Chapitre 7 : 10 Octobre 2318 (1er jet)
Il était là, sur ce qui la rive d'un fleuve qui lui semblait être la Seine mais il ne reconnaissait rien. Une brume épaisse flottait les contours des édifices des Ancêtres qui de toute manière ne lui évoquait rien de familier. En face de lui, la rive était invisible, masquée par ce brouillard compact qui pesait sur tout et même sur lui-même.
Homère se rendit compte que ses membres eux-mêmes lui semblaient lourds. Il tenta de soulever son bras sans résultat. Il était là, assis face à un fleuve, incapable de bouger le moindre orteil. Son cœur s'accéléra d'un coup face à cette idée. Et si les hommes qui avaient tué sa mère étaient là? Tapis dans la brume à l'observer en silence en attendant de l'étriper comme ils l'avaient fait à sa mère et à tant d'habitants de Mamèsé…
Homère ne parvenait même pas à tourner la tête. Il écouta avec la plus grande concentration les moindres bruits ambiants, mais rien. Tout ce qu'il parvenait à percevoir, c'était sa respiration bruyante, saccadée et son cœur qui battait jusque dans ses tempes. Il tenta de respirer plus doucement mais calmer sa respiration lorsque tout son corps était préparé à une attaque surprise avait quelque chose de douloureux. Alors, il huma l'air comme un animal pris au piège, à la recherche de quelque chose. Il ne savait pas quoi lui-même. Mais là encore tout ce qu'il parvint à sentir fut l'odeur légèrement piquante de l'hiver : un mélange de froid, d'humidité et de feu de bois. Rien qui n'était en mesure de calmer cette angoisse douloureuse qui se tapissait, sournoise, au fond de ses tripes. Celle-ci finit par sortir ses griffes lorsqu'il perçut à la périphérie de son champ de vision une silhouette qui se détachait doucement du brouillard pour s'approcher de lui.
Il voulut hurler, se lever, fuir, balancer quelque chose sur cette ombre qui venait à lui mais tout ce qu'il parvint à bouger se fut ses doigts dans des spasmes ridicules et inutiles. La silhouette s'approcha de lui tout doucement, en fredonnant une sorte de berceuse qui lui était inconnue. Elle se rapprochait avec une infinie lenteur, laissant le temps à la bête tapie dans ses entrailles de se déchaîner. Homère était transi, possédé par la peur, incapable de fuir cette présence obscur qui s'approchait de lui en marmonnant une comptine pour enfants :
"Dans les bois jamais sans ta sœur tu n'iras"
"Des loups et des hommes tu te cacheras"
"Jamais sans ta lame tu ne sortiras"
"Sinon la grande ombre te tueras."
Elle se pencha vers lui et avec horreur il reconnut le visage de sa mère. Mais elle n'était plus celle qu'il avait connu : sa chair avait été dévoré par les flammes, laissant de grands lambeaux de son visage sans peau. Ses yeux étaient noircies par la pourriture et ces membres étaient épais et flasques, emplies d'eau. Elle répéta son affreuse comptine et lui tendit un bol empli d'une eau saumâtre. Le geste découvrit un peu plus son bras bouffit et il vit qu'elle était recouverte de limaces sombres qui se délectaient de la bile sombre qu'était devenu son sang. Les lèvres noires de la créature s'ouvrirent sur un gouffre de chairs déliquescentes.
_Bois ça! Lui intima l'hideuse ombre.
Tout se brisa en lui et il hurla aussi fort qu'il le put, aussi fort que l'air que contenaient ses poumons et que les muscles de ses cordes vocales lui permirent. Son bras s'élança vers la sombre créature et il projeta en l'air le bol qu'elle avait dans les mains.
_Homère! C'est moi Saule! Calme-toi! C'est juste moi!
La brume se leva en un battement de cils. En face de lui, il n'y avait plus le cadavre putréfié et déambulant de sa mère mais le visage rond et pleins de taches de rousseurs de Saule. Ses yeux verts le fixaient avec inquiétude. Sa main se posa sur son épaule dans un geste qui se voulait apaisant.
_Je… j'ai… enfin… je faisais un rêve… Non un cauchemar…
La voix du jeune conteur était pâteuse. C'était une sensation bizarre de se remettre à parler et à bouger après ce cauchemar où il avait été paralysé. Le visage soucieux de Saule avait quelque chose d'étrange, comme s'il était trop réaliste pour qu'il puisse croire à son existence.
_Hé ben, vu ton air effrayé ça devait en être un sacré de cauchemar…dit-elle compréhensive malgré ses vêtements trempés.
_J'ai cru que tu étais le cadavre de ma mère, lui répondit-il presqu'en chuchotant. Il ne souhaitait pas vraiment que quelqu'un d'autre que Saule n'entende ce qu'il disait. Derrière son épaule, il voyait malgré tout quelques visages étonnés qui se tournaient vers lui, son cri les ayant visiblement apeurer.
Saule par contre eu une réaction des plus étranges : elle mit sa main à quelques centimètres de son visage et souffla dedans avant d'inspirer son propre souffle.
_Qu'est-ce que tu es en train de faire Saule, questionna Homère, curieux.
_Ben, pour tout te dire, j'ai toujours su que j'avais mauvaise haleine le matin. Mais je pensais que je tenais plus du cheval que du cadavre pourrissant. Alors je me dois de vérifier. Et je te le dis Homère, t'es une petite nature!
Le conteur fixa la cavalière les yeux écarquillés avant d'exploser de rire. Il fut très vite rejoint par Saule, qui ne parvenait plus à respirer tellement elle riait. C'était dans ce genre d'instant qu'il se rendait véritable compte que Saule était à peine plus âgée que lui.
C'était bon à présent tout le monde devait les croire fous. Mais ils s'en fichaient.
Homère se calma de son fou rire et s'extirpa de sa couverture en s'excusant encore pour l'eau qu'il avait renversée sur la cavalière.
_Pas grave le zinzin. Mais si tu veux à boire cette fois c'est toi qui te lèveras!
Il la suivit jusqu'à l'extérieur de l'église en ruines qui leur avait servi d'abri pour la nuit. A quelques mètres à l'extérieur, un grand feu ronronnait et faisait rayonner une douce chaleur. Leurs camarades d'infortune étaient en train de faire chauffer de grandes quantités d'eau en prévision du voyage qu'il leur restait à accomplir. A la fin de la journée, ils devraient tous être arrivés à la Citadelle. Cette journée allait être longue et épuisante : ils ne prendraient pas de pause de plus de quelques minutes pour que la distance se creuse entre eux et les guerriers du sud. Ils allaient devoir marcher dans le froid mais Homère ne se faisait pas d'inquiétude : la longue marche qui les attendait allait plus que les réchauffer. Non il s’inquiétait surtout de l’état des rescapés : allaient-ils tous tenir la distance? Il ne voulait certainement pas les abandonner mais la perspective d’arriver trop tard à la Citadelle… Non ça ne servait à rien. Il faisait suffisamment de cauchemars endormi pas la peine d’en rajouter quand il était éveillé.
Une silhouette familière sortie des sous-bois pour s’approcher d’eux. Perséphone les regardait avec une mine un peu défaite.
_Désolé j’ai rien trouvé pour vous faire une p’tite tisane ce matin…
Devant cette mine déconfite, Homère et Saule repartirent à nouveau dans leur fou rire.
_T’inquiète pas, Perséphone, on survivra, ce n’est pas ton truc de toute manière répondit une Saule complétement hilare.
Leurs gourdes remplies à ras bord d’une eau propre, les maigres provisions chargés sur les chevaux et Gris, le convoi se remit immédiatement en route. Ils s’enfoncèrent dans les bois profondément s’éloignant des rives de la Seine. Homère et Saule marchèrent en silence dans l’air frais de ce matin d’automne. Ils étaient tous deux concentré sur leur marche. Ici les bois étaient bien plus épais qu’ailleurs. Perséphone leur expliqua qu’ici il y a avait eu des champs de blés et d’autres denrées qui poussaient à perte de vue. C’était peut-être pour cela que la végétation avait repris ses droits en à peine deux cents ans sur ce territoire : pas d’obstacles pour atteindre les rayons de soleils, aucun béton à percer avec ses racines, rien qu’une terre plate et domestiqué qui ne demandait qu’à revenir à son chaos originel et plein de vie.
_Je ne sais pas pourquoi mais gamine, voir la ligne d’horizon ne me rassurait pas vraiment. Je préférais lorsque mon père conduisait en forêt. La voute des arbres a quelque chose de rassurant… J’adorais sortir ma main par la fenêtre et jouer avec le vent comme ça, raconta-t-elle en mouvant sa main comme un serpent.
Homère ne releva pas l’étrangeté des propos de l’androïde. Si elle avait été fabriquée comment pouvez-t-elle avoir une enfance? Lui avait-on créé des souvenirs de toutes pièces? Mais il n’osa rien dire à ce sujet. Perséphone raconterait la suite de son histoire ce soir, autour de la chaleur réconfortante d’un bon foyer ou encore mieux alors, derrière les murs d’enceintes solides et rassurants de la Citadelle.
Il lui posa tout de même quelques questions sur les moyens de locomotions des Ancêtres et eut droit en unique réponse un regard en coin vers les inconnus qui les accompagnait. Elle avait été créée pour ressembler aux humains, se fondre au milieu d’eux et pourtant elle craignait plus que tous ces mêmes créatures. Homère lui adressa un sourire et un hochement de tête compréhensif. Il n’insisterait pas plus. Il ne souhaitait pas mettre son amie mal à l’aise.
