant, j’ai dit !
- Ulango !
- Oh la Mondlango ! Que de souvenirs…
- Ne changez pas de sujet Menoj.
- Je complimentais juste son choix, même s’il aurait pu prendre sa version plus général…
- C’est ça, très bien. Chang, bravo, parfait, super choix, magnifique, content ?
- Wetash, gwanda blitz.
- Parfait. Pose le livret sur ton plan de travail et passe ce foutu portail. Normalement, les autres devraient déjà avoir passé un coup de karcher. Normalement, mais puisque tout le monde semble avoir décidé de me faire chier…
- Mem moratic.
- Exactement Chang. Je vous ferai remarquer que depuis tout à l’heure, c’est vous qui vous énervez tout seul en nous sautant à la gorge.
- Chang, portail !
- Finfine !
Rebelote : l’air crépite, ça ronronne, bruit et soufflotte, puis un pop et Chang n’est plus là. Il est donc naturellement suivi de...
- Non, vous Menoj, vous terminez votre exposé.
- On perd du temps.
- Vous l’avez dit vous-même : ce n’est qu’un mot parmi bien d’autres pour vous. Mais s’il vous tient soudainement à cœur, je vous conseille de découvrir ce que vous planquez sous votre carpette.
- À votre guise. La seule chose que je peux vous dire, c’est que, si mon intuition est exacte, le point d’origine est beaucoup plus ancien que vous, comme n’importe qui d’autre, l’imagine.
- J’écoute.
- Il n’y a rien à écouter de plus.
- Si. Par point d’origine, vous parlez de l’année zéro et de la fameuse chimère que le carnaval des animaux croit planquer dans la cave de cette boîte ?
- En quelque sorte, mais pas que.
- Alors accouchez !
- Vous ne comprendrez pas.
- J’en doute. Il n’y a rien que je ne puisse comprendre.
- Pas cette fois. Qu’est-ce que vous vous attendez à trouver là-bas ?
- Tout et rien à la fois. Un cadavre en décomposition, comme les flatulences d’un mammouth, un os de tricératops ou un téléphone rose. Qu’est-ce que j’en saurais ?
- Je ne sais pas, c’est vous le scientifique qui vous targuez d’être le seul capable d’appréhender la grande Question.
- Ça ne m’empêche pas d’ignorer certaines choses.
- Enfin un peu d’humilité.
- Je vous emmerde. Votre œil flashe, alors qu’est-ce que c’est ?
- Je l’ignore, mais… Mais ! N’essayez pas de me couper à nouveau ! Si, AstraCorp a vraiment en sa possession le spécimen zéro et non un bout de son tibia ou son encéphale ; et si vraiment, il est… la chose à laquelle je pense, alors je dois être le premier à lui faire mes respects. Il faudra bien ça…
- Et ça vous arrachait la gueule de nous le dire ?
- Non. Les vôtres en revanche, se seraient décrochées à force de questions et d’interrogations déplacées.
- Il faut dire que la précision de l’info n’est pas top.
- J’essaie simplement les digressions intempestives, surtout si je fais fausse route.
- Mouais…
- On peut rejoindre les autres maintenant ?
- Mouais…
- Vous avez perdu votre latin ?
- Non.
- Alors qu’est-ce qu’on attend ?
- En tant qu’homme de science, je veux des détails et savoir avec quoi j’ai affaire.
- À une anomalie. Une des nombreuses qui jalonnent le cours du Temps. Vous pouvez bien avoir élaboré une machine pour faire vos bricoles dessus, il y aura toujours des éléments qui vous échapperont. Le spécimen zéro potentiellement.
- J’en doute, mais merci quand même. On peut y aller.
- Pourquoi cet interrogatoire sorti de la manche soudainement ? Ce n’est pas comme si vous aviez au moins deux semaines pour venir me débagouler dessus...
- Il n’y a pas meilleure méthode pour faire cracher une vérité à une personne qu’en l'acculant dans les braises. Surtout quand cette personne a l’art de disparaître entre deux répliques le temps d’une inspiration.
- Vérité, hein ? Pff… Elle est plus au fond du verre que sur la lune de votre interlocuteur. Vous êtes bien mal placé pour en faire état. Tant qu’à parler de mensonges ou de dissimulation, on aurait pu également se pencher sur votre cas.
- Aucun rapport, abruti.
- Pas directement, mais vous arrivez à votre terme. Par un raccourci dont seuls les mortels ont le secret. Guère étonnant que vous restiez scotché en l’an 42…
- Taisez-vous. On y va.
- Hum, hum. Pas trop tôt.
- Ni trop tard. Passez devant.
- Avec joie monseigneur.
Jamais deux sans trois : l’air crépitante se comprime puis se dilate en zonzonnant. Un premier “pop” retentit quand Imo traverse, un second quelques secondes plus tard, lorsque Sanchez enfin, saute dans le futur auquel il montre bien trop d’intérêt.
Annotations