9.
Imo ouvre les yeux. Il ignorait les avoir fermé, mais comme souvent, la réalité vient la lui mettre à l’envers. Il est affalé au sol, dos à la porte, le fondement imbibé d’eau croupie. Son corps lui paraît soudain si lourd et brûlant. Il se sent nauséeux, pris dans un étau vaseux qu’un décès ne lui ôterait guère. Lentement, il porte une main à sa tempe gauche. Il ne sent rien qui sorte de l’ordinaire. Sa vue en revanche a gagné en netteté. Dommage que cela ne soit pas pour le mieux. Jamais le monde ne lui a semblé aussi triste et terne.
En face de lui, agenouillé, Sanchez l’observe, sourcils froncés. Beaucoup plus inquiet que ce qu’il ne veuille laisser transparaître. Les sentiments ne sont vraiment pas son truc. Imo sourit, ou plutôt grimace.
- Vous êtes inquiet ? demande-t-il, une main tendue pour se redresser avec dignité et solidarité.
- Des clous, répond Sanchez par son tact habituel.
Il ignore la main du jeune homme et se remet debout, craquant des genoux. Imo demeure assis.
- Vous vous êtes effondré tête la première sur le sol, continue le scientifique. D’un coup, comme ça, sans crier Geronimo. Et après vous osez me sortir que le Mirage est indéniablement un bienfait pour votre organisme.
- C’est le cas.
- Et mon cul, c'est du borate ?
- J’espère pas.
Imo se lève, grimace aux lèvres. Les effets du Mirage ont cessé. Ou plutôt ont été écourtés. Le voilà redevenu simple immortel, à la présence changeante.
- Je sais qui est le Spécimen Zéro, déclare-t-il une fois sur pieds.
- Vous m’en voyez ravie.
- Quoi, vous ne voulez pas savoir ?
- Si, et vous allez me le dire.
- Mieux que ça, je vais vous le montrer, annonce Imo en attrapant les fines jointures des battants.
- Minute paillasson. C’est à cause de lui que vous êtes dans cet état. Ce n’est pas une question, seulement un constat. Vous allez donc me faire le plaisir d’éclairer mon fanal avant d’aller plus loin.
- C’est pas vous qui m’avez dit qu’on n’avait pas de temps à perdre…
- Bravo. Toutes mes félicitations pour votre mémoire.
- Eh bien alors ?
- C’était valable jusqu’à ce que vous finissiez dans le cirage, une minute plus tôt. Alors, expliquez-vous.
Imo médite l’ordre, avant de secouer la tête.
- Je ne peux pas. Ce serait comme demander à un curé de prouver sa foi en Dieu…
- Il mettrait un doigt dans la crèche et vous auriez votre réponse. Faites de même.
- C’est dégueulasse et pas aussi simple. Tout le contraire même. Sachez juste que nous partageons un lien et que je m’attendais à tout sauf à le trouver ici.
- Vous êtes conscient que je n’ai pas signé pour une chasse aux Horcruxes, hein ?
- Vous devez savoir aussi, Sanchez, que ce que vous risquez de trouver derrière cette porte, va secouer votre monde rationnel. Même le mien vient d’être chamboulé.
- Oh pour l’amour du fioul, arrêtez de tourner autour du pot ! Soyez explicite et précis. J’offre volontiers les charades aux imbéciles qui ont du temps pour se pâmer devant leur futilité !
Imo pousse un profond soupir. Plutôt que de narrer son expérience astrale cependant, que Sanchez trouverait au moins aussi ridicule qu’intéressante ou simplement bonne à relater autour d’un spliff, il ouvre la porte.
Une poussée suffit. Un rai de lumière scinde le rideau d’obscurité, dévoile la dernière étape du voyage. Intrigué, Sanchez franchit le seuil le premier. Imo suit. Ce qu’ils découvrent de l’autre côté changera à jamais le monde, l’éternité et la conscience du scientifique. (28)
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