La route se poursuivit dans un silence pesant. L’ombre, bien que rassurante pour Perséphone les empêchaient d’être réchauffés par les rayons solaires. Saule faisait des allers-retours réguliers à l’arrière de leur convoi pour motiver les retardataires. Ils ne pouvaient pas se permettre de traîner. Le jeune conteur était frigorifié. Les feuilles humides tapissant le sol trempaient leurs chaussures et leurs pantalons. Malgré l’intensité de leurs marches, aucun d’entre eux ne parvenaient à réellement se réchauffer. Et au fil des heures de marches les signes de la fatigue commençaient à apparaître sur leurs visages de plus en plus ternes et fermés. Il n’y avait que Perséphone que cette marche intensive n’affectait pas. Saule commençait à s’énerver : le convoi se faisait de plus en plus distendu. Les marcheurs fatigués se faisaient de plus en plus distancer. Quant à Homère il continuait de marcher en fixant un point invisible au loin, juste pour garder la tête haute et continuer à mettre un pied devant l’autre, inexorablement. Ils devaient tous tenir le rythme.
_Attendez, j’entends quelque chose, ordonna Perséphone en stoppant net les deux jeunes hommes en tête du convoi de marcheurs.
Le cœur du jeune Homère accéléra son rythme d’un coût lui rappelant avec angoisse son cauchemar de ce matin. Saule qui remontait le convoi vers eux en courant regarda l’androïde avec appréhension. Le fou rire de ce matin était loin d’eux à présent.
_Qu’est-ce qu’il y a? Tu as entendu quelque chose? Questionna le conteur.
_Des bruits de branches brisées. Mais ils venaient de plus loin que nous…
_Vous avez dû vous tromper madame. Après quelques heures de marches c’est normal d’être fatiguée, coupa un des grands gaillards blonds.
Saule lui conseilla de la fermer un peu brusquement et demanda à Perséphone plus de détails.
_Le bruit venait de notre droite. Mais je crois avoir aussi entendu quelque chose à notre droite.
La cavalière se contenta d’hocher la tête et pris aussitôt son arc et remis la corde à sa place avec une rapidité qui désarçonna le conteur. Elle avait l’air d’avoir fait ça toute sa vie. Quand son bras fouilla son carquois pour prendre une flèche, Homère vit l’inquiétude se peindre sur le visage du grand gaillard blond alors si bravache il y avait quelques instants.
_On doit s’inquiéter? Demanda-t-il.
_Perséphone a l’ouïe la plus fine de toute la Francie. Si elle dit qu’elle a entendu quelque chose, croyez-moi, elle a entendu quelques choses. Allez à l’arrière et pressez les retardataires. On doit se mettre au pas de course au plus vite!
Le jeune homme n’eut jamais l’occasion d’aller à l’arrière du convoi pour presser ses camarades. La vision qu’ils virent les paralysèrent tous, excepté Homère.
Une grande femme sortit des bois en silence. Elle était à peine à quelques mètres d’eux et s’approchaient d’eux sans émettre le moindre son. Ses pieds nus épousaient le sol sans briser la moindre branche comme si le moindre centimètre carré de cette forêt lui était connue. Son apparence avait de quoi surprendre : à part quelques peaux de bêtes et une robe dans un tissu grisâtre épais, elle était quasi nue. Même si Homère avait déjà certains des leurs, leur pudeur inexistante le gênait toujours un peu. Sa peau était recouverte de peintures ocre et bleues au niveau de ses yeux. Elle portait un collier fait de dents et d’os.
_Bonjour Ibou-Na, salua le jeune conteur en baissant la tête en signe de respect. Les leçons de sa mère étaient toujours bien en lui.
La femme aux longs cheveux noirs parsemés de blanc lui sourit.
_Bonjour Charlie, qu’est-ce qui t’amènes dans nos bois et sans les tiens de surcroît? Répondit la femme au visage peint d’ocre et de bleu.
_Ce n’est plus Charlie à présent, Ibou-Na mais Homère. J’ai mon nom d’adulte à présent corrigea le jeune homme.
_Je n’ai jamais vraiment tout compris aux rites de ta tribu Charlie. Pour moi un homme vit et meurt avec le nom que ses parents lui ont donné et pas celui d’un homme mort il y a des centaines d’années.
Saule regarda le conteur, l’esprit empli de questions, ne sachant visiblement pas s’il était trop tôt pour abaisser son arc. La dénommée Ibou-Na tourna la tête vers elle avant de s’adresser à nouveau Homère.
_Dis à ton amie qu’elle peut baisser son arme. Les chasseurs n’ont pas pour habitude de blesser un membre de leur famille déclama-t-elle un peu pompeusement.
Ce fut au tour de Perséphone de regardait le jeune conteur avec curiosité.
_Un membre de leur famille? Homère, je comprends rien.
_Je vous présente Ibou-Na, cheffe des chasseurs et ma tante… La sœur de ma mère.
La cheffe des chasseurs sourit à son neveu et tourna son regard vers les autres. Elle jaugeait en silence la compagnie et aucun des villageois n’osaient rien dire. Elle avait quelque chose de presque surnaturelle. Assez grande, la peinture sur son visage déformait ses traits et lui ôtait toute apparence humaine. Ses longs cheveux étaient rassemblés en dreadlocks teintes d’ocres et de rouges vifs que des perles ou des os maintenaient dans un chaos ordonnées. Les peaux de bêtes qui la recouvraient étaient simplement cousues entre elles et si elles devaient lui tenir tout de même chaud, elles ne couvraient pas intégralement son anatomie. Heureusement deux yeux bleus rieurs venaient adoucir son allure.
_Nous prendrons le temps de nous présenter plus tard. Je suis venue à votre rencontre quand j’ai cru te reconnaître mon neveu mais je dois vous avertir que des guerriers vous suivent. Mes éclaireurs ont tentés de les prévenir pacifiquement que ces bois nous appartiennent. Pas moyen de leur faire entendre raison, alors ils ont dû les tuer.
Elle avait dit ça sur le ton de la conversation comme s’il n’y avait rien de choquant dans le fait de faire passer de vie à trépas un homme. Même si Homère connaissait sa tante pour l’avoir croisé chaque hiver dans la citadelle, il devait s’avouer que ces quelques mots échangés étaient surement la conversation la plus longue qu’il avait eue avec sa tante. Même si les chasseurs, comme toutes les tribus itinérantes appartenant aux descendants, passaient l’hiver à la Citadelle ils avaient la fâcheuse tendance de se mettre eux même à l’écart des autres tribus. Quand sa mère avait fait le choix de quitter les chasseurs pour vivre parmi les conteurs, elle n’avait eu presque plus de contacts avec eux. Une conversation qu’il avait eue il y a quelques années avec elle lui revenait soudainement à l’esprit.
_Dis maman, pourquoi tu as décidé de devenir une conteuse? Hugo dit que c’est parce que tu es tombée amoureuse de papa.
_Non, j’ai rencontré ton père peu de temps après mon initiation. Si j’ai quitté ma famille c’est pour une raison un brin plus complexe…
_Dis-moi pourquoi maman?
Sa mère était restée songeuse quelques instants et lui dit un brin mystérieuse:
_Parce que chez les conteurs chaque histoire est unique et précieuse. Aucune histoire ne ressemble totalement à une autre. Tu comprends Charlie?
Ce jour-là il s’était contenté de hocher la tête avec une mine sévère et austère. Il avait déjà vu les membres du conseil des descendants faire cette moue et il voulait apparaître presqu’aussi sérieux et adulte.
Mais aujourd’hui, rien qu’avec la légèreté avec laquelle sa tante avait prononcé ces quelques mots il comprenait mieux ce que disait sa mère. Les chasseurs ne vivaient que de la chasse et de la cueillette. Sans être des créatures assoiffés de sang mettre fin à la vie d’autrui faisait presque partie de leur ADN.
_Suivez-moi nous allons vous ramener à notre camp.
Et elle se retourna et commença à marcher vers une direction inconnue. Homère devait prendre une décision.
_Ibou-Na, attends! L’appela-t-il.
Elle se retourna, un peu surprise d’entendre une voix aussi décidée chez un de ces conteurs. Il n’attendit pas et poursuivit :
_Je crois que tu n’as pas vraiment conscience de qui sont ces hommes!
Un rictus un brin moqueur, un brin suffisant apparut au coin des lèvres de la chasseresse.
_Je crois que tu n’as pas vraiment conscience de la force des membres de ma tribu.
_Non, je ne doute pas que dans ces bois vous êtes capables de tuer la plupart de leurs éclaireurs en toute facilité. Mais que feraient les chasseurs si ces hommes venaient à attaquer la Citadelle? Seriez-vous aussi fort face à des milliers d’entre eux en face à face sur un champ de bataille!
Elle commença à se retourner et répliqua, suffisante :
_Ils ne peuvent être aussi nombreux. Et s’il le faut nous les tuerons un par un dans nos bois. Dans nos bois, personne ne peut nous vaincre!
_C’est pas possible d’être aussi cons! S’énerva d’un coup Saule.
Ibou-Na se tourna vers elle, les yeux exorbités par la surprise. Visiblement elle n’avait pas l’habitude qu’on s’adresse à elle sur un tel ton.
_Quoi? Dit-elle, estomaquée.
Saule, sourcils froncés et la voix vibrante de colère lui répondit :
_J’ai dit que ça devrait pas être autorisé d’être aussi stupide! Vous ne devez pas souvent vous faire vraiment attaquer pour sous-estimer ainsi un ennemi?
_De nombreux pillards tentent de voler le fruit de nos chasses…
_C’est ça, des pillards. Des personnes qui en veulent à vos biens et non à vous. Mes sœurs, elles, elles savent ce que ça fait de se battre contre un ennemi qui ne veut qu’une seule chose : vous mettre à genoux, faire de vous des esclaves.
_Vous êtes une cavalière? Demanda Ibou-Na dont le ton de la voix avait changé. Combattre ou fuir mais toujours survivre c’est ça votre devise? Hein? Avant vous aussi vous suiviez la voie de la Forêt.
