26.
La cabine s’immobilise une dernière fois. La seconde suivante, les portes coulissent avec le même bruissement anxiogène qu’à l’entrée d’Emeryx, pour révéler… de l’obscurité. Un rideau noir, opaque, où le sol sommairement éclairé par le néon de l’ascenseur, paraît se diluer dans les ténèbres. Aucun son ne résonne, hormis la respiration des deux occupants.
- Passez en premier, marmonne Sanchez. C’est pas comme si vous risquiez quelque chose.
Imo ne répond pas, chose rare. Tout juste fait-il la moue avant de faire un pas à travers l’ouverture. Il n’a pas plus tôt posé son pied de l’autre côté, qu’un éclair lui vrille le crâne, le pliant en deux et l’obligeant à poser un genou à terre. Un son, oscillant entre un gémissement et un grognement guttural s’échappe de sa gorge, alors que ses pupilles se dilatent soudainement.
- Qu’est-ce qui vous arrive ? Il y a un piège ? interroge Sanchez scrutant l’obscurité en plissant les yeux.
Comme si Imo pouvait répondre. Son oeil gauche brûle d’une lueur bleutée avec une intensité jamais atteinte dans toute son existence et ne peut se détacher des profondeurs enténébrées. Il finit par plaquer une main tremblante devant sa pupille incandescente et se recroqueviller au sol en fermant ses paupière palpitantes. Sanchez préfère ne pas s’en mêler, se contentant d’attendre, impatient, le rétablissement de l’immortel.
Une minute bien tapée passe avant qu’enfin, Imo ne se relève, une main toujours pressée contre la partie gauche de son visage. Il titube sur quelques mètres, la respiration sifflante, puis les lumières s’allument en grésillant. Sanchez a un petit temps d’adaptation. Ses yeux éblouis papillotent, parcourent la pièce pour en dresser un portrait pas piqué des fayots.
Ils sont dans ce qui se rapproche à s’y méprendre au hall de sécurité du 13e sous-sol. Un peu moins haut et large, mais sans dégradation apparente. Une grande salle tout en angles et en nuances ternes, donnant la part belle à la tuyauterie et aux câbles graisseux serpentant aux murs, de toute évidence en carboradium. Point d’architecture pyramidale cependant, uniquement un cube massif, vide, contenant une seule et unique guérite déserte, encadrée de portiques, et positionnée une dizaine de mètres devant l’ascenseur.
Au début, Sanchez a pensé qu’ils sont seuls, mais lorsque ses pupilles se sont habituées à la lumière crue des néons longeant les parois, il n’a eu d’autre possibilité que de remballer son entrée triomphale.
En effet, dans l’ombre de la guitoune bétonnée, une silhouette s’est entre-temps découpée à mesure que ses yeux se sont habitués à la luminosité criarde de la pièce. Drapée d’un haori noir et d’une sorte de kimono foncé, semblant onduler de sa propre volonté, à l’instar du katana sombre ceint à sa hanche, Sanchez n’a aucun mal à identifier le Samouraï de Minuit. Évidemment, il fallait bien qu’un SuperZ digne de ce nom se pointe à un moment ou à un autre.
Face aux intrus, le nouvel arrivant renifle.
- L’immortel, voyez-vous ça… croasse-t-il de sa voix de choucas. Je m’attendez à mieux, mais pourquoi pas. Et l’autre…
Le Samouraï contemple Sanchez, inclinant la tête ainsi que le font les crédules persuadés d’entretenir un style unique ou d’appréhender une vérité alternative. Sanchez l’imite, y compris dans le mouvement de tête, constatant par là même que les traces d’eczéma, ou d’autre chose, qui marbraient son visage lors de leur dernière rencontre, ont depuis disparu, ne laissant qu’une vilaine plaque rouge autour de son oeil droit chiasseux.
- Vous, vous m’êtes vaguement familier. Très vaguement. Je vais tâcher de faire ça proprement cette fois, déclare-t-il en caressant le pommeau de son sabre.
- Vous n’allez rien faire du tout, merdeux, Dans moins de cinq minutes, vous aurez tellement remué du côlon que vous nous supplierez de vous envoyer à la sieste.
La bouche du Samouraï s’agite d’un tic. Moitié tiraillement herpétique, moitié spasme nerveux, qui ne l’empêche cependant pas d’amorcer un sourire simiesque.
- De la répartie… j’aime ça, susurre-t-il. Profitez-en bien, ce seront sans doute vos dernières paroles.
- Arrogant, comme toujours, marmonne Imo à nouveau maître de lui-même, l’oeil gauche toujours flamboyant cependant. Laissez-moi faire Sanchez, ce ne sera l’affaire que de deux minutes tout au plus.
- Ben voyons… Et moi je vous regarde en vous encourageant toutes les trente secondes pour marquer le temps écoulé c’est ça ?
- Hey ! C’est pas une mauvaise idée…
- Excepté que c’est non. Je m’occupe de ce cul-serré.
- Certainement pas. Vous n’avez pas la moindre chance.
- Que vous croyez, avorton.
- Inutile de perdre du temps à savoir qui d’entre-vous périra de ma lame le premier…
- Fermez-là, vous ! Attifé comme vous êtes, vous n’avez pas la moindre idée de ce qui est important dans la vie. Imo, reculez !
- Restez derrière moi, je vous dis.
- Pas question !
- Très bien, vous savez quoi ? On va faire un tifumi.
- C’est chifoumi qu’on dit. Et puis vous avez quel âge pour faire ça ?
- Il n’y a pas d’âge pour s'éprendre des traditions japonaises. Regardez cet imbécile.
- Misérable insolent, je ne vous permets pas de…
- Ecrasez, vous. Très bien, va pour le jeu de main. Une manche, j’ai pas toute la nuit.
- Parfait. Si je gagne c’est moi qui dégonde la porte arrière de cet arlequin (19). Dans le cas contraire…
- C’est moi, on a compris, merci. Allez, bougez-vous ! (30)
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