_Et beaucoup des nôtres continuent à la suivre bien que nos ennemis aient déjà tenté de brûler des pans entiers de nos bois pour nous en faire sortir. Mais vous devez comprendre que l’ennemi dont vous parle Homère n’a rien à voir avec ce que vous avez déjà affronté par le passé. Certaines de nos éclaireuses nous ont rapporté qu’il s’agissait d’une armée en marche vers le nord. Ils étaient si nombreux qu’elles ont été incapables de les dénombrer. Alors croyez moi ou pas, c’est comme vous le souhaitez, mais vous devriez prendre cette menace au sérieux. Faites lever vos camps au plus tôt et rejoignez la citadelle le plus rapidement possible.
La chasseresse poussa un soupir et resta silencieuse quelques instants. Elle lança un regard en direction de son neveu et lui demanda abruptement.
_Charlie, pourquoi est-tu avec ces gens où sont ta mère et ton père?
Homère regarda sa tante droit dans les yeux. Aucun mot, aucun son ne se décidait à sortir de sa bouche. Jusque-là, il n’avait été obligé de l’annoncer à personne qui avait connu sa mère. Comment pourrait-il le dire à son père.
_Elle est … commença-t-il incapable de finir cette terrible phrase.
La vérité prenait encore plus de consistance quand les mots venaient la fixer. Prononcer ces quelques mots c’était presque comme la tuer à nouveau pour le conteur. Et c’était intolérable.
_Ces guerriers venus du sud l’ont tué, dit simplement Perséphone.
Homère se contenta de fixer le sol, incapable d’affronter le regard de sa tante, la sœur de sa mère. Mais la fatidique question arriva tout de même.
_Charlie, c’est vrai ce qu’elle dit? Demanda sa tante, sa voix soudainement vidée de toute son assurance.
Un hochement de tête. Un simple et tout bête hochement de tête… Mais il était incapable de lui fournir une réponse plus détaillé. A la périphérie de son regard, il la voyait presque sans la voir : l’ombre de sa mère, son corps mort cloué à cette charpente, martyrisé et à moitié nue.
_Ce sont des monstres, Ibou-Na, ils n’hésiteront pas un seconde à mettre le feu à toute ta forêt pour vous massacrer… répondit-il presque dans un murmure. Ils ont mis le feu au village de Mamèsé et ont massacré tous les villageois sans se poser la moindre question.
Sa tante resta silencieuse quelques instants. Tous, même les villageois qui accompagnaient Homère, Saule et Perséphone guettaient sa réponse.
_Bien, accompagnez moi au camp. Je vais faire sonner le cor pour rassembler les miens et ensuite nous prendrons la route pour la Citadelle.
_Ça va prendre beaucoup trop de temps… murmura Saule inquiète pas toute cette situation.
_Peut-être bien jeune Cavalière. Mais s’ils sont aussi monstrueux qu’ils en arrivent à ne plus tuer par nécessité alors une escorte de chasseurs et de chasseresses ne sera pas de trop. En nous préparant à présent nous serons arrivés ce soir au plus tard.
Toute la troupe suivit Ibou-Na dans les bois en silence. Elle avançait à quelques mètres d’eux la tête relevée, esquivant les branches avec souplesse, esquivant les ronces et les troncs avec grâce. Visiblement sa tante était ici dans son véritable élément. Homère n’avait pas de souvenirs d’elle se déplaçant avec autant d’assurance. A la Citadelle, les chasseurs avaient tendance à faire tribu à part. Même les membres des tribus les moins valorisés comme les conteurs ou encore les agriculteurs gagnaient en prestige en leur présence. Ils semblaient ridicules et presque anachroniques au milieu des législateurs et de leurs robes noires sophistiquées, des artisans et de leurs créations rivalisant avec celles des ancêtres et des guérisseurs avec leurs outils d’auscultation aussi alambiqués.
Les chasseurs commerçaient peu avec les autres tribus. La plupart de leurs biens, de leurs outils, de leurs nourritures ou encore de leurs vêtements, ils les trouvaient dans la nature : du bois, des os, des pierres, de la chair et de la fourrure voilà presque toutes les ressources premières. Pourtant la contribution qu’ils apportaient aux autres tribus de la Citadelle n’était pas négligeable : gibier et fourrure. Dans la citadelle, la viande était un aliment rare. Jamais un agriculteur ne tuait que rarement ses bœufs ou ses poules pour se nourrir de sa viande : un bœuf était bien plus utile pour tirer la charrue et une poule pondait des œufs nourrissant quotidiennement. De toute manière nourrir un animal pour s’en nourrir n’était pas des plus rentables : le blé et les légumes cultivés étaient plus utiles dans l’assiette des descendants eux-mêmes. S’ils avaient de temps en temps de la viande c’était bien grâce aux chasseurs qui chaque hiver ramenaient avec eux des peaux, de la viande fraîche et salée.
Les souvenirs de sa mère ramenant beaucoup plus que la ration de viande normale à la péniche prenaient aujourd’hui un autre sens. Sa sœur n’avait jamais réellement renoncé à elle, même après son départ des chasseurs ou son mariage avec un conteur. Homère se demandait bien ce qu’elle pensait mais le masque de la chasseresse ne s’était fissuré qu’un faible instant avant de se refermer, dissimulant sa peine.
Au terme de leur marche, ils finirent par atteindre un camp de chasseurs. Le camp était des plus sommaires, même pour Saule qui avait l’habitude de dormir dans les bois avec ses sœurs cavalières : un grand foyer au centre, quelques chasseurs autour occupé à nettoyer de toute sa chair la carcasse d’un cerf, quelques enfants taillant des os et des chasseresses qui tendaient des peaux sur des ateliers de tannage pour les faire sécher. Pas de tentes dressées, pas de charrues à charger, tout semblait fait pour que le camp puisse être levé à toute vitesse. Sur le camp il n’y avait qu’une quinzaine de personne sans compter les quelques enfants.
_Nous sommes bien plus nombreux mais nous avons tendance à ne pas apprécier de vivre entassée les uns sur les autres, répondit sa tante en voyant le regard surpris d’Homère.
Elle se retourna vers un des hommes de sa tribu : un homme brun immense et malgré le froid vêtu en tout et pour tout d’un simple pagne de fourrure brune. Le reste de son corps était recouvert de peinture ocre. Le bleu était visiblement réservé pour sa tante. Excepté elle, personne n’en portait parmi les gens de sa tribu.
_Ramène moi le cor. Nous allons rentrer à la Citadelle en avance, Renar.
Un simple hochement de tête et il s’exécuta. Apparemment l’autorité de Ibou-Na était respectée. Homère se demandait comment le pouvoir s’exerçait chez les chasseurs. Était-ce une question d’héritage comme pour la forteresse, ou de valeur sur le champ de bataille, comme chez les cavalières? Quoi qu’il en soit il avait toujours connue sa tante comme cheffe des chasseurs.
Ibou-Na invita les rescapés et les compagnons de son neveu à se restaurer. La plupart s’assit en rond près du feu de camp. Leurs vêtements étaient trempés par l’humidité des feuilles mortes et l’occasion était trop belle de faire sécher ça. Homère jeta un œil vers Jean et ses deux petits-enfants. Le vieil homme leur fit retirer leurs chaussures avant de les poser non loin du feu pour les faire sécher. L’odeur du foyer était agréable et tranchait sur l’angoisse qu’il sentait croître en lui. Homère s’attendait qu’à chaque instant les hommes du sud encerclent le maigre campement, surgissant des sous-bois encore plus silencieusement que sa tante et les siens.
Le dénommé Renar revint très rapidement vers eux avec un tas de chiffons qu’il serrait précieusement contre son torse. Sa tante s’en saisit avec délicatesse et souleva les couches de tissus qui enveloppaient le cor. Elle s’en saisit et sans plus de cérémonies souffla dedans. Le bruit grave et profond résonna jusque dans sa cage thoracique avant de se répandre tout autour d’eux. Sa tante cessa de souffler et un silence assourdissant céda la place au chant du cor. La tête dressée, Homère voyait qu’elle guettait quelque chose. Au bout de ce qui sembla être une éternité plusieurs sons de cors lui répondirent plus ou moins lointain dans la forêt.
_Bien. Renar dit aux autres de se préparer et de donner quelques morceaux de viandes à nos invités. Nous partons dans moins d’une demi-heure, ordonna-t-elle à son second.
Encore un simple hochement de tête et il s’éloigna distribuer les ordres de leur cheffe.
_Charlie, je voudrais te parler seul à seul. Veux-tu bien me suivre?
Homère croisa le regard de Saule et de Perséphone : à leur inquiétude il comprit rapidement qu’elles se méfiaient de sa tante. Mais la curiosité du conteur était plus forte. Il leur sourit comme pour leur assurer que tout allait bien et emboîta le pas sur celui de sa tante.
Ils ne s’éloignèrent pas beaucoup du campement. Visiblement sa tante ne souhaitait qu’un peu d’intimité. Le garçon appréhendait ce qu’elle voulait lui dire. Peut-être voudrait-elle qu’il lui raconte comment sa sœur était morte? Il n’avait aucune envie de le raconter en détails à qui que ce soit.
Ibou-Na se retourna vers son neveu. Homère fut très surpris de voir qu’elle lui tendait un poignard. La lame n’était pas longue mais épaisse et la poignée était finement ouvragée : on pouvait reconnaître graver dans le bois un oiseau gravé.
_La poignée représente un Faucon. C’était le prénom de ta grand-mère : Faucon-Na. Elle a été cheffe des chasseurs en son temps. Elle est morte peu de temps après la naissance de ta mère. La chasseresse la plus silencieuse et la plus efficace depuis de nombreuses générations disaient mon père. Elle est morte d’une blessure qui s’est infecté.
Sa tante posa un regard plein de tristesse sur le poignard.
_Je n’ai pas eu vraiment le temps de la connaître. J’avais à peine cinq ans quand elle nous a quittés. Tu as été plus chanceux que moi là-dessus Charlie.
_Tante, appelle-moi Homère. C’est mon nom à présent.
_ Ce ne le sera jamais pour moi. Comme pour ta mère, elle se nommera toujours Korneye pour moi.
Le jeune conteur pouffa en pensant au nom que sa mère portait autrefois.
_A croire qu’elle avait toujours été destiné à être une conteuse… dit-il en souriant.
_Ma sœur aussi avait fait cette blague aussi autrefois. Je ne la comprends toujours pas. Mais bon je ne veux pas vraiment te parler de l’humour incompréhensible des tiens. Aujourd’hui, tu es tout ce qu’il reste d’elle. Et je pense que ceci dois donc te revenir.
Elle lui tendit le poignard.
_Mais, je ne sais même pas m’en servir, répliqua-t-il.
_C’est simple : tu pointes le bout tranchant vers ton ennemie et tu l’enfonce dans tout ce qui est mou. J’aimerais mieux t’apprendre à t’en servir, t’apprendre à te faire une lance, à guetter une proie en silence dans les bois ou encore à tuer le plus rapidement possible mais je n’ai pas tout ce temps. Alors accepte ceci je t’en prie.
Homère prit la lame sans se faire plus prier. Il fut surpris de trouver que le poids de la lame avait quelque chose de rassurant. Sa tante lui tendit un fourreau de cuir et l’attacha à son pantalon.
_Je sais que les conteurs ont pour principe de ne jamais tuer mais de par ta mère, tu as du sang de chasseurs dans les veines. Alors promets-moi une seule chose mon garçon : si ça doit se jouer entre un de ses hommes qui ont tué ta mère et toi, jure moi que tu feras tout pour leur faire rejoindre la Grande Nuit. Promets le moi mon garçon! Supplia Ibou-Na.
Sa tante le tenait fermement par les épaules et ne le lâcherait pas tant qu’il ne lui fournirait pas une réponse satisfaisante.
_Je te promets que je ne les laisserais pas me tuer, rassura-t-il sa tante.
_Une dernière chose et je te laisserais rejoindre tes amis tranquillement : dis-moi, petit, ta mère est-elle morte en chasseresse?
Il marqua une pause. Dans son esprit se rejouait toute la scène qui s’était déroulé à peine quelques jours de cela. La lame de sa mère sortie à toute vitesse et perfora l’œil de l’homme la menaçant elle et son fils.
_Oui ma tante.
Comme annoncé, le campement fut levé en toute hâte et le maigre déjeuner offert fut finit sur la route. Les chasseurs dissimulèrent leur foyer comme ils le purent mais l’odeur du bois brulé continuait de se faire sentir dans ces bois. Mais peu importe, il fallait mettre un maximum de distance entre eux et leurs assaillants.
Homère sentait que les chasseurs et chasseresses regardaient avec insistance Perséphone depuis qu’ils avaient quitté leurs camps. Cette dernière faisait tout son possible pour ignorer leurs regards insistants mais visiblement cela commençait à lui prendre la tête. Elle fronçait de plus en plus les sourcils au fil de leur marche.
_Homère, tu pourrais dire aux hommes de ta tante d’arrêter de me fixer ainsi ça commence à être gênant…
_Il ne faut pas leur en vouloir, répondit le dénommé Renar, c’est la première fois qu’ils voient une sans vie en aussi bon état que vous.
_Une quoi? S’exclama Perséphone.
Le ton montait. L’expression qu’utilisaient les chasseurs n’était visiblement pas au goût de l’androïde. Mais Homère se sentit obligé de lui rappeler que tous n’était pas au courant de sa spécifité.
_Perséphone, moins fort. Nos camarades de route vont t’entendre, lui dit le conteur en jetant un regard aux restes de leur groupe.
Les chasseurs ne quittaient toujours pas des yeux Perséphone, des yeux avides et emplis de curiosité malsaine. Homère percevait quelques chuchotements et messes basses. Perséphone devaient entendre clairement ce qu’ils se disaient et elle avait de plus en plus de difficulté à garder ce masque impassible. Quelques rescapés regardaient en leur direction, surement alerté par le ton emporté de Perséphone mais aucun ne se permis de faire le moindre commentaire. Ou peut-être n’avaient-ils seulement pas compris ce que se disaient le chasseur et l’androïde. En tout cas Homère ne vit aucune mine surprise ou choquée.
_Une sans-vie. C’est le nom que nous donnons aux êtres de ton espèce chez nous.
Renar, s’il n’avait pas eu la délicatesse de se taire, eut au moins celle de parler moins fort pour que leur conversation reste entre eux. Homère comprit qu’il parlait des androïdes comme Perséphone mais le fait qu’il en parle comme s’il en voyait souvent avait le don de le surprendre.
_Je ne vois pas ce dont vous voulez parler, nia comme le pu Perséphone.
Pour une créature synthétique, elle mentait très mal.
_Je parle des êtres comme vous, poursuivit Renar. On a failli se faire avoir. D’habitude ceux que l’on croise dans ses bois sont bien plus abimés : il leur manque des bouts de peaux, des cheveux et même des membres parfois. On les voit venir à des kilomètres avec leurs mécanismes d’Ancien à l’air. Mais pour vous ce n’est vraiment pas évident à voir…
_Et qu’est-ce qui vous a mis la puce à l’oreille, questionna une Perséphone qui avait abandonné l’idée de faire semblant.
Ou alors peut-être voulait-elle saisir la chance d’en apprendre plus sur les siens? C’était assez logique songea Homère. Que ne serait-il pas capable de donner là tout de suite pour qu’on lui dise que le reste de sa famille était arrivée sans encombre à la Citadelle?
_Votre manière de bouger : vous ne bougez pas tout à fait comme un humain de chair et de sang. Je suis sûr qu’il n’y a qu’un chasseur pour voir ce genre de chose. On a l’habitude de guetter des proies longtemps pour saisir la meilleure occasion de la toucher. On a l’habitude de vraiment voir et regarder ce qui nous entoure. Par exemple vous, vous faites presque jamais des gestes inutiles…
_Des gestes inutiles? Qu’est-ce vous voulez dire par là?
_Nous les êtres de chairs et de sangs on n’arrête jamais vraiment de bouger. On se frotte les yeux, on se gratte le nez, on se tripote la peau, on marche, on piétine, on perd l’équilibre. On n’arrête pas de bouger pour rien. On le sait : on apprend à nos enfants à refreiner un maximum ce genre de mouvements inutiles pour la chasse. Plus on est immobile, plus on est silencieux. Mais vous et tous les autres Sans-Vie vous ne bougez que pour faire quelque chose de précis. Vous ne vous grattez jamais, ni ne vous frottez les yeux. Vous ne levez les bras que pour saisir quelque chose et vous ne perdez jamais l’équilibre. Bien que je reconnaisse que chez vous l’illusion est presqu’imperceptible.
_Et pourquoi? Demanda Perséphone.
_Vous clignez des yeux. Vous êtes une des seuls Sans-Vie que j’ai vu faire ça… Vous êtes presque comme nous.
Perséphone ne répondit, ni ne posa d’autres questions au chasseur. Homère avait déjà remarqué que dès qu’on remettait sa nature synthétique sur le tapis ça avait le don de plonger son amie dans un abyme de mélancolie. Pourtant il se devait de poser cette question au chasseur :
_Renar vous dîtes que vous en avez vu plusieurs traversé votre forêt, mais avez-vous vu où ils se dirigeaient?
_Vers le nord-ouest, presque toujours. Ils sont souvent seuls et s’avancent d’un pas décidé. Nous avons pour principe de les laisser traverser : ils ne restent jamais et ne tuent jamais la moindre de nos proies. Certains chasseurs un peu bravaches avaient tenté d’en attaquer un pour s’en faire un trophée qui serait unique. On l’a retrouvé démembré. Un chasseur doit savoir quand une proie n’en pas une.
Homère et Perséphone échangèrent un rapide regard. Le conteur crut comprendre que cela serait surement la prochaine destination de l’androïde après la Citadelle.
_Le Nord-Ouest… c’est la direction de la cité des machines, murmura presque pour lui-même le conteur.
Mais un hochement de la part de Perséphone lui confirma qu’elle avait la même idée que lui derrière la tête. Elle devait s’y rendre et constater par elle-même ce qu’était cette cité des machines. Surtout s’il y en avait d’autres comme elle : des androïdes à apparence humaine. D’autres fantômes de l’Ancienne Humanité coincés dans des corps synthétiques et mécaniques.
_Homère, je te promets que je ne t’abandonnerais pas avant que cette histoire avec les hommes du sud ne soit réglée et que tu sois à l’abri chez toi avec les tiens, répondit-elle avec fermeté.
_Je te promets que je t’y emmènerais moi même s’il le faut Perséphone!
Le jour avait commencé à décliner légèrement quand ils atteignirent enfin les limites de la forêt. Les arbres étaient plus éloignées les uns des autres et les bâtiments de l’Ancienne Humanité étaient plus présent, la végétation ne les masquaient pas entièrement.
_Nous sommes à la limite de notre forêt. Nous avons encore une ou deux heures de marches à faire pour atteindre la Citadelle, expliqua Ibou-Na. Nous serons à découvert ici. La végétation est bien moins dense.
Homère avait été très surpris d’apprendre par la bouche même de sa tante que les chasseurs, non content d’être la tribu la plus à l’écart des descendants, travaillaient à effacer eux-mêmes les traces de l’Ancienne Humanité à leur échelle. Elle lui avait expliqué que pour agrandir leur terrain de chasse ils plantaient eux-mêmes des arbres et déblaient le sol pour qu’ils puissent s’épanouir plus rapidement. Ils assistaient les végétaux dans leur travail de reconquête de cette planète. Homère se doutait bien que le conseil des Descendants ignorait tout de ce genre de pratiques, d’autant plus que dans sa mémoire aucuns chasseurs n’avaient réellement participé au conseil. Mais pourquoi sa tante avait-elle décidé de lui faire une telle confidence? Peut-être parce qu’elle le considérait réellement comme un des leurs. Après tout ne lui avait-elle pas confié le poignard de sa mère?
En marchant au milieu des bâtiments envahies de végétation de l’Ancienne Humanité, Homère se rendit compte que sa tante et ses compagnons chasseurs et chasseresses perdaient beaucoup de leur aura au milieu de ce décors urbain. Même Jean et ses deux petits-enfants vêtus de guenilles semblaient moins dénotés avec les immeubles de bétons et de lierres.
Les routes étaient bien plus larges ici et les carcasses rouillées des véhicules de l’Ancienne Humanité avaient été méthodiquement écartées de la route. C’était une route très emprunté par les Descendants et tous les peuples qui souhaitaient commercer avec eux expliquèrent Ibou-Na doctement. Homère se sentait de plus en plus rassuré : ils n’étaient qu’à quelques kilomètres de la Citadelle.
Perséphone avait l’air pensive, presqu’ailleurs. Elle n’avait presque plus rien dit depuis la conversation de tout à l’heure avec Renar. Et Saule était toujours à la queue du convoi avec Gris qu’elle tenait par sa bride. Soudainement cette dernière remonta le convoi et vint s’adresser directement à Ibou-Na.
_Dites, vous avez l’habitude de poster des hommes pour faire le guet dans ses immeubles, demanda-t-elle un brin de panique dans la voix.
Un simple non comme réponse et sa tante jeta un regard aux bâtiments alentours : ils étaient tous très hauts sans bien entendu égaler la hauteur des quatre tours de la Citadelle. Néanmoins de cette hauteur, ils étaient une cible facile et ne pourraient pas riposter.
_J’ai vu du mouvement dans les plus hauts étages. On doit se cacher Ibou-Na. De là où on est on va se faire massacrer!
La cavalière était littéralement terrifiée : aucune de ses flèches ne pourraient atteindre les derniers étages des immeubles de bétons, de verres et de lierres qui les cernaient.
_On doit se cacher dans un de ses bâtiments mais sans se précipiter, commença Perséphone. Si l’on se précipite ils vont commencer à nous tirer dessus.
Renar et deux chasseresses hochèrent de la tête et prévinrent le reste de la troupe hétéroclite la manœuvre. Homère vit quelques yeux s’écarquillaient sous le coup de la surprise et de la peur mais tous se continrent et suivirent les instructions. Ils continuèrent donc d’avancer comme si de rien n’était jusqu’à un bâtiment dont la porte d’entrée n’était plus qu’un gouffre béant de verres et de tôles rouillés.
_Maintenant, tonna la voix de sa tante.
Alors tous se précipitèrent d’un coup à l’intérieur du bâtiment précédé par Renar et les deux chasseresses. Homère resta derrière sa tante et entendit siffler les premières flèches dans les airs. Saule tint fermement gris par la bride : les cris des hommes et femmes terrifiés l’angoissait. Perséphone saisit un morceau de bois et le saisit comme une masse. Elle et Saule fermaient en attendant que tous soient entrés. Homère entra dans le bâtiment en sortant le poignard de sa grand-mère en ressassant les paroles de sa tante.
Pointe le bout tranchant vers ton adversaire.
Hors de question qu’aucun de ses hommes ne mettent fin au récit de qui que ce soit aujourd’hui! Sa tante le voyant ainsi brandir son poignard n’arrivait pas à dissimuler sa fierté. Après tout si sa sœur avait épousé un lâche, tout du moins n’en avait-elle pas élevé un.
L’intérieur du bâtiment était extrêmement sombre : les vitres s’étaient soient ternies ou brisés avec le temps et avait été remplacé par une masse de plantes grimpantes qui ne laissaient que peu la lumière du jour passer. Une odeur d’humidité et de pourriture obséquieuse les gênaient presque pour respirer. Cet endroit avait dû abriter des bêtes sauvages songea Homère. D'autant plus qu'il marcha sur quelques choses qui lui évoqua un os. Le craquement se répercuta partout dans le hall de ce sinistre bâtiment. Il s'en voulu quand il entendit la réaction angoissée des gens qui l'accompagnait. L'obscurité avait de cela effrayant qu'elle avait tendance à amplifier l'angoisse et les pires craintes possibles.
Un bruit sinistre d'explosion se fit entendre à l'extérieur du bâtiment. Saule, Perséphone et quelques chasseurs restés avec eux à l'extérieur entrèrent précipitamment. Homère remarqua de suite que Perséphone se tenait le bras. Saule vint vers Homère et lui dit :
_Ils ont plus que des arcs et des flèches! Je n’ai jamais vu de telles armes de ma vie! explique-t-elle au conteur.
C'était bien la première fois qu'il lisait une telle terreur dans le visage de la jeune cavalière. Et cela n'avait vraiment pas le don de rassurer le jeune conteur.
_Moi j'en ai déjà vu des armes pareilles, dit Perséphone.
Visiblement elle souffrait. Homère put voir ce sang laiteux et étrange propre aux androïdes qui coulaient de la plaie. Ils ne l'avaient pas loupé : la blessure était profonde et faisait visiblement souffrir Perséphone. Ce n'est pas parce qu'elle était un être fait de circuits et de métal qu'elle était insensible à la douleur.
_Ce sont des armes de l'Ancienne Humanité explique-t-elle aux jeunes gens et aux chasseurs qui les escortaient. Vos arcs, vos poignards et vos flèches peuvent pas faire grand-chose face à de telles armes!
Le conteur avait déjà entendu parler de telles armes. La tribu des artisans avaient même réussit à restaurer certaines de ces armes et même en fabriquer certaines. Mais c'était plus un défi à résoudre, un jeu d'adresse pour ces créateurs. Ces armes ne méritaient vraiment pas le mal que l'on pouvait donner pour les créer. Les métaux n'étaient pas rares dans les ruines de l'Ancienne Humanité mais les travailler demander du temps et la poudre pour les faire fonctionner étaient bien trop rare. Les métaux étaient mieux employés pour fabriquer des outils pour les agriculteurs, les bâtisseurs ou pour les chasseurs que pour fabriquer des armes à feu quand un arc ou une bonne lance permettaient tout aussi bien aux chasseurs de ramener du gibier chaque hiver.
Mais voilà un avis que les guerriers du sud ne semblaient pas partager avec eux. Ils avaient des armes à feu et n'avaient pas hésité bien longtemps pour s'en servir sur eux.
_Il faut qu'on se cache, expliqua Ibou-Na qui s'était rapproché d'eux. Dans ses rues nous nous ferions tuer les uns après les autres. Mais même avec de telles armes, au corps au corps aucun de ses hommes ne peut rivaliser avec nous!
La fierté d'Ibou-Na envers les siens avait tendance à être très communicative. Les chasseurs et chasseresses qui les entouraient s'exclamèrent et commencèrent à se diriger vers la troupe des rescapés pour les escorter un peu plus au fond du bâtiment. Il fallait se mettre à l'abri à tout prix et dans les ombres, les chasseurs se sentaient favorisés. Ils avaient l'habitude de guetter leurs proies dans des lieux qui ne leur étaient pas propices.
Saule quant à elle prépara son arc et encocha une flèche. Elle reculait vers eux en pontant son arc vers l'entrée. Homère était impressionnée par la cavalière : plus que la chasse, c'était la guerre qu'elle connaissait. Ses sœurs et elles, avaient grandies dans un univers qui ne voulait pas d'elles. Elles n'avaient pas peur de se battre pour imposer leur place. Saule ne faisait pas exception.
Ils s'enfoncèrent donc de plus en plus dans les ténèbres de l'immeuble. Les chasseurs qui étaient en tête avançaient avec d'infinies précautions : ils n'étaient pas rares que ces vieilles constructions s'effondrent sur elles-mêmes. Il valait mieux se montrer prudent. Les armes des guerriers du sud étaient impressionnantes mais demeuraient bien peu de choses face à l'énormité des constructions de l'Ancienne Humanité.
Ils s'enfonçaient en guettant le moindre bruit. Homère restait proche de Saule et de Perséphone même cela le mettait plus en danger. Hors de question de s'éloigner de ses amies. Ils y voyaient de moins en moins, s'enfonçant dans des couloirs étroits et humides. Homère sentait par moment des choses humides et froides sur lui. Passé les premiers instants d'effrois, il se rendit compte qu'il ne s'agissait en vérité que de plantes envahissantes. La nature finirait par effacer cet endroit comme elle avait déjà commencé à le faire pour certaines cités de l'Ancienne Humanité. Leurs yeux s'habituaient doucement à l'obscurité mais ils manquaient tout de même de chuter sur une racine épaisse ou sur un morceau de béton défoncé. La seule lumière qui leur parvenait encore était celle du fond du couloir, unique carré de lumière dans cet océan de ténèbres.
_Ibou-Na, héla une chasseresse. Nous ne pouvons plus avancer! Nous sommes arrivés à un cul de sac, le reste du couloir s'est effondré sur lui-même.
_Bien, répondit-elle en sortant son poignard dont la lame brilla dans ce couloir empli de ténèbres. Nous allons donc nous défendre ici.
Les minutes s'écoulèrent avec lenteur extrême. Tous les muscles du corps du jeune conteur étaient tendus à l'extrême. Il continuait de pointer la lame de son poignard en direction du carré de lumière avec Saule et son arc tendu à l'extrême à ses côtés. Il se rendait bien compte du dérisoire de son poignard mais que pouvait-il faire d'autre?
Plus jamais il ne laisserait ses hommes tuer l'un des siens sans se défendre.
Soudain une ombre passa devant le carré de lumière au fond du couloir. Un sifflement se fit entendre. Saule avait tiré une de ses flèches. Un gémissement faible et fugitif se fit entendre à peine quelques secondes avant le bruit mou de la chute d'un corps inerte sur le sol.
La cavalière se détendit et relâcha ses épaules, soulagée. Son tir avait fait mouche. Perséphone posa sa main sur l'épaule de la jeune femme, fière de son adresse.
_Tu vois, un tir comme ça, même Frêne l'aurait loupé.
Même dans le noir, Homère sut que leur amie était devenue aussi cramoisie que ses cheveux.
Mais il n'était pas temps de se relâcher comme le fit remarquer justement Ibou-Na.
_Prépares-toi à en tirer d'autres, le corps de leur soldat risque de les alerter de notre présence.
Et comme elle l'avait prédit d'autres entrèrent dans le bâtiment en criant des cris des rages. La chasseresse ne put s'empêcher de pousser un soupir.
_Amateurs, chuchota-t-elle.
Et elle partit dans la bataille avec cinq des siens sous les regards éberlués de Saule, Perséphone et Homère. Ils n'avaient pas émis le moindre bruit en s'éloignant et se fondirent dans les ombres.
Quelques minutes plus tard et ils entendirent les premiers bruits de la bataille qui se déroulait à quelques mètres d'eux : des coups de feu, des cris de guerre, des hurlements et des gémissements de douleurs. A peine cinq minutes après le début des hostilités un silence assourdissant céda la place au vacarme. Rien ne leur permettait de savoir qui s'était révélé vainqueur de cet assaut.
Une silhouette se découpa au travers du rectangle de lumière au bout du couloir. Saule tendit à nouveau son arc mais il sentit qu'elle hésitait, ayant peur de tirer sur l'un des leurs.
_Ne me tires pas dessus, leur intima Ibou-Na. On les a tous eu vous pouvez revenir.
Les trois compagnons revinrent sur leur pas, suivis par les villageois apeurés et les gamins des chasseurs bien trop paisible pour leur jeune âge.
Dans la pénombre, il leur était impossible de se rendre compte de l'étendue des dégâts mais les chasseurs n'avaient visiblement pas fait de quartiers. Dans les ombres comme dans les bois, ils avaient l'avantage comme en témoignait le liquide sombre qui recouvrait les mains de sa tante et des autres membres de sa tribu. Homère bénit l'obscurité qui régnait dans le vieil immeuble : il n'avait vraiment pas la moindre envie de voir dans quel état les chasseurs avaient réduit les guerriers du sud.
Ils se dirigèrent vers la sortie quand un guerrier surgit et empoigna sa tante. Le jeune conteur vit que l'homme tenait une lame qu'il appuyait contre la gorge de sa tante. Mais c'était vers le reste des chasseurs qu'il pointait sa lame et non vers sa tante. Homère, qui était derrière l'homme qui s'était saisie de sa tante ne réfléchit pas plus de quelques secondes et enfonça son poignard entre les côtes de leur assaillant. Il fut surpris par la résistance qu’offraient la chair et les os, mais aussi par le sang chaud de l'homme qui se mit à couler, épais et poisseux sur sa main. Horrifié par son propre geste, il lâcha le poignard encore planté dans les côtes de l'homme. Surpris et souffrant, il relâcha la pression de sa lame et se fut suffisant pour qu'Ibou-Na se dégage de son étreinte. Elle se retourna aussitôt et trancha la gorge de son assaillant d'un geste nette et rapide. Homère n'eut pas vraiment le temps de comprendre ce qu'il s'était passé que l'homme gisait déjà à ses pieds, mort. Et alors se fut plus fort que lui : il tourna les talons et vomit l'intégralité de son maigre déjeuner. Le goût de sa propre bile lui brûla la gorge et il se mit à tousser violemment. Saule, voyant son ami dans un tel état lui tendit sa propre gourde.
_Merci, hoqueta avec difficulté Homère.
Si on pouvait lire de l'inquiétude et de la compassion dans le regard de la Cavalière, c'était un tout autre sentiment qui rayonnait d'Ibou-Na la cheffe chasseresse. Elle irradiait littéralement de la fierté que son neveu venait de lui inspirer. Ne le laissant pas reprendre ses esprits, elle lui tapa dans le dos et s'adressant à toute l'assistance:
_Ce que vous voyez là mes amis, c'est l'essence des chasseurs! Tonna-t-elle pleine d'orgueil. Ça transcende tout ce que vous pouvez croire! Ça fait partie de notre sang! Regardez-le! Oui regardez mon neveu! Il a été élevé comme un faible conteur et pourtant le sang des chasseurs coule toujours en lui.
Perséphone s'approcha d'Ibou-Na, furieuse.
_Vous ne pouvez pas vous taire! Vous croyez que c'est le moment pour ça? On doit se dépêcher de rejoindre la Citadelle avant que d'autres ne viennent nous attaquer! Nous devons nous presser! Mais allez-y crier votre joie d'être une chasseresse jusqu'à ce qu'ils nous entendent, s'énerva-t-elle.
A la surprise de Saule et de Homère, la chasseresse ne répliqua pas et se contenta de reprendre la manœuvre.
Ils sortirent du bâtiment le plus silencieusement possible. Les traits de Perséphone restaient tirés. Elle était concentrée sur le moindre bruit environnant. Comme elle avait expliqué à ses deux jeunes compagnons, elle avait des sens bien plus développé que des êtres humains standards. Pour autant son cerveau, calqué sur celui d'un être humain, avait beaucoup de difficulté à traiter une telle somme d'information. Elle était plus forte, plus sensible qu'un être humain mais elle pensait comme eux. Et faire le tri entre les sons proches, comme les larmes de peur des deux petits enfants de Jean, et les sons lointains, comme un troupe de guerriers qui s'approcheraient d'eux, était un exercice ardu et lui demandait une concentration maximum.
Ils avancèrent à rythme réduit, à l'ombre des bâtiments et en faisant le moins de bruit possible. Quelques chasseurs et chasseresse s'étaient écartés du groupe pour fouiller les environs et éviter un nouveau traquenard. Homère avait toujours le sang de l'homme qu'il avait tué sur sa main droite. Le sang commençait à sécher et il obnubilait le jeune homme. Que penserait son père en le retrouvant? Penserait-il qu'il n'était pas digne de la tribu des conteurs vu la facilité avec laquelle il avait poignardé cet homme. Mais comprendrait-il vraiment ce qui s'était passé dans son esprit à cet instant-là? Comprendra-t-il que dans la pénombre de ce vieux bâtiment les rides de sa tante, son maquillage et son étrange accoutrement s'étaient effacés et qu'il n'avait plus vu que le visage de sa mère en proie à ce guerrier?
Heureusement pour la petite troupe de rescapés et de chasseurs, aucun guerrier ne fit à nouveau son apparition. Impossible de dire si cela tenait à la prudence du groupe ou si cela était dû à la découverte macabre de leurs compagnons dans ce hall d'immeuble vieux de plus de trois cents ans. Ou alors ils n'étaient qu'une petite troupe d'éclaireurs. Ils n'en savaient rien et ça ne servait vraiment à rien de se perdre en conjectures fumeuses. Tout ce qui comptait était d'atteindre le plus vite possible la Citadelle. Lorsque leur chemin leur fit attendre les rives de Sequenae, Homère eut l'heureuse surprise de commencer à reconnaître les bâtiments qui les entouraient. Après tout cela faisait plus de quatorze années qu'ils les revoyaient à la fin de l'automne pour revenir à la Citadelle et au début du printemps pour la quitter. Le fleuve tranquille était entouré de bâtiments immenses exhibant leurs entrailles de fers, de bêtons, de câbles à l'air libre. La végétation avait commencé à les attaquer et il fallait se montrer très prudent en les explorant car leurs fondations étaient de moins en moins solides avec les années passant. Mais cela ne semblait pas inquiéter les grands félins qui avaient pris ses mausolées d'un autre temps comme abri. Il leur restait quoi encore à faire? Quatre cents, peut-être cinq cents mètres à parcourir et ils arriveraient à la Citadelle et à ses champs qui l'entouraient : les agriculteurs avaient méthodiquement enlever le bitume et les pavés qui cernaient la Citadelle pour étendre leurs terres arables quand les champs sur la rive droit ne leur avait plus suffit. Homère savait qu'il s'agissait d'un ancien parc.
Ainsi la Citadelle était un véritable havre de paix. Masquée par les ruines de l'Ancienne Humanité, elle survivait dans un halo de verdure entretenue par son propre peuple. Homère ressentit un certain soulagement à cet instant et sentit la joie lui revenir quand il songea qu’il allait enfin pouvoir montrer à ses deux compagnes de route sa propre Cité.
Le passage entre le véritable No Man’s land des anciennes bâtisses de l’Ancienne Humanité et les terres arables des agriculteurs était assez abrupt. On passait d’une ville fantôme à des champs aux sillons rectilignes à toute vitesse. Mais ce qui les surpris tous fut la Citadelle, majestueuse qui les surplombait tous.
Quatre immenses tours grises les toisaient de leur cent mètre de haut. Elles étaient en bien meilleurs états que tous les autres bâtiments qu’ils avaient vus jusque-là même si l’on devinait qu’elles avaient été entretenues avec minutie. On pouvait deviner que des vitraux avaient été remplacés pour combler les vitres brisées. A certains endroits, c’était parfois même de simples planches de bois qui bouchaient sa façade. Dans le soleil couchant toutes ces couleurs vives ressortaient magnifiquement sur la base grise de ces quatre tours. A leur base, on pouvait discerner d’immenses murailles faites de débris collecté sur les bâtiments alentours : des pavés, des plaques de bétons, des bouts de tôles et des planches de bois formaient l’enceinte massive de la citadelle. L’entrée était constituée de deux immenses portes faites en acier et ouvertes sur les agriculteurs qui entraient le fruit de leurs récoltes pour les entasser dans les réserves de la Citadelle pour passer l’hiver.
Lorsqu’Homère et toute sa troupe traversèrent les champs moissonnés, ils eurent droit à quelques coups d’œil vifs en leur direction. Il fallait comprendre les agriculteurs : cette troupe ne ressemblait à rien de ce qu’ils avaient déjà vu. La troupe était hétéroclite : on pouvait reconnaître à leur accoutrement quelques chasseurs mais aussi une trentaine de villageois inconnus qui étaient visiblement en piteux état. Il suffisait de voir leur vêtements déchirés, pleins de boues et de traces sombres qui évoquaient le sang pour que les agriculteurs se méfient. Homère ne connaissait aucun de ses hommes et des femmes qui ramenaient leurs bêtes de sommes chargés de nourriture jusqu'à la Citadelle. De toute manière la curiosité malsaine qu'ils manifestaient à leur égard ne lui donnait aucune envie de leur parler. Mais sa tante leur jeta un tel regard que plusieurs d'entre eux détournèrent les yeux et vaquèrent à leurs occupations sans s'occuper d'eux.
_Ils ont réussi! s'exclama soudainement le jeune conteur.
En se rapprochant de plus en plus de la Citadelle, Homère avait fini par reconnaître quelques-unes des Péniches de sa tribu. D'où il se situait il pouvait en apercevoir une petite dizaine accosté au rivage. Mais ce fut une en particulier qui fit battre son cœur à toute vitesse. Il l'aurait reconnu parmi un millier c'était celle des siens, de sa famille. Une péniche à la coque peinte de bleu foncé et dont le pont était toujours superbement lustré. Sa fatigue s'envola d'un seul coup et un poids qu'il portait sur ses épaules depuis plusieurs jours le quitta. Il ne réfléchit pas deux secondes de plus et se mit à courir à toute vitesse, bousculant une vieille agricultrice revêche au passage. Mais il s'en moquait. Il allait enfin revoir son père, sa tante, son oncle et ses cousines. Il courait à en perdre haleine, manquant de trébucher sur les sillons. Au bout de quelques minutes de cette course à vive allure il arriva juste en face de la péniche de sa famille. Il reconnut les chevaux de traits qui ne prêtèrent pas particulièrement attention à son arrivée, soulevant à peine leur massif museau de leur auge. Homère se mit à hurler en s'avançant sur le pont, frappant aux portes des cabines.
_Papa, c'est moi! Je suis là! C'est Charlie.
Ce fut son oncle qui lui ouvrit la porte. Homère comprit rapidement à sa mine fatiguée et ses traits qu'ils avaient dû passer des jours difficiles depuis leur séparation. S'il se doutait du quart de ce que lui avait dû affronter...
_Tonton! C'est moi! Où est papa? Il faut qu'il sache que je suis de retour! Je dois le voir!
Les mots se précipitaient dans la bouche du jeune garçon. Il ne cessait de répéter ces quelques mots dans un chaos insensé et plein de précipitation. Il ne voulait pas attendre un instant de plus. Il devait revoir son père.
_Homère! C'est toi! dit-il surpris. Mais, mais comment as-tu... comment... comment c'est possible bégaya son oncle.
_Je te raconterais ça une autre fois! Se précipita le jeune conteur. Papa est-il là?
_Non, il n'y a a que moi et ta tante. Elle a accouché hier de ton petit cousin. Le médecin nous a déconseillé de trop la bouger pour le moment. L'accouchement a été très compliqué pour elle. Ton père est à la Citadelle. Le conseil l’a convoqué pour qu’il leur raconte en détail l’attaque du village de Mamèsé.
Le jeune garçon tourna les talons et se précipita vers les portes de la Citadelle. Il dépassa avec facilité tous les agriculteurs et autre descendants qui s’avançaient mollement pour entrer dans la Citadelle. Il en bouscula surement plus d’un mais il s’en moquait éperdument. Ses poumons commençaient à le faire souffrir et un point de côté apparaissait mais encore une fois il s’en moquait totalement. Tout ce qu’il voulait c’était partager avec son père la joie de le revoir et la peine de la perte de sa mère.
Une fois les deux portes massives de la Citadelle passées, il se retrouva dans la vaste cour centrale. On se sentait encore plus minuscule au milieu des quatre tours de la connaissance des Anciens. Homère put voir des membres des tribus des artisans qui marchaient en groupe en causant vivement, quelques cuisiniers qui discutaient avec vigueur des récoltes et des réserves qu’il y aurait pour cet hiver, mais également deux chercheurs en blouse bleue qui avaient un débat houleux sur les variations atmosphériques. Mais lui qui d’habitude adorait errer au milieu de tous ces gens aux arts si variées et aux connaissances si spécifiques ne prit même pas la peine s’arrêter pour les écouter et emprunta un des escaliers à la base de la tour la plus proche pour se diriger sur le terre-plein centrale. Car le centre de la grande esplanade était un trou béant ouvert sur un jardin botanique où le conseil s’était installé, protégé du vent et des éléments par de vastes et épaisses tentes en toile. C'était ici qu'ils siégeaient afin d'être audible pour tous mais la plupart du temps ils vadrouillaient dans les couloirs et bibliothèques souterrains de la Citadelle. Mais s'ils étaient en train d'écouter le témoignage de son père alors il n'y avait aucun doute : c'est bien là qu'ils se trouvaient.
Le jeune garçon descendit au rez de jardin en ne cessant de répéter "pardon", "excusez-moi", "je suis désolé", "je suis pressé" comme une pénible litanie. En temps normal il aurait pris le temps de contempler certaines des œuvres qui ornaient le hall et les couleurs le jouxtant : quasiment que des œuvres de l'Ancienne Humanité. Oh, il y avait bien une tribu d'artistes, mais à la manière des conteurs, ces derniers se contentaient de reproduire des œuvres du passé sans rien inventer de nouveau. Et comme les outils, les pigments, les toiles ou pierres qu'ils utilisaient n'avaient que peu à voir avec la finesse des matériaux utilisés par le passé, le résultat était bien piètre en comparaison. De toute manière chez les Descendants on ne cherchait pas réellement à égaler en inventant de nouveaux arts les hommes du passés, véritables figures d'un monde antique et glorieux mais on tentait vainement de s'en approcher en imitant ou encore en recréant des œuvres dont il ne restait plus que de vieilles photos ou un obscur témoignage dans une gazette ayant traversé les âges.
Au travers des vitraux multicolores qui entouraient le jardin botanique, Homère réussit à voir son père face aux douze membres du conseil. Ce nombre n'avait aucun lien avec le nombre de tribus existantes parmi les descendants mais choisi pour la beauté supposée de ce chiffre. La légende dit que les tribus des descendants avaient choisi ce nombre après être tombé sur un motif de drapeau bleu foncé avec douze étoiles dessus.
Homère eut beaucoup de peine en voyant son père : en trois jours il semblait avoir beaucoup vieilli, son visage était creusé et terne. Face au conseil, il se tenait courbé ne regardant pas les douze membres du conseil qui le questionnaient préférant une contemplation attentive de ses pieds. Ils étaient tous très âgé mais c'était assez logique puisqu'ils étaient élus à vie par tous les membres des tribus des descendants réunis. Les élections ne se déroulaient qu'en hiver pour qu'aucune tribu ne se retrouve lésée. A la mort d'un des membres du conseil tout le monde pouvait poser sa candidature pour le nouveau poste. Mais c'était bien souvent les mêmes tribus qui les remportaient : les légistes étaient bien souvent favorisés par leur éducation à la rhétorique et leurs connaissances des lois anciennes et nouvelles. Un conteur savait raconter des histoires mais le maniement des idéologies lui était bien étranger.
Deux hommes gardaient la porte de fers et de vitraux qui permettaient d'accéder au conseil. Homère tenta de les convaincre de le laisser passer immédiatement.
_Non, tu dois te noter au registre avant de pouvoir t'adresser formellement au conseil, tint fermement un des deux gardes.
_Mais je me fous du conseil! Tonna la voix du jeune homme pétri d'impatience. C'est mon père que je suis venu voir!
Attiré par l'esclandre qui se déroulait à quelques mètres, une des membres du conseil le pointa du doigt et chuchota avec son collègue de gauche. Les messes basses entre membres du conseil attirèrent l'attention de son père qui tourna la tête en direction de ce qu'elle pointait. Le regard du père et du fils se croisèrent en un bref instant avant que le père reprenne ses esprits et courent en direction de son fils.
Quelques secondes, à peine, le père et le fils se retrouvèrent réuni dans l'empoignade la plus désespéré qu'Homère avait connu. Son père le serrait si fort dans ses bras qu'il en eut presque mal. Mais il ne lui dit rien. Il comprenait : il avait besoin de se rendre compte que son fils était là, en chair et en os, ici, à la Citadelle, à l'abris derrière son vaste mur d'enceinte. Son père resta silencieux avant que ses sanglots ne viennent le briser. C'était pour lui un tel soulagement de retrouver enfin son unique enfant.
_ça va? Tu n'as rien Charlie?
Son fils le rassura sur son état de santé d'un simple oui. Il ne releva pas l'utilisation de son ancien prénom. Aujourd'hui dans les bras de son père, il était à nouveau un petit garçon et peu importe ce qu'en disait le rite d'initiation. Pas d'Homère, juste le petit Charlie.
_Où est ta mère? Demanda son père.
Et le voilà, le fatidique instant. Envolé déjà la joie de retrouver son père, il devait affronter sa peine autant que la sienne.
_Je… Elle… balbutia-t-il incapable de sortir la moindre phrase cohérente.
Les sanglots, enfin. Il fut incapable à présent d'articuler le moindre son audible. Il enfonça sa tête dans la veste de son père et pleura. Toute la peine, la violence, le chaos et la peur de ses derniers jours sortaient de lui sous forme de larmes. La main de son père passa dans ses cheveux mais le geste était plus lent qu'à son habitude. Homère fut incapable de dire combien de temps cela dura. Il était là, dans les bras rassurants de son père, partageant ensemble la peine de la mort de Zola la conteuse.
Une vieille femme habillé d'une toge écarlate s'approcha d'eux et leur dit :
_Si vous le souhaitez nous pouvons ajourner cette séance, proposa-t-elle. Demain nous serons tout aussi disposés à vous écouter parler au sujet de ces barbares venant du sud.
_Non, cria presque le jeune garçon que l'urgence de la situation ramena violemment à lui-même. Ils sont là! Presqu'à nos portes!
_Mais enfin cette situation est insensée! S’énerva un des membres du conseil un vieil homme à la calvitie avancée. Personne n'a jamais osé attaquer la Citadelle en plus de quinze générations!
_Et pourtant c'est le cas aujourd'hui! S'emporta Ibou-Na.
Elle était arrivée en compagnie de Renar, son bras droit et de Saule et Perséphone. Les membres du conseil se tournèrent vers elle. Le vieux membre au crâne dégarni avait l'air complétement interloquée. Il n'avait surement pas l'habitude qu'on s'adresse à lui sur ce ton. Mais fidèle à elle-même, sa tante s'en foutait éperdument et continua sur sa lancée.
_Nous avons été attaqué par une petite escouade à moins de cinq cent mètres de la Citadelle. Je suis sure et certaine que le gros de leurs troupes ne sont pas loin. Jeanne, vous savez tout comme moi que nous autre chasseurs n'avons pas l'imagination débordante des conteurs. Nous serions incapables d'inventer ce genre de faits.
Jeanne, la membre du Conseil la plus respecté par les chasseurs puisqu'elle même était née Chasseresse avant de rejoindre à ses treize ans la tribu des légistes comme en témoignait sa toge pourpre. Elle afficha une mine pensive.
_Ibou-Na, vous avez vu ses hommes n'est-ce pas? Demanda la conseillère pour commencer.
_Oui et je peux vous assurer qu'ils n'ont rien à voir avec les piaillards habituels : ils ont des armes de l'Ancienne Humanité!
Un brouhaha cacophonique saisit le conseil dans son intégralité suite à cette information. Eux-mêmes étaient munis de quelques-unes de ses armes et de quelques tentatives de les imiter mais eux ils étaient les Descendants, derniers gardiens de la mémoire et des savoirs de l'Ancienne Humanité. De plus cela soulevait énormément de questions puisque les matières premières pour les faire fonctionner étaient rarissimes et très dures à se procurer.
_Silence, je vous prie mes amis! Un peu de tenue, tout de même! S'enerva Jeanne. Ibou-Na pourriez-vous nous fournir un rapport détaillée de la situation? Nous devons établir une stratégie et pour cela toute information est la bienvenue.
_Oui, je peux vous dire en détails tout ce que je sais!
_Bien! Laissons alors ce père et ce fils se retrouver. Nous vous demandons de rester dans les parages. Nous aimerions aussi recevoir votre témoignage, jeune homme! Conclut Jeanne.
_Excusez-moi, mais pourrais-je également vous demander audience! Dit soudainement Saule.
Jeanne regarda la cavalière avec curiosité.
_Je ne crois pas reconnaître votre accoutrement… A quelle tribu appartenez-vous jeune fille?
_Je n'appartiens pas aux peuples des descendants. Je suis une cavalière venant du sud porteuse d'un message de paix et d'une alliance possible pour combattre ces conquérants venus du sud, expliqua Saule avec emphase.
Elle était visiblement tendue, nerveuse mais elle soutenait le regard de cette femme âgée avec intensité.
_Oh oui! J'ai entendu parler des vôtres! Un peuple de femmes guerrières à ce que l'on m'a dit. Bien, bien, l'heure est grave, acceptez que je m'entretienne avec Ibou-Na et nous vous convoquerons. Nous n'avons jamais trop d'alliée parmi les peuples de la Francie. Si l'heure n'est finalement pas à la guerre, je suis certaine que des accords commerciaux profitables pour nos deux peuples pourraient voir le jour.
Et la conseillère les laissa là, emmenant avec elle Ibou-Na, dont l'allure tranchait avec le raffinement de ce lieu.
Homère, son père, Perséphone et Saule sortirent sur l'esplanade. King avait besoin d'air frais ce que lui offrit ce crépuscule automnale. Il resta silencieux quelques instants, les yeux visiblement rouges malgré la lumière de plus en plus déclinante. Perséphone se tenait toujours le bras mais personne ne lui avait fait remarquer l'étrange couleur de son sang blanchâtre. De toute manière, même si ces circuits avaient été à l'air libre, le père de Homère était encore tellement sous le choc qu'il n'y aurait pas prêté la moindre attention. Ses yeux ne quittaient pas son enfant, dernier témoignage vivant de la présence de sa femme sur cette terre.
_Je… Est-ce qu'il y a une chance que tu te trompes? Si tu as réussis à t'enfuir peut-être qu'elle aussi y est arrivé, demanda King sur un ton presque suppliant.
Mais l'on ne négociait pas avec la réalité, malheureusement.
_Non, aucune papa. Je l'ai vu, j'ai vu…
Mais un geste de la main de son père le coupa net. Il ne souhaitait connaître aucun détail. L'espoir que lui avait offert la vue de son fils lui avait été arraché avec trop de brusquerie pour qu'il souhaita en savoir plus sur la manière dont sa femme était morte.
_Je… Je lui ai offert un départ digne d'une conteuse, papa. Je te le promets, murmura son fils.
_Je ne m’attend à rien de moins de toi, mon Charlie. Qui sont tes amies, dit-il dans une vaine tentative de fuir ce sujet si douloureux.
Perséphone se présenta et raconta au père de Homère comment elle lui avait sauvé la vie.
_Je ne sais pas comment je pourrais jamais vous remercier d'avoir sauvé mon fils unique.
Et il tendit sa main dans sa direction pour lui serrer. Mais Perséphone tenait toujours son bras blessée. Elle n'avait même pas pris le temps de se faire un bandage et entre ses doigts serrés sur sa plaie perlait un sang nacré.
_Vous n'êtes pas… vous êtes… balbutia King.
_Oui, je suis un fantôme du passé, commença Perséphone avec un brin de lassitude dans sa voix. Je suis une création de vos ancêtres. De comment vous les appelez déjà? L'Ancienne Humanité, c'est ça?
King avait les yeux écarquillées par la surprise. A la Citadelle, tout le monde connaissait l'existence des androïdes. La cité mécanique n'était après tout que situé à quelques kilomètres au nord-ouest mais c'était autre chose d'en voir un de ses propres yeux. Les robots de la Cité mécanique avaient un territoire très précis et peu en sortaient. Ils vivaient totalement isolée du reste et les Descendants n'osaient s'aventure sur leur territoire même si la curiosité était forte. Il existait bien trop de rumeurs d'artisan ou de scientifiques qui s'étaient rendues là-bas et qui s'étaient fait tué par des machines de guerres telles que seuls l'Ancienne Humanité pouvait en concevoir.
_Je suis désolé, je ne devrais pas vous fixer ainsi mais vous nous ressemblez tellement… C'est incroyable de voir à quel point l'Ancienne Humanité était ingénieuse…
_Je serais moins catégorique là-dessus mais passons. Mais nous ne serions pas arrivés aussi vite sans le soutien des Cavalières.
Ce fut au tour de Saule de se présenter. Elle parla de son peuple, de leur manière de vivre et de la raison de sa présence d'être ici. Son père écoutait avec curiosité et était totalement captivée par tout ce que disait la jeune femme à la chevelure rousse. C'était dans la nature même des conteurs : ils aimaient les belles histoires et leur véracité ou non n'altéraient jamais leur plaisir.
Quand Saule eut finit la nuit avait bien commencé et personne n'était encore venu les chercher. Ils descendirent néanmoins dans les étages inférieurs et s'installèrent sur une des tables un peu à l'écart des jardins botaniques. Des bougies avaient été allumés tout autour de la tente du conseil et on pouvait voir Ibou-Na toujours occupée à faire son rapport aux dirigeants des Descendants.
Un des cuisiniers les voyant attabler ici à attendre leur amena une miche de pain fraîche, un morceau de fromage et quelques fruits. C'était quelque chose d'assez inhabituel mais Homère s'imaginait bien que son histoire et l'attaque qu’avaient subie les chasseurs avaient surement fait le tour du personnel du conseil. Ils acceptèrent avec un merci ce geste empathique. Le pain était frais et encore légèrement tiède et malgré toutes ses émotions il avait une faim de loup. Lui et Saule se jetèrent presque sur la nourriture quand son père se contenta de mordre dans une poire. Perséphone les regarda manger avec un mélange d'envie et ce que l'on aurait pu prendre pour de la nostalgie.
_Vous devez sans doute avoir des milliers d'histoires à raconter, demanda King sur le ton de la conversation à Perséphone. Vous êtes un témoin vivant du passé.
L'androïde qui avait été un peu braquée par la curiosité du conteur se radoucit en entendant ce doux qualificatif : vivant…
_Oui et j'ai d'ailleurs commencé à la raconter à votre fils. En attendant qu'ils viennent nous chercher, je pourrais peut-être la poursuivre…
_Oui, je t'en prie Perséphone, racontes! Supplia Homère la bouche pleine.
La réponse pleine d'entrain fit pouffer Perséphone et elle reprit son histoire une fois son hilarité calmée.
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